France

https://www.reddit.com/r/france/comments/z5mu3p/il_est_en_train_de_se_passer_quelque_chose/

En tant que Chinois à l'étranger, qui ne peut que suivre les évènements de loin, je suis bouleversé par le courage dont fait preuve ceux qui osent élever leurs voix, en sachant parfaitement ce qu'ils risquent. Très loin d'avoir ce courage-là, mais ayant la chance d'être à l'extérieur de la Grande Muraille numérique et physique, je peux tenter d'apporter un point de vue "indigène" en complément de ce que vous pouvez lire dans les grands journaux. C'est ma maigre contribution au mouvement.

Tout de suite après les premières manifestations à Shanghai, Pékin, Nanjing... la réponse de l'État ne s'est pas fait attendre : le mouvement est tout de suite qualifié de tentative de "révolution de couleur", qui serait financé et dirigé par les fameuses et nébuleuses 境外势力 (Forces Etrangères), les mêmes qu'à Hong Kong en 2019 sûrement... /s Les lieux de contestation potentielle dans les grandes villes sont quadrillés par la police, qui procède à des fouilles aléatoires des portables des passants, à la recherche d'informations compromettantes. Parmi ceux qui ont pris part aux manifestations, qu'ils aient été arrêtés ou non sur place, beaucoup témoignent de sanctions telles que licenciement immédiat par leur employeur et mise sur liste noire. (Je ne mets pas de liens car les témoignages sont en chinois, et invérifiables forcément dû à l'anonymat).

La principale raison pour ce post de mise à jour, est l'annonce ce matin de la mort de l'ancien président Jiang Zemin. Pourquoi est-ce important dans le contexte actuel ? Je vais expliquer.

Loin d'être une figure qui fait l'unanimité en Chine, il a néanmoins incarné l'ouverture économique de la Chine des années 90 et début 2000, et les Chinois se souviennent des années Jiang avec une certaine nostalgie : l'Internet échappait encore largement à la censure, on attendait les JO de Pékin avec un vrai espoir que la Chine serait enfin ouverte et intégrée au reste du monde. Bien entendu, même si on est nostalgique de l'époque, on reste lucide sur l'homme : Jiang a posé les bases de bien des problèmes de la Chine aujourd'hui, et il s'était cramponné au pouvoir après la fin de son mandat.

Mais depuis l'accession au pouvoir de Xi, Jiang n'a fait que gagner en popularité, surtout sur l'internet chinois : comme on ne peut pas critiquer le président en place, une manière détournée de le faire est de chanter les louanges (teintées d'ironie bien sûr) des leaders précédents. Jiang est ainsi presque devenu une figure contestataire. Par contraste avec Xi, Jiang et la faction du parti qu'il représentait faisaient figure de libéraux. Le fait que tous les membres de cette faction aient été écartés du cœur du pouvoir au dernier congrès du PCC en octobre, a été le signal le plus fort de la mainmise totale de Xi sur le pays.

Et ce matin, dans un hôpital de Shanghai, Jiang s'éteint. A priori de vieillesse : il avait 96 ans.

Les deuils d'anciens dirigeants en Chine ont souvent été des prétextes pour le peuple d'exprimer son mécontentement. En 1989, quelques jours après la mort de l'ex-chef du PCC Hu Yaobang, largement vu comme progressiste et réformateur, 100 000 étudiant pékinois marchaient vers la place Tiananmen pour commémorer sa disparition. On connaît malheureusement la suite.

Qu'en sera-t-il cette fois-ci ? Difficile à dire. Il y a peu de chance que des processions de commémoration soient permises. Mais il y a toutes les chances que l'événement catalyse encore davantage la colère populaire. Le mouvement est très loin d'être terminé.