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Michel Foucault | Quadrillage spatial et Panoptisme



Michel Foucault
 In : Surveiller et punir
1975

Le panoptisme est capable "de réformer la morale, préserver la santé, revigorer l'industrie, diffuser l'instruction, alléger les charges publiques, établir l'économie comme sur le roc, dénouer, au lieu de trancher,
le noeud gordien des lois sur les pauvres,
tout cela par une simple idée architecturale."

Le panoptisme

Voici, selon un document de la fin du XVIIe siècle, les mesures qu'il fallait prendre quand la peste se déclarait dans une ville [1] :

D'abord, un strict quadrillage spatial : fermeture, bien entendu, de la ville et du « terroir », interdiction d'en sortir, sous peine de la vie, mise à mort de tous les animaux errants ; pouvoir d'un intendant. Chaque rue est placée sous le conseil d'un syndic ; il la surveille ; s'il la quittait, il serait puni de mort. Le jour désigné, on ordonne à chacun de se renfermer dans sa maison : défense d'en sortir sous peine de la vie. Le syndic vient lui-même fermer, de l'extérieur, la porte de chaque maison ; il emporte la clé qu'il remet à l'intendant de quartier ; celui-ci la conserve jusqu'à la fin de la quarantaine. Chaque famille aura fait ses provisions ; mais pour le vin et le pain, on aura aménagé entre la rue et l'intérieur des maisons, des petits canaux de bois, permettant de déverser à chacun sa ration sans qu'il y ait une communication entre les fournisseurs et les habitants. ; pour la viande, le poisson et les herbes, on utilise des poulies et des paniers. S'il faut absolument sortir des maisons, on le fera à tour de rôle, et en évitant toute rencontre. Ne circulent que les intendants, les syndics, les soldats de la garde et aussi entre les maisons infectées, d'un cadavre à l'autre, les « corbeaux » qu'il est indifférent d'abandonner à la mort ; ce sont « des gens de peu qui portent les malades, enterrent les morts, nettoient et font beaucoup d'offices vile et abject ». Espace découpé, immobile, figé. Chacun est arrimé à sa place. Et s'il bouge, il y va de sa vie, contagion ou punition.

AMSTERDAM en LUTTES


Photo : © Hans van den Bogaard

« Qu’est-ce que le néolibéralisme ?
Un programme de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur.»
Pierre Bourdieu
L’essence du néolibéralisme
1998


Amsterdam, la belle capitale rebelle du royaume des Pays-Bas est devenue sage et soumise. 
L’on peut juger, sans paraître excessif, que l’héritage de quatre décennies de glorieuses luttes urbaine et écologique, pour le droit au logement et au squat – entre autres luttes -, ce précieux héritage a été balayé en une dizaine d’années...

...faute de résistance, les quartiers centraux d’Amsterdam, là où la résistance est née, encerclant le vieux centre historique, sont à présent embourgeoisés ou en passe de l’être totalement, les plus pittoresques sont à la merci et sous la pression d’un tourisme de masse tout aussi destructeur que pouvaient l’être jadis les bulldozers (avec ses conséquences sur la mutation du commerce, la pression hôtelière sur le logement, maisons de ville transformées en Bed & Breakfast, programmes d’hôtel des investisseurs, exacerbé par les offres d’Airbnb, saturation des espaces publics et nuisances dues à la surconsommation des lieux, etc.), tandis que les plus grands squats de jadis, dont les anciennes friches portuaires squattées, là où soufflait le vent libertaire, ont été évacués pour faire place, souvent, à des équipements ludico-touristiques, ou touristico-artistiques, aux côtés de nouveaux sièges sociaux de multinationales, objets spectaculaires tentant de capturer l'attention mondiale, symbolisant la nouvelle IAMsterdam. C'est-à-dire l'embourgeoisement de la ville et la grande pénurie de logement abordable, la destruction littérale du parc de logements sociaux mis en vente, la spéculation forcenée et la hausse véritablement vertigineuse de l’immobilier, les privatisations à outrance des services publics, les programmes d'éviction des indésirables, marginaux, délinquants et squatters, entre autres abominations urbaines ; tout ceci ne suscite aucune réaction d’opposition telle qu’elle s’exprimait jadis : la police, sans doute elle aussi nostalgique, n’a plus aucune tête subversive sur laquelle abattre sa matraque ; la contestation n’est même pas muselée, elle n’existe plus, sauf parfois, en réaction contre une nouvelle loi par trop libérale (notamment celle concernant l’université), à l’occasion d’un mouvement des mouvements, tel Occupy, mais sans lendemain sérieux, lutte inorganisée et inorganique. Certes, la pratique du squat perdure, tant bien que mal après la loi de 2010 l’interdisant et la pénalisant, mais comme la contestation, elle tient plus de l’anecdote marginale individualiste que du grand discours libertaire collectif, occupe illégalement l’espace artistique plutôt que l’espace social.

