AccueilPrécarité(s) : autopsie d’une notion dominante dans le champ de l’action publique

Précarité(s) : autopsie d’une notion dominante dans le champ de l’action publique

Insecurity: the autopsy of a dominant notion in the field of public action

Revue « Sciences et actions sociales » n° 3

Sciences et actions sociales issue 3

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Publié le lundi 06 juillet 2015 par Céline Guilleux

Résumé

Ce troisième numéro de Sciences et actions sociales a pour ambition de remettre l’œuvre sur le métier à l’égard de la « précarité » en partant des postulats suivants : les précarités sont multiples, elles agissent probablement en système, elles désignent des systèmes de positions sociales particuliers et des rapports sociaux que l’on peut documenter ; enfin, elles viennent témoigner de transformations sociales et non désigner une réalité sui generis et a-historique.

Annonce

Argumentaire

Le terme de précarité est déjà ancien dans le champ politique. Son usage remonte au moins aux années 1970 (Vultur, 2010). Il en va de même au sein des sciences sociales avec les recherches pionnières d’Agnès Pitrou (1978a, 1978b). Mais sa première introduction concrète dans le giron des politiques publiques s’affirme avec le rapport Oheix (1981) puis le rapport Wresinski (1987). Ce dernier s’inscrit dans la continuité du premier et présente la précarité à partir des mêmes représentations sociales, même s’il est toutefois question des précarités, au pluriel. Ce rapport a inspiré la loi sur le Revenu Minimum d’Insertion, et de nombreuses interventions sociales qui lui seront associées par la suite. Les recherches en sciences sociales (notamment, Paugam, 1991, 1993, 2000 ; Castel, 1995) accompagneront, précéderont et parfois discuteront l’avènement de la précarité en tant que catégorie à part entière du champ politique, notamment pour mettre en avant la « montée des incertitudes sociales » selon l’expression de Robert Castel (2009).

Depuis cette première période, on peut dire que la notion de « précarité » a largement mobilisé les chercheurs en sciences sociales et les acteurs de l’action publique, dans des domaines aussi variés que l’emploi, la famille, la santé, etc. (Barbier, 2005 ; Vultur, 2010 ; Eckert 2010). La notion de précarité a également trouvé une consécration politique en devenant une catégorie de la discussion et de l’action omniprésentes, particulièrement dans le champ social. Le contexte socio-économique actuel laisse présager un intérêt à réactualiser le questionnement de cette notion. D’une part, parce qu’elle a de façon croissante été intégrée dans de nouveaux secteurs de la vie sociale en s’institutionnalisant comme une des catégories dominantes de l’action publique, dans des champs d’application très différents (énergie, télécommunication, mobilité). Elle l’a fait en invitant à penser autrement que par la référence à la pauvreté, ou aux inégalités sociales, certains y voyant même un nouveau paradigme de la pensée sociale ou, au moins, de l’action publique française. Par ailleurs, l’actualisation du questionnement s’impose parce que, sous l’empire de la précarité, l’action sociale semble s’être émiettée en une myriade de dispositifs et d’actions partielles. Enfin, parce que si la notion de précarité est construite socialement, ses effets sociaux et les réalités qu’elle recouvre n’en ont pas moins des effets de réel et méritent attention, ne serait-ce que pour en observer les dynamiques sociales qui viennent légitimer son usage, voire empêcher de penser autrement qu’à son prisme.  

Ce troisième numéro de Sciences et actions sociales a pour ambition de remettre l’œuvre sur le métier à l’égard de la « précarité » en partant des postulats suivants : les précarités sont multiples, elles agissent probablement en système, elles désignent des systèmes de positions sociales particuliers et des rapports sociaux que l’on peut documenter ; enfin, elles viennent témoigner de transformations sociales et non désigner une réalité sui generis et a-historique.

  • La précarité comme problème sociologique 

Depuis cette période, la notion de « précarité » a largement mobilisé les chercheurs en sciences sociales et les acteurs du travail social, s’institutionnalisant comme une catégorie d’action et de pensée importante dans le contexte français. Or, comme l’ont souligné Patrick Cingolani (2006) et Maryse Bresson (2007) dans des ouvrages de synthèse sur le thème de la précarité, le terme est historiquement daté, il renvoie à des luttes sociales ayant pour objectif la définition des « problèmes sociaux » et, enfin, il reste difficile à circonscrire pour la recherche. D’autres recherches (Barbier, 2005 ; Eckert, 2010) ont interrogé l’étrange fortune de ce mot dans le contexte français (ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres pays proches). Si l’on s’appuie sur tous ces travaux critiques à l’égard de cette catégorie, qui abordent différents champs de l’action publique, on peut souligner un fait important. La notion de précarité constitue, en effet, une nouvelle façon d’aborder la question sociale, différente, mais liée et en concurrence avec celle de pauvreté et d’inégalités sociales. Elle s’impose en introduisant une forme de pensée de l’incertitude généralisée (Bresson, 2010, p.7), euphémisant peut-être par-là les rapports sociaux conflictuels et les divisions sociales de classes. Il y aurait lieu de ce fait de la considérer « comme un révélateur de transformation sociale durable » (Ibid.), notamment dans le champ de l’intervention politique, et non comme une réalité sui generis.

