Les anarchistes et les socialistes révolutionnaires égyptien-ne-s sont attaqué-e-s !

30 décembre 2011 by

Cela devait avoir lieu ! Depuis plusieurs semaines, plusieurs sites internet et pages facebook qui appartiennent aux Frères Musulmans, soit de manière officielle soit administrés par ses membres, ont lancé une attaque contre les anarchistes et les socialistes révolutionnaires en Égypte, en essayant de les isoler comme incitateurs de la violence et comme propagandistes de la démolition de l’État. Aujourd’hui, un membre des Frères Musulmans a porté plainte contre 3 socialistes, dont l’un est le camarade Yaser Abdel Kawy, un anarchiste bien connu et un membre du Mouvement socialiste libertaire Égyptien. Le procureur a transmis la plainte au procureur de la sécurité d’État, un appareil d’exception du système légal qui ne fonctionne que sous l’état d’urgence.

C’était prévisible. Bien que peu nombreux, les anarchistes en Égypte ont occupé une place plutôt importante au sein des différentes forces révolutionnaire qui ont pris part à la révolution Égyptienne du 25 janvier. Les Anarchistes sont distinctement audibles sur les sites des médias sociaux, mais de manière plus importante ils sont toujours présent au premier rang dans les rues chaque fois que les révolutionnaires prennent position face à la répression brutale de l’État.

L’alliance entre les Frères musulmans et la junte militaire au pouvoir, aussi forte que difficile, a été évidente depuis le début. Les Frères musulmans étaient la seule force politique qui avait un de ses membres dans le comité législatif responsable de la préparation des modifications de la constitution de 1971, approuvées par un référendum le 19 mars. Les Frères Musulmans ont refusé de prendre part à presque toutes les manifestations contre le Conseil Supérieur des Forces Armées (CSFA) et dans bien des cas a cherché à salir ces manifestations et à attaquer ceux qui y appelaient.

Les Frères musulmans ont également adopté une posture agressive contre les travailleurs dans leur lutte continue contre les patrons soutenus par la junte militaire. Ils ont toujours condamné les manifestations ouvrières, les sit-ins, les occupations, et décrit le combat des travailleurs pour leur droit comme étant contre-révolutionnaire et incités par les clients du régime de Moubarak.

Prêts à une victoire écrasante à l’issue des élections en cours, de même que les islamistes salafistes plus radicaux, les frères musulmans tiennent à éliminer toute opposition future, en l’occurrence les socialistes.

Il est facile de savoir pourquoi si on observe les politiques que leurs homologues ont adopté en Tunisie une fois assurés de leurs nouveaux sièges au parlements. Cela est encore plus clair lorsque l’on constate les déclarations de leurs principaux leaders (essentiellement des hommes d’affaires) dans les médias, particulièrement celles décrivant les politiques financières et économiques néolibérales du régime de Moubarak comme bonne et efficace, si elle n’était pas associée avec la corruption et le clientélisme.

Nous sommes sûrs que ces nouvelles attaques du CSFA et des ses alliés islamistes ne sont rien d’autre qu’une entrée en matière. Une nouvelle phase de la révolution Égyptienne est déjà en train de prendre forme. Cette fois les vraies lignes de conflit seront claires pour tous après n’avoir été claires que pour quelques un-e-s. La révolution Égyptienne prendra son vrai visage, celui d’une guerre de classe nous opposant, nous, le prolétariat, à eux, les patrons, la junte militaire, et les conservateurs fascistes islamistes.

Mouvement socialiste libertaire – Égypte

The Great Recession and the Failure of Capitalism

30 décembre 2011 by

Une conférence récente de Paul Mattick junior (auteur de Business as Usual: The Economic Crisis and the Failure of Capitalism) à l’Utah Valley University:

Voir aussi:

La nationalisation des banques est fondamentalement une politique nationaliste (2009)

28 décembre 2011 by

Traduction par nos soins d’un article de Paddy Hackett, communiste irlandais, publié le 7 septembre 2009 sur Indymedia Ireland.

La nationalisation des banques dans l’économie d’un pays est fondamentalement une politique nationaliste. Le nationalisme et la nationalisation des banques sont une seule et même chose. C’est pourquoi le programme Eire Nua du Sinn Fein, si ma mémoire est bonne, pourrait volontiers appeler à la nationalisation des banques. Ce n’est pas une position communiste révolutionnaire.

Les communistes sont internationalistes et défendent la socialisation des forces productives sur une base mondiale. Par conséquent, ils ne défendent pas les solutions nationalistes aux problèmes mondiaux. Nationaliser les banques est une politique qui peut être réalisé dans le cadre du capitalisme. Ce n’est pas une politique communiste. La nationalisation des banques ne signifie pas nécessairement résoudre les problèmes de la classe ouvrière. Les banques peuvent être nationalisées et pourtant ne parviennent pas à satisfaire les besoins les plus élémentaires et évidents de la classe ouvrière. Les banques nationalisées peuvent être tout aussi impitoyables et sans merci dans leurs relations avec leurs clients issus de la classe ouvrière que toute banque privée. Il y a déjà eu des entreprises d’État dans la production qui ont échoué à satisfaire la classe ouvrière. Ceci parce que, comme toutes les entreprises capitalistes, elles sont assujetties à la loi de la valeur.

Même avec une nationalisation du système bancaire, les banques doivent encore observer les lois du capitalisme. Sinon, elles se retirent des affaires. Elles ne peuvent pas, simplement parce qu’elles sont nationalisées, transcender la loi de la valeur. Une banque nationalisée est même parfois la solution préférée de la bourgeoisie ou du moins d’une section de celui-ci. Les banques nationalisées sont toujours liées à la monnaie, au capital sous forme monétaire. De même, elles regroupent les opérations de crédit. Elles sont indissolublement basées sur la relation d’argent. Cette relation monétaire est elle-même basée sur la circulation des marchandises et en particulier la circulation du capital sous forme de matières premières. La circulation du capital marchandise est à son tour, enracinée dans le processus de valorisation. Ainsi le système bancaire implique le processus de la reproduction capitaliste.

Les banques d’État sous contrôle ouvrier, c’est un paradoxe. En raison de leur nature, les banques d’État ne peuvent jamais être authentiquement sous contrôle ouvrier. C’est comme dire que le capitalisme peut être sous contrôle ouvrier. Si les banques peuvent être soumises au contrôle démocratique de la classe ouvrière, le capitalisme le pourrait. Le communisme ne serait donc pas une nécessité historique. Le capital, par sa nature même, empêche son assujettissement au contrôle des travailleurs. Le trotskysme, avec le programme de transition de 1938, a fait de la nationalisation sous contrôle ouvrier une part importante de son programme. Le programme de transition de 1938 tente d’aller au-delà du cadre d’un programme minimum / maximum. Mais c’est un programme imparfait qui ne fait que renforcer la confusion au sein du mouvement ouvrier. Il peut y avoir que des programmes communiste.  Un programmes communiste consiste toujours à dire très clairement que le communisme est le but. Le communisme implique nécessairement une société sans Etat et sans classes.

Les communistes ne peuvent favoriser que les relations sociales communistes, qui sont, par définition, celles qui transcendent les rapports du capital: les relations bancaires, les relations d’argent et des relations de valeur en général. Les relations communistes se heurtent à l’existence de banques et de la valeur d’échange qu’elles expriment. Les relations communistes constituent l’antithèse des relations bancaires qu’elles soient privées ou publiques. Les premières sont des relations directement visibles alors que les autres sont des relations de la réification. Par conséquent les marchandises ne peuvent pas exister sous le communisme. Les produits ne peuvent pas prendre la forme de marchandises dans les rapports communistes. Ils sont juste des produits. En conséquence de l’argent et les banques sont superflus. Tout est produit et distribué conformément aux décisions démocratique de la communauté.

Même quelques figures de la gauche stalinienne et trotskyste sont conscientes que toute nationalisation des banques effectué par le gouvernement irlandais dans les conditions actuelles n’est pas la nationalisation au sens où Lénine et Trotsky l’entendaient. Certains appellent ça une nationalisation bidon. Dan La Botz le dit dans Monthly Review:

« Les nationalisations de banques dans la réalité, n’ont été habituellement qu’une simple étape dans les cycles d’expansion-récession de l’économie moderne, une période où l’État apporte son soutien à la finance pour traverser les moments difficiles, et une fois la situation rétablie, l’Etat les rend à ses propriétaires privés afin qu’ils puissent continuer à récolter les fruits de la richesse, plus les intérêts.  »

Je termine ce billet par une citation d’Engels:

« Mais on a vu récemment, depuis que Bismarck s’est lancé dans les étatisations, apparaître certain faux socialisme qui même, çà et là, a dégénéré en quelque servilité, et qui proclame socialiste sans autre forme de procès, toute étatisation, même celle de Bismarck. Évidemment, si l’étatisation du tabac était socialiste, Napoléon et Metternich compteraient parmi les fondateurs du socialisme. »

Le monde dans lequel on pourrait vivre (tract)

26 décembre 2011 by

Tract non daté, récemment envoyé par un camarade du SPGB vivant près de Limoges avec d’autres tracts que nous avions déjà mis en ligne et datés de 2007-2008 (Sauver la Terre ou les profits ? , Pas d’argent pour la Sécu? , Manifester… jusqu’à quand ? , Liberté ou capitalisme ? ). Une grande partie du texte de ce tract reprend un texte mis en ligne en 2002.

Cliquer sur l'image pour l'agrandir

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Présentations du livre « Bordiga : Au-delà du mythe »

23 décembre 2011 by

Réunions publiques de présentation du livre d’Onorato Damen:

  • Paris: Vendredi 3 février 2012 — 19 h 00.  ACECA, 177 rue de Charonne — métro ligne 2, Alexandre Dumas.
  • Bruxelles: Samedi 4 février 2012 — 14 h 30. Pianofabriek, rue du Fort 1060 — Saint Gilles salle Cadzard.

Damen/Bordiga, deux géants du mouvement ouvrier au XX° siècle, deux membres de la Gauche communiste italienne et pourtant deux conceptions politiques différente dès 1945. «Là où la Gauche italienne est poussée à ne pas être d’accord avec Bordiga, l’origine du désaccord indiquera à chaque fois que celui-ci se produit du fait d’une différence d’interprétation du marxisme.» (O. Damen)

Prix : 10 €. Disponible auprès de info@leftcom.org

Les Prétendues Scissions dans l’Internationale [2] (1872)

14 décembre 2011 by

Suite de la circulaire du Conseil général de l’A.I.T. ().

III

La présence en Suisse de quelques-uns des proscrits français qui y avaient trouvé refuge vint redonner une lueur de vie à l’Alliance.

Les internationaux de Genève firent pour les proscrits, tout ce qui était en leurs pouvoirs. Ils leur assurèrent des secours dès le premier moment et empêchèrent, par une agitation puissante, les autorités suisses d’accorder l’extradition demandée par le gouvernement de Versailles. Plusieurs coururent de graves dangers en allant en France aider des réfugiés à gagner la frontière. Quel ne fut donc pas l’étonnement des ouvriers genévois en voyant quelques meneurs, tels que B. Malon (1), se mettre aussitôt en rapport avec les hommes de l’ Alliance et avec l’aide de N. Joukowsky, l’ex-secrétaire de l’Alliance, essayer de fonder à Genève, en dehors de la Fédération romande, la nouvelle “Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste”. Dans le premier article de ses statuts, elle « déclare adhérer aux statuts généraux de l’Association Internationale des Travailleurs, en se réservant toute la liberté d’action et d’initiative qui lui est donnée comme conséquence logique du principe d’autonomie et de fédération reconnu par les statuts et les Congrès de l’Association.  » En d’autres termes, elle se réserve toute liberté de continuer l’œuvre de l’Alliance.

Dans une lettre de Malon, du 20 octobre 1871, cette nouvelle section adressa au Conseil général, pour la troisième fois, la demande de son admission dans l’Internationale. Conformément à la résolution V du Congrès de Bâle, le Conseil consulta le Comité fédéral de Genève, qui protesta vivement contre la reconnaissance par le Conseil de ce nouveau « foyer d’intrigues et de dissensions ». Le Conseil fut, en effet, assez « autoritaire » pour ne pas vouloir imposer à toute une Fédération les volontés de B. Malon et de N. Joukowsky, ex-secrétaire de l’Alliance.

La Solidarité ayant cessé d’exister, les nouveaux adhérents de l’Alliance fondèrent la Révolution Sociale, sous la direction supérieure de Madame André Léo, qui venait de déclarer au Congrès de la Paix à Lausanne: que « Raoul Rigault et Ferré étaient les deux figures sinistres de la Commune, qui jusque-là (jusqu’à l’exécution des otages) n’avaient cessé, toujours en vain, de réclamer des mesures sanglantes ».

Dès son premier numéro, ce journal s’empressa de se mettre au niveau du Figaro, du Gaulois, du Paris-Journal et autres organes orduriers, dont il réédita les saletés contre le Conseil général. Le moment lui parut opportun d’allumer, même dans l’Internationale, le feu des haines nationales. D’après lui, le Conseil général était un comité allemand, dirigé par un cerveau bismarkien (2).

Après avoir bien établi que certains membres du Conseil général ne pouvaient se piquer d’être « Gaulois avant tout », la Révolution sociale ne sut que s’emparer du deuxième mot d’ordre que la police européenne faisait circuler et dénoncer l’autoritarisme du Conseil.

Quels étaient donc les faits sur lesquels s’appuyaient ces criailleries puériles ? Le Conseil général avait laissé mourir l’Alliance de sa mort naturelle et, d’accord avec le Comité fédéral de Genève, en avait empêché la résurrection. En outre, il avait requis le Comité de la Chaux-de-Fonds de prendre un nom qui lui permit de vivre en paix avec la grande majorité des Internationaux romands.

