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JOHN TURNER au PEROU




Il n’y a pas de 
société, 
il n’y a que des 
individus.

Margaret  Thatcher

Premier ministre, 
Royaume britannique 


If you wait for the authorities to build new towns you will be older than Methuselah before they start. 
The only way to get anything done is to do it yourself.

Ebenezer Howard to Frederic Osborn



Au Pérou, la politique des gouvernements démocratiques et des dictatures militaires qui se succèdent entre l’après seconde guerre mondiale et la révolution socialiste de 1968, pour ce qui concerne l’habitat social, peut être résumée simplement : laisser libre cours à la puissance et au marché privés, privilégier le propriétarisme «populaire» au détriment de l’habitat locatif. Confrontés à un déficit spectaculaire de logements, les millions de péruviens mal-logés et sans logis n’eurent guère d’autre choix, que d’entrer dans l’illégalité : pour échapper aux dangereux taudis urbains, infectés de maladies mortelles, des groupes solidaires parfois de plusieurs centaines de personnes déterminées, se constituèrent pour squatter des terres libres, et y bâtir leurs baraques, avec l’espoir d’obtenir une régularisation, et cela acquis, de réaliser leur rêve : construire une vraie maison. Généralement, le président, ou le dictateur y consentait, prouvant ainsi ses nobles intentions à l’égard de ses administrés-électeurs. De là est né ce que l’on nomme l’urbanisation populaire, l’urbanizacion de tipo popular [1], programme porté par le gouvernement ultra-libéral de Manuel Prado, basé sur les expériences de site and service et de self-help housing de l’après guerre, et adapté au contexte péruvien par de jeunes architectes et sociologues. C’est dans ce contexte que débarque le jeune architecte britannique déclaré anarchiste, John F.C. Turner, invité à venir travailler au Pérou. 


Après plusieurs années d’expériences il devint l’apôtre de l’habitat informel, le Don Quichotte des immeubles d’habitations modernes, orthonormés, inhumains, représentant un gaspillage gigantesque en efforts humain et financier, et le partisan convaincu de la participation populaire. Pour l’architecte en reprenant les mots du sociologue et ami William Mangin, le bidonville était moins le problème, que la solution, tout du moins si l’on s’occupait de l’« organiser » en « Slum of Hope », les bidonvilles - en réalité - de l’espoir, construits et gérés par et pour ses communautés d’habitants sans qu’interviennent de manière - trop - autoritaire, l’Etat. Ce n’est plus l’architecture qui est au centre de ses préoccupations mais bien l’homme, ou plus exactement la collectivité d’individus, et il tentera de résoudre la difficile équation d’accorder les principes anarcho-libertaires qu’il défend, aux exigences légitimes des pobladores,  au marché de la construction, et dans une moindre mesure, en l’occurence, à l’autoritarisme de l’Etat.

USINES en VILLES



" Il est maintenant temps de décider s’il faut poursuivre la tendance à expulser l’industrie urbaine de la ville ou de la réintégrer dans l’économie locale."

Cette étude réalisée par le Cities of Making project team nous interroge à double titre ; d’une part sur le rôle et la place de l’industrie en milieu urbain (à Bruxelles, Londres et Rotterdam), et d’autre part sur l’état de la pensée urbaine en France, de l’intelligentsia, qui d’une manière générale se désintéresse prodigieusement de cette question politique, écologique et sociale, pourtant cruciale...

L’étude est en anglais, téléchargeable ici :

https://www.thersa.org/globalassets/pdfs/reports/cities-of-making-lo-res.pdf


Le site :

http://citiesofmaking.com/project/



Introduction en français :


‘Urban manufacturing’

URBANISME-S DE GUERRE | Vietnam




Tout l'enjeu des guerres du Vietnam fut le contrôle des populations rurales, de disputer à l’ennemi la confiance et l’estime des paysans, puis leur adhésion, leur soumission à un programme idéologique. Une guerre politique de « contrôle des corps », condition préalable au « contrôle des âmes », et selon le stratège Charles Lacheroy cette guerre a pour principal objectif le contrôle de « l’arrière » [1], c’est-à-dire de la population : « le problème numéro un, c’est celui de la prise en main de ces populations qui servent de support à cette guerre et au milieu desquelles elle se passe. Celui qui les prend ou qui les tient a déjà gagné. » Le Peuple plutôt que le territoire est à conquérir.