Si cette contradiction éclaire le malaise d’une jeunesse amorphe, par rapport aux décennies précédentes, et au-delà la démobilisation de « l’intelligentsia de masse », elle laisse dans l’obscurité le problème de savoir pourquoi la jeunesse révoltée formant des mouvements protestataires et rebelles est progressivement rentrée dans les rangs, alors que les contradictions fondamentales de la société néerlandaise, dans les domaines urbain et architectural, entre autres, s’aggravent. Ce fut d’ailleurs une question récurrente dans les débats contradictoires des intellectuels progressistes aux Pays-Bas : Pourquoi un tel spectaculaire et non moins rapide revirement ?

Amsterdam
30 april 1980 | émeute couronnement de la reine Beatrix
© Hans van Dijk

ANTI-URBANISME et ECOLOGIE | Chronologie





« Non ! le présent ne songe qu'à lui.
Il se moque de l'avenir aussi bien que du passé. Il exploite les débris de l'un et veut exploiter l'autre par anticipation. Il dit : ''Après moi le déluge !’' ou, s'il ne le dit pas, il le pense et agit en conséquence. Ménage-t-on les trésors amassés par la nature, trésors qui ne sont point inépuisables et ne se reproduiront pas ? On fait de la houille un odieux gaspillage, sous prétexte de gisements inconnus, réserve de l'avenir. On extermine la baleine, ressource puissante, qui va disparaître, perdue pour nos descendants. Le présent saccage et détruit au hasard, pour ses besoins ou ses caprices .»
Auguste BLANQUI
La critique sociale
1885




Le présent ouvrage est une chronologie sommaire de l’histoire des rapports entre l’Homme, la Ville et la Nature en France, pour cette large période débutant de la construction de Versailles - ville neuve verte - qui appartient pleinement à la doctrine anti-urbaine, pour se clore avec le gouvernement de Pétain, allié des nazis, également urbaphobes - et urbicides, sur le modèle irréel de Mussolini, précurseur moderne de l’anti-urbanisme autoritaire. D’aucun pourront considérer qu’il est d’une ambition démesurée ; mais, plus modestement, et de manière plus pragmatique, fidèles en ce sens au bricolage inter-trans-disciplinaire que nous avons déjà éprouvé, cette esquisse a été conçue selon les propos de Fustel de Coulanges :
« À en croire certains esprits, il faut borner le travail à un point particulier, à une ville, à un événement… J’appellerai cette méthode le spécialisme. Elle a son mérite et son utilité, elle peut réunir sur chaque point des renseignements nombreux et sûrs. Mais est-ce bien là le tout de la science ? Supposez cent spécialistes se partageant par lots le passé de la France ; croyez-vous qu’à la fin ils auront fait l’histoire de la France ? J’en doute beaucoup : il leur manquera au moins le lien des faits, or ce lien est aussi une vérité historique. » (L’esprit de doute, le spécialisme. Leçon d’ouverture à la Sorbonne).

Un des liens les plus remarquables qui émerge et qui marque cette longue période, est la doctrine anti-urbaine, déclinée sous sa forme la plus radicale en utopies, ou avec plus de modération ou de réalisme en idéologies. L’anti-urbanisme n’est pas une critique contre la ville, mais bien contre leur développement sans fin, leur gigantisme, c’est une remise en cause radicale du fait urbain en tant que tel, et surtout, des relations dépravées, dénaturées entre la trilogie Ville-Homme-Nature ; c’est une proposition alternative au développement urbain non maitrisé, une proposition d’harmonie ou d’équilibre entre Nature et Urbanité, d’une ville autre dotée d’une physionomie autre: lorsque Ebenezer Howard conçoit sa cité-jardin théoriquement habitée par 32.000 habitants, il s’agit bien là d’une ville - une cité - à part entière.


