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Art, Justice et entreprises

Usages de la culture, population pénale et entreprises

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Publié le mercredi 05 février 2014 par Rémi Boivin

Résumé

La coopération du ministère de la Justice et des libertés avec celui de la culture et de la communication a vu le jour au milieu des années 1980, sous l’égide de Jack Lang et Robert Badinter, qui souhaitaient donner accès à la culture sous toutes ses formes, à toutes les personnes condamnées à des peines privatives de liberté. Deux premiers protocoles d’accord culture-justice (1985 et 1990) encadrent l’introduction de la culture en prison, notamment complétés par des circulaires d'application en 1992 et 1995. Près de deux décennies se sont écoulées avant qu’un troisième accord interministériel n’étende cette action culturelle à l’ensemble de la population relevant du ministère de la Justice. Aujourd’hui, divers types de partenariats entre établissements culturels et services pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) ou encore protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) existent et se développent.

Annonce

Argumentaire

La coopération du ministère de la Justice et des Libertés avec celui de la Culture et de la Communication a vu le jour au milieu des années 1980, sous l’égide de Jack Lang et Robert Badinter, qui souhaitaient donner accès à la culture sous toutes ses formes, à toutes les personnes condamnées à des peines privatives de liberté. Deux premiers protocoles d’accord Culture-Justice (1985 et 1990) encadrent l’introduction de la culture en prison, notamment complétés par des circulaires d'application en 1992 et 1995. Près de deux décennies se sont écoulées avant qu’un troisième accord interministériel n’étende cette action culturelle à l’ensemble de la population relevant du ministère de la Justice[1]. Aujourd’hui, divers types de partenariats entre établissements culturels et Services Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) ou encore Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) existent et se développent.

Des recherches ont été réalisées en milieu carcéral sur les pratiques et les dispositifs d'accompagnement à la lecture et à l'écriture, ainsi que sur les actions artistiques et le spectacle vivant[2] : état des lieux des projets existants, apports de la culture aux détenus et freins institutionnels ont plus particulièrement été envisagés. Néanmoins, il n’existe pas aujourd’hui de perspective structurée et interdisciplinaire sur le sujet des actions culturelles, patrimoniales et artistiques dans les organisations de la Justice. Ce colloque a donc pour objectif de réunir des chercheurs en Sciences humaines et sociales (Sciences de la l’Information et de la Communication, sociologie, anthropologie…), des professionnels de la Culture et de la Justice et des artistes, afin de dresser un état des lieux des connaissances éparses sur le sujet et de structurer la réflexion autour d’axes de questionnement.

Perspectives de questionnement

  • De quelle culture parle-t-on ?

« L’accès à la culture est un droit pour toutes les personnes placées sous main de justice au même titre que l’accès à l’éducation et à la santé. La culture est un vecteur de revalorisation personnelle, et d’insertion scolaire, professionnelle et sociale. Elle peut être aussi considérée comme contribuant à la prévention de la récidive »[3]. Mais de quelle culture s’agit-il dans ce texte ?

Les champs d’application mentionnés sont le livre et la lecture, les archives, le spectacle vivant (théâtre, musique, dans, cirque et arts de la rue), les cultures urbaines, le cinéma, l’audiovisuel et le multimédia, les arts plastiques, le patrimoine (musées, archives et monuments). Le singulier du nom « culture » cache une diversité d’objets, d’acteurs, de pratiques, de processus de légitimation, de lieux, de secteurs d’activité… Nous attendons des propositions portant sur les analyses qui se dégagent lorsque l’on substitue la pluralité des mondes de l’art (Becker, 1982, 1988) à la notion englobante de culture. Pour seul exemple, apprendre à regarder une œuvre de Nicolas Poussin et créer un CD-Rom interactif provoquent-ils les mêmes effets du côté de la population pénale ?

En somme, cet axe propose d’explorer les conséquences en termes d’organisation, d’objectifs, de signification de la peine, de mobilisation des individus, d’effets sur la population visée… induites par la singularité de l’objet culturel au cœur de l’action en direction de la population pénale.

  • De la culture au patrimoine

Le lien précis entre population pénale et patrimoine reste encore rarement envisagé, alors qu’une observation de terrain montre l’existence d’actions relatives au patrimoine à destination de la population pénale[4]. Des actions qui se différencient grandement des autres actions culturelles de part la nature des objets qu’elles traitent : des lieux et des collections chargés de dimensions concrètes et symboliques fortes. Aussi, des contributions sur ce lien sont-elles sollicitées. Elles peuvent porter sur les dimensions communicationnelles, matérielles, sociales, légales… résultant de la rencontre d’organisations dissemblables (patrimoniales et de la Justice).