Afin d'y parvenir, le président dictateur du Sud Vietnam Ngô Đình Diệm décida d'une grande réforme rurale, dans le cadre plus large de sa révolution totale, imposant aux villageois des hameaux et villages isolés, un déplacement regroupement dans des Agrovilles, Agro-hameaux et Hameaux stratégiques fortifiés, remparts contre la propagande communiste. Entre 1957 et 1963, près de sept millions de paysans – près de la moitié de la population totale - ont été forcé d'abandonner leurs maisons et rizières pour rejoindre des « Centres de prospérité » les suspects étaient condamnés aux « Centres de ré-éducation ».


BOLO BOLO






" On pourrait nommer cet ensemble d'idées une PRAGMATOPIE, un agenda, une shopping list de l'alternative du capital. Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, ce ne sont pas de grandes discussions idéologiques sur l'égalité, la socialisation des moyens de production, la question du pouvoir, la propriété, etc. Mais une espèce de tableau de la répartition des tâches ménagères planétaires, un peu à l'image de ceux sur lesquels fonctionnaient les belles communautés des années 70 (ou en tout cas celles dont je faisais partie)."


BOLO-BOLO

PM
1983


"S'évader du capital est vital pour Nous" écrivait Tony Negri. Cet idéal de Vivre en dehors mais à côté du système, au sein de communautés anti-capitalistes, qu'elles soient éco-autonome, anarchiste, libertaire, éphémère, pré-révolutionnaire, ou néo-hippie, domine aujourd'hui largement la pensée subversive de ceux et celles, impatient-e-s, qui refusent d'attendre un hypothétique "Grand Soir", déplorent "l'urgence impossible de la Révolution" et prônent, au-delà des modèles, un "changement" immédiat : il s'agit, selon Holloway, de Change the World Without Taking Power, de se maintenir à distance de l'appareil d'Etat, plutôt que de l'affronter directement. 


PIRANESE




David Green, Ron Herron, Living Pod | 1966
Gravure Piranesi | 1756

« Si ces Prisons longtemps relativement négligées attirent comme elles le font l'attention du public moderne, ce n'est peut-être pas seulement, comme l'a écrit Aldous Huxley, parce que ce chef-d'oeuvre de contrepoint architectural préfigure certaines conceptions de l'art abstrait, c'est surtout parce que ce monde factice, et pourtant sinistrement réel, claustrophobique, et pourtant mégalomane, n'est pas sans nous rappeler celui où l'humanité moderne s'enferme chaque jour davantage, et dont nous commençons à reconnaître les mortels dangers. »

Marguerite Yourcenar
Le cerveau noir de Piranèse
1959

Nulle trace de cellules dans les Prisons de l'architecte, graveur, Giovanni Battista Piranesi, mais un espace qui nous rappelle l'inhumanité moderne pour Yourcenar, ou un espace infini qui « représente celui de l'existence humaine », selon Manfredo Tafuri. Nées et ignorées [I] au siècle des Lumières, Tafuri estime que ces Prisons expriment les contradictions et l'angoisse de la culture bourgeoise [II], qu'elle tente de compenser par un mécanisme idéologique capable de les réduire provisoirement, et de combler l'abîme entre ses propres impératifs moraux et l'univers de la Nécessité. Selon Tafuri "la phénoménologie de l'angoisse bourgeoise se situe entièrement dans la libre contemplation du destin", et ajoute-t-il, ce besoin de compensation idéologique a cessé peu à peu d'être fonctionnel. 