D’où la difficulté de rendre définissable et d’utiliser à bon escient le mot, ou plutôt la notion d’anti-urbanisme et ses dérivés : l’urbanophobie (ou urbaphobie), le désurbanisme, l’anti-croissance (no growth) ou la dé-croissance, la ruralophilie, le naturalisme urbain, la déconcentration urbaine, etc., et dans une moindre mesure l’agoraphobie, et dans un autre registre, l’urbicide et l’écocide. Il serait même possible de le définir dans certains cas, en tant qu’ « urbanisme organique », en référence à l’architecture du même nom - opposée à l’architecture dite fonctionnelle -, pour qui la Nature n’est plus seulement un objet de connaissance, ou bien de modèles, mais de responsabilité, et qui se veut d’être à la mesure humaine avant d’être humaniste.

Quantité Qualité

Anti-urbanisme, sous ce nom - qui ne figure pas dans les dictionnaires - s’accumule une somme d’expériences historiques plus que ne se profile la rigueur d’un concept unique. Elles ne forment pas un corps doctrinal qui relèverait de telle ou telle méthode, de telle ou telle discipline spécialisée : la philosophie, la politique et l’économie politique, l’écologie, la sociologie, l’urbanisme, l’architecture, etc., tout autant que la morale et la religion ; mais l’un de leur principe commun appelle à une harmonie entre les hommes d’une même cité, et d’autres cités soeurs, et un juste équilibre avec leur environnement naturel : pour y parvenir, les cités anti-urbaines (sic), à divers degrés, entendent établir une limitation stricte du nombre d’habitants. La doctrine de l’anti-urbanisme prend donc comme postulat que l’homme n’est plus maître du dessin et du destin d’une ville, des habitants et de son environnement, au-delà d’un certain seuil d’habitants propriétaires ; le problème est éludé par la déconcentration en bâtissant d’autres cités lointaines qui doivent former ensemble un réseau solidaire ; et à la gestion parfaite de la démographie urbaine, s’ajoute pour nombre d’utopies anti-urbaines, la solution préconisée pour certaines, la condition sine qua none pour d’autres : la complète maîtrise des sols par une autorité supérieure, morale, éthique ou politique. C’est une théorie de l’équilibre qui construit les cités idéales : le rapport Quantité Qualité, où l’on tient pour acquis qu’elles sont des entités proportionnelles ou relatives entre elles. L’historien Giulio Carlo Argan affirmait :
« La relation - autrefois proportionnelle, aujourd’hui antithétique - entre quantité et qualité est à la racine de toute la problématique urbanistique occidentale.» (De Storia dell’arte come storia della città, 1983).



ARCHITECTURE | ECOLOGIE en FRANCE | 1944 - 1968





Cette analyse se consacre à l'histoire des rapports entre l'architecture et l'écologie, de l'après seconde guerre mondiale à la crise de 1973. Ce n'est pas l'histoire des formes architecturales que nous présentons ici, mais ce qui a contribué à les faire émerger des débats, les conditions - politique, technologique - dans lesquelles les nouvelles architectures prenant en compte d'une manière l'autre des considérations écologiques et environnementales viennent à naître, à disparaître, à réapparaître, et tout ce qu'elles sous-entendent. Un exercice qui exige de superposer à l'histoire de l'architecture d'autres histoires d'autres domaines. Cette recherche historique se justifie, si elle doit l'être, car elle reste à écrire ; l’histoire de l'architecture, et aujourd'hui sa critique, se déclinent le plus souvent au travers d'études et d’analyses d’experts couvrant des domaines particuliers, des périodes limitées. Nous préférons un autre mode de lecture, celui de l'interaction des théories des avant-gardes architecturales, des grands esprits de l'époque, des mises en garde des écologistes et des aspirations populaires, de l'interaction du réel et de l'utopie là où l'Etat décide et commande ; de la nécessité de théoriser la complexité plutôt que la simplifier : il serait trop simpliste d'expliquer de manière automatique, rationnelle, tout ce qui a nourri l'émergence des nouvelles avant-gardes architecturales, le principe de cause à effet serait réducteur, comme il serait erroné d'isoler, de rendre autonome leurs pensées.

C'est pour ces raisons que nous avons préféré établir une chronologie détaillée et thématique plutôt qu'une explication forcément subjective, méthode plus objective qui laisse apparaître à la fois les différences profondes entre les acteurs, leur éloignement ou leur distanciation, leurs contradictions et leurs intersections, et qui révèle toute leur complexité et leur pluralité. Ainsi, comme à notre habitude, et à contre-courant, la chronologie que nous présentons s’intéresse aux disciplines propres, extérieures et lointaines gravitant autour du domaine de l’écologie urbaine et architecturale, dans une synthèse relevant davantage du bazar, que de la perfection scientifique rigoureuse.

