Joseph Marmette, Le tomahahk et L’épée 1877
en l’année 1877, par Joseph Marmette,
au bureau du ministre d’agriculture, à Ottawa.
LE TOMAHAHK
LA DISPERSION DES HURONS
Lorsque vous sortez du bassin de Saint Thomas de Montmagny et que vous remontez le fleuve en longeant la côte du sud, vous apercevez, à peu près une demi-lieue en amont, une humble rivière qui traîne ses eaux vaseuses au Saint-Laurent : c’est la rivière à Lacaille près de l’embouchure de laquelle s’élevait jadis le premier village de Saint-Thomas.
De cet établissement primitif qui portait le nom de Pointe-à-Lacaille, à peine reste-t-il, à demi enfouies au pied de la falaise, quelques pierres qui firent autrefois partie des murailles de la vieille église bâtie et bénite en 1686, sur un terrain concédé par le sieur Guillaume Fournier au missionnaire de l’endroit, Messire Morel.
Un siècle après l’érection du petit temple de la Pointe-à-Lacaille, les habitants du lieu, voyant que les flots avaient rongé une douzaine d’arpents de la falaise et menaçaient d’envahir bientôt et la chapelle et les habitations du hameau, abandonnèrent tout-à-fait un endroit si dangereux, et s’en allèrent, une demi-lieue plus bas, construire une autre église et de nouvelles demeures sur les lieux où s’élève aujourd’hui le grand village de Saint-Thomas.
Il n’y avait à la Pointe-à-Lacaille, en 1664, que deux ou trois maisons d’assez pauvre apparence. L’établissement commençait à peine, et il devait bien s’écouler une quinzaine d’années, après la venue des premiers colons, quand on crut devoir y tenir des registres, en 1679.
D’abord la propriété de M. de Montmagny, la seigneurie de la Rivière-du-Sud, à qui le roi l’avait cédée le 5 mai 1646, passa successivement des mains d’Adrien Huault à celles de Louis Théandre de Lotbinière, et de Moyen Deschamps qui la céda à Louis Couillard de l’Espinay. Quant au fief Saint-Luc, aujourd’hui Saint-Thomas, il était enclavé dans la seigneurie de la Rivière-du-Sud, et avait été concédé en 1653 à Noël Morin qui, en 1680, mourut chez son fils Alphonse établi à la Pointe à-Lacaille. Leurs nombreux descendants portent le nom de Morin-Valcourt.
Ceux qui sont familiers avec notre histoire savent quelle était l’organisation qui présidait à l’établissement des paroisses dans la colonie naissante de la Nouvelle-France. Le roi y cédait un fief à celui de ses sujets qu’il en jugeait digne, lequel, en retour, devait à la couronne foi et hommage, avec l’aveu, le dénombrement et le droit de quint, etc., à chaque mutation. Ce seigneur divisait son fief en fermes qu’il concédait lui-même à raison d’un ou de deux sols par arpent et d’un demi-minot de blé pour la concession entière. Les censitaires devaient, en échange, faire moudre leur grain au moulin banal, donner au seigneur la quatorzième partie de la farine pour droit de mouture, et payer, pour lods et ventes, le douzième du prix de leur terre.
Bien qu’à l’origine les seigneurs possédassent au Canada le redoutable droit de haute, moyenne et basse justice, ils ne l’exercèrent que rarement et l’histoire n’en mentionne aucun abus. À vrai dire, nos seigneurs étaient plutôt des fermiers du gouvernement que les représentants de ces feudataires et tyrans du moyen-âge qui traitaient le peuple comme un vil troupeau d’esclaves taillables et corvéables à merci. Aussi bien, comme le disait Frontenac en 1673, le roi entendait-il qu’on ne les regardât plus que comme des engagistes et des seigneurs utiles. On peut dire que ce système de colonisation était l’un des meilleurs que l’on pouvait mettre en usage à cette époque, vu que les seigneurs avaient le plus grand intérêt à attirer des colons sur leur fief et à les bien traiter pour en voir augmenter rapidement le nombre.
Aux temps difficiles où se reporte ce récit, chaque petit bourg avait son fort où l’on se réfugiait en cas d’attaque pour résister aux bandes d’Iroquois qui rôdaient continuellement par toute la colonie. Ce fort consistait en une enceinte de pieux et occupait habituellement le centre du bourg. Il entourait assez souvent la demeure seigneuriale, et quelquefois il était défendu par de petites pièces de canon dont les Sauvages avait grand’ peur.
En 1664, il n’y avait pas encore de seigneur résidant à Saint-Thomas et M. Louis Couillard de l’Espinay ne devait se faire construire un manoir aux abords du bassin que plusieurs années après. La demeure de Mme Guillot, la plus ancienne et la plus grande de l’endroit, était protégée par une enceinte de palissades hautes d’une quinzaine de pieds, qui entourait à la fois la maison, la grange et leurs dépendances, toutes situées sur la rive gauche de la Rivière-à-Lacaille
Il est six heures du soir. Tandis que la maîtresse de céans, Mme Guillot, s’occupe à ranger des assiettes sur une grande table carrée, au milieu de la cuisine, et que la femme de Joncas, le fermier de l’établissement, est à moitié enfouie sous le haut manteau de la cheminée où elle surveille avec recueillement la cuisson d’une omelette au lard, Mlle Jeanne de Richecourt et le chevalier de Mornac, récemment arrivés de France, ainsi que Louis Jolliet,