Ainsi, la formation intellectuelle de l'architecte "éclairé" comme idéologue et thérapeute du "social", plus que de la forme, dont l'apogée se situe à l'époque de la République de Weimar et de Le Corbusier, héritier des Lumières, prend fin avec la post-modernité.  Il était dès lors logique que les Prisons infernales et autres gravures de Piranesi resurgissent au sein des courants post-modernes de l'intelligentsia architecturale mondialisée, mais au contraire des siècles précédents, pour sinon justifier, mais exalter, sublimer, exacerber les chaos du monde d'aujourd'hui, et approuver - avec cynisme, hypocrisie, ferveur ou silencieusement  - l'oeuvre destructrice d'un nouvel âge du capitalisme, auquel il ne serait question de résister, et d'opposer une quelconque alternative.




Edward SOJA | Justice Spatiale

Hong Kong

Le concept de Justice spatiale, énoncé par Le droit à la ville d'Henri Lefevbre en 1968, n'est autre qu'une tentative de la grande tradition figurative bourgeoise à résoudre, sur le plan d'une idéologie anachronique, les déséquilibres, les contradictions et les dysfonctionnements sociaux des villes ; et à la manière de Le Corbusier, l'on pourrait leur adjoindre le slogan : Urbanisme ou Révolution ! L'idée d'une Ville Juste est bien la preuve d'une contorsion intellectuelle pseudo-humaniste névrotique ;  car l'on sait qu'il est illusoire de proposer des contre-espaces architecturaux, et plus encore urbains : la recherche d'une alternative inscrite au sein même de structures libérales qui conditionnent toute la nature de la condition du projet, est dans les termes une contradiction évidente et historique. L'arriération politique de ce groupe d'intellectuels est marqué par leur relance de l'éthique de l'architecture et de l'urbanisme, en leur assignant des missions politiques destinées à apaiser les tensions, un réformisme érigeant l'Existenz minimum urbain plutôt qu'une ville - une vie - idéales. 


Jacques ELLUL | Villes | Théologie | Révolution

DIEU | Urbaphobe


Le christianisme est la pire trahison du Christ.
La ville est morte, faite de choses mortes et pour des morts. Elle ne peut pas produire ni entretenir quoi que ce soit. Tout ce qui est vivant doit lui venir de l’extérieur.
Jacques Ellul


Au chapitre IV de la Genèse, est écrit que Caïn, le cultivateur sédentaire, tua son frère Abel, le pasteur nomade. Dieu le condamna alors à l'errance en pays de Nod - nod ou nad, en hébreux, se traduit par vagabondage, errance. Mais Caïn n'accepte plus l'autorité divine, refuse l'errance et décide de fonder la première ville de l'humanité : Hénoc. Caïn - premier révolutionnaire contre une autorité suprême ? -, est ainsi désigné par le texte génésiaque comme le fondateur de la première ville, et à l’origine de la civilisation : celle urbaine des arts et des techniques. Jacques Ellul dans son ouvrage Sans feu ni lieu [1] interprète ainsi la fondation d'Hénoc  :

Territoire et Villes en Chine Maoïste



Territoire et Villes
en Chine Maoïste

1949 -1976



Pendant la longue période maoïste (1949-1976-1978) de la République Populaire de Chine (中华人民共和国) les domaines de la planification, de l'aménagement du territoire , de l'urbanisme, se réfèrent explicitement à la tradition marxiste et à la pensée – plus que théorie – de Marx et d'Engels. Autant les fondateurs du marxisme ont insisté sur les méfaits de l'opposition entre la ville et la campagne et sur la consolidation qui en résulte sous le mode de production capitaliste, autant ils ont insisté sur la nécessité d'abolir cette opposition. Marx dans Le manifeste du parti communiste avait parfaitement situé le noeud des rapports ville-campagne : « La bourgeoisie a soumis la campagne à la domination de la ville » ; conclusion à laquelle il arrivait après l'analyse développée dans l'Idéologie allemande rédigé en 1845-46 :