Pourquoi, en effet, ne pas mentionner Le domaine des Dieux (qui s'adressait aux architectes) et Idefix (premier toutou écolo), créés par Goscinny et Uderzo, pour mesurer l'état d'esprit d'une France critique envers ses élites bâtisseuses de modernité... et ses architectes_! Une France manifestement mécontente des grands travaux de l'Etat, du laisser-faire spéculatif, qui donna naissance à deux mouvements de lutte d'ampleur : la lutte pacifique et encore célèbre du Larzac, et celle bien moins évoquée, car armée, des nationalistes corses ; tandis qu'à Paris, les z-écolos exigeaient déjà , eux, la vélo-libération des quais.

Dans le titre général de cette brochure est stipulé EN FRANCE ; limite qui aurait certainement réduit des deux tiers les pages de cette brochure ; car en effet, si dans le monde de l'écologie scientifique, philosophique, et donc de la contestation, la France disposait d'un capital intellectuel de premier ordre, il n'en était pas de même pour le monde de l'intelligentsia architecturale et urbaine ; cette pénurie française, et intellectuelle et de praticiens accordant un grand intérêt - à nos yeux en tout cas - aux questions environnementales et écologiques, nous a donc conduit à franchir des frontières pour y trouver les sources de l'architecture écologique, de l'urbanisme environnemental, théorisés après la seconde guerre mondiale.





Le Corbusier
Ville parc
1930


DEBORD | La planète malade



  
Andreas Gursky | 99 cents |1999

Guy DEBORD
La Planète Malade
1971

La « pollution » est aujourd'hui à la mode, exactement de la même manière que la révolution : elle s'empare de toute la vie de la société, et elle est représentée illusoirement dans le spectacle. Elle est bavardage assommant dans une pléthore d'écrits et de discours erronés et mystificateurs, et elle prend tout le monde à la gorge dans les faits. Elle s'expose partout en tant qu'idéologie, et elle gagne du terrain en tant que processus réel.

Ces deux mouvements antagonistes, le stade suprême de la production marchande et le projet de sa négation totale, également riches de contradictions en eux-mêmes, grandissent ensemble. Ils sont les deux côtés par lesquels se manifeste un même moment historique longtemps attendu, et souvent prévu sous des figures partielles inadéquates : l'impossibilité de la continuation du fonctionnement du capitalisme.

BAUDRILLARD | La Mystique de l'Environnement


ASPEN 1970 from rosa b on Vimeo.


En France, l’« environnement » 
est une des retombées de mai 1968, 
plus précisément une retombée 
de l’échec de la Révolution de Mai...

Le programme des Conférences internationales de design à Aspen au Colorado, organisées chaque été depuis 1951, était un forum de discussion centré sur le design qui réunissait pendant quelques jours, les chefs de file du design américain ainsi que des industriels et des délégations étrangères. En 1970, le thème s’occupe de l'Environment by design, et Reyner Banham est en charge de l’organisation. Une délégation française [1] y est invitée conduite par le designer Roger Tallon, à laquelle participe Jean Baudrillard ; à qui la délégation lui confie le soin d’écrire un texte devant être prononcé à la clôture du forum. Rappelons que la guerre du Vietnam est à son apogée meurtrière, et que le forum est perturbé par les étudiants contestataires de la New Left. Jean Baudrillard [2] ira au-delà de leurs espérance et attente :

« Le groupe français invité à cette conférence a renoncé à présenter une contribution positive. Il a pensé que trop de choses essentielles n’ont pas été dites ici, quant au statut social et politique du design, quant à la fonction idéologique et à la mythologie de l’environnement. Dans ces conditions, toute participation ne pouvait que renforcer cette ambiguïté, et le silence complice qui règne sur cette conférence. Le groupe a donc préféré présenter un texte de mise au point.