En dehors de ces actes « autoritaires”, quel usage le Conseil général avait-il fait, depuis octobre 1869 jusqu’en octobre 1871, des pouvoirs assez étendus que lui avait conféré le Congrès de Bâle ?

1) Le 8 février 1870, la « Société des prolétaires positivistes » de Paris demanda au Conseil général son admission. Le Conseil répondit que les principes positivistes ayant trait au capital, énoncés dans les statuts particuliers de la Société, étaient en contradiction flagrante avec les considérants des statuts généraux; qu’il fallait donc les rayer et entrer dans l’Internationale non comme « positivistes » mais comme « prolétaires », tout en restant libres de concilier leurs opinions théoriques avec les principes généraux de l’Association. La section, ayant reconnu la justesse de cette décision, entra dans l’Internationale.

2) A Lyon, il y avait eu scission entre la section de 1865 et une section de formation récente, où, au milieu d’honnêtes ouvriers, l’Alliance était représentée par Albert Richard et Gaspard Blanc. Comme il est d’usage dans pareils cas, le jugement d’une cour d’arbitrage, formée en Suisse, ne fut pas reconnu. Le 15 février 1870, la section de formation récente ne demanda pas seulement au Conseil général de statuer sur ce différend, en vertu de la résolution VII du Congrès de Bâle, mais elle lui envoya un jugement tout prêt, excluant et marquant d’infâmie les membres de la section de 1865, jugement qu’il devait signer et renvoyer par le retour du courrier. Le Conseil blâma cette procédure inouïe et requit des pièces justificatives. A la même demande, la section de 1865 répondit que, les pièces à charge contre Albert Richard ayant été soumises à la cour d’arbitrage, Bakounine s’en était emparé et refusait de les rendre, et par conséquent elle ne pouvait satisfaire d’une manière absolue aux désirs du Conseil général. La décision du Conseil, en date du 8 mars, sur cette affaire, ne souleva aucune objection ni d’un côté ni de l’autre.

3 ) La branche française de Londres, ayant admis des éléments d’un caractère plus que douteux, s’était peu à peu transformée en une commandite de M. Félix Pyat. Elle lui servait à organiser des démonstrations compromettantes pour l’assassinat de L. Bonaparte, etc. , et à propager en France, sous le couvert de l’Internationale, ses manifestes ridicules. Le Conseil général se borna à déclarer dans les organes de l’Association, que M. Pyat n’étant pas membre de l’Internationale, elle ne pouvait être responsable de ses faits et gestes. La branche française déclara alors qu’elle ne reconnaissait ni le Conseil général, ni les Congrès: elle fit afficher sur les murs de Londres qu’en dehors d’elle, l’Internationale était une société anti-révolutionnaire. L’arrestation des internationaux français, à la veille du plébiscite, sous le prétexte d’une conspiration, ourdie en réalité par la police, et à laquelle les manifestes pyatistes donnèrent un air de vraisemblance, força le Conseil général à publier dans la Marseillaise et le Réveil sa résolution du 10 mai 1870, déclarant que la soi-disant branche française n’appartenait plus à l’Internationale depuis plus de deux ans, et que ses agissements étaient l’œuvre d’agents policiers. La nécessité de cette démarche est prouvée par la déclaration du Comité fédéral de Paris, dans les mêmes journaux, et par celle des Internationaux parisiens, lors de leur procès, – toutes deux s’appuyant sur la résolution du Conseil. La branche française disparut au commencement de la guerre, mais, comme l’Alliance en Suisse, elle devait reparaître à Londres avec de nouveaux alliés et sous d’autres noms.

Dans les derniers jours de la Conférence, il se forma à Londres, parmi les proscrits de la Commune, une « section française de 1871 » forte d’environ 35 membres. Le premier acte “autoritaire” du Conseil général fut de dénoncer publiquement le secrétaire de cette section, Gustave Durand, comme espion de la police française. Les documents que nous possédons, prouvent l’intention de la police de faire assister Durand, d’abord à la Conférence et de l’introduire plus tard au sein du Conseil général. Les statuts de la nouvelle section enjoignant à ses membres de « n’accepter aucune délégation au Conseil général autre que de sa section”, les citoyens Theisz et Bastelica se retirèrent du Conseil.

Le 17 octobre, la section délégua au Conseil deux de ses membres, porteurs de mandats impératifs, dont l’un n’était autre que M. Chautard, ex-membre du Comité d’artillerie, que le Conseil déclina de s’adjoindre avant d’avoir examiné les statuts de « la section de 1871 » (3). Il suffira de rappeler ici les points principaux du débat auquel ont donné lieu ces statuts. Ils portent, dans l’article 2 : « Pour être reçu membre de sa section, il faut justifier de ses moyens d’existence, présenter des garanties de moralité, etc. » Dans sa résolution du 17 octobre 1871, le Conseil proposa de rayer les mots: justifier de ses moyens d’existence. « Dans des cas douteux, disait le Conseil, une section peut bien prendre des informations sur les moyens d’existence comme « garantie de moralité », tandis qu’en d’autres cas, tels que ceux des réfugiés, des ouvriers en grève, etc., l’absence des moyens d’existence peut bien être une garantie de moralité. Mais demander aux candidats de justifier de leurs moyens d’existence comme condition générale pour être admis dans l’Internationale, serait une innovation bourgeoise, contraire à l’esprit et à la lettre des statuts généraux ». La section répondit: « que les statuts généraux rendent les sections responsables de la moralité de leurs membres et leur reconnaissent par conséquent le droit de prendre, comme elles l’entendent, leurs garanties ». A cela le Conseil général répliquait le 7 novembre: « D’après cette manière de voir, une section internationale fondée par les teetotallers ( sociétés de tempérance) pourrait installer dans ses statuts particuliers un article ainsi conçu: Pour être reçu membre de la section, il faut jurer de s’abstenir de toute boisson alcoolique. En un mot, les conditions d’admission, dans l’Internationale, les plus absurdes et les plus disparates, pourraient être imposées par les statuts particuliers des sections, toujours sous le prétexte qu’elles entendent, de cette manière, s’assurer de la moralité de leurs membres… « Les moyens d’existence des grévistes, ajoute la section française de 1871, consistent dans la caisse des grèves.» On peut répondre à cette phrase, d’abord que cette caisse est souvent fictive… De plus, des enquêtes officielles anglaises ont prouvée que la majorité des ouvriers anglais… est forcée – soit par la grève ou le chômage, soit par l’insuffisance des salaires ou par suite des termes de paiement ou bien d’autres causes encore – d’avoir recours sans cesse au Mont-de-Piété ou aux dettes, moyens d’existence dont on ne pourrait exiger la justification sans s’immiscer d’une manière inqualifiable dans la vie privée des citoyens. Or, de deux choses l’une: ou la section ne cherche dans les moyens d’existence que des garanties de moralité… et alors la proposition du Conseil général remplit ce but… ou la section, dans l’article II de ses statuts, a intentionnellement parlé de la justification des moyens d’existence comme condition d’admission en outre des garanties de moralité… et dans ce cas, le Conseil affirme que c’est une innovation bourgeoise contraire à la lettre et à l’esprit des statuts généraux ».

Dans l’article XI de leurs statuts, il est dit: « Un ou plusieurs délégués seront envoyés au Conseil général ». Le Conseil demanda que cet article fut rayé, « parce que les statuts généraux de l’Internationale ne reconnaissent aucun droit aux sections d’envoyer des délégués au Conseil général ». «  Les statuts généraux, – ajouta-t-il, – ne reconnaissent que deux modes d’élection pour les membres du Conseil général: soit leur élection par le Congrès, soit leur adjonction par le Conseil général… ». Il est bien vrai que les différentes sections existant à Londres avaient été invitées à envoyer des délégués au Conseil général qui, pour ne pas enfreindre les statuts généraux, a toujours procédé de la manière suivante: Il a d’abord déterminé le nombre de délégués à envoyer par chaque section, se réservant le droit de les accepter ou de les refuser, suivant qu’il les jugeait propres aux fonctions générales qu’il doivent remplir. Ces délégués devenaient membres du Conseil général non en vertu de la délégation qu’ils avaient reçue de leurs sections, mais en vertu du droit que les statuts généraux donnent au Conseil de s’adjoindre de nouveaux membres. Ayant fonctionné jusqu’à la décision prise par la dernière Conférence, et comme le Conseil général de l’Association Internationale, et comme le Conseil central pour l’Angleterre, le Conseil de Londres trouva utile d’admettre, en dehors des membres qu’il s’adjoignait directement, des membres délégués en premier lieu par leurs sections respectives. On se tromperait étrangement en voulant assimiler le mode d’élection du Conseil général à celui du Conseil fédéral de Paris, lequel n’était même pas un Conseil national, nommé par un Congrès national, comme par exemple le Conseil fédéral de Bruxelles ou celui de Madrid. Le Conseil fédéral de Paris n’était qu’une délégation des sections parisiennes… Le mode d’élection du Conseil général est déterminé par les statuts généraux… et ses membres ne sauraient accepter d’autre mandat impératif que celui des statuts et règlements généraux… Si l’on prend en considération le paragraphe qui le précède, l’article XI n’a d’autre sens que de changer complètement la composition du Conseil général et d’en faire, contrairement à l’article III des statuts généraux, une délégation des sections de Londres où l’influence des groupes locaux se sibstituerait à celle de toute l’Association Internationale des Travailleurs. » Enfin, le Conseil général, dont le premier devoir consiste en l’exécution des décisions des Congrès (voir l’article 1 du règlement administratif du Congrès de Genève) dit qu’il « considère comme n’ayant nullement trait à la question… les idées émises par la section française de 1871 sur un changement radical à apporter dans les articles des statuts généraux relatifs à sa constitution ».

D’ailleurs le Conseil déclara qu’il admettrait deux délégués de la section aux mêmes conditions que ceux des autres sections de Londres.

La « section de 1871 », loin d’être satisfaite de cette réponse, publia, le 14 décembre, une « déclaration » signée par tous ses membres dont le nouveau secrétaire fut peu de temps après expulsé comme indigne, de la société des réfugiés. D’après cette déclaration, le Conseil général, en refusant d’usurper des attributions législatives, se rendit coupable « d’une rétrogradation toute naturaliste de l’idée sociale. »

Voici maintenant quelques échantillons de la bonne foi qui a présidé à l’élaboration de ce document.

La Conférence de Londres avait approuvé la conduite des ouvriers allemands pendant la guerre. Il était évident que cette résolution, proposée par un délégué suisse, appuyée par un délégué belge, et votée à l’unanimité, n’avait trait qu’aux internationaux allemands, qui ont expié dans la prison et expient encore leur conduite antichauvinique pendant la guerre. De plus, pour obvier à toute interprétation malveillante, le secrétaire du Conseil général pour la France venait d’expliquer dans une lettre, publiée par le Qui vive!, la Constitution, le Radical, l’Emancipation, l’Europe, etc, le véritable sens de la résolution. Néanmoins, huit jours après, le 20 novembre 1871, quinze membres de la « section française de 1871 » inséraient dans le Qui vive! une « protestation » pleine d’injures contre les ouvriers allemands et dénonçait la résolution de la Conférence comme la preuve irrécusable de « l’idée pangermanique » qui possède le Conseil général. De son côté, toute la presse féodale, libérale et policière de l’Allemagne s’empara avidement de cet incident pour démontrer aux ouvriers allemands le néant de leurs rêves internationaux. Après tout, la protestation du 20 novembre fut endossée par toute la section de 1871 dans sa déclaration du 14 décembre.

Pour établir « la pente indéfinie de l’autoritarisme sur laquelle glisse le Conseil général », elle cite « la publication par ce même Conseil général d’une édition officielle des statuts généraux révisés par lui. » Il suffit de jeter un coup d’œil sur la nouvelle édition des statuts pour voir qu’à chaque alinéa se trouve, dans l’appendice, le renvoi établissant aux sources de son authenticité ! Quant aux mots « édition officielle », le premier Congrès de l’Internationale avait décidé que « le texte officiel et obligatoire des statuts et règlements généraux serait publié par le Conseil général ». (Voir Congrès ouvrier de l’Association internationale des travailleurs tenu à Genève du 3 au 8 septembre 1866, page 27, note.)

Il va sans dire que la section de 1871 était en rapports suivis avec les dissidents de Genève et de Neufchâtel. Un de ses membres qui avait déployé plus d’énergie à attaquer le Conseil général qu’il n’en mit jamais à défendre la Commune, Chalain, se vit tout à coup réhabilité par B. Malon, qui naguère encore portait contre lui des accusations très graves, dans une lettre à un membre du Conseil. Du reste la « section française de 1871 » venait à peine de lancer sa déclaration, quand la guerre civile éclata dans ses rangs. D’abord Theisz, Avrial et Camélinat s’en retirèrent. Dès lors elle se morcela en plusieurs petits groupes, dont l’un est dirigé par le sieur Pierre Venisier, expulsé du Conseil général pour ses calomnies contre Varlin et autres, et puis chassé de l’Internationale par la Commission belge, que le Congrès de Brucelles, 1868, avait nommée. Un autre de ces groupes est fondé par B. Landeck, que la fuite imprévue du préfet de police Pietri, au 4 septembre, a libéré de son engagement « scrupuleusement tenu de ne plus s’occuper d’affaires politiques ni de l’Internationale en France ! » (Voir Troisième procès de l’Association Internationale des Travailleurs de Paris, 1870, p. 4). De l’autre côté, la masse des réfugiés français à Londres a formé une section qui est en harmonie complète avec le Conseil général.

