AccueilVisibilité et invisibilité de la pollution des sols dans les territoires (post)industriels

Visibilité et invisibilité de la pollution des sols dans les territoires (post)industriels

Visibility and invisibility of soil pollution in post-industrial territories

De nouvelles perspectives sur la résilience et la justice environnementale ?

New perspectives for resilience and environmental justice?

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Publié le mercredi 14 juin 2017 par Céline Guilleux

Résumé

Cet appel à articles pour la revue Géocarrefour a pour ambition d’interroger une composante cruciale de l’héritage industriel : la pollution des sols et le rapport que les sociétés locales entretiennent avec elle. Les acteurs des territoires anciennement industrialisés – y compris des métropoles aujourd’hui éloignées économiquement, socialement et symboliquement de l’industrie – sont confrontés à la pollution des sols dans la production et la gestion quotidiennes des espaces urbains.

Annonce

Argumentaire

Cet appel à articles pour la revue Géocarrefour a pour ambition d’interroger une composante cruciale de l’héritage industriel : la pollution des sols et le rapport que les sociétés locales entretiennent avec elle. Les acteurs des territoires anciennement industrialisés – y compris des métropoles aujourd’hui éloignées économiquement, socialement et symboliquement de l’industrie – sont confrontés à la pollution des sols dans la production et la gestion quotidiennes des espaces urbains. Métaux lourds, hydrocarbures, déchets industriels divers sont incorporés dans le sol urbain, le plus souvent de manière « silencieuse ». Peu étudiée, contrairement à d’autres types de problématiques environnementales (Barles, 1993), la question des sols émerge aujourd’hui de manière assez vive dans le cadre des politiques de renouvellement urbain. Elle est mobilisée comme un élément de résilience des systèmes urbains (Boukharaeva et Marloie, 2011), souvent en lien avec les questions d’agriculture et d’alimentation des villes (Dansero et al., 2015). Au-delà de ses impacts environnementaux et sanitaires, la pollution des sols affecte les sociétés locales territorialisées dans plusieurs dimensions : politiques, dans la structuration des systèmes d’identification, de décision et de gestion ; économiques, en pesant sur les modalités d’aménagement des sites pollués ; sociales, à travers les inégalités d’exposition aux pollutions et de capacités de mobilisation, et aussi symbolique, en termes d’image notamment. Héritées de l’exploitation de la Nature par le capitalisme industriel, les pollutions des sols et leurs conséquences sont plus ou moins visibles, connues, mesurées, traitées, dissimulées parfois, banalisées.

Dans cette perspective, les sols pollués et les mobilisations – ou l’absence de mobilisations – qu’ils suscitent constituent un analyseur original pour questionner la notion de résilience, omniprésente dans le débat public depuis une dizaine d’années en référence principalement – mais pas seulement – aux travaux de C.S. Holling (Holling, 2004). Intrinsèquement liée à l’événement catastrophique, la résilience qualifie les capacités d’une société à réagir face à l’événement et à reconstituer – voire à améliorer – les ressources nécessaires à son (re)développement dans des temporalités relativement courtes (Comfort et al., 2010). Nombre de chercheurs tentent de tempérer l’enthousiasme qu’elle provoque en soulignant les « problèmes théoriques et les limites méthodologiques » de la notion (Reghezza-Zitt et al., 2012 ; 2015), la connexité des paradigmes des recherches développées par C.S. Holling et de ceux des travaux de l’économiste F. Hayek, figure des thèses économiques néo-libérales (Walker, Cooper, 2011) et aussi sa contribution au développement d'une « forme néo-libérale de gouvernance » (Joseph, 2013). Pour autant, la tentation d’en faire un « registre supplémentaire de l’action publique » – voire une nouvelle catégorie d’action publique ? – est sensible depuis la fin des années 2000 dans le contexte français (CGDD, 2014 et 2015). Que peut apporter cette notion à l’analyse de la situation des sociétés et territoires désindustrialisés ? En quoi peut-elle contribuer – ou non – à l’élaboration d’analyses et de politiques pertinentes pour accompagner leur (re)développement, en prenant en compte les pollutions des sols héritées des activités industrielles ? Fréquemment associée à une dynamique vertueuse et volontariste pour agir en situation de crise, la résilience permet-elle également de rendre compte de modalités de gestion « ordinaire » ou d’activité « faible », oscillant entre mobilisation, accommodement ou résignation dans le temps long de l’industrialisation et de la désindustrialisation ?