« La plus grande division du travail matériel et intellectuel est la séparation entre la ville et la campagne... L'antagonisme entre la ville et la campagne... est l'expression d'ignorance crasse de la sujétion de l'individu à la division du travail, à une activité déterminée qui lui est imposée ; sujétion qui fait de l'un un animal citadin limité et de l'autre un animal campagnard limité, tout en renouvelant quotidiennement l'antagonisme de leurs intérêts... L'abolition de l'antagonisme entre la ville et la campagne est l'une des premières conditions de la communauté... La séparation entre la ville et la campagne peut être également comme la séparation entre le capital et la propriété foncière, comme le début d'une existence et d'un développement du capital indépendamment de la propriété foncière... »

Manfredo TAFURI | La crisi come progetto



Felice Mometti
La crisi come progetto
Architettura e storia in Manfredo Tafuri

Nella storia non esistono “soluzioni”. Ma si può sempre diagnosticare che l’unica via possibile è l’esasperazione delle antitesi, lo scontro frontale delle posizioni, l’accentuazione delle contraddizioni. E questo non per un particolare sado-masochismo, ma nell’ipotesi di un mutamento radicale che ci faccia ritenere superati, insieme all’angosciosa situazione presente, anche i compiti provvisori che abbiamo tentato di chiarire a noi stessi.

1. Riconoscimento e oblio

Stano destino quello di Manfredo Tafuri. Considerato, quando era in vita, tra i più importanti storici dell’architettura della seconda metà del secolo scorso, mentre ora – a diciotto anni dalla morte – una coltre di silenzio avvolge la sua produzione ed elaborazione intellettuale. La sua figura suscita una sorta di imbarazzo. Un imbarazzo fatto di riconoscimenti formali e ben più sostanziali inviti all’oblio, alla sospensione del ricordo della sua attività didattica all’Istituto Universitario di Architettura di Venezia e delle sue riflessioni teoriche sul rapporto tra architettura e modo di produzione capitalistico. Sicuramente questo è accaduto in Italia, con l’eccezione di un interessante studio su Tafuri e l’architettura contemporanea[2], un po’ meno nei paesi anglosassoni. Il recente lavoro di Leach[3] ma soprattutto il saggio di Day[4], che ricostruisce i rapporti tra Tafuri e l’operaismo italiano rispondendo anche alle critiche affrettate di Jameson [5], testimoniano un interesse maggiore.

Élisée RECLUS | Géographie Politique




Élisée Reclus* (1830-1905), anarchiste [rappelons la violence des actions du mouvement anarchiste juste à cette époque : crimes et attentats de Ravachol condamné à mort en 1892, assassinat du Président Carnot en 1894 par l'anarchiste Casiéro, etc.], communard de 1871, est considéré comme le père de la géographie sociale et politique ; le prix de ces convictions libertaires, après sa mort, sera le silence et l'oubli, malgré l'ampleur de son oeuvre, superbement ignoré. Une des caractéristiques majeures de la géographie-universitaire, est l'exclusion des phénomènes politiques du champ de ses préoccupations : “ La corporation considère, contre toute évidence, qu'ils ne sont pas géogaphiques et estime que les prendre en compte est la négation d'une démarche scientifique”, affirmait le géographe Yves Lacoste en 1981. Tant il est vrai qu'affirmer ses convictions politiques à la fin de l'introduction d'un livre de géographie physique pouvait choquer cette corporation. Il en serait sans doute encore de même aujourd'hui,   en France tout du moins.

La « lutte des classes», la recherche de l'équilibre et la décision souveraine de l'individu, tels sont les trois ordres de faits que nous révèle l'étude de la Géographie sociale ; écrivait Reclus pour terminer sa préface à son ouvrage majeur L'Homme et la Terre, terminé l'année de son décès en 1905, dont plusieurs chapitres sont consacrés aux villes dont « Horreur et splendeur des villes ». Plus de cent années après, les thèmes qu'il abordait alors, peuvent nous paraître aujourd'hui d'une étonnante actualité. 



