Accueil« Empowerment », pouvoir d’agir, en éducation. Quelle finalité ? Quelle(s) pratique(s) ?

« Empowerment », pouvoir d’agir, en éducation. Quelle finalité ? Quelle(s) pratique(s) ?

"Empowerment", the power to act, in education. To what end? And with what practices?

Revue « Spirale » n° 66

Spirale journal, no.66

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Publié le lundi 15 avril 2019 par Elsa Zotian

Résumé

Ce numéro de la revue Spirale vise à interroger les dynamiques d’empowerment et/ou d'autonomisation dans les champs de l'intervention éducative ou sociale, plus spécifiquement dans les domaines de l’éducation populaire et des « éducations à » – éducation à l’égalité, éducation à la santé, éducation à l’information, éducation aux médias, etc. –, considérés dans leurs spécificités. Les articles pourront concerner aussi bien les résultats de recherches empiriques que des discussions théoriques questionnant et/ou mettant en perspective ces notions.

Annonce

Argumentaire

Au cours des dernières décennies, la référence à la notion d’empowerment, et à la suite aux notions de pouvoir d’agir (agency), de compétences, de capacités qui l’accompagnent (Maury, 2011), est l’objet d’un intérêt marqué en France tant dans le champ de la recherche que dans les domaines de l’intervention éducative et sociale. La place grandissante qu’elle a prise dans le domaine de l’éducation, en lien notamment avec le développement des « éducations à », vient en réponse aux impératifs européens visant l’intégration sociale et culturelle des individus, leur autonomisation dans toutes les sphères de la vie, au-delà du seul cadre scolaire. Il s’agit pour l’école, idéalement, d’aller au-delà des pédagogies à dominante transmissive, et de permettre aux élèves de vivre des situations complexes, des expériences « empouvoirantes » (Freire, 2013 [2006]), dans un processus actif de construction personnelle, porté par un projet de transformation de la société, et incluant les dimensions sociales et politiques (Liquète et al., 2007).

Le terme empowerment, d’origine anglo-saxonne, est difficile à traduire. En 2006, la commission générale de terminologie et de néologie a retenu « autonomisation » comme équivalent, avec pour définition « [un] processus par lequel une personne ou une collectivité se libère d’un état de sujétion, acquiert la capacité d’user de la plénitude de ses droits, s’affranchit d’une dépendance d’ordre social, moral ou intellectuel » (Bulletin officiel n° 4, 26 janvier 2006). De l’autonomisation à l’empowerment cependant, des nuances sont perceptibles, même si les deux notions font référence à un même processus de capacitation, et à l’en­clenchement d’une dynamique, dans un mouvement d’auto-émancipation : capacité à se déterminer par soi-même (autos), à agir en conformité avec sa propre loi (nomos), sans être guidé par un autre, pour l’autonomie (Kant, 1985) ; capacité d’affranchissement, de mobilisation, d’initiative et de contrôle, par appropriation ou (ré) appropriation d’un pouvoir sur la réalité quotidienne, pour l’empowerment (Rappaport, 1987 ; Shor, 1992).

En tant que processus, l’empowerment passe ainsi par le renforcement du pouvoir d’agir, conjuguant approches individuelle et sociale : un pouvoir de… compris comme une énergie, un pouvoir génératif, qui place les acteurs en capacité de faire, et d’être promoteurs de changement ; un pouvoir sur… relatif à la capacité de décider, d’exercer une action (une prise de pouvoir) sur les choses et sur les autres ; et un pouvoir avec… dans le sens de faire et construire avec, à un niveau collectif, dans une perspective de transformation sociale (Bacqué, Biewener, 2015). Nous pourrions ajouter un pouvoir contre… dans le sens de développer une capacité d’agir contre l’inertie des choses, de s’affranchir des contraintes, de transgresser l’or­dre social via une action transformatrice et créatrice.

Version réorganisée de l’autonomisa­tion, porteuse d’un potentiel émancipateur, l’en­trée empowerment s’est forgée au croisement de différents champs et nourrie de plusieurs héritages. Selon l’histoire retracée par Valérie Peugeot (2015), dans la ligne de Marie-Hélène Bacqué et Carole Biewener (2015), le terme empowerment, apparu dans la mouvance du « community organizing » (Alinsky, 1976), a pris corps dans les années 1960/1970 aux USA dans le cadre des luttes féministes, antiracistes et des luttes des gays et lesbiennes. Dans les pays des Suds, notamment en Amérique latine, c’est autour de la figure et de la pensée du philosophe et pédagogue brésilien Paulo Freire que se sont développés les mouvements d’éducation populaire, empruntant à sa théorie de la conscientisation, qui irrigue les réflexions sur l’éducation en tant que pratique sociale (Freire, Macedo, 1987). Le terme est également réapproprié aux USA, par des travailleurs sociaux en référence à Saül Alinsky, dans le cadre de leur travail au sein de la communauté africaine-américaine. Ce n’est que plus récemment que le terme a trouvé un écho en France, en lien avec la faible réception de Paulo Freire (Gonzalez-Monteagudo, 2002), sinon dans le monde de l’éducation populaire, ou dans celui de l’éducation aux médias (Barbey, 2008). Et il connaît un regain d’intérêt aujourd’hui, dans le contexte du développement du numérique, notamment dans le champ des « cultures informationnelles », tandis que les technologies du numérique sont appelées, dans une démarche qui se veut inclusive, à réduire les asymétries d’information.