IV

Les hommes de l’Alliance, cachés derrière le Comité fédéral de Neufchâtel, voulant tenter un nouvel effort, sur un plus vaste terrain, pour désorganiser l’Internationale, convoquèrent un Congrès de leurs sections à Sonvillier pour le 12 novembre 1871. — déjà en juillet, deux lettres de maître Guillaume à son ami Robin menaçaient le Conseil général d’une pareille campagne, s’il ne consentait à leur donner raison contre « les brigands de Genève » .

Le congrès de Sonviller se composait de seize délégués, prétendant représenter en tout neuf sections, dont la nouvelle « section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste » de Genève.

Les seize firent leur début par le décret anarchiste, déclarant dissoute la fédération romande, laquelle s’empressa de rendre les Alliancistes à leur « autonomie » en les chassant de toutes les sections. Du reste, le Conseil doit reconnaître qu’un éclair de bon sens leur fit accepter le nom de Fédération Jurassienne que leur avait donné la Conférence de Londres.

Ensuite le Congrès des seize procéda à la « réorganisation de l’Internationale », en laçant contre la Conférence et le Conseil général une « circulaire à toutes les fédérations de l’Association Internationale des Travailleurs ».

Les auteurs de la circulaire accusent d’abord le Conseil général d’avoir, en 1871, convoqué une conférence au lieu d’un Congrès. Des explications précédemment données il résulte que ces attaques s’adressent directement à toute l’Internationale qui, dans son ensemble, avait accepté la convocation d’une conférence à laquelle, d’ailleurs, l’Alliance se trouvait convenablement représentée par les citoyens Robin et Bastelica.

A chaque Congrès, le Conseil général a eu ses délégués; au Congrès de Bâle, par exemple, il y en avait six. Les seize prétendent que « la majorité de la Conférence a été faussée d’avance par l’admission de six délégués du Conseil général avec voix délibérative ». En réalité, parmi les délégués du Conseil général à la Conférence, les conscrits français n’étaient autres que les représentants de la Commune de Paris, tandis que ses membres anglais et suisses ne purent qu’exceptionnellement prendre part aux séances, comme l’attestent les procès-verbaux qui seront soumis au prochain Congrès. Un délégué du Conseil avait un mandat d’une fédération nationale. D’après une lettre adressée à la Conférence, le mandat d’un autre fut retenu à cause de l’annonce de sa mort par les journaux. Reste un délégué, de sorte que les Belges seuls étaient relativement comme 6 est à 1.

La police internationale, tenue à l’écart en la personne de Gustave Durand, s’était plaint amèrement de la violation des statuts généraux par la convocation d’une Conférence « secrète » . Elle n’était pas encore assez au courant de nos règlements généraux pour savoir que les séances administratives des Congrès sont obligatoirement privées.

Ses plaintes, néanmoins, trouvèrent un écho sympathique chez les 16 de Sonvillier qui s’écrièrent: « Et pour couronner l’édifice, une décision de cette conférence porte le Conseil général fixera lui-même la date et le lieu du prochain Congrès ou de la Conférence qui le remplacera ; en sorte que nous voilà menacés de la suppression des Congrès généraux, ces grandes assises publiques de l’Internationale. »

Les seize n’ont pas voulu voir que cette décision ne vient qu’affirmer, vis-à-vis des gouvernements, que, malgré toutes les mesures répressives, l’Internationale a la résolution inébranlable de tenir ses réunions générales d’une manière ou d’une autre.

Dans l’Assemblée générale des sections genevoises, du 2 décembre 1871, qui faisait mauvais accueil aux citoyens Malon et Lefrançais, ces derniers soumirent une proposition tendant à confirmer les décrets rendus par les seize de Sonvillier et renfermant un blâme contre le Conseil général, ainsi que le désaveu de la Conférence. —  La conférence avait décidé que « les résolutions de la Conférence qui ne sont pas destinées à la publicité, seront communiquées aux Conseils fédéraux des divers pays par les secrétaires correspondants du Conseil général. » Cette résolution entièrement conforme aux statuts et règlements généraux, fut falsifiée par B. Malon et ses amis de la manière suivante: « Une partie des résolutions de la conférence ne sera communiquée qu’aux conseils fédéraux et aux secrétaires correspondants. » Ils accusent encore le Conseil général d’avoir « manqué au principe de la sincérité » en se refusant de livrer à la police, par la “publicité”, des résolutions qui ont pour but exclusif la réorganisation de l’Internationale dans les pays où elle est proscrite.

Les citoyens Malon et Lefrançais se plaignent de plus, que « la Conférence a porté atteinte à la liberté de la pensée et de son expression… en donnant au Conseil général le droit de dénoncer et de désavouer tout organe de publicité des sections et fédérations, traitant soit des principes sur lesquels repose l’Association, soit des intérêts respectifs des sections et fédérations, soit enfin des intérêts généraux de l’Association tout entière » (voir l’Egalité du 21décembre). Et, qu’y a t-il dans l’Egalité du 21 décembre ? Une résolution de la Conférence où elle « donne avis que désormais le Conseil général sera tenu de dénoncer et de désavouer publiquement tous les journaux se disant organes de l’Internationale, lesquels, suivant l’exemple donné par le Progrès et la Solidarité, discuteraient dans leurs colonnes, devant le public bourgeois, des questions qu’on ne doit discuter que dans le sein des comités locaux, des comités fédéraux et du Conseil général, ou, dans les séances privées et administratives des Congrès, soit fédéraux, soit nationaux ».

Pour bien apprécier la lamentation aigre-douce de B. Malon, il faut considérer que cette résolution met fin une fois pour toutes aux tentatives de quelques journalistes désireux de se substituer aux comités responsables de l’Internationale et de jouer dans son milieu le même rôle que la bohème journaliste joue dans le monde bourgeois. Par suite d’une pareille tentative, le Comité fédéral de Genève avait vu des membres de l’Alliance rédiger l’organe officiel de la Fédération Romande, l’Egalité, dans un sens qui lui était entièrement hostile.

D’ailleurs, le Conseil général n’avait pas besoin de la Conférence de Londres pour « dénoncer et désavouer publiquement » les abus du journalisme, car le Congrès de Bâle a décidé (Rés. II) que:

«Tous les journaux contenant des attaques contre l’Association doivent être aussitôt envoyés au Conseil général par les sections », – « Il est évident, dit le Comité fédéral romand, dans sa déclaration du 20 décembre 1871 (Egalité du 24 déc.), que cet article n’était pas fait dans l’intention que le Conseil général garde dans ses archives les journaux qui attaquent l’Association, mais pour répondre et détruire au besoin l’effet pernicieux des calomnies et des dénigrements malveillants. Il est évident aussi que cet article se rapporte en général à tous les journaux, et que si nous ne vouons pas tolérer gratuitement les attaques des journaux bourgeois, à plus forte raison nous devons désavouer par l’organe de notre délégation centrale, par le Conseil général, les journaux dont les attaques contre nous se couvrent du nom de notre Association. »

Remarquons en passant que le Times, ce Léviathan de la presse capitaliste, le Progrès (de Lyon), journal de la bourgeoisie libérale, et le Journal de Genève, journal ultra-révolutionnaire, accablèrent la Conférence des mêmes reproches et se servaient presque des mêmes termes que les citoyens Malon et Lefrançais.

Après s’être élevé contre la convocation de la Conférence, puis contre sa composition et son caractère, soi-disant secret, la circulaire des seize s’attaque aux résolutions elles-mêmes.

Constatant, d’abord, que le Congrès de Bâle avait abdiqué « en donnant au Conseil général le droit de refuser d’admettre ou de suspendre des sections de l’Internationale », elle impute, plus loin, ce péché à la Conférence: « Cette Conférence a… pris des résolutions… qui tendent à faire de l’Internationale, libre fédération de sections autonomes, une organisation hiérarchique et autoritaire de sections disciplinées, placées entièrement sous la main d’un Conseil général qui peut à son gré refuser leur admission ou bien suspendre leur activité !! » Plus loin, elle revient au Congrès de Bâle, qui aurait « dénaturé les attributions du conseil général ».

Toutes ces contradictions de la circulaire des seize reviennent à ceci: la Conférence de 1871 est responsable du Congrès de Bâle de 1869, et le Conseil général est coupable d’avoir observé les statuts qui lui enjoignent d’exécuter les résolutions des Congrès.

En réalité, le véritable mobile de toutes ces attaques contre la Conférence est d’une nature plus intime. D’abord, par ses résolutions, elle venait de contrecarrer les intrigues pratiques des hommes de l’Alliance en Suisse. De plus, les promoteurs de l’Alliance avaient, en Italie, en Espagne, dans une partie de la Suisse et de la Belgique, créé et entretenu avec une merveilleuse persistance, une confusion calculée entre le programme d’occasion de Bakounine et le programme de l’Association internationale des travailleurs.

La Conférence mit en relief ce malentendu intentionnel par ses deux résolutions sur la politique prolétaire et sur les sections sectaires. La première, faisant justice de l’abstention politique prêchée par le programme Bakounine, est pleinement justifiée par ses considérants, appuyés sur les statuts généraux, sur la résolution du Congrès de Lausanne et autres précédents. (4)

Passons maintenant aux sections sectaires.

La première phase dans la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie est marquée par le mouvement sectaire. Il a sa raison d’être à une époque où le prolétariat n’est pas encore assez développé pour agir comme classe. Des penseurs individuels font la critique des antagonismes sociaux, et en donnant des solutions fantastiques que les ouvriers n’ont qu’à accepter, à propager, à mettre en pratique. Par leur nature même, les sectes formées par ces initiateurs sont abstentionnistes, étrangères à toute action réelle, à la politique, aux grèves, aux coalitions, en un mot à tout mouvement d’ensemble. La masse du prolétariat reste toujours indifférente où même hostile à leur propagande. Les ouvriers de Paris et de Lyon ne voulaient pas plus des Saint-Simoniens, des Fouriéristes, des Icariens, que les chartistes et les trade-unionistes anglais ne voulaient des Owenistes. Ces sectes, leviers du mouvement à leur origine, lui font obstacle dès qu’il les dépasse; alors elles deviennent réactionnaires; témoin, les sectes en France et en Angleterre, et dernièrement les Lassalliens en Allemagne qui, après avoir entravé pendant des années l’organisation du prolétariat, ont fini par devenir de simples instruments de police. Enfin, c’est là l’enfance du mouvement prolétaire, comme l’astrologie et l’alchimie sont l’enfance de la science. Pour que la fondation de l’Internationale fût possible, il fallait que le prolétariat eût dépassé cette phase.

En face des organisations fantaisistes et antagonistes des sectes, l’Internationale est l’organisation réelle et militante de la classe prolétaire dans tous les pays, liés les uns avec les autres, dans leur lutte commune contre les capitalistes, les propriétaires fonciers et leur pouvoir organisé dans l’État. Aussi les statuts de l’Internationale ne connaissent-ils que des simples sociétés “ouvrières” poursuivant toutes le même but et acceptant toutes le même programme, qui se limite à tracer les grands traits du mouvement prolétaire et en laisse l’élaboration théorique à l’impulsion donnée par les nécessités de la lutte pratique, et à l’échange des idées qui se fait dans les sections, admettant indistinct toutes les convictions socialistes dans leurs organes et leurs Congrès.

De même que dans toute nouvelle phase historique les vieilles erreurs reparaissent un instant pour disparaître bientôt après; de même l’Internationale a vu renaître dans son sein des sections sectaires, quoique sous une forme peu accentuée.

L’Alliance, tout en considérant comme un progrès immense la résurrection des sectes, est une preuve concluante que leur temps est passé. Car, tandis qu’à leur origine elle représentaient les éléments du progrès, le programme de l’Alliance, à la remorque d’un « Mahomet sans Koran », ne représente qu’un ramassis d’idées d’outre-tombe, déguisées sous des phrases sonores, ne pouvant effrayer que des bourgeois idiots, ou servir de pièces à conviction contre les internationaux aux procureurs bonapartistes ou autres. (5)

La Conférence, où étaient représentées toutes les nuances socialistes, acclama à l’unanimité la résolution contre les sections sectaires, convaincue que cette résolution, en ramenant l’Internationale sur son véritable terrain, marquerait une nouvelle phase de sa marche. Les partisans de l’Alliance, se sentant frappés à mort par cette résolution, n’y virent qu’une victoire du Conseil général sur l’Internationale, par laquelle, comme le dit leur circulaire, il fit « prédominer le programme spécial » de quelques uns de ses membres, « leur doctrine personnelle », « la doctrine orthodoxe », « la théorie officielle ayant seule droit de cité dans l’Association ». Du reste, ce n’était pas la faute de ces quelques membres, c’était la conséquence nécessaire, « l’effet corrupteur » du fait qu’ils faisaient partie du Conseil général, car « il est absolument impossible qu’un homme qui a pouvoir (!) sur ses semblables, demeure un homme moral. Le Conseil général devient un foyer d’intrigues. »

Selon l’opinion des Seize, on pouvait déjà reprocher aux statuts généraux un tort grave, celui de donner au Conseil général le droit de s’adjoindre de nouveaux membres. Muni de ce pouvoir, disent-ils, « le Conseil pouvait, après coup, s’adjoindre tout un personnel qui en aurait modifié complètement la majorité et les tendances. » Il paraît que pour eux, le seul fait que des hommes appartiennent au Conseil général, suffit non seulement pour détruire leur moralité, mais aussi leur sens commun. Comment supposer autrement qu’une majorité se transforme elle-même en minorité par des adjonctions volontaires ?