PSYCHO-Architecture


Haus-Rucker-Co, Flyhead,  1967

Certes, la civilisation nous a laissé, avec les grandes villes,
un héritage qu’il faudra beaucoup de temps et de peine
pour éliminer. Mais il faudra les éliminer et elles le seront,
même si c’est un processus de longue durée…
Engels
Anti-Dühring
Prozac,  1987

La médecine n'a plus pour seul objectif de vous guérir mais de vous faire vivre le mieux possible le plus longtemps possible avec votre pathologie
Claude Le Pen


1968 : la remise en cause globale de la société capitaliste interroge les avant-gardes sur la question centrale du rôle de l'intellectuel -de l'architecte ici- dans une société capitaliste : utopisme ou réalisme ? Utopisme ou/et Révolution ? [lire notre article Utopie ou Réalisme?]. Certains envisagent et proclament la mort de l'architecte, d'autres annoncent, voire prônent, la mort de l'architecture. A cette question -qui sera débattue dans de nombreux colloques - et en parallèle se pose la question de la ville : de l'adage datant de l’Europe médiévale L’air de la ville rend libre, repris par Max Weber [1] à la condamnation de l'inhumanité de la ville en tant que lieu d'accumulation du capitalisme formulée par Engels [2] et Marx. Qui opposaient à la ville, l'idée d'un équilibre ville-campagne [lire notre article Marx, Engels et la ville]. Ville inhumaine, Nature rédemptrice, Utopie contre réalisme, Socialisme ou Barbarie, interrogent les avant-gardes mais toutes exigent à présent la mise en application immédiate, l'intervention directe des expériences contre la pratique du compromis, de l'inaction et du renvoi indéfini au "bon moment". Exigences qui seront à l'origine des communautés urbaines et rurales [lire notre article Hippie ! Communutés et Back-to-the-Land] ainsi que de l'implication physique et intellectuelle des architectes dans les luttes urbaines.

Une ville et une Révolution | La Havane

Esquema de Plan director para La Habana, años 60

Instituto de Planificación Física.

Jean-Pierre Garnier
Une ville et une révolution, La Havane
De l'urbain au politique
Revue Espaces et Sociétés | n° 1, 1970


LA VILLE ENTRE PARENTHESES

« ... Notre capitale est une cité géante, compte tenu de la taille de notre pays. Si nous avions eu entre les mains le pouvoir de fonder la ville de La Havane, en vérité nous l'aurions fondée en un autre endroit où nous n'aurions pas permis que cette ville croisse tant. »
Fidel Castro
Le tournant décisif

Ville touristique et récréative, commerciale et consommatrice, tertiaire et bureaucratique, La Havane demeurait en 1963, en dépit ou à cause du bouleversement révolutionnaire, une ville productive, une ville parasitaire (1). Les habitants avaient pris possession de leur ville. Il restait au pays à s'approprier sa capitale. Peu en étaient conscients dans les années d'euphorie qui suivirent le triomphe de la rébellion. Il semblait normal que les masses exproprient leur ancienne classe dominante. On oubliait que de ce fait la population de la capitale risquait de se convertir en une sorte d'aristocratie urbaine aux dépens du reste du pays, maintenant avec lui des relations semi-coloniales. Refusant les conditions de vie dégradantes qui régnaient dans les campagnes, des flots d'immigrants venus des autres provinces grossissaient chaque jour la population de la capitale, dans l'espoir de participer aux avantages que pouvait leur offrir une ville désormais ouverte à tous. Un tel phénomène était incompatible avec les nécessités du développement, et c'est de cette contradiction que devait naître une première prise de conscience.

Architecture de la Révolution




L'architecture peut-elle être "révolutionnaire" ?
Une société révolutionnaire peut-elle produire une architecture qualifiée de révolutionnaire ? Quelle est la portée du terme « révolutionnaire » lorsque celui-ci s'applique à l'architecture, avec ses implications idéologiques, fonctionnelles, esthétiques, son contenu, etc.. Peut-on appliquer valablement un tel terme à une forme détachée de son contenu idéologique ? Comment s'exprime le contenu idéologique de la nouvelle société dans l'architecture qui la représente, c'est-à-dire, comment cette architecture est-elle révolutionnaire ? Peut-on parler d'une révolution architecturale en termes de forme-espace-technique- fonction, qui ait une incidence sur la transformation de la société ? En définitive, a-t-on le droit de postuler des formes, des structures ou des espaces « révolutionnaires » en dehors d'une fonction sociale révolutionnaire qui les précède et les motive ?