Quand de Bonnes Bombes Tombent sur des Méchants


Quand de Bonnes Bombes Tombent sur des Méchants

« Les deux chapitres qui suivent : Quand de bonnes bombes tombent sur des
méchants et Plus de femmes, plus d’enfants, plus vite, traitent de l’utilisation
de la force aérienne conventionnelle à l’encontre des populations civiles.
Coïncidence : alors que je terminais ces pages, dans le golfe Persique, des
pilotes se préparaient à des missions qui devaient assombrir encore la
malheureuse histoire des non-combattants victimes d’attaques aériennes.  »

Joe Sacco *
Initialement parue dans le recueil Journal d’un défaitiste – 2004
Via : Esprit 68.org

Necessitas Non Habet Legem




« Cette indifférenciation se matérialise dans la vidéosurveillance des rues de nos villes. Ce dispositif a connu le même destin que les empreintes digitales : conçu pour les prisons, il a été progressivement étendu aux lieux publics.
Or un espace vidéosurveillé n’est plus une agora, il n’a plus aucun caractère public ; c’est une zone grise entre le public et le privé, la prison et le forum. »


Une citoyenneté réduite à des données biométriques

Comment l’obsession sécuritaire fait muter la démocratie


Giorgio Agamben
janvier 2014


L’article 20 de la loi de programmation militaire, promulguée le 19 décembre, autorise une surveillance généralisée des données numériques, au point que l’on parle de « Patriot Act à la française ». Erigé en priorité absolue, l’impératif de sécurité change souvent de prétexte (subversion politique, « terrorisme ») mais conserve sa visée : gouverner les populations. Pour comprendre son origine et tenter de le déjouer, il faut remonter au XVIIIe siècle…


SONACOTRA | l'APARTHEID en France



Carte postale propagande Sonacotra | 1970s

SONACOTRA 
l'APARTHEID en France
LUTTE des FOYERS [1974 - 1980]


Prétendre qu'il existe des populations aux caractéristiques telles qu'il est nécessaire de construire pour elles des logements spécifiques c'est poser que ces caractéristiques sont données et qu'elles isolent et distinguent définitivement ces catégories du reste de la population. […]
Ainsi le thème d'une « nature » particulière supposée rejoint les thèmes principaux de l'idéologie raciste.
Mireille GINESY-GALANO | 1984


Banalisée par le temps, acceptée de fait par les partis politiques, les syndicats et la société française, un quasi consensus normait  la mise à l'écart du prolétariat immigré célibataire – une spécificité française, le foyer d'immigrés-isolés n'existe dans aucun pays européen proche de la France [1]. Il était normal que les immigrés vivent là. La longue lutte des résidents des foyers-hôtels Sonacotra débute en 1974 pour se terminer en 1980. Au plus fort de la lutte, 130 foyers se déclarent en « grève », soit 30.000 résidents immigrés exigeant des conditions de vie plus décentes et plus dignes humainement.

La première grande lutte d'ampleur en France de grève des loyers – et la dernière -, d'une étonnante longévité, ayant réussi le double pari improbable de solidariser 27 nationalités qui auparavant au mieux s'ignoraient, au pire s'opposaient, et dans le même mouvement, de fédérer nombre de foyers-hôtels. Monique HERVO considérait que cette lutte était à l'avant-garde, « très en avant par rapport aux luttes urbaines françaises. » Mais cette lutte fut aussi celle des associations citoyennes, pour la défense des immigrés, souvent créées depuis peu, interpellées et réactives : un élan de générosité, de dévouement de leurs militants anonymes qui soutenaient solidairement et bénévolement les grévistes en leur offrant leur temps et  leurs compétences (avocats, juristes, magistrats, médecins, cinéastes, artistes et architectes). Elle fût celle des organisations politiques de l'extrême gauche, qui ont initiées le mouvement et apportées un soutien sans faille. Il s'agit de la première grande mobilisation politique anti-raciste franco-immigrée.


Une lutte qui a au final été une défaite, mais qui a remis en question le programme résidentiel néo-colonialiste, ségrégatif dit-on aujourd'hui, de la Sonacotra, de l'Etat, l'institutionnalisation de la séparation forcée, la mise à l'écart de la vie sociale des travailleurs immigrés célibataires.


Abdelmalek SAYAD | Le foyer des sans-famille





Photo | Claude DITYVON

Abdelmalek SAYAD
Le foyer des sans-famille*
Actes de la recherche en sciences sociales.
1980


S'il est vrai que la raison essentielle de l'émigration réside dans la recherche du travail et que c'est aussi le travail qui peut, seul, justifier la présence de l'immigré, ce dernier se trouve dans une situation différente de celle de l'ouvrier indigène. Alors que celui qui est né dans le pays, est censé y avoir une résidence, l'immigré, venu d'un autre pays, demande à être logé immédiatement, dès son arrivée ou tout du moins dès son embauche.