Du reste, les Seize eux-mêmes ne paraissent pas très convaincus de tout cela; car plus loin, ils se plaignent de ce que le Conseil général a été « composé pendant cinq ans des mêmes hommes, toujours réélus », et immédiatement après ils répètent: « la plupart d’entre eux ne sont pas nos mandataires réguliers, n’ayant pas été élus par un Congrès. »

Le fait est que le personnel du Conseil général a constamment changé, bien que quelques-uns des fondateurs y soient restés, comme dans les Conseils fédéraux belge, romand, etc.

Le Conseil général est soumis à trois conditions essentielles à l’accomplissement de son mandat. En premier lieu, il exige un personnel assez nombreux pour exécuter la multiplicité de ses travaux; ensuite, une composition des travailleurs appartenant aux différentes nations représentées dans l’Association internationale, et enfin la prédominance de l’élément ouvrier. Comment, alors que les exigences du travail pour l’ouvrier sont une cause incessante de changement dans le personnel du Conseil général, celui-ci pourrait-il réunir ces conditions indispensables sans le droit d’adjonction ? Néanmoins, une définition plus exacte de ce droit lui paraît nécessaire, comme il en a exprimé le désir à la dernière Conférence.

La réélection du Conseil général, tel qu’il était composé, par les congrès successifs, et auxquels l’Angleterre était à peine représentée, semblerait prouver qu’il a fait son devoir dans les limites de ses moyens. Les Seize, au contraire, n’y voient que la preuve de la « confiance aveugle des Congrès », confiance poussée, à Bâle, « jusqu’à une sorte d’abdication volontaire entre les mains du Conseil général.»

D’après eux, le « rôle normal » du Conseil doit être «  celui d’un simple bureau de correspondance et de statistique ». Ils appuient cette définition de plusieurs articles tirés d’une fausse traduction des Statuts.

A l’encontre des statuts de toutes les sociétés bourgeoises, les statuts généraux de l’Internationale effleurent à peine son organisation administrative. Ils en laissent le développement à la pratique et la régularisation aux futurs Congrès. Néanmoins, comme l’unité et l’ensemble d’action des sections des divers pays pouvaient seuls leur conférer le caractère distinctif d’internationalité, les statuts s’occupent plus du Conseil général que des autres parties de l’organisation.

L’article V des statuts originaux dit: « Le Conseil général fonctionnera comme agent international entre les différents groupes nationaux et locaux » et donne ensuite quelques exemples de la manière dont il devra agir. Parmi ces exemples mêmes, il se trouve l’instruction pour le Conseil de faire en sorte « que l’action immédiate étant réclamée, comme dans le cas des querelles internationales, tous les groupes de l’Association puissent agir simultanément et d’une manière uniforme ». L’article continue: « Suivant qu’il le jugera opportun, le Conseil général prendra l’initiative des propositions à soumettre aux sociétés locales et nationales ». En outre, les statuts définissent le rôle du Conseil dans la convocation et la préparation des Congrès, et le chargent de certains travaux qu’il devra leur soumettre. Les statuts originaux mettent si peu en opposition l’action spontanée des groupes avec l’unité d’action de l’Association, que l’article 6 dit: « Puisque le mouvement ouvrier dans chaque pays ne peut être assuré que par la force résultant de l’union et de l’association; que d’autre part, l’action du Conseil général sera plus efficace… les membres de l’Internationale devront faire tout leur possible pour réunir les sociétés ouvrières encore isolées de leurs pays respectifs, en associations nationales, représentées par des organes centraux. »

La première résolution administrative du Congrès de Genève (art. 1er) porte: [«] Le Conseil général est tenu d’exécuter les résolutions des Congrès ». Cette résolution légalisa la position occupée par le Conseil Général dès son origine: celle de délégation exécutive de l’Association. Il serait difficile d’exécuter des ordres sans « autorité » morale à défaut de toute autre « autorité librement consentie. » Le Congrès de Genève, en même temps, charge le Conseil général de publier « le texte officiel et obligatoire des statuts ».

Le même Congrès résolut (Rés. admin. de Genève, art. 14): « Chaque section a le droit de rédiger ses statuts et règlements particuliers, adaptés aux circonstances locales et aux lois de son pays; mais ils ne doivent être contraire en rien aux statuts et règlements généraux ».

Remarquons d’abord qu’il n’y a pas la moindre allusion à des déclarations particulières de principes, ni à des missions spéciales, dont telle ou telle section se changerait [chargerait ?] en dehors du but commun poursuivi par tous les groupes de l’Internationale. Il s’agit tout simplement du droit des sections d’adapter les statuts et règlements généraux « aux circonstances locales et aux lois de leur pays ».

En deuxième lieu, par qui la conformité des statuts particuliers aux statuts généraux devrait-elle être constatée ? Évidemment, s’il n’y avait pas d’ « autorité » chargée de cette fonction, la résolution était nulle et non avenue. Non seulement il pouvait se former des sections policières ou hostiles, mais aussi l’intrusion de sectaires déclassés et de philanthropes bourgeois dans l’Association pouvait en dénaturer le caractère et, par leur nombre, aux Congrès, écraser les ouvriers.

Dès leur origine, les fédérations nationales ou locales s’attribuèrent dans leurs pays respectifs ce droit d’admettre ou de refuser des nouvelles sections, selon que les statuts de celles-ci étaient ou n’étaient pas conformes aux statuts généraux. L’exercice de la même fonction par le Conseil Général est prévu par l’article VI des statuts généraux laissant aux sociétés locales indépendantes, c’est-à-dire à des sociétés se constituant en dehors des liens fédéraux de leur pays, le droit de se mettre en relation directe avec lui. L’Alliance ne dédaigna pas d’exercer ce droit, afin d’être dans les conditions requises pour envoyer des délégués au Congrès de Bâle.

L’article VI des statuts prévoit aussi des obstacles légaux s’opposant à la formations de fédérations nationales dans certains pays où, par conséquent, le Conseil général est appelé à fonctionner comme Conseil fédéral. (voir procès-verbaux du congrès, etc., de Lausanne, 1867, p. 13.)

Depuis la chute de la Commune, ces obstacles légaux n’ont fait que s’accroître dans différents pays et y rendre plus indispensable encore l’action du Conseil général, pour tenir les éléments véreux en dehors de l’Association. C’est ainsi que dernièrement des comités en France ont demandé l’intervention du Conseil général pour se débarrasser des mouchards, et que, dans un autre grand pays, les Internationaux l’ont requis de ne reconnaître aucune section n’étant fondée par ses mandataires. Ils motivaient leur demande par la nécessité d’éloigner ainsi des agents provocateurs dont le zèle bruyant se manifestait par la formation rapide de sections d’un radicalisme sans pareil. D’un autre côté, des sections soi-disant anti-autoritaires, n’hésitent pas à en appeler au Conseil, dès qu’un différend surgit dans leur sein, ni même de lui demander de frapper à tour de bras sur leurs adversaires, comme cela eut lieu pour le différend lyonnais. Plus récemment, depuis la Conférence, la « Fédération ouvrière de Turin » résolut de se déclarer: section de l’Internationale. Par suite d’une scission, la minorité fonda la société: « Émancipation de prolétaire. » Elle adhéra à l’Internationale et débuta par une résolution en faveur des Jurassiens. Son journal fourmille de phrases indignées contre tout autoritarisme. En envoyant les cotisations de la société, son secrétaire prévint le Conseil général que l’ancienne fédération enverrait probablement aussi ses cotisations. Puis il continue: « Comme vous avez lu dans le Proletario, la société Émancipation du Prolétaire… a déclaré.. refuser toute solidarité avec la bourgeoisie sous le masque ouvrier composant la fédération ouvrière » et il prie le Conseil général de communiquer cette résolution à toutes les sections et de refuser les 10 centimes de cotisations au cas où ils lui seraient envoyés. (6)

A l’égal de tous les groupes internationaux, le Conseil général a le devoir de faire de la propagande. Il l’a rempli par ses manifestes et par ses mandataires qui ont jeté les premières assises de l’Internationale dans l’Amérique du Nord, dans l’Allemagne et dans beaucoup de villes de France.

Une autre fonction du Conseil général consiste à venir en aide aux grèves, en leur assurant le secours de toute l’Internationale (Voir les rapports du Conseil général aux différents Congrès). Entre autres, le fait suivant prouve de quel poids a été son intervention dans les grèves. La Société de résistance des fondeurs en fer anglais est par elle-même une Trade’s-union internationale, possédant des branches dans d’autres pays, notamment dans les États-Unis. Néanmoins, dans une grève des fondeurs américains, ces derniers trouvèrent nécessaire d’invoquer l’interception du Conseil général pour empêcher l’importation de fondeurs anglais dans leur pays.

Le développement de l’Internationale imposa au Conseil général, ainsi qu’aux Conseils fédéraux, la fonction d’arbitre.

Le Congrès de Bruxelles résolut: « Les Conseils fédéraux sont tenus d’envoyer chaque trimestre au Conseil général un rapport sur l’administration et l’état financier de leur ressort ». (Résol. administ. n°3).

Enfin, le Congrès de Bâle, qui provoqua la fureur bilieuse des Seize, ne fit que régulariser les rapports administratifs nés du développement de l’Association. S’il étendit outre mesure les limites des attributions du Conseil général, à qui la faute, sinon à Bakounine, Schwitzguebel, F. Robert, Guillaume et autres délégués de l’Alliance, qui le demandèrent à grands cris ? S’accuseraient-ils, par hasard, de « confiance aveugle » dans le Conseil général de Londres ?

Voici deux résolutions du Congrès de Bâle:

N° IV. Chaque nouvelle Section ou Société qui se forme et veut faire partie de l’Internationale, doit annoncer immédiatement son adhésion au Conseil général », et N° V : « Le Conseil général a le droit d’admettre ou de refuser l’affiliation de toute nouvelle société ou groupe, sauf l’appel au prochain congrès. [»]

Quant aux sociétés locales indépendantes, se formant en dehors des liens fédératifs, ces articles ne font que confirmer la pratique observée dès l’origine de l’Internationale, et dont le maintien est une question de vie ou de mort pour l’Association. Mais on allait trop loin en généralisant la pratique et en l’appliquant indistinctement à toute section ou société en voie de formation. Ces articles donnent en effet au Conseil général le droit de s’immiscer dans la vie intérieure des fédérations; mais aussi n’ont-ils jamais été appliqués dans ce sens par le Conseil général. Il met au défi les Seize de citer un seul cas où il se serait immiscé dans les affaires des sections nouvelles, voulant s’affilmier à des groupes ou à des fédérations existantes.

Les résolutions que nous venons de citer se rapportent aux sections en voie de formation et les résolutions suivantes aux sections déjà reconnues:

VI. – Le Conseil général a également le droit de suspendre, jusqu’au prochain Congrès, une section de l’Internationale. VII. – Lorsque des démêlés s’élèveront entre des sociétés ou branches d’un groupe national, ou entre des groupes de différentes nationalités, le Conseil général aura le droit de décider sur le différend, sauf l’appel au Congrès prochain qui décidera définitivement.

Ces deux articles sont nécessaires pour des cas extrêmes, quoique jusqu’à présent, le Conseil général n’y ait jamais eu recours. L’historique donné plus haut prouve qu’il n’a suspendu aucune section, et qu’en cas de différends, il n’a agi que comme arbitre invoqué par les deux parties.

Nous arrivons enfin à une fonction imposée au Conseil général pour les besoins de la lutte. Quelque blessant que ce soit pour les partisans de l’Alliance, le Conseil général, par la persistance même des attaques dont il est l’objet de la part de tous les ennemis du mouvement prolétaire, se trouve placé à l’avant-garde des défenseurs de l’Association Internationale des Travailleurs.

A suivre…

Notes:

(1) Les amis de B. Malon qui, dans une réclame stéréotypée, l’appellent depuis trois mois fondateur de l’Internationale, qui annoncent son livre comme le seul ouvrage indépendant sur la Commune, savent-ils l’attitude prise par l’adjoint des Batignolles, à la veille des élections de Février ? A cette époque, B. Malon, qui ne prévoyait pas encore la Commune et n’avait en vue que le succès de son élection à l’Assemblée, intrigua pour se faire admettre sur la liste des quatre comités comme International. Dans ce but, il nia effrontément l’existence du Conseil fédéral parisien et soumit aux comités la liste d’une section fondée par lui aux Batignolles, comme émanant de l’Association tout entière. – Plus tard, le 19 mars, il insultait dans un document public les promoteurs de la grande Révolution accomplie la veille. – Aujourd’hui, cet anarchiste à tout crin imprime ou laisse imprimer ce qu’il disait déjà il y a un an aux quatre comités: l’Internationale, c’est moi ! B. Malon a trouvé le moyen de parodier à la fois Louis XIV et le chocolatier Perron. Encore celui-ci ne déclare-t-il pas que son chocolat est le seul… mangeable.

(2) Voici quelle était la composition, par nationalités, de ce conseil: 20 Anglais, 15 Français, 7 Allemands (dont 5 fondateurs de l’Internationale), 3 Suisses, deux Hongrois, un Polonais, un Belge, un Irlandais, un Danois et un Italien.

(3) Peu de temps après, ce Chautard qu’on avait voulu imposer au Conseil général, était expulsé de sa section comme agent de la police de Thiers. Il était accusé par ceux-là mêmes qui l’avaient jugé digne entre tous de les représenter au Conseil général.