Reposant sur l’analyse de jeux d’acteurs territorialisés autour de la dialectique visibilité / invisibilité des pollutions des sols, les articles de ce numéro contribueront également à la réflexion sur la notion de résilience qui tend à polariser les débats sur les évolutions territoriales au détriment peut-être de notions qui posent plus fortement la question des inégalités et de la justice socio-spatiale. Les coordinateurs seront particulièrement attentifs aux propositions qui engagent une telle réflexion.  

Plusieurs axes de questionnements sont suggérés. Ils sont adressés à des analyses de cas d’études situés en France ou dans d’autres configurations nationales, ainsi qu’à des réflexions plus théoriques sur les notions de résilience et/ou de justice environnementales. Les auteur.e.s seront attentif.ve.s à préciser les contextes et leur méthodologie d’enquête.

1)    Des pollutions invisibles ?

Les sols pollués sont caractérisés par leur immobilité et leur confinement, contribuant à une invisibilité matérielle et mémorielle du phénomène. Souvent « oubliée », la pollution des sols fait ainsi plus rarement l’objet de revendications que les pollutions de l’air et de l’eau, dont les manifestations sont plus tangibles et appréhendables par les sens (fumées, odeurs), ce qui ne suffit pourtant pas à en assurer la « visibilité » politique.

Comment expliquer l’invisibilité persistante de la pollution des sols ? Faut-il la rapporter à une méconnaissance globale du « sol » comme substrat de la vie sociale ?

L’invisibilité de la pollution des sols est aussi le produit de logiques d’acteurs – voire de stratégies – qui ont intérêt à l’occultation du problème. Comment s’organise cette invisibilisation ? Depuis quand ? Quel peut être le poids du secret, industriel et/ou médical ? L’invisibilisation peut-elle ainsi être considérée comme un mode de gestion ordinaire des sols pollués, voire comme une stratégie institutionnelle de résilience ?

L’invisibilisation ne se rapporte pas uniquement à la dissimulation. Peut-on parler de production collective d’ignorance ? Peut-on repérer des mises en visibilité paradoxales ? Peut-on parler d’intériorisation des pollutions par les acteurs locaux, dont les habitants ? Quels sont alors les ressorts et les processus de cette intériorisation qui ne saurait s’analyser sans une interrogation sur les rapports sociaux ?

Ces interrogations ont également une dimension épistémologique qui s’adresse au chercheur : comment enquêter sur des pollutions peu visibles ? Quelles méthodes pour analyser l’appréhension de la pollution par les acteurs et / ou les habitants sans pour autant stigmatiser un lieu de travail et / ou de vie ?

2)    Mise à l’agenda et visibilisation des sols pollués

Les pollutions des sols « apparaissent » lorsqu’elles transforment la vie végétale et animale, lors de la mise en mouvement des matières (recyclage urbain, diffusion dans les cours d’eau), mais aussi lorsque des règlementations spécifiques sont mises en place et désignent les sols comme pollués.

De manière globale, comment s’opère la mise en visibilité de la pollution des sols ? Dans quelles configurations socio-spatiales ? Quelles sont les capacités et stratégies d’action des acteurs (élus locaux, services de l’Etat, associations, bureaux d’études spécialisés, populations, industriels) pour construire la pollution des sols en problème public ? Quels sont les outils juridiques, opérationnels et cognitifs mobilisés par les acteurs pour capitaliser les savoirs ? Sur quels « documents » ou « archives » s’appuient ces démarches ?

La question de l’expertise, de l’accès à l’information et de sa diffusion, est centrale pour saisir les dynamiques de mise à l’agenda des pollutions des sols. Les connaissances sont longtemps restées confinées dans les sphères technocratiques, mais la montée en puissance des compétences associatives entraîne une confrontation entre l’expertise institutionnelle et l’expertise profane. Quels sont les moyens employés par cette expertise citoyenne ou militante pour faire reconnaître les pollutions et les risques environnementaux et sanitaires associés ? Quelles sont les caractéristiques sociologiques des acteurs qui se mobilisent ? La question est pertinente dans des territoires (post)industriels parfois soumis à des dynamiques de réinvestissement et de transformation du peuplement. Peut-on parler d’empowerment environnemental ? Observe-t-on des constructions collectives des savoirs techniques sur la pollution des sols ?