Travail et logement, liés dans une relation de mutuelle dépendance, constituent, pourrait-on dire, les deux éléments qui définissent le statut de l'immigré : l'immigré n'a d'«existence» (officielle) que dans la mesure où il a un logement et un employeur ; pour pouvoir se loger et, plus largement, séjourner en France, il faut travailler et pour pouvoir travailler, il faut être logé (c'est-à-dire autorisé à séjourner en France) (1). 

FRANCE | BIDONVILLES






Le passage de la “brigade Z” variait selon les périodes. Les équipes, composées de trois à huit policiers munis de masses ou d’arrache-clous parcouraient toute la journée les ruelles en quête d’une construction à détruire. Face à ces abus de pouvoir, les habitants ne pouvaient rien opposer. Les sanctions étaient d’une sévérité graduelle : menaces ou démolition, vieilles planches, vieux volets, tôles confisqués, sacs de ciments éventrés, embryons de jardin saccagés.

En 1965, l’université de Nanterre fut construite sur un terrain jouxtant les bidonvilles. La proximité de ces deux éléments constituait un mélange explosif. Plusieurs étudiants n’hésitèrent pas à tenter de faire entrer les enfants ou adolescents du bidonville au restaurant universitaire, obligeant la police à intervenir pour chasser ces jeunes venus manger gratuitement.


Yvan GASTAUT
Les bidonvilles, lieux d’exclusion et de marginalité en France durant les trente glorieuses
Cahiers de la Méditerranée, 69 | 2004
Nota Bene : hors illustrations

La marginalité dans les villes méditerranéennes au vingtième siècle s’est développée dans des lieux spécifiques : en matière de logement, les bidonvilles en ont été la forme la plus répandue. Fléau constaté dans le Maghreb colonial autant qu’en métropole, ce phénomène a mis en scène une exclusion sociale et parfois ethnique qui offre à l’historien un bon terrain d’étude des processus de discrimination. Les déséquilibres engendrés par une urbanisation mal contrôlée ont provoqué ces excroissances, véritables poches de marginalité que les pouvoirs publics ont bien mal maîtrisé.

FRANCE | Le Logement des Travailleurs Immigrés


ESPACES & SOCIÉTÉS
Revue critique internationale de l'aménagement de l'architecture et de l'urbanisation
n° 4 | 1971




Urbanisme des Dérogations





TOKYO 

« Le problème c’est la réglementation. Pour libérer l’offre il faut déréglementer, élever les coefficients d’occupation des sols et rétablir la continuité du bâti dans les zones denses (…) J’ai demandé que soit conduite une réflexion approfondie sur ce changement de philosophie de notre droit de l’urbanisme. »
Nicolas Sarkozy, président de la république | avril 2009 

Reprise du rapport de la commission Attali, la proposition de Nicolas Sarkozy, sonne comme un écho, pas si lointain, à celle du président Hollande, d'une « simplification » administrative, devant s'opérer dans les domaines de l'urbanisme et de l'architecture, par l'« adaptation » des « exigences réglementaires », afin de construire à moindre coût, et le plus rapidement possible. Reprenant à son compte l'argumentaire de son prédécesseur, inscrite dans la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009, dont l'article 10 présente les assouplissements des règles de construction afin de permettre une hausse de la densité urbaine, François Hollande estime que les dérogations aux règles d'urbanisme doivent permettre de « créer les conditions pour optimiser l'utilisation des ressources foncières disponibles pour la construction de logements, quitte à autoriser des dérogations aux règles du PLU » [plan local d'urbanisme] :
  • Raccourcir les délais de procédure des grosses opérations, via la mise en place d’une procédure administrative unique et simplifiée pour affirmer l’intérêt général d’une opération devant les citoyens, et de mettre en compatibilité les documents d’urbanisme (PLU, SCT)
  • Lutter contre les recours malveillants et diviser par deux le délai de traitement des contentieux en matière d’urbanisme. Plusieurs pistes sont étudiées, notamment l’augmentation sensible du seuil maximal de l’amende pour recours abusif.
  • Favoriser la densité en zone tendue. Des mesures structurelles figureront dans le projet de loi « logement et urbanisme » en juin 2013.  