(4) Voici la résolution de la Conférence sur l’action politique de la classe ouvrière:

Vu les considérants des Statuts originaux, où il est dit: « L’émancipation économique des travailleurs est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen »;

Vu l’adresse inaugurale de l’Association Internationale des Travailleurs (1864) qui dit: « Les seigneurs de la terre et les seigneurs du capital se serviront toujours de leurs privilèges politiques pour défendre et perpétuer leurs monopoles économiques. Bien loin de pousser à l’émancipation du travail, ils continueront à y opposer les plus d’obstacles possibles… La conquête du pouvoir politique est donc devenue le premier devoir de la classe ouvrière »;

Vu la Résolution du Congrès de Lausanne (1867) à cet effet: « L’émancipation sociale des Travailleurs est inséparable de leur émancipation politique »;

Vu la déclaration du Conseil général sur le prétendu complot des Internationaux français à la veille du plébiscite (1870), où il est dit: « D’après la teneur de nos statuts, certainement toutes nos sections en Angleterre, sur le continent et en Amérique, ont la mission spéciale, non seulement de servir de centres à l’organisation militante de la classe ouvrière, mais aussi de soutenir dans leurs pays respectifs tout mouvement politique tendant à l’accomplissement de notre but final: – l’émancipation économique de la classe ouvrière »;

Attendu que des traductions infidèles de nos Statuts originaux ont donné lieu à des interprétations fausses, qui ont été nuisibles au développement et à l’action de l’Association Internationale des Travailleurs;

En présence d’une réaction sans frein qui étouffe violemment tout effort d’émancipation de la part des travailleurs, et prétend maintenir par la force brutale la distinction des classes, et la domination politique des classes possédantes qui en résulte;

Considérant en outre:

Que contre ce pouvoir collectif des classes possédantes le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes;

Que cette constitution du prolétariat en parti politique est indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale et de son but suprême: l’abolition des classes;

Que la coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs;

La Conférence rappelle aux membres de l’Internationale:

Que dans l’état militant de la classe ouvrière, son mouvement économique et son action politique sont indissolublement unis.

(5) Les travaux policiers publiés dans ces derniers temps sur l’Internationale, sans en excepter ni la circulaire de Jules Favre aux puissances étrangères, ni le rapport du rural Sacaze sur le projet Dufaure, fourmillent de citations empruntées aux pompeux manifestes de l’Alliance. La phraséologie de ces sectaires, dont tout le radicalisme est dans les mots, sert à merveille les désirs de la réaction.

(6) Telles étaient à cette époque les opinions apparentes de la société: Emancipation du prolétaire, représentée par son secrétaire correspondant, ami de Bakounine. En réalité, les tendances de cette section étaient toutes autres. Après avoir expulsé, pour détournement de fonds et aussi pour ses relations amicales avec le chef de la police de Turin, ce représentant doublement infidèle, cette société a donné des éclaircissements qui ont fait disparaître tout malentendu entre elle et le Conseil général.

La Jeune Garde (1936)

12 décembre 2011 by

Les anciens numéros de La Jeune Garde, organe des Jeunesses socialistes SFIO de la Seine, ont été numérisés par le site RADAR, qui met en ligne ses pdf page par page.

  • N°1 (juillet 1936)
  • N°2 (août 1936)
  • N°3 (29 août 1936)
  • N°4 (12 septembre 1936)
  • N°5 (26 septembre 1936)
  • N°6 (10 octobre 1936)

Les Comités de défense de la CNT (A. Guillamon)

5 décembre 2011 by

Texte de la présentation du livre “Les comités de défense de la CNT à Barcelone (1933-1938)“, réalisée le 3 décembre 2011, Salle du Sénéchal à Toulouse.

LES COMITÉS DE DÉFENSE DE LA CNT.
PROTAGONISTES DES BARRICADES DE BARCELONE
EN JUILLET 36 ET EN MAI 37

Introduction

La thèse fondamentale du livre Barricades à Barcelone affirme que l’idéologie d’unité antifasciste a conduit la CNT à accepter le programme politique de la bourgeoisie républicaine et par conséquent à collaborer avec l’État capitaliste, en ayant pour seul objectif celui de gagner la guerre contre le fascisme, en renonçant au préalable à tout programme révolutionnaire.

La situation révolutionnaire en juillet 36 se caractérisait par un pouvoir atomisé en multiples comités révolutionnaires, qui fut asphyxié par le Comité Central des Milices (CCMA), qui ne fut qu’un organisme de collaboration de classes, et qui a vu le jour parce que la CNT a renoncé à prendre le pouvoir.

L’idéologie antifasciste et la participation de la CNT au pouvoir à divers niveaux, responsabilités municipales, ministères de la Généralitat (gouvernement autonome de Catalogne) et même ministères du gouvernement central, ont créé une bureaucratie de comités supérieurs, ayant des intérêts distincts et opposés à ceux des comités révolutionnaires qui s’étaient créés dans les quartiers de Barcelone. Alors que pour les comités supérieurs tout dépendait de la victoire militaire sur le fascisme, les comités de quartier continuaient à faire ondoyer le drapeau du programme de la révolution ouvrière.

Le processus d’institutionnalisation de ces comités supérieurs de la CNT-FAI en a fait des serviteurs de l’État qui considéraient les comités révolutionnaires de quartier comme leurs pires ennemis. La thèse naïve et simpliste qui divise les leaders anarcho-syndicalistes en traitres et en héros, comme si la masse militante était amorphe et sans volonté, n’explique rien. L’affrontement entre les comités supérieurs et les comités révolutionnaires a été un chapitre de plus de la lutte de classes, qui a été sur le point de se terminer par une scission, que la répression sélective stalinienne a finalement résolue par l’anéantissement des révolutionnaires et l’intégration des comités supérieurs dans l’appareil de l’État.

Dans le livre Les Comités de Défense de la CNT, j’essaie d’expliquer ce qu’étaient ces comités de défense, comment ils ont vaincu l’armée dans les rues de Barcelone les 19 et 20 juillet, comment ils se sont transformés en comités révolutionnaires, comment ils se sont affrontés aux comités supérieurs libertaires, comment ils se sont affrontés au stalinisme en mai 1937. J’essaie également d’expliquer leur évolution postérieure jusqu’à leur dissolution définitive.

Qu’était un Comité de défense (CD) ?

Les comités de défense étaient l’organisation militaire clandestine de la CNT, financés par les syndicats de la CNT et leur action était assujettie à ces derniers.

En octobre 1934, le Comité National des Comités de Défense a abandonné la vieille tactique des groupes d’actions pour une préparation révolutionnaire sérieuse et méthodique. Il a élaboré un rapport où il affirmait :

Il n’y a pas de révolution sans préparation. Il faut en finir avec le préjugé des improvisations. Cette erreur, qui est de croire en l’instinct créateur des masses, nous a coûté très cher. On n’obtient pas, comme par génération spontanée, les moyens de guerre nécessaires pour combattre un État qui a de l’expérience, qui est fortement armé et qui a une plus grande capacité offensive et défensive”.

Le groupe de défense de base devait être constitué de peu de personnes, pour faciliter la clandestinité. Il devait être formé de six militants ayant des fonctions spécifiques :

. Un secrétaire, chargé du contact avec d’autres groupes de défense, de la création de nouveaux groupes et de l’élaboration des rapports.
. Un deuxième militant chargé d’enquêter sur les personnes, d’évaluer le danger des ennemis, tout particulièrement des curés, des militaires et des pistoleros du patronat.
. Un troisième militant se chargeait de repérer les bâtiments, de tracer des plans et d’élaborer des statistiques.
. Un quatrième militant étudiait les points stratégiques et tactiques de la lutte dans les rues.
. Un cinquième se consacrait à l’étude des services publics : électricité, eau, gaz, égouts.
. Et un sixième militant était chargé de trouver des armes, de l’argent et du ravitaillement.

Six était un nombre idéal, mais certains membres pouvaient s’y rajouter pour accomplir des tâches “relativement importantes”. La clandestinité devait être absolue. C’étaient les noyaux de base d’une armée révolutionnaire, capable de mobiliser des groupes secondaires plus nombreux, et ces derniers de mobiliser le peuple dans son ensemble.

Le cadre où chaque groupe de défense devait agir était bien délimité dans chaque quartier et signalée sur un plan de la ville. Le Comité de défense du quartier coordonnait tous ces cadres de défense et recevait un rapport mensuel de chaque secrétaire de groupe.

L’organisation des comités de défense à l’échelle régionale et nationale comprenait entre autres les secteurs de travailleurs des chemins de fer, les conducteurs d’autocar, les travailleurs de la compagnie téléphonique et du télégraphe, les facteurs et enfin, tous ceux qui, par les caractéristiques de leur profession ou organisation, sont présents au niveau national, en soulignant l’importance des communications dans une insurrection révolutionnaire. Une attention toute spéciale était donnée au travail d’infiltration et de propagande pour gagner des sympathisants dans les casernes.

Les comités de défense avaient deux fonctions essentielles : les armes et l’intendance, dans le sens le plus large.

Les Comités de Défense pouvaient être considérés comme la continuité, la réorganisation et l’extension des groupes d’action et d’auto-défense armée des années du pistolérisme (1917-1923).

3. Comment est-on passé des groupes d’action aux comités de défense ?

Les groupes anarchistes Indomables (indomptables), Nervio (Nerf), Nosotros (Nous), Tierra libre (Terre libre) et Germen (Germe), ont fondé à Barcelone le Comité Local de Préparation Révolutionnaire en janvier 1935 à la réunion plénière de la Fédération des Groupes Anarchistes de Barcelone.

Dans un contexte historique vraiment effrayant, la montée du fascisme en Italie, du nazisme en Allemagne, du stalinisme dans la soi-disant Union Soviétique, de la dépression économique avec un chômage massif et permanent aux États-Unis et en Europe, le rapport élaboré à cette réunion plénière présentait l’espoir du prolétariat révolutionnaire.

Ce rapport disait : « Face à la faillite universelle des idées, des partis, des systèmes, il ne reste que le prolétariat révolutionnaire avec son programme de réorganisation des bases du travail, de la réalité économique et sociale et de la solidarité ».

Ce rapport critiquait la vieille tactique de la gymnastique révolutionnaire (le fait de s’entraîner à la pratique insurrectionnelle) et les insurrections improvisées de janvier et de décembre 1933 de cette façon :

« La révolution sociale ne peut être interprétée comme un coup audacieux, dans le style des coups d’État du jacobinisme, elle sera la conséquence et le résultat du dénouement d’une guerre civile inévitable et dont on ne peut prévoir la durée ».

18 mois avant le 19 juillet, la préparation révolutionnaire en vue d’une longue guerre civile devait faire face à de nouveaux défis, impensables pour la vieille tactique des groupes de choc. Le rapport disait :

« Comme il est impossible de disposer à l’avance des stocks d’armes nécessaires à une lutte soutenue, il faut que le Comité de Préparation étudie la façon de transformer, dans certaines zones stratégiques, les industries […] en industries pouvant fournir du matériel de combat pour la révolution ».

Là est l’origine de la Commission des industries de guerre, constituée le 7 août 1936 et qui a constitué, du néant le plus absolu, une puissante industrie de guerre grâce aux efforts des travailleurs coordonnés par les militants de la CNT Eugenio Vallejo, travailleur de la métallurgie, Manuel Martí, du syndicat du secteur chimique et Mariano Martín, même si plus tard ce sont des politiciens bourgeois comme Josep Tarradellas qui s’en sont appropriés le succès.

Des groupes d’action et de choc d’avant 1934, pratiquant la gymnastique révolutionnaire, on était passé à la formation de comités d’information et de combat, considérés comme les cellules de base d’une armée révolutionnaire capable de vaincre l’armée et de mener une guerre civile.

4. Les anarchistes pouvaient-ils prendre le pouvoir ?

Au cours des six premiers mois de 1936, le groupe Nosotros s’est affronté aux autres groupes de la FAI en Catalogne dans des débats très durs sur deux conceptions fondamentales, à un moment où l’on savait pertinemment que les militaires se préparaient à un coup d’État sanglant. Ces deux concepts étaient « la prise du pouvoir » et « l’armée révolutionnaire ». Le pragmatisme du groupe Nosotros, plus préoccupé par les techniques insurrectionnelles que par les tabous, se heurtait de plein front aux préjugés idéologiques des autres groupes de la FAI, c’est-à-dire qu’il se heurtait au refus de ce que ces groupes qualifiaient de « dictature anarchiste » et il se heurtait à leur profond antimilitarisme, eux qui subordonnaient tout à la spontanéité créative des travailleurs.

Ce net rejet des « pratiques anarcho-bolcheviques » du groupe Nosotros s’est largement reflété dans la revue Más Lejos (Plus Loin) qui publia les réponses à une enquête qu’elle avait réalisée dans son premier numéro, en avril 1936, et où les lecteurs devaient répondre à deux questions sur l’acceptation ou le refus de l’abstentionnisme électoral et à une troisième question sur la prise du pouvoir ainsi formulée : « Les anarchistes peuvent-ils, suivant les circonstances, et en faisant fi du moindre scrupule, se disposer à la prise du pouvoir, de n’importe quelle façon, afin d’accélérer le rythme de sa marche vers la réalisation de l’Anarchie ? »

Pratiquement tout le monde a répondu négativement. Mais aucune réponse ne proposait d’alternative pratique à ce refus généralisé de la prise du pouvoir. Théorie et pratique anarchistes semblaient en plein divorce, à la veille du coup d’État militaire.

À la réunion plénière des Groupes Anarchistes de Barcelone de juin 1936, García Oliver défendit que l’organisation des groupes de défense, coordonnés en comités de défense de quartier, à Barcelone, était le modèle à suivre, en l’étendant à l’ensemble du territoire espagnol, et en coordonnant cette structure au niveau régional et national, pour constituer une armée révolutionnaire du prolétariat. Cette armée devait être complétée par la création d’unités de guérillas de cent hommes. De nombreux militants se sont opposés aux conceptions de García Oliver, bien plus enclins à la spontanéité des travailleurs qu’à l’organisation révolutionnaire disciplinée. Les convictions antimilitaristes de nombreux groupes d’affinité entraînèrent un refus quasi unanime des thèses du groupe Nosotros, et particulièrement de celles de García Oliver.