Elles peuvent envisager les questions fondamentales sur le sens de la peine, celui du patrimoine, celui de la rencontre entre les deux. Sont alors attendues des contributions interrogeant : le caractère de sanction de la peine dans son rapport au patrimoine et à ce qui peut être considéré comme du divertissement ;  la capacité du patrimoine à faire sens auprès de la population pénale ; la pertinence et la légitimité politique à développer ces projets ; la construction et la circulation des discours portant sur le patrimoine, la population pénale et leurs rapports…

Elles peuvent porter sur des questions épistémologiques qui se dégagent de l’étude de cet objet. Pour exemple, en quoi le projet patrimonial, en impulsant un processus de re-disciplinarisation de soi (Jean-Louis Fabiani, Fabienne Soldini, 1995), vient contre carrer le dispositif (Foucault, 1975) que constitue le milieu carcéral ? Culture cultivéeculture élitisteculture dominante : dans quelles mesures les actions culturelles à destination de la population pénale conduisent-elles à reproduire l’ordre social et créer de la violence symbolique (Bourdieu) ? Les caractéristiques du patrimoine amplifient-elles ce mécanisme social ? Peut-on analyser la démarche et l’action des intervenants culturels comme celles d’entrepreneurs de moral (Becker, 1985) ? Ou s’agit-il de pratiques participant à un processus de résilience (Cyrulnik, 2008) pour les intervenants ? Peut-on envisager la vie triviale (Jeanneret, 2008) de l’être culturel qu’est la figure de la personne incarcérée, à travers l’analyse du dispositif matériel que constitue le projet dit patrimonial ? Particulièrement, dans quelles mesures l’Education Artistique et Culturelle, axe prioritaire du ministère de la Culture depuis 2012, appliquée notamment aux mineurs pris en charge par la Justice, enrichie-t-elle de nouvelles valeurs la figure du mineur délinquant mais aussi celle de la culture ?

  • Les organisations de la Justice : des entreprises comme les autres ?

Il est proposé d’opérer un déplacement du milieu carcéral et pénal vers celui des entreprises. Car, si l’administration pénitentiaire et encore la PJJ sont des institutions particulières, elles sont aussi des organisations mettant en présence des acteurs sociaux, des modalités de fonctionnement et des objectifs à atteindre. En ce sens, la comparaison avec les actions culturelles et artistiques en entreprise peut être féconde. Si l’ensemble des questions posées dans la partie précédente portant sur le patrimoine est transposable dans le cadre de cette perspective comparatiste, des contributions portant plus particulièrement sur les axes suivants sont souhaitées :

- Si l’on se demande généralement ce que l’art fait aux publics qu’il est censé toucher, on se questionne plus rarement sur ce que l’organisation fait à la culture et à l’art. Contribue-t-elle à transformer les valeurs de l’art et de la culture ? Les contributions chercheront alors à comprendre les facteurs explicatifs des transformations ou des résistances observées.

- L’action culturelle doit être performative selon les textes et impliquer des changements du côté des individus qui composent le public visé. Mais celui qui fait médiation n’est-il pas lui aussi touché ? Sont attendus des contributions s’attachant à observer la rencontre entre l’artiste et l’organisation, et les effets de cette rencontre pour l’artiste en termes de valorisation sociale et économique, de pratique artistique, d’être artiste[5].

- Enfin, la notion de responsabilité apparaît intéressante pour regarder l’objet. Elle renvoie de façon très actuelle à la Responsabilité Sociétale des Entreprises, mais elle renoue également avec une réflexion de long terme qui a pris un ancrage contemporain dans les réflexions philosophiques, comme celles d’Hannah Arendt et de Hans Jonas et dans les débats des hommes politiques et de science des 19ème et 20ème siècles. Selon cette perspective, nous attendons des contributions portant sur la responsabilité du médiateur et de l’artiste face à l’organisation et ses employés. Par exemple, l’artiste/le médiateur prend-il en compte ce qu’il advient des acteurs de l’organisation une fois son départ effectif ?

Si des pistes de questionnement sont proposées, cet appel à contribution reste ouvert à toutes les propositions portant sur le sujet. En outre, les propositions de communication portant sur les démarches engageant la réflexivité du chercheur sur ces terrains dits sensibles sont encouragées.