Mais si le terme se diffuse très vite au-delà du continent américain, auprès d’acteurs différents, c’est selon des orientations politiques bien opposées. Parmi les trois conceptions de l’empowerment généralement distinguées – radicale, socio-libérale, néolibérale –, la conception radicale, qui correspond à l’acception originelle, a pour enjeu la transformation de la société capitaliste (Hill Colins, 1990), comme le répète avec force la féministe africaine-américaine bell hooks, tout au long de ses essais, développant une « pédagogie engagée » (hooks, 1994 ; Hedjerassi, 2016). À mesure qu’elle se diffuse cependant, s’éloignant de ses références initiales, la notion perd en radicalité, et tout particulièrement telle qu’elle est reprise dans les discours des grandes institutions, nationales et internationales, ou dans ceux des politiques publiques : est alors souvent mise en avant la capacité individuelle des acteurs (vs action collective) à développer leur propre potentiel de créativité et de productivité, des acteurs invités à être toujours plus autonomes et performants. Sous couvert d’affranchissement et/ou d’affirmation de soi, l’idée de capacitation peut alors conduire à une vision normative des transformations à l’œuvre, ou à une forme d’instrumentalisation, faisant reposer sur les acteurs la responsabilité de leur émancipation, et de leurs échecs.

À travers ce numéro, ce sont ces dynamiques d’empowerment, entre approche individuelle et approche sociale, que nous entendons interroger, au regard de la réalité des pratiques. Sont attendus des articles qui traitent des questions d’empowerment et/ou d’autonomi­sation, en se centrant sur les champs de l’intervention éducative ou sociale, dans les domaines de l’éducation populaire ou des « éducations à » – éducation à l’égalité, éducation à la santé, éducation à l’information, éducation aux médias… –, considérés dans leurs spécificités.

Ils pourront concerner aussi bien les résultats de recherches empiriques que des discussions théoriques questionnant et/ou mettant en perspective ces notions.

L’évolution des approches, sur la durée, peut également être considérée. Dans ce cadre, les déplacements en cours et les questions émergentes, dans le contexte du web 2 et des réseaux notamment, peuvent être étudiés (pouvoir de l’information, culture participative et contributive…).

Une attention particulière pourra être portée aux zones de tension qui traversent le champ – et les pratiques pédagogiques ou éducatives –, entre normes sociales et/ou scolaires et projet d’empowerment/autonomie :

  • les décalages entre attentes institutionnelles, projet d’autonomie, et réalisations concrètes ;
  • la tension entre « éduquer » et « émanciper » : quelle place pour l’émancipation en éducation ? comment s’articulent processus d’apprentissage et acquisition d’un pouvoir ? ;
  • la tension entre projet d’empowerment et souci du résultat (injonction à… ; approche fonctionnaliste) ;
  • la tension entre « (ré)appropriation » et « intériorisation » de règles et/ou normes : vision émancipatrice ou libératrice, créatrice de changement vs vision conformisante, adaptative (affiliation) voire assujettissante ? 
  • la rhétorique de la responsabilisation (« agir de manière éthique et responsable ») : entre autonomie-devoir (ajustement à des attendus, des exigences) et autonomie-pouvoir (se créer de nouvelles possibilités) ;
  • la tension entre « esprit critique » et « citoyenneté responsable » ;
  • la présence/absence de la dimension politique dans le projet d’empowerment.

Calendrier

  • Réception des projets d’articles (résumé d’une page) : 1er juin 2019

  • signification aux auteurs que leur projet est retenu : 30 septembre 2019
  • réception de l’article (30 000 signes, tout compris) : 20 décembre 2019
  • communication des avis des experts : fin février 2020
  • réception de l’article définitif : 15 juin 2020
  • publication : octobre 2020

Modalités de soumission

Est attendu pour le 1er juin 2019 un résumé d’une page présentant le projet d’article. Vous y préciserez la/les question(s) que vous envisagez de traiter, le cadre théorique dans lequel vous vous inscrivez, les choix méthodologiques et les données sur lesquelles vous travaillez, ainsi que quelques résultats, même très provisoires.