Roberto SEGRE
Signification de l'architecture cubaine
dans le monde contemporain
Revue Espaces et Sociétés | n° 1, 1970

HUMANISME, ARCHITECTURE
ET TIERS MONDE.

L'architecture, ou plus exactement la pratique architecturale (1), constitue un des niveaux de la praxis sociale globale. Ce n'est pas le lieu, ici, de postuler une hiérarchisation des niveaux, mais d'indiquer l'importance qu'elle revêt au sein de notre milieu physique.

L'architecture — conçue de nos jours comme environmental design (2) — constitue le cadre et la manifestation de notre vie sociale, depuis la cellule individuelle minimum, jusqu'à l'ensemble du territoire, que la main de l'homme a transformé. Si la forme construite et l'espace habitable constituent la réalité essentielle de l'architecture, celle-ci se rattache de façon indissoluble aux exigences fonctionnelles et esthétiques de l'homme en tant qu'être social. L'abstraction implicite qui identifie Homme et Architecture, en dehors de toute particularité sociale, caractérise la théorie architecturale qui s'inspire de la philosophie idéaliste. En accord avec l'affirmation d'une essence universelle de l'homme (3), on proclame l'existence de valeurs éternelles, immuables — tout particulièrement dans le domaine esthétique et dans celui de la signification —, valeurs qui seraient demeurées semblables à elles-mêmes tout au long du procès historique. Ce sont ces valeurs qui font apparaître le contenu « humaniste » de l'architecture — terme utilisé par Geoffrey Scott en 1914 (4) — et qui tout au long du xxe siècle n'a cessé d'être proclamé par les tendances les plus diverses (5). L'architecture rationaliste, dans la période qui va de 1920 à 1930, s'avère humaniste dans sa volonté d'assurer les conditions d'existence minimum indispensables à l'homme de la société industrielle ; il en va de même du courant qualifié de « post-rationaliste » des années cinquante, dans son désir d'atténuer la sécheresse technique antérieure (6). Humaniste, l'architecture « organique » l'est aussi dans son souci du milieu et des facteurs psychologiques (F.L. Wright), comme d'ailleurs son interprétation européenne, le « néo-empirisme Scandinave ». Les expériences utopiques actuelles, fondées sur les conquêtes techniques, qui créent un nouveau cadre de vie humain (s'opposant au cadre de vie naturel) ou reposent sur la récupération du passé (des périodes où il existait un équilibre entre l'homme et le milieu ambiant), afin de libérer la société de son actuelle aliénation dans la technique, peuvent aussi être qualifiées d' « humanistes » ; il en va de même pour l'orientation prise par l'architecture dans les pays socialistes européens (7).

M. TAFURI : La Crise de l'Utopie : Le Corbusier à Alger [Partie I]


Le Corbusier, Lithographie Poème de l'angle droit, 1955.


Ce texte de Manfredo Tafuri est  fondamental ; Bernard Huet, qui préfaça le livre, note qu' à la différence des critiques et des historiens de l'architecture moderne qui n'ont guère réussi à éclairer la crise de l'architecture, Tafuri se propose d'en révéler l'origine mythique grâce aux instruments d'une critique "opérative". Pour armer cette critique il doit se placer d'un point de vue fondamentalement différent de celui utilisé par les historiens traditionnels qui opèrent dans le cadre problématique de l'Histoire de l'Art. 


Manfredo TAFURI


La Crise de l'Utopie : Le Corbusier à Alger
[Partie 1]

Chapitre extrait de :
Projet et Utopie, Architecture et développement capitaliste.

