La BnF, spot pour les clubbers ?


p1150224L’exposition Electrosound, du lab au dancefloor qui se tient à la Fondation EDF, la parution de l’ouvrage de Laurent de Wilde, les Fous du son 1 ou encore le lancement de la  websérie La Touche Française, de Guillaume Fédou et Jean-François Tatin, diffusée sur le site Arte Creative, sont l’occasion de mentionner le rôle que joue la BnF dans la sauvegarde de ce patrimoine immatériel que constitue la musique électronique ou électroacoustique.

Dépôt légal des phonogrammes

Si le dépôt légal des documents sonores (phonogrammes) a été institué le 19 mai 1925, ce n’est qu’à partir de la création de la Phonothèque nationale, le 8 avril 1938, qu’il put être mis en œuvre. Encore fallut-il attendre la « drôle de guerre » pour que les éditeurs se décident à appliquer la loi de 1925 et commencent de déposer leur production phonographique dès janvier 1940.
Depuis, tous les documents sonores mis en location, en vente, en distribution, importés ou mis à la disposition d’un public même limité et même à titre gratuit, doivent être déposés auprès du département de l’Audiovisuel de la BnF. Gratuit et sans frais postaux, ce dépôt permet de préserver le patrimoine musical… édité.
C’est ainsi que la BnF offre à ses lecteurs les diverses éditions de musique électronique ou électroacoustique de Pierre SchaefferPierre Henry, Jean-Claude Risset, Philippe Manoury, mais aussi de Jean-Jacques Perrey, François de Roubaix ou encore Daft punk, Justice, C2C, etc.

Quelle pérennité pour la musique électronique ?

p1150231Mais le nouveau paradigme de la musique électronique, qu’elle soit mixte ou a fortiori performée en temps réel (« live electronic music »), pose la question de sa pérennité. Quelle peut être la sauvegarde patrimoniale de la musique électronique (analogique ou assistée par ordinateur) dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’une édition ? Quelles traces seront-elles conservées pour les générations futures ?

D’aucuns arguent que l’une des solutions pour assurer la conservation pérenne des musiques électroniques réside dans la composition et la notation effectuées en vue d’une transmission. Les établissements patrimoniaux pourraient ainsi espérer des dons et legs des supports d’enregistrement de ces notations.

Un autre espoir pourrait consister dans les supports d’enregistrement (analogiques ou numériques) adoptés par les musiciens pour conserver leurs créations. Archive de la création relevant du domaine privé, cette documentation personnelle ne relève pas du dépôt légal et la patrimonialisation de ce patrimoine, soit l’entrée dans une institution patrimoniale pour conservation pérenne, ne peut intervenir qu’en cas de don/legs, achat (direct ou en salle de vente). Une problématique similaire se pose pour les manuscrits -désormais électroniques- des écrivains. Quelles seront les études génétiques de l’avenir dès lors qu’elle ne porteront plus sur divers états de manuscrits manuscrits, dactylographiés ou imprimés mais sur des strates de fichiers informatiques, si celles-ci ont été conservées et données à des bibliothèques2 ?

Ces questions de préservation de la musique électronique en lien avec le paradigme de l’obsolescence technologique sans cesse accélérée, les artistes, programmeurs et performeurs mais aussi les réalisateurs en informatique musicale (RIM) se les posent depuis les débuts de la musique électronique, moins en relation avec les problématiques des institutions patrimoniales qu’avec celles de la transmission et de la ré-interprétation par d’autres musiciens du futurs3.

Les institutions patrimoniales se trouvent confrontées à la même problématique que celle qui affecte les jeux vidéos, les logiciels et programmes informatiques pour lesquels des programmes d’émulation sont mis en place4. Mais si l’émulation a été mise en œuvre pour certaines de ses collections, la Bibliothèque nationale de France opte plus volontiers pour la numérisation puis la migration et la duplication5 tout en conduisant des programmes de recherche sur la question6 .

Cas des archives de l’Institut International de Musique Electroacoustique de Bourges (IMEB)

Logo de l'IMEBLa Bibliothèque nationale de France traite de l’ensemble des ces problématiques avec un cas concret représenté par le don consenti le 20 septembre 2005 par l’Institut International de Musique Electroacoustique de Bourges (IMEB), héritier du Groupe de Musique Expérimentale de Bourges (GMEB) fondé en 1970 par Françoise Barrière et Christian Clozier.

Réparti dans les collections du département de la Musique et du département de l’Audiovisuel de la Bibliothèque nationale de France, le fonds comprend 6 577 œuvres de musique électroacoustique, 1 300 partitions et 166 caisses représentant 50 mètres linéaires d’archives musicales, historiques, techniques, photographiques, vidéographiques et administratives de l’institut.