3)    La gouvernance des pollutions des sols

Les territoires industriels sont caractérisés depuis plusieurs décennies par un large mouvement de reconversion qui restructure l’espace, bouleverse les paysages et redéfinit les rapports sociaux. La dépollution des sols ou le traitement des sols pollués sont un préalable indispensable à la mise en œuvre de projets de renouvellement urbain et à l’attribution de nouveaux usages aux territoires anciennement industriels.

Comment les acteurs font-ils face à des pollutions qui sont souvent synonymes de contraintes ou de nuisances ? Observe-ton, et dans quels territoires, la mise en place de systèmes d’acteurs autour des pollutions des sols ? A quelle(s) échelle(s) ? L’échelle du site semble privilégiée, cristallisant les intérêts et les conflits. Une autre échelle de gouvernance des pollutions est-elle possible ? Les acteurs du monde de l’entreprise – patronat, salariés, syndicats, CHSCT, etc. – s’y intéressent-ils également ? Ces systèmes d’acteurs évoluent-ils dans le temps sur un même territoire ? Au gré de quels facteurs et processus ?

La mise en œuvre de politiques urbaines néolibérales se faisant prioritairement dans les territoires attractifs, où le coût de la dépollution peut être rentabilisé par une valorisation foncière et immobilière, ces formes de résilience traduisent-elles des inégalités entre les territoires et des formes d’injustices socio-environnementales ?

Enfin les projets de reconversion urbaine intègrent couramment une mise en valeur du passé industriel des espaces concernés, axée en général sur la dimension technique de l’héritage. La patrimonialisation peut-elle néanmoins être un vecteur de reconnaissance sociale des luttes environnementales et sanitaires, alors que les sols pollués peuvent être considérés comme un patrimoine négatif et embarrassant ?

4)    Interroger la résilience en contexte (post)industriel

Considérant son omniprésence dans les sphères institutionnelles, académiques et médiatiques, son usage polysémique, normatif et possiblement clivant – résilience / non résilience –, la résilience doit être interrogée dans sa dimension et ses effets politiques. De quoi la résilience est-elle le nom dans un contexte de transformation de l’action publique et du rôle de l’Etat tenté par un « gouvernement à distance » (Epstein, 2006). En s’adressant aux sociétés locales, cette notion permet-elle de dépasser une problématisation technique des pollutions et autres atteintes à l’environnement ? Peut-elle constituer le vecteur d’une politisation de ces questions que ce soit en termes de débat public, de lutte contre les conflits d’intérêts et les asymétries entre acteurs savants et profanes, de prise en compte des inégalités socio-environnementales ? Ou au contraire perpétuer des mécanismes de domination socio-spatiale et contribuer à légitimer des pratiques de gouvernementalité néolibérales ? Est-il heuristique d’opérer une distinction entre résilience institutionnelle et résilience sociale, entre injonction à la résilience dans une logique top-down et fabrique locale et plurielle de la résilience ? La proposition de C. Béné et ses collègues de tenter de départir la notion de son caractère normatif, de prendre en compte plus fortement la question des inégalités sociales et politiques et « the issue of losers and winners » (Béné et al., 2012 : 48) dans sa mise en œuvre fait-elle sens ? Ces interrogations paraissent d’autant plus légitimes que, dans le contexte français, la notion de « justice environnementale » peine à se frayer un chemin dans la sphère publique.

Délais et consignes

Ce projet de numéro thématique prolonge les travaux et réflexions engagés dans le cadre du projet EMIR (Elision mais inexorabilité des risques), retenu par le programme « Risques, Décisions, Territoires » du Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, portant sur la question de la résilience urbaine. Il fait également suite aux journées d’étude « Les pollutions en héritage : quelle résilience dans les territoires (post)industriels ? » organisées en mars 2017 à l’Université Jean Monnet Saint-Etienne.