Editions Laterza, 1973


Avec une clairvoyance unique à son époque, Le Corbusier décrit les objectifs que doit se fixer le mouvement architectural progressiste en Europe : résorber la multiplicité, compenser l'improbable par le déterminisme du plan, concilier l'organique et le non organique en accentuant la dialectique de leurs rapports, démontrer que le niveau maximum de programmation de la production coïncide avec la plus grande « productivité de l'esprit ». Il est conscient que l'architecture moderne doit se battre sur un triple front. Car, si l'architecture est désormais synonyme d'organisation de la production, la distribution et la consommation sont, au même titre que la production, des facteurs déterminants du cycle. Pour Le Corbusier, le fait que l'architecte n'est pas un dessinateur d'objets mais un organisateur n'est pas un slogan, mais un impératif qui permet à l'activité intellectuelle de s'inscrire dans la civilisation machiniste. L'architecte se situant à l'avant-garde, anticipe cette civilisation, et en détermine les plans, même lorsqu'ils sont sectoriels. 

M. TAFURI : La Crise de l'Utopie : Le Corbusier à Alger [Partie 2]

James Rosenquist, F 111 [détail]

Le Pop art, l'Op art, les analyses sur l'imageability urbaine, l'esthétique prospective, concourent au même objectif : masquer les contradictions de la ville. Tafuri sera l'ennemi impitoyable des jeunes architectes Radicaux, cette prolifération de design underground, de design de « contestation » qui, (...) est élevé au rang d'institution, bénéficie de la propagande des organismes internationaux et est intégré dans les circuits d'élite. Il faut placer cette attaque virulente dans le contexte de l'époque où la Nuova Sinistra est particulièrement active, tout autant que la crise du logement, tandis que s'érigent encore des gigantesques bidonvilles dans la périphérie de Rome.


Manfredo TAFURI


La Crise de l'Utopie : Le Corbusier à Alger
[Partie 2]

Chapitre extrait de :
Projet et Utopie, Architecture et développement capitaliste.

Editions Laterza, 1973


La ville est donc considérée comme une superstructure, et l'art est désormais chargé d'en donner une image superstructurelle. Le Pop art, l'Op art, les analyses sur l'imageability urbaine, l'esthétique prospective, concourent au même objectif : masquer les contradictions de la ville contemporaine par leur résolution dans des images polyvalentes, par l'exaltation d'une complexité formelle qui, si on veut bien l'interpréter correctement, n'est rien d'autre que l'éclatement des dissidences irréductibles, incontrôlables par un plan capitaliste avancé. La récupération du concept 'art joue donc une fonction bien précise dans cette opération de couverture. 

Manfredo TAFURI : Dialectique de l'avant-garde


Lissitzky, Proun, 1919


Manfredo TAFURI *

Chapitre extrait de :
Progetto e Utopia. Architettura e Sviluppo capitalistico.
Projet et Utopie, Architecture et développement capitaliste.

Editions Laterza
1973

S'il y a un lieu précis où la défaite de la raison se manifeste de façon particulièrement évidente, c'est la Métropole, la Grosstadt. Aussi ces grandes concentrations tertiaires ont-elles constitué dans la pensée de Simmel, de Weber et de Walter Benjamin, un thème essentiel, qui a également influencé des architectes ou des théoriciens comme August Endell, Karl Scheffler ou Ludwig Hilberseimer [1].

La « perte » que prédisait Piranèse est devenue aujourd'hui une tragique réalité ; or l'expérience du « tragique », c'est par excellence l'expérience même de la Métropole. Obligatoirement confronté à cette expérience, l'intellectuel ne peut même plus adopter l'attitude blasée d'un Baudelaire. Ladislo Mittner parle très justement, à propos de Döblin, de la « mystique de la résistance passive » qui caractérise la protestation expressionniste, et il ajoute : « qui agit perd le monde, qui veut l'éteindre le perd aussi »[2].