Finalement, au regard de la littérature sur le sujet, la généralisation de la catégorie semble poser trois problèmes : 1) un problème pour penser le social autrement que par une incertitude généralisée ; 2) un problème de déshistorisation du social ; 3) un problème de fragmentation de l’action publique, concentrée sur des précarités, certes parfois pensées de manière cumulative, mais traitées séparément et de moins en moins en référence aux inégalités sociales.  

Tous ces « obstacles », largement traités par la sociologie au cours des années 1990 – 2000, méritent une réactualisation dans le contexte actuel : celui du bouleversement concomitant tant du salariat que de l’action sociale suite à la crise de 2008. Ces bouleversements conduisent, d’une part, à la croissance d’un rapport toujours plus incertain à l’anticipation de l’avenir et, d’autre part, à l’émiettement et à la standardisation de la prise en charge de problèmes sociaux par les institutions de l’État dans un temps de croissance forte des publics.

  • La catégorie de précarité, un analyseur du social analysé

Cette réactualisation du questionnement au sujet de la précarité apparaît d’autant plus pertinente que, si la notion de précarité est construite socialement, ses résultats, en tant que catégorie d’action publique, n’en produisent pas moins des effets de réel et les manifestations qu’on lui prête s’incarnent concrètement dans certaines expériences sociales, notamment en termes d’étiquetage des populations et des « problèmes sociaux » (Becker, 1985), de configuration de la réponse publique, mais aussi dans les rapports entretenus par les individus avec les institutions qui en ont la charge (Paugam, 1991). Mais cette réactualisation du questionnement ne peut se faire en prenant comme point de départ la notion ou la catégorie d’action publique de précarité elle-même. Celle-ci doit servir de balise pour suivre à la trace les phénomènes qu’elle tend à la fois à recouvrir et, parfois, à euphémiser. C’est sur la notion de précarité même que l’on doit investiguer, c’est elle que l’on doit éclaircir et non l’inverse. On peut notamment le faire par comparaison avec la notion de pauvreté ou d’inégalités sociales.

Si on prend la notion comme point de départ, il y a, en effet, fort à parier que les situations observées seront renvoyées au manque, au moindre, à l’absence, par rapport à un état idéal donné, lui-même situé historiquement et socialement. Pour contourner cet ethnocentrisme ou cet anachronisme latent, il y aurait lieu d’enquêter à partir des postulats suivants : les précarités sont multiples, elles agissent probablement en système, elles désignent des systèmes de positions sociales particuliers et des rapports sociaux que l’on peut documenter, elles viennent témoigner de transformations sociales et non désigner une réalité sui generis et a-historique. L’ambition de ce troisième numéro de Sciences et actions sociales est d’éclairer toutes ces dimensions.

Objectifs du numéro

L’objectif d’une telle démarche est pluriel. Il s’agit, tout d’abord, d’observer les différentes représentations, formes et utilisation de la notion de précarité : comment elle en vient à désigner des situations tout à fait différentes, voire incommensurables, et non nécessairement parmi les populations les plus en difficulté. S’impose, deuxièmement, l’ambition de resituer l’usage du syntagme précarité dans ce qu’il doit aux contextes, rapports sociaux et aux inégalités sociales. En troisième lieu, il y a là la volonté d’interroger la manière dont l’émergence d’une pensée généralisée des problèmes sociaux sous l’angle de la précarité a conduit à une mutation de l’action sociale et à la compréhension du social. Enfin, en poussant la logique jusqu’à son terme et en étant quelque peu provocateur, le but est d’étudier la possibilité et la pertinence de se débarrasser de cette notion et de la catégorie d’action publique qui en découle afin de repenser à la fois l’action sociale et les recherches en sciences sociales face aux mutations de la société contemporaine. Il s’agit là d’un débat évidemment ouvert…

Les précarités soumises à l’examen : quatre axes de contributions

Tirant parti de ces arguments et tenant compte de ces objectifs, les contributions viendront alimenter les axes thématiques suivants :

  • Représentations, formes et usages de la précarité
  • Rapports sociaux et précarité
  • Précarité et action sociale
  • Opérationnalité de la catégorie de précarité ? En finir avec la précarité ou l’émergence d’un nouveau paradigme ?