Le studio historique « Charybde » de recherche  et de composition qui retraçait 40 années d’évolution technologique, a été transféré au sein de la collection Charles Cros de la BnF7, soit un véritable musée dédié aux instruments de reproduction sonore dont les fleurons sont consultables en ligne dans Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF, à l’adresse url : <http://gallica.bnf.fr/html/und/objets/collection-charles-cros>.

Cela représente donc un ensemble complet et multimédia exceptionnel sur l’histoire de la création et de la diffusion de la musique électroacoustique. En effet, les « musiques » elles-mêmes produites et présentées aux festivals, sont particulièrement riches du fait de la nature de ces œuvres, car elles sont présentes sous forme de composants écrits, sonores, électroniques et audiovisuels (partitions et enregistrements présentés aux festivals, d’Alain Savouret, Adolfo Nunez, Jean-Claude Risset, Jorge Antunes, Kaija Saariaho, etc.). Les archives du concours (dossiers d’inscription, biographies des concurrents, avis des jurés…) dessinent un panorama précis des acteurs de la création musicale contemporaine de la seconde moitié du XXe siècle. Les archives du festival, des concerts, des tournées et autres manifestations constituent des éléments pour l’histoire de l’action culturelle du niveau local au niveau international. Les instruments, en particulier les composants du studio Charybde, et les documentations techniques renseignent quant à eux sur les prémices et l’essor de l’informatique musicale.

La pérennisation ainsi que la communicabilité du fonds sont assurées via des traitements de transferts (des cassettes audio de type Digital Audio Tape (DAT) et des CD) et de numérisation. L’IMEB puis la Mnémothèque Internationale des Sciences et Arts en Musique Electroacoustique (MISAME), qui assure désormais la gestion, le développement et la diffusion des œuvres, avaient déjà lancé des chantiers de numérisation et sauvegardaient leurs productions.

La pérennisation était au cœur des préoccupations de l’IMEB, qui avait lancé d’importants chantiers de numérisation de ses enregistrements et dossiers documentaires. Dès les premiers contacts entrepris avec la BnF, une campagne de numérisation d’une sélection d’œuvres avait été menée à bien, associant le fichier numérique de la musique et les données musicologiques. Les auteurs avaient été associés à ce chantier, envoyant leurs œuvres numérisées et leurs notes de programmes.
Afin de faciliter la recherche, des « capsules » ont été constituées pour chacune des quelques 14000 « musiques » , regroupant des fichiers son, texte, et images, ainsi qu’un listing de métadonnées techniques, musicologiques et historiques.

Pour une description précise de l’ensemble du fonds de l’IMEB géré par MISAME et de son historique, on se reportera à la présentation générale et l’inventaire disponible en ligne (url : <http://www.misame.org/wp-content/uploads/2014/09/PRESENTATION-GENERALE-du-FONDS-MISAME.pdf>).

Objet de traitements et de recherche

En 2015, dans le cadre du programme Les Arts trompeurs. Machines, Magie, Médias financé par le Labex ARTS-H2H, le fonds de l’IMEB a fait l’objet d’un chantier de traitement et de valorisation par Caroline Renouard puis Azadeh Nilchiani qui a mené l’inventaire transversal du fonds de l’IMEB de la BnF. Un compte rendu et un bilan détaillé des travaux sont disponibles en ligne à l’adresse url : <http://www.lesartstrompeurs.labex-arts-h2h.fr/fr/content/le-fonds-darchives-de-limeb>. Ses travaux ont notamment permis les communication au cours du colloque Machines. Magie. Médias8, tenu en août 2016 à Cerisy-la-Salle.

À la BnF ces œuvres, dont l’existence et la trace sont par essence électroniques, seront désormais assurées d’une conservation à long terme9, au sein d’une institution pérenne accoutumée à exercer cette mission tant dans le domaine musical sonore que dans celui des techniques numériques. Ces collections sont accessibles pour la recherche, en particulier pour le public des créateurs et des musicologues10.
Le fonds IMEB a ainsi rejoint les très importantes collections musicales de la BnF, riches de 900 000 enregistrements sonores, dont les techniques vont du cylindre de cire au DVD, et les ont enrichi de façon irremplaçable dans le domaine de la création musicale contemporaine.
Puisse cet exemple inciter d’autres institutions musicales mais aussi les artistes, compositeurs ou réalisateurs en informatique musicale à songer à pérenniser leurs œuvres par ce type de don de nature à féconder la recherche et la création.
Cependant, si la BnF a bien pour mission de collecter, cataloguer, conserver et enrichir le patrimoine national dont elle a la garde, elle se doit également d’en assurer l’accès du plus grand nombre. En ce sens, par la volumétrie et la profondeur de ses collections, elle peut aussi être qualifiée de « spot » sinon pour les « clubbers », du moins pour les mélomanes, amateurs et curieux.