Michel Foucault, Hétérotopies, des Espaces Autres




On voit pourquoi le bateau a été pour notre civilisation, depuis le XVIème siècle jusqu’à nos jours, à la fois non seulement, bien sûr, le plus grand instrument de développement économique, mais surtout la plus grande réserve d’imagination. Le navire, c’est l’hétérotopie par excellence. Les civilisations sans bateaux sont comme les enfants dont les parents n’auraient pas un grand lit sur lequel on puisse jouer ; leurs rêves alors se tarissent, l’espionnage y remplace l’aventure, et la hideur des polices, la beauté ensoleillée des corsaires.

Michel Foucault 
Des espaces autres  
Conférence au Cercle d'études architecturales [1], 14 mars 1967
Dits et écrits, 1984 

La grande hantise qui a obsédé le XIX' siècle a été, on le sait, l'histoire des thèmes du développement et de l'arrêt, thèmes de la crise et du cycle, thèmes de l'accumulation du passé, grande surcharge des morts, refroidissement menaçant du monde. C'est dans le second principe de thermodynamique que le XIXe siècle a trouvé l'essentiel de ses ressources mythologiques. L'époque actuelle serait peut-être plutôt l'époque de l'espace. Nous sommes à l'époque du simultané, nous sommes à l'époque de la juxtaposition, à l'époque du proche et du lointain, du côte à côte, du dispersé. Nous sommes à un moment où le monde s'éprouve, je crois, moins comme une grande vie qui se développerait à travers le temps que comme un réseau qui relie des points et qui entrecroise son écheveau. Peut-être pourrait-on dire que certains des conflits idéologiques qui animent les polémiques d'aujourd'hui se déroulent entre les pieux descendants du temps et les habitants acharnés de l'espace. 

Pierre Riboulet : Architecture et Politique


C'est ainsi que la pratique de l'architecture est de plus en plus difficile pour ceux qui y sont engagés : ou bien renforcer le système actuel de production en y participant ou bien ne rien faire.
Pierre Riboulet
1970
Pierre Riboulet pose ainsi l'inévitable question de la contradiction entre engagement politique et pratique professionnelle, dans un des domaines privilégiés du capitalisme monopoliste d'Etat : l'architecture et au-delà, l'urbanisme. Une question qui est au centre même des préoccupations de tous les mouvements d'architecture d'avant-garde des années 1960 /1970. Période qui, après la défaite magistrale de la pensée rationaliste du mouvement moderne de Le Corbusier, dénaturé par le capitalisme, inspire aux praticiens et théoriciens, la mort de l'architecte ou de l'architecture. 

Marx, Engels et la ville



Engels

Pour le présent, la seule tâche qui nous incombe est un simple rafistolage social et l'on peut même sympathiser avec les tentatives réactionnaires.

Engels

Françoise Choay
Extraits de L'urbanisme, utopies et réalités

Dans le même temps où la ville du 19e siècle commence à prendre son visage propre, elle provoque une démarche nouvelle, d'observation et de réflexion. Elle apparaît soudain comme un phénomène extérieur aux individus qu'elle concerne. Ceux-ci se trouvent devant elle comme devant un fait de nature, non familier, extraordinaire, étranger. L'étude de la ville prend, au cours du 19e siècle, deux aspects bien différents.

ANTI UTOPIE Ultra-Sécuritaire : SUBTOPIAN DREAMS


Tom VIGAR : Subtopian Dreams


Les insurrections populaires, les menaces terroristes de l'ampleur du 11 septembre, les menaces nucléaires ou bactériologiques de pays considérés comme potentiellement dangereux, les émeutes dans les grandes villes, le spectre d'une révolution sociale enclenchée par les crises successives économiques... Autant de menaces bien réelles ou paranoïaques qui aujourd'hui influent sur l'urbanisme des villes. La gated Community close et sécurisée est une réponse ; partielle, trop partielle pour le jeune architecte américain Tom Vigar : In the quest for happiness, Nothing can be left to chance...
[Dans la quête du bonheur, Rien ne doit être laissé au hasard...]