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Libres pensées d'un mathématicien ordinaire Posts

Une décennie de blog

Marshall McLuhan (1911 - 1980)
Marshall McLuhan (1911 – 1980)

Il y a dix ans, jour pour jour, naissait ce modeste blog avec un très court billet sur Louis Antoine. Plusieurs centaines de billets ont suivi depuis, parfois beaucoup plus longs. Ce temps passé à écrire ici est une source intarissable d’excitation intellectuelle, de joie de synthétiser et de partager. Le savoir mérite d’être diffusé, les idées agitées, les points de vue exprimés, et cela fait partie des missions naturelles des universitaires. Il suffit d’écrire, et les moteurs de recherche font ensuite leur travail d’indexation et de mise à disposition. C’est ainsi que certains billets de ce modeste blog sont entrés dans la bibliographie de quelques articles de recherche. Une petite surprise, qui souligne l’importance actuelle de ce mode de diffusion de l’information, et qui pose aussi la question de la pérennité de l’auto-publication électronique. Cela n’est pas couvert part le dépôt légal et les dispositifs comme la Wayback machine ne sont pas exhaustifs.

Tout n’est pas réussi, loin de là. Il faut tâtonner, caler un mode de rédaction de billet, un format.

Une pensée pour Louis Antoine, devenu aveugle, puis mathématicien, géomètre.

Louis Antoine

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Au nom de l’infini


Au nom de l'infini

Sur les conseils de plusieurs amis, j’ai fini par lire Au nom de l’infini, une histoire vraie de mysticisme religieux et de création mathématique, de Jean-Michel Kantor et Loren Graham, et je n’ai pas été déçu ! Ce livre est centré autour du développement de la théorie des ensembles  durant le premier tiers du vingtième siècle, à travers les vies d’un trio français formé d’Émile Borel, René Baire, et Henri-Léon Lebesgue, et d’un trio russe formé de Dmitri Egorov, Paul Florensky, et Nikolaï Lousine. Bien d’autres personnages petits et grands peuplent ce livre, dans les tourments de l’époque. L’accent est mis sur la dimension humaine et sociale de la science, et c’est ce qui en fait le sel. Le texte fourmille d’informations étonnantes, et restitue certaines controverses et grands bouleversements qui ont agité les mathématiciens, et qui continuent à habiter les esprits sous diverses formes, bien souvent à leur insu. Sont abordés entre autres aspects les liens entre religion et mathématiques, l’opposition entre mysticisme et rationalisme, intuitionnisme et axiomatisme, la naissance de l’école mathématique de Moscou, la comédie humaine, l’arbitraire, l’absurde, l’inattendu, le choc des générations, la dimension internationale, la crise des fondements, le positivisme, le structuralisme et son instance bourbakiste, la force et la faiblesse du langage, les voies de la créativité, … Une énergie fantastique et parfois tragique se dégage de cet entrechoc d’humanité et d’absolu. Parmi les éléments étonnants ou passionnants, figure le fait que Andreï Markov a introduit ses fameuses chaînes pour démontrer que la loi des grands nombres restait valide au delà de l’indépendance deux à deux et répondre ainsi aux mystiques pour qui cette émergence d’un déterminisme à partir du hasard était une négation du libre arbitre ! Ce livre mérite d’être lu par tous les esprits épris ou curieux de mathématiques.

Le livre est également disponible en anglais sous le titre Naming Infinity: A True Story of Religious Mysticism and Mathematical Creativity., par Lauren Graham et Jean-Michel Kantor.

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Recherche et développement


Chine-USA

Avez-vous déjà jeté un œil au montant des dépenses en recherche et développement (R&D) des grandes firmes du numérique ? Pour 2018, le budget R&D de Amazon semble dépasser les 20 milliards de dollars. Il y a ensuite celui de Alphabet, la maison mère de Google, à plus de 15 milliards, puis celui de Microsoft, Samsung, Apple, et Huawei, entre 10 et 15 milliards chacun, et ensuite celui de Facebook et Cisco à près de 7 milliards. Vous ne remarquez rien ? Ces firmes sont toutes américaines, chinoises, ou coréennes, aucune n’est européenne. Les champions européens Ericsson, et Nokia qui a absorbé Alcatel-Lucent en 2016, ne sont qu’à 4 ou 5 milliards. Au delà du numérique, les champions français de la R&D semblent être Sanofi puis Renault, qui ne font pas vraiment mieux que Nokia. Vous manquez de repères ? Sachez que 1% du PIB de la France représente en 2018 environ 25 milliards. Quant au budget de la R&D française sur le numérique, comment dire… ? Pour être au niveau des États-Unis ou de la Chine, ce n’est pas la France mais l’Europe qui devrait faire preuve de cohésion et d’ambition.