5. Comment ces Comités de Défense se sont-ils transformés en Milices Populaires et en Comités révolutionnaires de quartier ?

Le 19 juillet 1936, la garnison militaire de Barcelone comprenait environ six mille hommes, face aux presque deux mille de la Guardia de Asalto (Garde d’assaut) et aux deux cents « mossos d’escuadra » (police catalane). La Guardia Civil, dont personne ne savait avec certitude en faveur de qui elle se décanterait, comptait sur environ trois mille hommes. La CNT-FAI était formée d’environ vingt mille militants, organisés en comités de défense de quartier, prêts à prendre les armes. Elle s’engageait, devant la commission de liaison de la CNT avec la Generalitat et les militaires loyaux à la République, à arrêter les factieux avec seulement mille militants armés.

Ces groupes de défense subirent une double transformation en donnant d’une part les milices populaires qui ont constitué au cours des premières journées le front d’Aragon qui instaura la collectivisation des terres dans les villages d’Aragon libérés ; et, d’autre part, les comités révolutionnaires qui, dans chaque quartier de Barcelone, et dans chaque village de la Catalogne, ont imposé un « nouvel ordre révolutionnaire ». Comme les milices populaires et les comités révolutionnaires provenaient tous deux des groupes de défense, ils furent toujours très unis et en interaction. Ces comités locaux, dans certains villages, étaient le fruit du rapport de forces existant dans chaque localité, et parfois ils pouvaient être purement front populiste, sans aucune aspiration révolutionnaire.

Les comités révolutionnaires assumaient une importante tâche administrative, très variée, de l’émission de bons, de tickets pour la nourriture, de sauf-conduits, de laissez-passer, l’approvisionnement et l’entretien des hôpitaux à l’expropriation de la nourriture, des meubles et des bâtiments, le financement des écoles rationalistes et des ateneos (centres culturels) gérés par les Jeunesses Libertaires, la paie des miliciens ou de leur famille, etc.

6. Les Comités de Défense se sont transformés, à Barcelone, en comités révolutionnaires de quartier

Le vrai pouvoir exécutif était dans la rue, c’était le pouvoir du prolétariat en armes, exercé par les comités locaux, de défense et de contrôle ouvrier, qui expropriaient spontanément les usines, les ateliers, les immeubles et les propriétés ; qui organisaient, armaient et menaient au front les groupes de miliciens volontaires qu’ils venaient de recruter ; qui brûlaient les églises ou les transformaient en écoles ou en magasins ; qui formaient des patrouilles pour étendre la guerre sociale ; qui protégeaient les barricades, véritables frontières de classe contrôlant les allées et venues et représentant le pouvoir des comités ; qui faisaient fonctionner les usines, sans maîtres ni dirigeants, ou qui les transformaient en usines de guerre ; qui réquisitionnaient les voitures et les camions ou la nourriture pour les comités d’approvisionnement ; qui « promenaient » (liquidaient) les bourgeois, les fascistes et les curés ; qui percevaient les impôts révolutionnaires ou qui finançaient des travaux publics pour réduire le chômage ; qui substituaient les mairies républicaines totalement obsolètes en imposant partout leur autorité absolue dans tous les domaines, en ignorant les ordres de la Generalitat et du Comité Central des Milices Antifascistes (CCMA). La situation révolutionnaire se caractérisait par une atomisation du pouvoir.

À Barcelone, les comités de défense, transformés en comités révolutionnaires de quartier, n’ont suivi les consignes d’aucune organisation, quelle qu’elle soit et ont pris les initiatives que chaque situation exigeait. Ils ont organisé les hôpitaux, débordés par l’avalanche de blessés, ils ont créé des cantines populaires, ils ont réquisitionné des voitures, des camions, des armes, ils ont exproprié des usines, des immeubles, ils ont détenu des suspects et ont créé un réseau de Comités d’approvisionnement dans chaque quartier, qui se sont coordonnés en un Comité Central d’Approvisionnement de la ville, au sein duquel le Syndicat de l’Alimentation de la CNT a joué un grand rôle. La contagion révolutionnaire touchait tous les secteurs sociaux et toutes les organisations, qui se décantaient sincèrement en faveur de la nouvelle situation révolutionnaire. Cela a été la seule force réelle du Comité Central des Milices, qui apparaissait aux yeux du prolétariat armé comme l’organisme antifasciste qui devait diriger la guerre et imposer le nouvel ordre révolutionnaire.

Le 21 juillet, une séance plénière des syndicats locaux et régionaux avait renoncé à la prise du pouvoir, comprise comme une dictature des leaders anarchistes, et non point comme l’imposition, la coordination et l’extension du pouvoir que les comités révolutionnaires exerçaient déjà dans la rue. Fut décidée la création d’un Comité Central des Milices Antifascistes, ORGANISME DE COLLABORATION DE CLASSES, formé par l’ensemble des organisations antifascistes.

Le 24 juillet a lieu le départ des deux premières colonnes anarchistes dirigées l’une par Durruti et l’autre par Ortiz. Durruti prononça un discours à la radio où il prévenait qu’il fallait être vigilant face aux tentatives contre-révolutionnaires. Il fallait contrôler la situation révolutionnaire à Barcelone et aller « jusqu’au bout » après la prise de Saragosse.

À la Réunion plénière régionale du 26, il fut confirmé à l’unanimité que la CNT maintiendrait la même position que celle défendue le 21 juillet, celle de participer à l’organisme de collaboration de classes appelé CCMA. Lors de cette réunion du 26 fut créée une Commission d’Approvisionnement, dépendante du CCMA, à laquelle devaient se soumettre les différents comités d’approvisionnement qui avaient surgi un peu partout, et en même temps l’arrêt partiel de la grève générale fut aussi exigé. Le résumé des principaux accords qui se sont conclus à cette réunion plénière fut publié sous forme d’arrêté pour qu’il soit connu de tous et respecté.

Le Comité Central d’Approvisionnement était une institution fondamentale qui jouait un rôle indispensable par rapport aux ouvriers volontaires qui quittaient leur poste de travail pour aller combattre le fascisme en Aragon : assurer en leur absence la nourriture de leurs familles qui ne percevraient plus le salaire hebdomadaire avec lequel elles vivaient.

Ainsi, les comités révolutionnaires de quartier, à Barcelone, étaient formés de deux sections : la section de défense et la section d’approvisionnement, qui répondaient aux deux besoins essentiels du moment : les armes et la nourriture.

7. Qu’étaient les Patrouilles de Contrôle ?

Entre le 21 juillet et la mi-août 36, les patrouilles de contrôle se sont constituées comme police « révolutionnaire » qui dépendait du Comité Central des Milices Antifascistes (CCMA).

Seule la moitié environ de ceux qui faisaient partie des patrouilles de contrôle possédait la carte de la CNT ou faisait partie de la FAI ; l’autre moitié était affiliée aux autres organisations formant le CCMA : fondamentalement le POUM, Esquerra Republicana de Cataluña (ERC) et le PSUC. Sur les onze délégués de section, il n’y en avait que quatre de la CNT : ceux de Pueblo Nuevo, Sants, San Andrés (Armonía) et Clot : quatre étaient de ERC, trois du PSUC et aucun du POUM.

Les patrouilles de Contrôle dépendaient du Comité d’Enquête du CCMA, dirigé par Aurelio Fernández (FAI) et Salvador González (PSUC). Sa section centrale était dirigée par deux délégués de Patrouilles, José Asens (FAI) et Tomás Fábrega (Acció Catalana). Le salaire des membres des patrouilles, de dix pesetas par jour, était payé par la Generalitat. [...].

8. Quel a été le bilan du Comité Central des Milices Antifascistes ?

Le 26 septembre fut formé un gouvernement de la Generalitat auquel participaient des « consellers » -des ministres- anarchistes. Le 1er octobre, le CCMA fut dissous.

Les décrets du 9 et 12 octobre déclarèrent que tous les comités locaux qui avaient surgi le 19 juillet étaient dissous et qu’ils devaient être remplacés par de nouvelles mairies. La résistance des militants de la CNT, qui ne faisaient aucun cas des consignes des comités supérieurs ou des ordres du gouvernement de la Generalitat, menaça le pacte antifasciste. Les dirigeants anarchosyndicalistes subissaient la pression de leurs militants qui n’avaient aucune envie de leur obéir et celle des forces antifascistes qui leur exigeaient de respecter et de faire respecter les décrets du gouvernement et de faire entendre raison aux « incontrôlés ».

Voilà quel était le véritable bilan du CCMA après neuf semaines d’existence : la dissolution des comités révolutionnaires locaux qui exerçaient tout le pouvoir dans la rue et les usines en faveur du rétablissement complet du pouvoir de la Generalitat. Il faut ajouter au bilan désastreux du CCMA les décrets signés le 24 octobre sur la militarisation des Milices et le décret sur les Collectivisations, c’est-à-dire la suppression des Milices ouvrières formées de volontaires révolutionnaires et leur transformation en armée bourgeoise classique. Et d’autre part, la transformation des expropriations et du contrôle des usines par le prolétariat en une économie tendant à être entièrement contrôlée et dirigée par la Generalitat.

9. L’hibernation des comités de défense en décembre 1936 et leur réorganisation en mars 1937

Début décembre 1936, la Fédération Locale des Syndicats Uniques de la CNT de Barcelone a débattu du rôle que devaient jouer les comités de défense à Barcelone.

La Fédération Locale imposa une vision strictement syndicale, qui ne voyait pas d’un bon œil l’importance qu’avaient acquise, dans les quartiers, les comités de défense et les comités d’approvisionnement. Elle considérait que leurs fonctions, un fois conclue et l’insurrection révolutionnaire et l’étape immédiatement postérieure, étaient provisoires et qu’elles devaient désormais être assumées par les syndicats.

En décembre 1936, les comités de défense étaient une entrave pour la politique gouvernementaliste des comités supérieurs de la CNT ; ils devaient donc hiberner et se soumettre aux syndicats, comme simples appendices, quelque peu gênants et inutiles.

Ce qui était en jeu, c’était le degré d’autonomie des comités de défense de quartiers par rapport aux syndicats. Il y avait ceux qui pensaient que les Comités Locaux de Défense devaient avoir leur propre personnalité et être totalement indépendants, en les considérant comme LA MILICE DE LA CNT, alors que d’autres pensaient qu’ils devaient entièrement se soumettre aux décisions de la Fédération Locale des Syndicats qui non seulement devait discuter de la situation et décider de comment agir, mais devait en plus garder les armes, contrôler les hommes et financer les Comités de Défense.

Le problème fondamental, d’après le Comité Régional de Catalogne, était le refus généralisé de la consigne de désarmement, de telle sorte qu’il en est arrivé, selon ses propres mots, à constater que « les quartiers sont nos pires ennemis ». Les comités de défense entrèrent alors dans une période d’hibernation.

L’entrée de la CNT dans le gouvernement de la Generalitat avait entraîné, début octobre, la création d’une Assemblée de Sécurité Intérieure, qui se caractérisait par une dualité conflictuelle de pouvoir sur les forces de l’ordre entre la CNT et le gouvernement de la Generatitat. Les Patrouilles de Contrôle perdirent leur autonomie et leur pouvoir de décision, alors que le Commissariat de l’Ordre Public, contrôlé par le PSUC et ERC, voyait son pouvoir de coercition augmenter, grâce au renforcement des corps des Gardes d’Assaut et de la Garde Nationale Républicaine (ancienne Garde Civile).

À la fin du mois de janvier 1937, les miliciens du PSUC-UGT abandonnèrent les Patrouilles de Contrôle et furent substitués par des membres de la CNT, d’ERC et du POUM. La perspective de la fin des Patrouilles de Contrôle, remplacées par un nouveau Corps Unique de Sécurité, ce qui fut décrété le 4 mars 1937, entraînait la fin de l’hégémonie de la CNT sur les tâches policières et répressives à l’arrière.

Les syndicats comprirent qu’il fallait absolument réorganiser les comités de défense, dans les quartiers, pour organiser l’affrontement qui semblait alors inévitable.

10. Pourquoi le contrôle de l’approvisionnement a-t-il été perdu ? Que fut la « guerre du pain » ?

Le 20 décembre 1936, le stalinien Comorera, Conseller (Ministre) de l’Approvisionnement, prononça un discours important, en catalan, à Barcelone.

Comorera défendit le besoin d’un gouvernement fort, ayant pleins pouvoirs, capable de faire appliquer les décrets pour qu’ils ne restent pas lettre morte, comme cela avait été le cas avec le premier gouvernement Tarradellas, auquel avait participé Nin comme représentant du POUM. Un gouvernement fort, capable de mener à bien une politique militaire efficace, regroupant toutes les forces existantes sur le front.

Comorera attribuait le manque de nourriture et l’augmentation de son prix aux Comités de défense, et non au fait que les grossistes et les commerçants s’en accaparaient et spéculaient. C’était le discours qui justifiait et expliquait le mot d’ordre sur les pancartes et les tracts des manifestations de femmes fin 36, début 37 : « plus de pain et moins de comités », manifestations organisées et manipulées par le PSUC. C’était l’affrontement entre deux politiques d’approvisionnement opposées, celle du PSUC et celle du Syndicat de l’Alimentation de la CNT. Ce dernier, par le bais des treize magasins d’approvisionnements des quartiers, gardés par les comités révolutionnaires de quartier (ou plus exactement par leur section de défense) fournissait gratuitement de la nourriture aux cantines populaires où pouvaient se rendre les chômeurs et les membres de leurs familles. Il s’occupait également de centres d’attention aux réfugiés dont le nombre tournait autour de 220 000 personnes en avril 1937 à Barcelone. C’était un réseau d’approvisionnement qui faisait concurrence aux détaillants qui n’obéissaient qu’à la loi de l’offre et de la demande afin d’éviter surtout l’augmentation du prix des produits qui auraient été alors inaccessibles pour les travailleurs et, cela va de soi, pour les chômeurs et les réfugiés. Le marché noir était la grande affaire des détaillants qui faisaient bombance grâce à la faim de la majorité de la population. La guerre du pain de Comorera contre les comités d’approvisionnement de quartiers ne visait qu’à enlever aux comités de défense toute parcelle de pouvoir, même si cette guerre impliquait le désapprovisionnement de Barcelone et la pénurie alimentaire.