Citer ce billet : Olivier Jacquot. “La BnF, spot pour les clubbers ?”. Dans Carnet de la Bibliothèque nationale de France [En ligne]. http://bnf.hypotheses.org/904 (consulté le 30 septembre 2016).
Notes :
  1. Laurent de Wilde, Les fous du son, Paris : Bernard Grasset, 2016, 558 p. ISBN 978-2-246-85927-7 []
  2. Pierre-Marc de Biasi, « Les archives de la création à l’âge du tout numérique », Revue Sciences/Lettres [En ligne], 1 | 2013, mis en ligne le 01 mai 2012, consulté le 16 septembre 2016. URL : http://rsl.revues.org/314 ; DOI : 10.4000/rsl.314 []
  3. Comme le rappellent Antoine Vincent, Bruno Bachimont et Alain Bonard, « la communauté informatique se réfugie derrière la pérennité supposée des langages normalisés, les désignant comme nouvel invariant de représentation de l’œuvre comme l’était la partition. Or, nous ne savons actuellement que peu de choses sur la durée de vie d’un langage informatique, notamment combien de temps il restera lisible ou interprétable. De plus, il n’y a aucune certitude quant à la préservation du rendu sonore, car le même programme en langage C peut produire des sons significativement différents sur plusieurs environnements de compilation », « Modéliser les processus de création de la musique avec dispositif numérique : représenter pour rejouer et préserver les œuvres contemporaines », 23es Journées Francophones d’Ingénierie des Connaissances (IC 2012), Juin 2012, Paris, France. p. 83-98, 2012, IC 2012. Disponible en ligne, url : <https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00715035> []
  4. Citons pour mémoire le programme européen KEEP, Keeping emulation environments portable, http://actions-recherche.bnf.fr/BnF/anirw3.nsf/IX01/A2012000845_keep-keeping-emulation-environments-portable []
  5. Pour en savoir plus, on se reportera à la présentation : Louise Fauduet, « La conservation numérique : enjeux, risques, solutions », [Paris] : Bibliothèque nationale de France, [s.d.]. Disponible en ligne, url : <http://www.bnf.fr/documents/conservation_numerique.pdf> ; Dominique Théron, « Quid des collections audiovisuelles à l’heure du numérique ? », dans Mémoire numérique. Publics, ressources et bibliothèques en mutation, colloque, Saint-Cloud, Médiadix, 10 octobre 2014. Disponible en ligne, url :  <http://mediadix.u-paris10.fr/brochure/documents/3-Theron_Mediadix-URFIST_10102014.pdf> ; Vincent Berdot, « Comment la BnF préserve notre patrimoine numérique », 01 Informatique, n° 2047, 8 juillet 2010, p. 29-31.  Disponible en ligne, url :  <http://bfmbusiness.bfmtv.com/01-business-forum/comment-la-bnf-preserve-notre-patrimoine-numerique-525303.html> ; et à la bibliographie « La préservation numérique à la Bibliothèque nationale de France », [Paris] : Bibliothèque nationale de France, 2016. Disponible en ligne, url : <http://www.bnf.fr/documents/preservation_numerique_bibliographie.pdf>. []
  6. Cf. le programme  « Modélisation des oeuvres d’art numérique et de leur dispositif de lecture » financé par le Labex Arts-H2H. []
  7. Marianne Deraze, Xavier Loyant, « La collection Charles Cros », Blog Gallica, 27 octobre 2015. Disponible en ligne, url : <http://gallica.bnf.fr/blog/27102015/la-collection-charles-cros> ; Romain Bigay, « Collection Charles Cros, une brève histoire des appareils d’enregistrement et de lecture », Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles, 2 octobre 2013. Disponible en ligne, url : <http://www.irma.asso.fr/COLLECTION-CHARLES-CROS-UNE-BREVE> ; Martine Cohen-Hadria, « Étonnante collection Charles Cros », Chroniques de la Bibliothèque nationale de France, décembre 2006, Disponible en ligne, url : <http://chroniques.bnf.fr/archives/decembre2006/numero_courant/coulisse/charles_cros.htm>. []
  8. Programme disponible en ligne, url : <http://www.lesartstrompeurs.labex-arts-h2h.fr/fr/content/machines-magie-m%C3%A9dias-cerisy-2016> []
  9. SPAR, le système de préservation numérique de la BnF, url : <http://www.bnf.fr/fr/professionnels/spar_systeme_preservation_numerique.html> []
  10. A cet effet, son inventaire sera accessible dans BnF Archives et manuscrits à cette adresse url : <http://archivesetmanuscrits.bnf.fr/ark:/12148/cc944176> []

Olivier Jacquot

Coordonnateur de la recherche > Délégation à la Stratégie et à la recherche > Bibliothèque nationale de France

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