Le petit exemple de la solution de visioconférence Jisti est symptomatique : lancé par le bulgare Emil Ivov à l’Université de Strasbourg, ce projet a finalement rejoint l’entreprise américaine 8×8.

Soutenir OVHcloud ou Qwant à bout de bras va-t-il suffire ? On peut en douter.

Les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft – ne sont pas votre tasse de thé ? Vous avez une âme anarchiste douce ? Il est possible de leur tourner le dos comme le fait CHATONS, le Collectif des Hébergeurs Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires. Ce collectif rassemble des structures souhaitant éviter la collecte et la centralisation des données personnelles au sein de silos numériques du type de ceux proposés par les GAFAM, prône la décentralisation, et tente d’essaimer son modèle sous diverses formes économiques. D’autres esprits préféreront la cryptographie et l’indépendance affichée par ProtonMailSignal, Wire, …

Notez bien qu’en matière de silos de données et de protection des données personnelles, il faut faire la distinction entre les services numériques gratuits comme Gmail pour lesquels l’utilisateur paye avec ses données, et les services commerciaux comme Gmail de G Suite qui protègent les données personnelles contractuellement. D’autre part, rien n’empêche d’utiliser des logiciels libres pour produire un service numérique qui piste ses utilisateurs et qui exploite leurs données personnelles. Le concept de logiciel libres, issu des années 1980, est vertueux sur le plan moral mais n’intègre pas directement la responsabilité sociale des algorithmes et la protection des données personnelles. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) européen, qui date de 2016, apporte une réponse sur ce plan, quels que soient les logiciels utilisés.

Connexe.

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Formation à distance

Cohen brothers movie "A serious man"

La formation à distance s’impose à tous avec brutalité en ces temps de lutte contre l’épidémie de coronavirus. Le numérique n’est pas une fin en soi. C’est un moyen pour soutenir le distanciel, qui a ses avantages et ses inconvénients. Ce billet vise à promouvoir l’idée d’une pédagogie à distance inversée, numérique et frugale, qui prend son temps, et qui n’en fait pas trop.

Avertissement. Ce billet concerne surtout la formation des adultes à l’université voire en master.

Précarité. Certains étudiants sont dans une situation précaire, peu propice au travail, ou sont mal équipés. Cela concerne également certains enseignants, notamment des doctorants.

Connectivité. Certains étudiants ou enseignants ont une connectivité inexistante ou faible, qui passe bien souvent par un abonnement mobile avec un forfait data limité. D’autre part, la montée en puissance du télétravail pèse sur les serveurs des établissements d’éducation, mais aussi sur ceux des géants américains du numérique, les GAFAM, surtout sur G et M avec leurs bouquets de services G Suite et Office 365 respectivement.

Frugalité. Dans ce contexte de tension et de saturation, la promotion de la frugalité numérique s’impose comme une évidence. Cela passe notamment par la modération de l’usage de la vidéo pour la pédagogie ou la conférence en ligne. Rappelons-le, la vidéo consomme beaucoup plus que l’audio, qui consomme beaucoup plus que la messagerie texte. La frugalité numérique s’inscrit naturellement dans une démarche plus générale de consommation raisonnée des ressources. La frugalité rend le numérique plus éthique, plus durable, plus responsable.

Décrochage. Il est bien connu que la formation à distance s’accompagne d’un risque de décrochage élevé : perte de motivation, découragement, … Ce phénomène est aussi ancien que la formation à distance, et ceux qui ont travaillé ou étudié au Centre National d’Enseignement à Distance (CNED) connaissent bien le problème. Les moyens de lutte contre le décrochage distanciel sont également connus. Un planning précis et un suivi rigoureux en font partie.