Adaptation est synonyme, ici, de dérogations aux lois nationales, aux règlements et aux plans d'urbanisme municipaux. Il s'agit bien, en l’occurrence, pour certains critiques, de la retranscription spatiale d'un des principes fondamentaux des théories libérales : l'intervention des pouvoirs publics doit être minimale, voire « modeste », et s'« adapter », sinon aux exigences mais aux « demandes » d'une planification conduite par le marché. Critiques faites déjà au milieu des années 1960, par la ''Gauche'' – socialistes compris – qui inventa alors le terme « urbanisme des dérogations », pour qualifier la politique du gouvernement gaulliste qui institua ces mêmes « arrangements » jugés par trop favorables à l'investissement privé et parfaitement anti-démocratiques. Les conséquences de ces « dérogations » seront à ce point désastreuses, que le ministre Albin Chalandon, signa le 17 mars 1972, une circulaire ministérielle, dite circulaire « anti-dérogation », explicite par son nom.
Alain Bublex | Paris

HABITAT SOCIAL | Existenz Minimum



Jean Nouvel | Nemausus | Nîmes

On vit en HLM les uns sur les autres
Les lits superposés, j'ai rien connu d'autre
On a la rage mais comment rester sage
On vis en marge, en gros on est tous barges
Souvent les huissiers à ta porte font éruption
Si tu payes pas ton loyer c'est l'expulsion [...]
Ta boite aux lettres est pleine de rappels et d'assignations
Ouais mec c'est ça notre vie
Groupe rap « 113 »
Les Princes de la Ville | 1999

Des architectes dont la renommée n'est guère suffisante pour leur ouvrir les tribunes des grands médias, constatent depuis plusieurs années maintenant, une tendance à une progressive diminution des surfaces habitables des logements neufs du parc social, que l'on peut associer aux revendications d'associations de locataires qui dressent chaque année, le bilan d'une augmentation jugée excessive, des loyers et des charges, notamment en cas de [éco]-rénovation d'immeubles HLM.

Exécution | Espace Public






La Révolution de 1789 avait abrogé les supplices des condamnés infligés sur la place publique, et adopté la guillotine : la mort par décapitation qui jusqu'alors était réservée à la noblesse se démocratise et se mécanise. En 1939, le ministre socialiste Daladier interdit la mise à mort publique ; en 1981, le président socialiste Mitterrand abolit la peine de mort ; dans les deux cas, le retard est considérable par rapport aux autres pays démocratiques. Parallèlement, le système pénitentiaire, loin de s'"humaniser", instaura dans le confinement et la discrétion des maisons d'arrêt, des maisons de redressement et des prisons, une « pénalité de l'incorporel », celle de la torture psychologique qui s'adresse autant au corps qu'à l'âme du détenu.  


Michel Foucault
Surveiller et punir
1975

Damiens avait été condamné le 2 mars 1757, à « faire amende honorable devant la principale porte de l’Église de Paris », où il devait être « mené et conduit dans un tombereau, nu, en chemise, tenant une torche de cire ardente du poids de deux livres » ; puis « dans le-dit tombereau, à la place de Grève, et sur un échafaud qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main droite tenant icelle le couteau dont il a commis le dit parricide, brûlée de feu de soufre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jeté du plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix résine brûlante, de la cire et du soufre fondus ensemble et ensuite son corps tiré et démembrer à quatre chevaux et ses membres et corps consumés au feu, réduits en cendres et ses cendres jetées au vent [1] ».

Hocquenghem | Du col Mao au Rotary




Et observant en ces trois-là « la rencontre entre la gauche et le capitalisme », Hocquenghem s’assigna une mission de salubrité élémentaire : « Cerner l’adversaire, puisque nul n’ose le faire. »


Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary

Serge Halimi
Préface du livre de Guy Hocquenghem * (1986)
(Ré) Editions AGONE | 2003


Des millions de français ont vécu leur première expérience politique d’adulte pendant les années 1980. Celles de la gauche au pouvoir, celles du désenchantement et du cynisme, celles qui métamorphosèrent les valeurs les plus inégalitaires en signe de « modernité ». Pour les générations précédentes, les générations militantes, comme ils avaient pourtant résonné, ces quelques mots prononcés à Château-Chinon un soir de victoire, le 10 mai 1981. Le nouveau président y remerciait de leur patience et de leur dévouement « ces femmes, ces hommes, humbles militants pénétrés d’idéal qui, dans chaque commune de France, dans chaque ville, chaque village, toute leur vie ont espéré ce jour où leur pays viendrait enfin à leur rencontre 1 ». Ces mots, sans doute résonnent-ils encore. Mais tout autrement.