Toute proposition originale n’entrant pas dans ces catégories pourra être étudiée. Les contributions attendues feront une grande place à l’exposition de matériaux de recherche. Les propositions issues de recherche-action ou d’acteurs de terrain sont les bienvenues.

Les auteurs devront respecter les consignes de rédaction présentées sur le site de la revue [http://www.sas-revue.org/index.php/note-aux-auteurs].

Bibliographie

  • Barbier J.-C., 2005, « La précarité, une catégorie française à l'épreuve de la comparaison internationale », Revue française de sociologie, vol. 46, n° 2, p. 351-371.
  • Becker H. S., 1985, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié.
  • Bresson M., 2007, Sociologie de la précarité, Paris, Armand Colin.
  • Castel R., 1995, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard.
  • Castel R., 2009, La montée des incertitudes. Travail, protections et montée de l’individu, Paris, Seuil.
  • Cingolani P., 2006, La précarité, Paris, Presses universitaires de France.
  • Conseil économique et social, 1987, Grande pauvreté et précarité économique et sociale, Paris, La documentation française, (rapport « Wresinski »)
  • Eckert H., 2010, « « Précarité » dites-vous ? », SociologieS [En ligne], Débats, La précarité, URL [http://sociologies.revues.org/3285].
  • Ministère du Travail et de la Participation, 1981, Contre la précarité et la pauvreté : 60 propositions, Paris, La Documentation française (rapport « Oheix »).
  • Paugam S., 1991, La disqualification sociale, essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, Presses Universitaires de France.
  • Paugam S., 1993, La société française et ses pauvres, Paris, Presses Universitaires de France.
  • Paugam S., 2000, Le salarié de la précarité, Paris, Presses Universitaires de France.
  • Pitrou A., 1978a, Vivre sans famille ? Les solidarités familiales dans le monde d’aujourd’hui, Toulouse, Privat.
  • Pitrou A., 1978b, La vie précaire, des familles face à leurs difficultés, Paris, CNAF.
  • Vultur M., 2010, « La précarité : un « concept fantôme » dans la réalité mouvante du monde du travail », SociologieS [En ligne], Débats, La précarité, URL [http://sociologies.revues.org/3287].

Conditions de soumission

Les propositions d’articles sont à envoyer à redaction@sas-revue.org

avant le 15 octobre 2015.

Les retours sont prévus pour le 27 novembre 2015 pour une publication dans le numéro de fin janvier 2016.

Informations complémentaires

Les articles proposés en français ou en anglais ne doivent pas dépasser 80 000 signes et comprendont de préférence entre 30 000 et  50 000 signes, espaces compris, notes et bibliographie incluses.

Chaque article doit être accompagné d'un résumé en français et en anglais n'excédant pas 700 signes ainsi que d'une liste de 5 mots-clés dans les deux langues.

Coordinateurs

  • Joseph Cacciari, doctorant au Laboratoire méditerranéen de sociologie (LAMES, Aix-Marseille Université)
  • Agathe Petit, anthropologue, attachée de Recherche à l’IRTS PACA et Corse
  • Régis Pierret, sociologue à l'ITSRA (Institut du Travail Social de la Région Auvergne)

Procédure d'évaluation

En lien avec la ligne éditoriale de la revue (voir présentation de la revue), les textes proposés doivent être originaux et ne pas avoir déjà fait l'objet d'une publication dans d’autres revues.

Les propositions de contribution doivent respecter les recommandations aux auteurs présentées dans la rubrique : « proposer un article ».

Ces propositions doivent être envoyées par courrier électronique au format .doc ou .rtf à l'adresse suivante : redaction@sas-revue.org avant le 15 octobre 2015. Un accusé de réception est alors adressé en retour.

Les textes font l'objet d'une évaluation anonyme par deux lecteurs désignés au sein des comités de rédaction et scientifique de la revue.

Sur la base de leurs évaluations, après une discussion de l'article au sein du comité de rédaction, une décision collective est prise : accepté en l'état, accepté avec modifications mineures, accepté sous réserve de modifications majeures, refusé.

Cette décision est transmise à l'auteur par la revue SAS au maximum trois mois après la réception de la proposition de l'article.

Dates

  • jeudi 15 octobre 2015

Mots-clés

  • précarité, action sociale, pauvreté, inégalité sociale

Contacts

  • Revue Sciences et Actions Sociales
    courriel : redaction [at] sas-revue [dot] org

URLS de référence

Source de l'information

  • Manuel Boucher
    courriel : corhis [at] univ-perp [dot] fr

Pour citer cette annonce

« Précarité(s) : autopsie d’une notion dominante dans le champ de l’action publique », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 06 juillet 2015, https://calenda.org/334304

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