Comorera conclut son discourt par un appel à la responsabilité de toutes les organisations afin d’obtenir une forte unité antifasciste. Pour bien comprendre le discours de Comorera, il faut tenir compte de la stratégie, défendue par Gerö (LE DÉLÉGUÉ DE MOSCOU DANS LE PSUC), de mener une politique SÉLECTIVE par rapport au mouvement anarchiste, qui consistait à intégrer les dirigeants anarchistes dans l’appareil d’État, tout en réprimant de façon terrible les secteurs révolutionnaires qualifiés de façon infamante d’incontrôlés, de gangsters, d’assassins, d’agents provocateurs et d’irresponsables ; secteurs que Comorera identifiait très clairement aux comités de défense.

Les magasins d’approvisionnement des comités de quartier contrôlaient ce que les détaillants allaient recevoir comme marchandises et leur prix de vente au public, après que les besoins « révolutionnaires » du quartier aient été satisfaits, celui, donc, des malades, des enfants, des chômeurs, des cantines populaires, etc.

Comorera défendait le marché libre et la disparition de ces comités révolutionnaires de quartier. Il savait de plus qu’une chose allait de pair avec l’autre et que sans supprimer les comités de défense, le marché libre n’était que chimère.

Un approvisionnement rationnel, prévoyant et suffisant de Barcelone et de la Catalogne aurait signifié l’acceptation des prétentions du Conseller –ministre- de l’économie de la CNT, Fábregas, qui, entre le mois d’octobre et de décembre a bataillé inutilement, dans les réunions ministérielles de la Generalitat, pour obtenir le monopole du commerce extérieur, face à l’opposition des autres forces politiques. Pendant ce temps-là, sur le marché des céréales de Paris, dix ou douze grossistes se faisaient concurrence et faisaient monter les prix. Mais ce monopole du commerce extérieur, qui n’était même pas une mesure de caractère révolutionnaire, mais seulement une mesure adaptée à une situation urgente due à la guerre, allait à l’encontre de la philosophie du marché libre, défendue par Comorera.

Il y avait un lien entre les queues pour acheter du pain à Barcelone et la concurrence irrationnelle des grossistes sur le marché des céréales à Paris. Lien qui aurait été brisé avec le monopole du commerce extérieur. Avec la politique du marché libre de Comorera, ce lien s’est renforcé. Mais qui plus est, le PSUC a encouragé la spéculation des commerçants, qui ont implanté une véritable dictature sur le prix de tous les aliments, en s’enrichissant sur le dos des travailleurs affamés.

11. Comment et pourquoi ces Comités de Défense se sont-ils radicalisés en avril 37 ?

Le dimanche 11 avril, au meeting de l’arène de La Monumental de Barcelone, il y avait des pancartes qui exigeaient la liberté des nombreux prisonniers antifascistes, la plupart de la CNT. Federica Montseny (dirigeante de la CNT) fut huée et sifflée. Les cris favorables à la liberté des prisonniers redoublèrent. Les comités supérieurs accusèrent de « sabotage » le Regroupement des Amis de Durruti. Federica, très offensée, menaça de ne plus faire de meeting à Barcelone.

Le lundi 12 avril 1937 eut lieu à la Casa CNT-FAI une réunion plénière locale des Groupes Anarchistes de Barcelone, à laquelle assistèrent les groupes de Défense de la confédération et des Jeunesses Libertaires.

Le groupe 12, du quartier de Gracia, présenta une proposition par écrit qui disait :

« La réunion, qui a pris en compte, après une large discussion, les résultats de neuf mois de politique ministérielle, qui a constaté l’impossibilité de gagner la lutte armée sur les fronts contre le fascisme sans faire dépendre tous les intérêts particuliers, économiques, politiques et sociaux, de l’objectif suprême de la guerre, qui considère que seule la socialisation totale de l’industrie, du commerce et de l’agriculture permet d’écraser le fascisme, qui considère que n’importe quelle forme de gouvernement est par essence réactionnaire, et donc opposée à la révolution sociale a décidé de :
1.Retirer tous les hommes qui occupent actuellement une place dans les instances antifascistes gouvernementales.
2.S’engager à constituer un comité révolutionnaire antifasciste pour coordonner la lutte armée contre le fascisme.
3.Socialiser immédiatement l’industrie, le commerce et l’agriculture.
4.Implanter une carte de producteur, (carte de rationnement prétendant favoriser les travailleurs au détriment des rentiers et des bourgeois). Mettre en route la mobilisation générale de tous les hommes capables de manier une arme et les instruments de travail sur le front et à l’arrière.
5.Et enfin, faire sentir à tout le monde le poids inflexible de la discipline révolutionnaire pour bien montrer que l’on ne plaisante pas avec les intérêts de la révolution sociale ».

La bureaucratie s’était vue débordée par cette réunion. À cette réunion plénière étaient intervenus les Comités de Défense de Barcelone, ou ce qui revient au même, la délégation des comités révolutionnaires de quartier, ainsi que les Jeunesses Libertaires, qui radicalisèrent, sans aucun doute, les accords qui avaient été pris.

Et cette FAI de Barcelone, avec les sections de défense des comités révolutionnaires de quartier et les Jeunesses Libertaires, malgré la scandaleuse et hystérique opposition de certains bureaucrates, avait décidé d’en finir avec le collaborationnisme, de retirer les ministres anarchistes du gouvernement de la Generalitat et de constituer un Comité révolutionnaire qui dirigerait la guerre contre le fascisme. C’était un pas décisif vers l’insurrection révolutionnaire qui éclata le 3 mai 1937.

La réunion plénière constatait, d’autre part, qu’il y avait un fossé idéologique, pas tant entre la CNT et la FAI, mais entre révolutionnaires et collaborationnistes pouvant aboutir à une scission organisationnelle au sein du mouvement libertaire et qui se manifestait par l’opposition croissante entre les comités de quartier, certains groupes anarchistes et les Jeunesses Libertaires, d’une part, et les comités supérieurs, dont les objectifs étaient totalement différents, d’autre part.

Cette radicalisation était le fuit d’une situation de plus en plus insoutenable dans la rue. Le 14 avril, une manifestation de femmes, qui cette fois n’était pas manipulée par le PSUC, partit de La Torrassa (un quartier d’Hospitalet, banlieue de Barcelone de tradition anarchiste) pour parcourir les différents marchés des quartiers barcelonais de Collblanc, Sants et Hostafrancs, pour protester contre le prix du pain et de la nourriture en général. Cette manifestation s’adressa au Comité Révolutionnaire de la Place España pour qu’il intervienne dans l’affaire. Les manifestations et les protestations s’étendirent à presque tous les marchés de la ville. Plusieurs boutiques et plusieurs boulangeries furent pillées. Les quartiers ouvriers de Barcelone, affamés, étaient sortis dans la rue pour manifester leur indignation et pour exiger des solutions.

12. Quel rôle ont joué les Comités de Défense en mai 1937 ?

Le lundi 3 mai 1937, vers 14h45, trois camions de gardes d’assauts, armés jusqu’aux dents, s’arrêtèrent devant le siège de la centrale téléphonique, place Catalogne. Ils étaient dirigés par Eusebio Rodríguez Salas, militant du syndicat UGT, stalinien convaincu, responsable officiel du commissariat de l’ordre public. Le bâtiment de la centrale téléphonique avait été exproprié par la CNT le 19 juillet 1936.

Le contrôle des appels téléphoniques, la surveillance des frontières et les patrouilles de contrôle étaient le cheval de bataille qui, depuis janvier, avait provoqué divers incidents entre le gouvernement républicain de la Generalitat et la CNT.

Rodríguez Salas voulut prendre le bâtiment de la centrale téléphonique. Les militants de la CNT des premiers étages, pris par surprise, furent désarmés ; mais les militants de la CNT des étages supérieurs organisèrent leur résistance grâce à une mitraillette placée à un point stratégique. La nouvelle se répandit très rapidement. EN MOINS DE DEUX HEURES, des barricades furent dressées dans toute la ville.

On ne peut pas parler de réaction spontanée de la classe ouvrière de Barcelone, parce que la grève générale, les affrontements armés avec les forces de police et les barricades furent le fruit de l’initiative prise par les comités de défense, qui furent rapidement suivis vu le mécontentement généralisé, les problèmes financiers croissants de la population causés par la vie chère, les queues et le rationnement, et vu les tension chez les militants de base de la CNT entre les collaborationnistes et les révolutionnaires. La lutte dans les rues fut impulsée et menée par les comités de défense des quartiers, sans aucune intervention des COMITÉS SUPÉRIEURS.

Les comités de quartier déchaînèrent et dirigèrent l’insurrection du 3 au 7 mai 1937 à Barcelone. Et il ne faut pas confondre les comités de défense des quartiers avec une « spontanéité des masses » ambigüe et imprécise, dont parle l’historiographie officielle.

Andrés Nin, secrétaire politique du POUM, dans un article écrit le 19 mai 1937, en parle ainsi :

« Les journées de mai à Barcelone ont fait revivre certains organismes qui, au cours de ces derniers mois, avaient joué un certain rôle dans la capitale catalane et dans certaines villes importantes : les Comités de Défense. Il s’agit d’organismes de type technico-militaire, formés par les syndicats de la CNT. Ce sont eux, en réalité, qui ont dirigé la lutte, et qui étaient, dans chaque quartier, le centre d’attraction et d’organisation des ouvriers révolutionnaires ».

Les Amis de Durruti n’ont pas initié l’insurrection, mais ils furent les combattants les plus actifs sur les barricades, ils distribuèrent un tract qui exigeait la substitution du Gouvernement de la Generalitat par une Junte Révolutionnaire.

Les travailleurs de la CNT, désorientés par les ordres de « cessez-le-feu » de leurs dirigeants (les mêmes dirigeants que le 19 juillet ! ! !), abandonnèrent finalement la lutte bien qu’au début ils n’avaient fait aucun cas des appels à l’entente et à l’abandon de la lutte, sous prétexte d’unité antifasciste.

13. Comment furent dissous les Comités de Défense ?

Les comités révolutionnaires de quartier, à Barcelone, sont apparus le 19-20 juillet et ont perduré au moins jusqu’au 7 juin 1937, lorsque les forces de l’ordre restaurées de la Generalitat ont dissous et occupé les divers centres des Patrouilles de Contrôle, et en passant, plusieurs sièges des comités de défense, comme celui du quartier des Corts. Malgré le décret qui exigeait la disparition de tous les groupes armés, la plupart a résisté jusqu’en septembre 1937, lorsqu’ils furent systématiquement dissous et que les bâtiments qu’ils occupaient furent pris d’assaut, un par un. Le dernier siège, le plus important et le plus fort, fut le siège du comité de défense du Centre, aux Escolapios de San Antonio, qui fut pris d’assaut le 20 septembre 1937 par les forces de l’ordre public, avec tout un arsenal de mitrailleuses, de grenades, de tanks et de canons. Cependant, la résistance des Escolapios n’a pas pris fin à cause des coups de feu, mais parce que le Comité Régional leur donna l’ordre de déloger le bâtiment.

Dès lors, les Comités de Défense, camouflés sous le nom de Sections de coordination et d’information de la CNT, se consacrèrent exclusivement à des tâches clandestines d’enquêtes et d’information, comme avant le 19 juillet, mais à présent, en 1938, dans une situation nettement contre-révolutionnaire.

Ils eurent également une publication clandestine, Alerta… ! Entre octobre et décembre 1937, 7 numéros furent publiés. Ce qui revenait dans cette publication, c’était la solidarité avec les « prisonniers révolutionnaires » en exigeant leur libération ; l’information sur les abus staliniens à la Prison Modelo de Barcelone ; la critique du collaborationnisme et la politisation de la FAI ; la dénonciation de la désastreuse politique de guerre du gouvernement Negrin-Prieto et de la prédominance stalinienne au sein de l’armée et des appareils de l’État. Dans cette publication, il y a eu des saluts fraternels envers les Jeunesses Libertaires et le regroupement Les Amis de Durruti. L’une des caractéristiques indélébiles de cette publication était les appels constants à la Révolution et à ce que les comités supérieurs abandonnent tous leurs postes parce que, disait-elle, :

« La révolution ne peut se faire depuis l’État, mais contre l’État ». Le dernier numéro, datant du 4 décembre, dénonçait les Tchekas staliniennes et la persécution brutale des militants de la CNT en Cerdagne.

14. Conclusion

En 1938, les révolutionnaires étaient sous terre, en prison ou dans la clandestinité la plus absolue. Ce n’est pas la dictature de Franco qui a mis un terme à la révolution, mais la République de Negrin.

Les révolutions sociales, les tentatives de réorganisation de la production et de la société sur de nouvelles bases, sont extrêmement rares dans l’histoire. Au-delà des circonstances dans lesquelles elles ont surgi, elles nous apportent toujours une expérience irremplaçable, tant par leur succès que par leur échec. Le grand enseignement de la révolution de 1936 a été le besoin incontournable de détruire l’État et de réprimer la contre-révolution. En reprenant la terminologie des Amis de Durruti : « les révolutions sont totalitaires ou sont défaites ».