Les auteurs peuvent contacter Christelle Morel Journel (christelle.morel.journel@univ-st-etienne.fr) et Thomas Zanetti (thomas.zanetti@univ-lyon3.fr) pour signaler leur intérêt et poser toute question scientifique en lien avec ce texte.

Les articles seront proposés au plus tard le 30 Septembre 2017

pour une publication prévue en 2018. Ils devront respecter les normes de la revue (https://geocarrefour.revues.org/1017).

D’un volume optimum de 40 000 signes, espaces compris (la rédaction se réservant la possibilité de rejeter les articles dépassant 60 000 signes), les articles seront évalués en double aveugle par le comité de lecture. Les auteurs recevront notification de la décision (et des instructions de correction) en Janvier 2018.

Coordinateurs 

  • Christelle Morel Journel (Université Jean Monnet Saint Etienne),
  • Thomas Zanetti (Université Jean Moulin Lyon 3),
  • Georges Gay (Université Jean Monnet Saint-Etienne),
  • Cécile Ferrieux (AgroParisTech).

Références

Barles S., La pédosphère urbaine : le sol de Paris XVIII°-­XX° siècles, Paris, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, thèse de doctorat, 1993.

Béné C. and al., Resilience: New Utopia or New Tyranny? Reflection about the Potentials and Limits of the Concept of Resilience in Relation to Vulnerability-Reduction Programmes, September 2012, http://www.ids.ac.uk/files/dmfile/Wp405.pdf

Boukharaeva L. et Marloie M., « Des sols agricoles au service de la résilience urbaine : réflexions à partir du cas de la Russie », Espaces et sociétés, 4/2011, n° 147, p. 135-153.

CGDD, « Villes résilientes : premiers enseignements tirés d’une synthèse bibliographique », Etudes et documents, n°114, septembre 2014.

CGDD, « Villes et territoires résilients », Etudes et documents, n°123, mai 2015.

Comfort L. K., Boin A., Demchak C., Designing Resilience. Preparing for Extreme Events. Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2010.

Dansero E., Pettenati G. et Toldo A., « Alimenter la résilience urbaine. Des nouvelles perspectives vers un Plan Territorial de la Nourriture pour la Ville de Turin », Construction Politique et Sociale des Territoires, Cahiers n°5, Penser la fabrique de la ville en temps de crise(s). Rencontres franco-italienne de géographie sociale, janvier 2016, https://iris.unito.it/retrieve/handle/2318/1553822/118152/Alimenter_la_resilience%20finale%20Cahier%205.pdf

Epstein R., « Gouverner à distance : quand l'Etat se retire des territoires », Esprit, 2006, pp.96-111. 

Joseph J. “Resilience as embedded neoliberalism: a governmentality approach”, Resilience, 2013, 1:1, 38-52.

Holling C.S. et al., “Resilience, Adaptability and Transformability in Social–Ecological Systems”, Ecology and Society, 2004, 9, n°2.

Reghezza-Zitt M. et al., « What Resilience Is Not: Uses and Abuses », Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], document 621.

Reghezza-Zitt M. et Rufat S. (dir.), Résiliences. Sociétés et territoires face à l’incertitude, aux risques et aux catastrophes, Londres, ISTE Editions Ltd, 2015.

Walker J., Cooper M., "Genealogies of Resilience: From Systems Ecology to the Political Economy of Crisis Adaptation", Security Dialogue, 2011, 42(2), 143-160.

Dates

  • samedi 30 septembre 2017

Mots-clés

  • désindustrialisation, pollution, sol, visibilité, résilience, justice environnementale, action publique

Contacts

  • Christelle Morel Journel
    courriel : christelle [dot] morel [dot] journel [at] univ-st-etienne [dot] fr
  • Thomas Zanetti
    courriel : thomas [dot] zanetti [at] univ-lyon3 [dot] fr

Source de l'information

  • Christelle Morel Journel
    courriel : christelle [dot] morel [dot] journel [at] univ-st-etienne [dot] fr

Pour citer cette annonce

« Visibilité et invisibilité de la pollution des sols dans les territoires (post)industriels », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 14 juin 2017, http://calenda.org/408497