L’art des grands projets inutiles



FRANQUIN | Idées Noires | Planche 33 *

L’art des grands projets inutiles

L’arte delle grandi opere inutili
Grandes proyectos inútiles
Alain Devalpo
Le Monde Diplomatique | août 2012

Les grands projets d’aménagement du territoire ne visent pas toujours à satisfaire des besoins. Pour vendre la construction d’une ligne de train à grande vitesse que peu de gens souhaitent utiliser ou celle d’un aéroport dans une région qui n’en nécessite pas, ingénieurs, promoteurs et maîtres d’ouvrage rivalisent d’habileté et de rhétorique. Justifier l’inutile est devenu une véritable culture dont on peut saisir les règles, les rites et les rythmes en lisant la conclusion d’un séminaire — fictif — sur le sujet.

PARIS | Enjeu Écologique : la Décroissance urbaine ?

Cartographie DATAR 2012

L'écologie ne peut prétendre être, si son champ de réflexions et d'application n'est pas conjugué à l'échelle du territoire national, en prenant comme conditions sine qua none, le contrôle et la maîtrise du développement des agglomérations et la réduction des inégalités excessives de croissance entre les régions, entre les villes. Cet axiome rend toute sa cohérence à cette expertise, aujourd'hui plus qu'hier admise par tous, que la croissance démesurée d'une agglomération est strictement incompatible avec les contraintes de l'écologie, et avec les éco-technologies et autres greentech actuelles et - à priori - futures. En aucun cas, une grande agglomération ne peut être qualifiée d'"écologique". En d'autres termes, la logique même de l'idéal écologique exige une politique de développement national qui pose d'emblée le problème de l'aménagement harmonieux du territoire, et celui de l'échelle des villes. 

Dans ce cadre théorique, Paris plus particulièrement, serait donc condamnée à limiter, voire à stopper sa croissance spatiale et démographique, au profit de villes de province situées dans les régions les plus désertées ou sous-développées. Un idéal en parfaite opposition avec la volonté du gouvernement de N. Sarkozy reconduite par celui de F. Hollande, exigeant la croissance de l'agglomération parisienne, sans pouvoir pour autant, accorder les financements nécessaires, voire minimum, quant à sa réalisation. L'écologie politique, dans cette vision, se borne à quelques recettes sectorielles, - inefficaces devant l'ampleur du chantier - de toitures terrasses plantées, d'éoliennes bruyantes, de jardins et potagers urbains - pollués -, de façades « vertes », ou bien agite le spectre de mesures certes plus efficaces mais parfaitement anti-sociales, telle peut-être demain, la réapparition de l'Octroi, destiné à limiter la circulation automobile.


Communisme Municipal | Immigration



Carte établie par les services municipaux de Gennevilliers [PCF] en 1966.

Le 24 décembre 1980, le maire communiste de Vitry-sur-Seine, entreprit de démolir au bulldozer un foyer pour travailleurs immigrés en construction, point culminant d'une lutte engagée dès l'après seconde guerre mondiale. Sans droit de vote, les immigrés nord-africains, vont connaître dans la banlieue rouge de Paris, le communisme municipal : le clientélisme et un racisme "urbain" digne de la famille Le Pen, analysé ainsi par Olivier Masclet :

"... en durcissant les différences de classe déjà existantes, la rénovation urbaine des villes industrielles renforce la ligne de démarcation entre ouvriers français et immigrés, plus que jamais tenus à distance par le personnel politique des municipalités de gauche.


Olivier Masclet
Du « bastion » au « ghetto »
Le communisme municipal en butte à l'immigration
Actes de la recherche en sciences sociales
2005/4 - no 159


Comment rendre compte du regard aujourd’hui porté sur les grands ensembles des banlieues populaires comme autant de « quartiers d’exil 1 » ou de « ghettos » dont les populations –forcément homogènes– vivraient en marge des lois et de la République ? On peut en premier lieu évoquer le travail de dramatisation de la réalité opéré par les journalistes : au cours de ces 20 dernières années, les médias (en particulier la télévision) ont imposé une représentation univoque des cités HLM en termes de délinquance et d’insécurité (les fameuses « violences urbaines ») en assimilant les banlieues françaises aux ghettos noirs américains en dépit de leurs très grandes différences sociologiques et historiques 2. De même peut-on évoquer le rôle des « experts de la ville » dans l’imposition des nouvelles représentations des problèmes sociaux, où l’étude des rapports de classes est systématiquement évincée, voire combattue, au profit d’une simple opposition entre les in et les out.