Agustín Guillamon

Traduit en Français par Eulogio Fernández

Contre deux pôles, nous devons être clairs dans notre lutte (Azar Majedi)

4 décembre 2011 by

Intervention d’Azar Majedi, présidente de l’Organisation pour la Libération des femmes – Iran et co-dirigeante du Parti de l’unité communiste-ouvrière (Iran), lors de la conférence à Ivry vendredi dernier. Texte saisi d’après les notes d’A.M. remises en mains propres, très légèrement corrigées. Le titre est de la BS.

Azar Majedi à Ivry, 2-12-2011 (photo A.M.)

La dernière fois que je me suis exprimée sur la question de la laïcité lors d’une conférence à Paris, j’ai différencié laïcité de droite et de gauche, et j’ai parlé de la nécessité d’organiser un mouvement de laïcité de gauche. Un mouvement qui non seulement défend une forme radicale de laïcité, s’opposant ainsi à l’ingérence de la religion au sein de l’Etat, de la législation et de l’éducation, mais qui s’oppose également à ce que nous pouvons appeler depuis le 11 septembre 2011 les deux pôles du terrorisme: le terrorisme d’État dirigé par les États-Unis et armé par l’OTAN et le terrorisme islamiste dont le principal leader est la République Islamique d’Iran, mais qui n’est pas limité à ce régime.

Ce discours a entraîné des réactions opposées, parmi le public de la conférence, et aussi par la suite lors de sa publication en français, en anglais et en persan. Aujourd’hui, près d’un an après la première vague de manifestations au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, cette question est devenue d’autant plus cruciale. Pourquoi est-il essentiel de distinguer ces deux courants [laïques], et de prendre parti pour l’un contre l’autre ? C’est une question importante.

L’année dernière nous avons pu voir comment ces deux courants ont réagi aux évènements qui se déroulaient au Moyen-Orient. La droite, sous prétexte de danger islamiste et de préoccupation pour soi-disant les droit des femmes, a timidement défendu le statu quo. J’ai participé à une conférence en ligne intitulée « Manifestations arabes et droits des femmes », certains participants exprimaient seulement de l’inquiétude à l’idée de la chute des régimes de Moubarak et Ben Ali. Plus tard, la droite a aussi défendu l’engagement de l’OTAN sur le terrain de l’arrivée au pouvoir du CNT en Libye. Pourtant, maintenant que la sharia islamique est sur le point de devenir loi nationale en Libye, ils prétendent que le CNT a trompé l’OTAN !

La religion et les organisations religieuses sont sources de politiques réactionnaires. C’est la vérité. Mais ce n’est qu’une partie de la vérité. La religion fait partie intégrante de l’idéologie réactionnaire et misogyne dominante. Cette idéologie dominante existe pour défendre un système basé sur la discrimination, l’inégalité, l’exploitation économique et le manque de liberté. C’est le capitalisme. S’il nous fallait développer cette questions dans le années 90, ce n’est plus le cas aujourd’hui, alors que le capitalisme a détruit nos vies, que des millions de personnes sont au chômage, incapables de loger et de nourrir leur famille; alors que le mouvement anticapitaliste est devenu mondial, que les capitalistes deviennent de plus en plus riches au détriment des travailleurs et des citoyens ordinaires. Est-il vraiment nécessaire de conceptualiser cette question et d’entreprendre de longs débats pour prouver cette thèse ? Je ne le crois pas. Nous savons que le capitalisme est la source de l’inégalité, de la discrimination et de la misère actuelle de nos sociétés.

En substance, les mouvements de masse au Moyen-Orient et en Afrique du Nord pour la liberté, l’égalité et la prospérité sont tous anticapitalistes, comme tous les autres mouvements qui luttent contre la situation actuelle, ce que l’on appelle aujourd’hui le mouvement des 99 %. C’est pourquoi le terrorisme d’État mené par les États-Unis n’a pu renvoyer les gens chez eux, qu’il a envoyé Ben Ali en exil et s’est débarrassé de Moubarak pour garder l’appareil d’État aussi intact que possible. C’est pourquoi en Libye, puisqu’il ne possédait pas le même pouvoir de manipulation, il s’est engagé militairement pour s’assurer qu’après la chute de Khadafi, l’État ne tombe pas entre les mains du peuple.

C’est pourquoi le terrorisme d’État mené par les États-Unis a pris une approche plus positive vis-à-vis d’un État palestinien et fait pression pour faire reculer Israël.

L’Occident fait des compromis avec les islamistes pour empêcher que la situation ne se transforme en révolution des travailleurs et pour éviter que le pouvoir tombe dans les mains du peuple et des courants de gauche et communistes. C’est exactement ce qui s’est passé en Iran en 1979 quand les gouvernements occidentaux, dans leur peur de voir la gauche prendre le pouvoir, ont fait venir Khomeini, un obscur religieux, à Paris pour en faire un dirigeant et lâcher ce monstre sur le puple iranien. Si ce n’est pas la même forme d’islamisme, [c'est ] une forme soi-disant plus modérée, à savoir un islamisme à la turque, [qui] est renforcé dans la région.

Les peuples de la région sont poussés vers le même piège, tout comme l’Iran de 1979. Nous devons en être conscients et empêcher cette issue. Pour cette raison, nous devons être de vrais laïques, et nous passionner pour la liberté, l’égalité et la justice. Nous devons avoir l’intelligence politique de ne pas penser qu’il faut prendre parti pour un pôle contre l’autre. Nous devons prendre position contre ces deux pôles: le terrorisme d’Etat dirigé par les Etats-Unis et le terrorisme islamique. Nous devons être clairs dans notre lutte pour la liberté, l’égalité et la prospérité pour tous, et catégorique dans notre défense de l’égalité et de l’émancipation des femmes.

Dans cette optique,

nous, peuples étouffés par le régime iranien et ses pairs,

nous, les communistes ouvriers qui luttons pour libérer l’humanité de l’inégalité, des discriminations, de la pauvreté et de l’exploitation économique,

nous qui défendons l’égalité des femmes et leur émancipation,

nous devons faire face à deux courants politiques:

1 – ceux qui sont tellement obsédés par l’Islam et sa domination autoritaire qu’ils sont prêts à s’allier avec le diable, à savoir, le terrorisme d’État mené par les États-Unis, afin de se débarrasser de l’Islam; ceux que j’appelle les laïques de droite;

et 2 – ceux qui sont soi-disant à gauche de l’éventail politique et principalement préoccupés par l’impérialisme; leur but étant de combattre ce qu’ils appellent impérialisme, ils sont prêts à fermer les yeux sur l’inégalité, la violence, la répression, la misogynie tant que leur ennemi principal, l’impérialisme, existe encore. Il y a tellement d’exemples de ces groupes qui condamnent la lutte des peuples contre des régimes autoritaires, parce qu’ils pensent que ces mouvements sont soutenus par les États-Unis ou l’Occident. Comme par exemple ceux qui ont pris parti pour le régime islamique en 2009, ou pour le régime de Khadafi contre l’OTAN.

Ces deux pôles, même s’ils sont à l’opposé l’un de l’autre, s’entraident mutuellement, et vont à l’encontre de la juste lutte des peuples, des travailleurs, des démunis, des sans droits, de ceux que l’on appelle aujourd’hui les 99 %.

Nous devons prendre position contre ces deux pôles. Nos seuls guides doivent être la liberté, l’égalité et la prospérité des peuples. La liberté complète et l’égalité réelle de tous les citoyens. Construisons donc un mouvement qui défendra la liberté, l’égalité et la prospérité des peuples en ces temps difficiles.

Azar Majedi à Paris, 3-12-2011 (photo S.J.)

Campaigning for women’s rights in Iraq

29 novembre 2011 by

Interview (en anglais) d’Houzan Mahmoud dans Women’s Fightback (journal téléchargeable au format pdf à http://www.workersliberty.org/system/files/wf11.pdf ):

Houzan Mahmoud présente à la conférence Feminist Fightback à Londres

How did OWFI begin?

OWFI was formed in June, 2003, three months after the invasion of Iraq in March. That’s eight and a half years ago.

Under Saddam, there was no way of forming any women’s organisations, trade unions, or any other group independently. Under Saddam, they were controlled by the Ba’ath Party.

Saddam did form a women’s organisation called the General Union of Iraqi Women, but this was heavily monitored by the government.

When we set up OWFI, we were just several women who worked from exile, involved in political campaigns. That’s where I got to meet Yanar Mohammed (president of OWFI) when she was working in Canada. We got to know each other through our activism.

We formed a coalition of women’s rights in Iraq, before the invasion. In this coalition, there were meant to be women in London aiding us in our activity, but they became too close to the British agenda. Yanar went back to Iraq, and I became a representative of OWFI here in the UK.

Are there any other women’s organisations in Iraq?

There are hundreds across the country, from liberal women’s groups to Islamists and conservative women’s groups. However, in my opinion, there are two main types.

There are ones which are based on neo-liberal principles, which become enterprises without any political motivation, and ones like OWFI.

OWFI is different. It incorporates left ideals. Other groups and societies take western money, particularly US and UK government funds, and follow liberal agendas removed from helping women, wasting money and time to “educate” Iraqi women and engage them in the process of transition to so called democracy, i.e. voting, and participating in parliament.

We take an active approach in actually helping them and trying to change society by making women aware of their oppression and status in society.

Who joins OWFI?

We are not dogmatic. You don’t have to be 100% socialist to join. Our purpose isn’t to indoctrinate women into Marxist theory; we want to raise awareness of women’s positions and subjugation in the male dominated society!

We have young girls, older women, veiled women, and unveiled women… all sorts of females united to fight for women’s freedom!

There are women, however, particularly the younger ones, who enjoy the atmosphere of secularist and socialist views.

Some become interested in the Worker-Communist Party of Iraq, and want to know more. They join out of their own interest. We do not actively recruit them.

I personally don’t find it impressive or clever to ask people to join organisations I belong to. I have respect for people and if you are an adult then you can make your own decision about joining groups or not!

[Houzan said this very firmly, as if the organisation had been accused of such behaviour before.

What issues do women in Iraq face?

Many: kidnapping, prostitution, sexual slavery, honour killings, stigmatising and marginalisation from wider society, as well as lack of employment and poor pay, so many different issues.

Also, women aren’t the only ones who suffer at the hands of patriarchy in the country.

OWFI was the only organisation that stood up against homophobia and the murder of homosexuals in Iraq. We raised issues homosexual Iraqis face with Shi’a Islamists.

How usual is it for women to be employed? Has it become less usual as Iraqi society moves towards Islamism?

It depends. Some places have always been deeply religious, while others are progressing towards Islamism.

If a woman finds a job, she works, but it is all about who you know. Even prostitution is now an income for some women, if they get paid at all.

Prostitution itself is illegal and we stand up for the welfare and employment and human rights of sex workers because they are victimised and dehumanised in such societies.

I met some ex-prostitutes, and they were still in danger. They sought help from many women’s groups, but were turned away for moral or security reasons.

Some groups claim to be for women’s rights, but in reality they themselves need to liberated because they are so judgemental and conservative.

We haven’t come across any issues surrounding abortions, but if we did, we would also fight for women’s reproductive rights. Abortions are still taboo in Iraq, and I suppose many women choose to have backstreet abortions due to the increasingly religious nature of Iraqi society.

Recently, OWFI has been dealing with the rising number of children born with deformities, particularly near the Hawijah military base. [The town of Hawijah became contaminated, due to the use by the American military of depleted uranium, a radioactive substance outlawed by many governments due to its high toxicity, causing a number of children to be born with severe deformities and health defects.]

There have been so many casualties. OWFI put together a report on a whole generation of Iraqi children born deformed. The report was compiled of records from our activists when they went to the town, to find out more information, and take pictures. They visited children in hospital, and talked to the people of Hawijah.

Our organisation always comes across problems. Our activists get kidnapped in Freedom Square; other were attacked, and harassed. We are intimidated, even threatened.

One of our activists, Aya Al Lamie, was kidnapped and tortured by associates of Maliki at 20 years old.

She is active and outspoken, and quickly became popular. She was kidnapped and tortured for her role and mobilisation during the Iraqi anti-government protests during the Arab Spring.

She was tortured horrifically by the Prime Minister’s men, and they kept telling her, “you have to stop your demands”.

She refused every time she was beaten and, finally, they conceded to letting her go, but not after telling her “if you continue your activity, we will gang rape you.”

When she was released, her popularity had risen and so did the popularity of OWFI due to the stands these brave women take.

But her life is important, and we told her to keep a low profile. Her nature is very outgoing and outspoken however, and after her Facebook account was hacked, she simply created another.

Militantes anglaises soutenant l'OWFI.

Militantes anglaises soutenant l'OWFI.

What do you think of women’s organisations in Britain?

I see hope in certain groups, like Feminist Fightback, and some individual campaigners. However, I don’t see a feminist movement as such, to be honest.

I find there are a lot of depoliticised charities which are removed from a political and feminist understanding of women’s situations.

This country needs a new wave of feminism, breaking away from the liberal and post-modernist feminist movements.

We can say that the post-modernist feminist school of thought sheds some light on the plights of those who were not included in the wider feminist struggle. However, I think too much emphasis on differences has fragmented the women’s movement. We need a class-based analysis, moving away from identity politics.

What can socialists, feminists and trade unionists do to support women’s struggles in Iraq?

In the beginning there was solidarity from the Alliance for Workers’ Liberty, the Communist Party of Great Britain, the Socialist Party and other groups, but it faded after the occupation of Iraq had been going on for a while, due to the discontinuity of media reportage after the media had got bored.

We receive less solidarity than before, and solidarity is important: capitalists are sneaky, they’re sly, they know how to support each other. We need to do the same.

La page de l'interview

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