Vous veillerez à y indiquer précisément :

  • vos noms, prénoms
  • votre institution
  • votre adresse postale professionnelle et une adresse électronique
  • un titre d’article
  • quelques mots-clés.

Merci de respecter scrupuleusement les normes éditoriales de Spirale, en particulier en matière de bibliographie http://spirale-edu-revue.fr/spip.php?article635

Coordinatrices scientifiques

  • Yolande Maury mailto:yolande.maury@noos.fr
  • Nassira Hedjerassi mailto:nassira.hedjerassi@espe-paris.fr

Bibliographie

  • Alinsky S. (1976) Le manuel de l’animateur social : une action directe non violente. Paris : Seuil.
  • Bacqué M.-H. & Biewener C. (2013) L’empowerment, une pratique émancipatrice ? Paris : La Découverte.
  • Barbey F. (2009) L’éducation aux médias. De l’ambiguïté du concept aux défis d’une pratique éducative. Publibook.
  • Carlsson U. et al. (2008) Empowerment through media education. An intercultural dialogue. Göteborg : Nordicom.
  • Freire P. Pédagogie des opprimés. Paris : Maspero, 1974.
  • Freire P (2013 [2006]) Pédagogie de l’autonomie : savoirs nécessaires à la pratique éducative. Toulouse : Erès.
  • Freire P. & Macedo D. (1987) Literacy. Reading the Word & the World. London : Bergin & Garvey.
  • Genard J.-L., Cantelli F. (2008) « Êtres capables et compétents : lecture anthropologique et pistes pragmatiques » – SociologieS. http://journals.openedition.org/sociologies/1943
  • Gonzalez-Monteagudo J. (2002) « Les pédagogies critiques chez Paulo Freire et leur audience actuelle »– Pratiques de formation — Analyses 43 (49-66).
  • Hedjerassi N. (2016) « À l’école de bell hooks : une pédagogie engagée de la libération. Recherches & Éducations 16 (39-50).
  • Hill Colins P. (1990) Black Feminist Thought. Knowledge, consciousness, and the politics of empowerment. London : Routledge.
  • Hooks B. (1994) Teaching to Transgress : Education as the Practice of Freedom. New York : Routledge.
  • Kant E. (1985) Critique de la faculté de juger. Suivi Réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumiè­res ? Paris : Gallimard (Folios Essais).
  • Kellner D. & Share J. (2005) « Toward critical media literacy : Core concepts, debates, organizations and policy » – Discourse : Studies in the Cultural Politics of Education 26, 3 (369-386).
  • Liquète V. & Maury Y. (2007) Le travail autonome. Comment aider les élèves à l’acquisition de l’auto­nomie Paris : Colin.
  • Maury Y. (2011) « Information, pouvoir d’agir, compétences, capacités : autour des mots autonomisation et empowerment » – MEDIADOC (11-14).
  • Pereira I. (2017) « Les grammaires de l’éducation critique aux médias à l’épreuve du numérique » – Tic & Sociétés 11 (111-136).
  • Peugeot V. (2015) « Brève histoire de l’empowerment : à la reconquête du sens politique » – Fing. http://reseau.fing.org/file/download/164626
  • Proulx, S. « La puissance d’agir d’une culture de la contribution face à l’emprise d’un capitalisme informationnel : premières réflexions » – in : Colloque Culture et barbarie : communication et société contemporaine. Hommage à Edgar Morin, Athènes, 26-28 mai 2011.
  • Shor I. (1992) Empowering education : Critical teaching for social change. Chicago : University of Chicago Press.
  • Vallerie B. & Le Bossé Y. (2006) « Le développement du pouvoir d’agir (empowerment) des personnes et des collectivités : de son expérimentation à son enseignement » – Les Sciences de l’Éducation - Pour l’Ère Nouvelle 3, 39 (87-100).

Lieux

  • Lille, France (59)

Dates

  • samedi 01 juin 2019

Mots-clés

  • empowerment, pouvoir d'agir, éducation à, éducation populaire, éducation

Contacts

  • Nassira Hedjerassi
    courriel : nassira [dot] hedjerassi [at] espe-paris [dot] fr
  • Yolande Maury
    courriel : yolande [dot] maury [at] noos [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Yolande Maury
    courriel : yolande [dot] maury [at] noos [dot] fr

Pour citer cette annonce

« « Empowerment », pouvoir d’agir, en éducation. Quelle finalité ? Quelle(s) pratique(s) ? », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 15 avril 2019, https://calenda.org/596830

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