Charge. Un autre travers dans lequel peut facilement tomber le formateur à distance est celui de donner trop de travail aux étudiants. Bien doser la charge de travail est un art délicat, qui, idéalement, se pratique dynamiquement en tenant compte de l’évolution de chaque étudiant.

Inversion. Plutôt que de consacrer le temps d’interaction avec les étudiants à une transmission essentiellement unidirectionnelle du savoir, il est possible de leur fournir du matériel pédagogique accessible qu’ils étudient sans l’enseignant, à leur rythme, et de consacrer le temps d’interaction à répondre à leurs questions. C’est la pédagogie inversée : les cours à la maison et les devoirs en classe. Cela nécessite en pratique la préparation d’un matériel pédagogique conséquent et adapté. La pédagogie inversée s’oppose au cours magistral en présentiel, mais pas au cours magistral enregistré. Elle est compatible avec l’animation de travaux dirigés, et peut même gagner en puissance lorsque les corrigés des exercices sont fournis à l’avance.

Lenteur. Le monde actuel est rapide, réactif, instantané, zappeur, synchrone, et l’omniprésence du numérique a sa part de responsabilité dans cet état de fait. Or l’apprentissage nécessite bien souvent une concentration, une profondeur, une statique, un asynchronisme, qui tirent plutôt vers la lenteur. Restaurer un peu de lenteur pour la pédagogie aujourd’hui passe par la régulation du caractère instantané de certains usages courants du numérique. Cela revient à promouvoir une forme de qualité au détriment d’une forme de quantité.

Teams. Avec Microsoft Teams, la tentation est grande pour les enseignants de coller le plus possible à leur pratique antérieure en présentiel, en utilisant essentiellement la visioconférence.  Tentons au contraire de détailler une mise en œuvre possible d’une pédagogie inversée numérique frugale avec une équipe Teams. L’usage de canaux pour les discussions de messagerie entre étudiants et enseignants est utile, au format texte, et de temps en temps audio ou vidéo. Des canaux privés peuvent naturellement accueillir les discussions entre enseignants d’une part, et entre étudiants d’autre part. La mise en place d’une visioconférence chaleureuse au début du cours pour expliquer les règles du jeu aux étudiants est utile également. Dans les fichiers électroniques partagés, des notes de cours, des exercices, et surtout un planning détaillé. Plutôt que d’utiliser beaucoup de visioconférence pour un cours en mode synchrone, dont le rythme sera de toute façon toujours trop ou pas assez élevé, mieux vaut peut-être consacrer ce temps à rédiger les corrigés des exercices, à suivre les étudiants, à échanger en ligne avec eux par messagerie, et cela n’empêche pas un peu d’audio ou de vidéo régulièrement. Les enseignants les plus cadrants peuvent même organiser de courts rendez-vous de suivi, réguliers et obligatoires pour les étudiants, afin de juguler le décrochage.

Les enseignants on développé de nombreuses pratiques. Certains partagent leur écran pour commenter un PDF/PPT et pointer à la souris, d’autres se filment écrivant au tableau ou sur du papier, tandis que d’autres encore disposent d’une tablette. Notons enfin que l’outil Microsoft OneNote est utile pour les formules mathématiques. GoodNotes a du succès sur Apple iPad.

Dauphine. Plusieurs de mes collègues ont mis en œuvre des variantes de ce qui est décrit ici.

Libre. Il est possible d’imiter un peu Teams par un couplage de Mattermost avec Jitsi ou BBB.

Personnel. J’ai suivi durant mon adolescence l’enseignement à distance dispensé par le CNED. C’était avant la diffusion massive de l’informatique et d’Internet dans le grand public, avec son world wide web, sa visioconférence, et ses messageries instantanées. Tout passait à l’époque par le courrier postal, à des années lumières de Teams. On recevait le matériel papier et un planning au début. Il y avait régulièrement des devoirs à rendre qui étaient corrigés et commentés par les enseignants. L’aller-retour prenait des semaines, un autre temps. Je n’étais pas majeur, mes parents veillaient de près ou de loin à ce que le décrochage ne s’installe pas.

À propos du lycée, de la maturité, et en oubliant un instant la frugalité :

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