Références citées

  • Howard Becker (1963, 1985), Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié.
  • Howard Becker (1982, 1988), Les mondes de l’art, Paris, Flammarion.
  • Pierre Bourdieu (1979), La distinction : critique sociale du jugement, Paris, Les Éditions de Minuit.
  • Pierre Bourdieu et Alain Dardel (1966), L'amour de l'art : Les musées et leur public, Paris, Les Éditions de Minuit.
  • Boris Cyrulnik (2008), Autobiographie d’un épouvantail, Paris, Odile Jacob.
  • Jean-Louis Fabiani et Fabienne Soldini (1995), Lire en prison : une étude sociologique, Paris, BPI.
  • Michel Foucault (1975), Surveiller et punir, Naissance de la prison, Paris, Gallimard.
  • Nathalie Heinich (2000), Être écrivain, création et identité, Paris, La Découverte.
  • Antoine Hennion (1993, 2007), La Passion musicale. Une sociologie de la médiation, Paris, Métailié.
  • Yves Jeanneret (2008), Penser la trivialité. Volume 1, La vie triviale des êtres culturels, Paris, Lavoisier & Hermes-sciences, coll. « Communication, médiation et construits sociaux ».
  • Florine Siganos (2008), L’action culturelle en prison. Pour une redéfinition du sens de la peine, Paris, L’Harmattan.

[1] Pour plus d’informations : www.culturecommunication.gouv.fr

[2] Se référer notamment aux ouvrages de Jean-Louis Fabiani et Fabienne Soldini (1995) ou encore de Florine Siganos (2008).

[3] Protocole d’accord entre le ministère de la Culture et de la Communication et le ministère de la Justice, 2009.

[4] Les « actions patrimoniales » peuvent se développer dans le cadre de l’établissement patrimonial comme dans l’établissement pénitencier, en milieu ouvert comme fermé, à destination des femmes et des hommes, des majeurs et des mineurs. Elles mettent en lien la personne placée sous main de justice avec les objets patrimoniaux et artistiques, l’architecture, les monuments, à travers des actions allant de la visite guidée d’exposition au développement d’ateliers engageant à la création artistique sur la base d’une réflexion sur l’objet patrimonial, en passant par des ateliers de fouilles archéologiques. Cf. Saurier (Delphine), Barbier (Kathia), « L’action culturelle en faveur de la population pénale », Questions pénales, XXV, 3, juin 2012.

[5] Cf. Nathalie Heinich (2000).

Comité d’organisation

  • Delphine Saurier, Enseignant-chercheur, SciencesCom, Audencia Recherche
  • Valérie Claude Gaudillat, Professeur, Directrice de SciencesCom, Audencia Recherche
  • Ariane Berthoin Antal, Directrice de l'Unité de Recherche « Innovation et Organisation », Wissenschaftszentrum Berlin für Sozialforschung

Comité scientifique

  • Nicolas Adell, Maître de conférences en anthropologie, Université Toulouse 2 – Le Mirail
  • Morrad Benxayer, Adjoint au chef du département de la politique des publics, Ministère de la Culture
  • Ariane Berthoin Antal, Senior Fellow at WZB Berlin Social Science Center and honorary professor, Technische Universität Berlin.
  • Marie-Christine Bordeaux, Maître de conférences en SIC, Université Stendhal Grenoble 3
  • Claire Burlat, Enseignant-chercheur en sociologie et SIC, SciencesCom, Audencia Recherche
  • Valérie Claude Gaudillat, Professeur, Directrice de SciencesCom, Audencia Recherche
  • Philippe Combessie, Professeur en sociologie, Université Paris Ouest Nanterre – La Défense
  • Jacqueline Eidelman, Chef du Département de la politique des publics, Ministère de la Culture
  • Daniel Jacobi, Professeur émérite en SIC, Université d’Avignon et des pays du Vaucluse
  • Anne Krebs, Chef du Service Études et recherche, Direction de la Politique des publics et de l’éducation artistique, Musée du Louvre
  • Françoise Liot, Maitre de conférences en sociologie, IUT Montaigne, Université Bordeaux 3
  • Delphine Saurier, Enseignant-chercheur en SIC, SciencesCom, Audencia Recherche
  • André Sobczak, Professeur, Directeur de la Recherche, Audencia Group
  • Arnaud Théval, Artiste, Maître Assistant, Ecole nationale d’architecture et de paysage, Bordeaux

Modalités de soumission

La date limite d'envoi des propositions est fixée au 7 mars.

Les auteurs sont priés d’envoyer un résumé de 5 000 signes. Le résumé doit présenter la problématique envisagée, les références théoriques mobilisées, la méthodologie déployée et les résultats essentiels.

La soumission se fait en ligne à partir du site : www.caje2014.com

Lieux

  • 1 rue Marivaux
    Nantes, France (44)

Dates

  • vendredi 07 mars 2014

Mots-clés

  • culture, patrimoine, art, justice, population pénale, entreprise

Contacts

  • delphine saurier
    courriel : delphine [dot] saurier [at] sciencescom [dot] org
  • Barbara Haddou
    courriel : bhaddou [at] audencia [dot] com

URLS de référence

Source de l'information

  • delphine saurier
    courriel : delphine [dot] saurier [at] sciencescom [dot] org

Pour citer cette annonce

« Art, Justice et entreprises », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 05 février 2014, http://calenda.org/275425