éditoriaux
Poésie et vérité
Représenter ou constituer une parole "vraie", à même de produire des effets de vérité : telle est l'ambition "poétique" étudiée par le 24e numéro de Fabula-LhT : littérature, histoire, théorie. Sous le titre Toucher au « vrai » : la poésie à l'épreuve des sciences et des savoirs, l'ensemble livre une douzaine de réflexions sur la nature de cette ambition et sur les formes de ces effets, différents du savoir philosophique comme des résultats objectifs et mesurables de la science, au sens moderne du terme, mais non pour autant purement subjectifs ou strictement "poétiques". Coordonné par Annick Ettlin et Jan Baetens, le numéro couvre des périodes très variées, du Moyen Âge aux écritures plus contemporaines, dans une attention à un large éventail de styles et de genres. Comme de coutume, un dossier critique de notre revue des parutions Acta fabula accompagne ce sommaire, pour proposer un état-présent des travaux sur les savoirs de la poésie.
(Illustr.: P. Éluard, Poésie et vérité, 1942 ; Neuchâtel : La Baconnière, [1943])
Littérature et publicité
Réclame, publicité, buzz, storytelling… Quel que soit le nom accolé à cette réalité de toujours, la littérature est aussi affaire de marketing : vendre et faire vendre, il faut bien en venir là ou en partir. Tout n’est-il pas une question de prix, ou de Prix ? Complicité plus ou moins frauduleuse, partenariat mutuellement avantageux, promotion de l’idéal littéraire quand même – selon l’inclination éthique ou politique de chacun, on peut en juger de façons bien différentes, sans oublier l’esthétique, qui fait pardonner bien des errements et quelques compromissions. Issu du programme de recherches sur les relations entre littérature et publicité initité par Myriam Boucharenc, le nouveau numéro d’Histoires Littéraires cherche avant tout à documenter un phénomène où le sacerdoce pactise avec le négoce, selon le mot de Valéry (qui s’y connaissait). Avec cette livraison, la revue Histoires littéraires inaugure aussi une nouvelle formule : la constitution d'anthologies documentaires.
Délivrer le temps
Comment la littérature pénètre-t-elle dans le musée, ce lieu où s'éclaire la présence des œuvres ? Que nous dit la littérature du lieu où la peinture s’expose ? Patrick Wald Lasowski a invité une trentaine de ses amis à s'interroger sur la façon dont la littérature recrée le dialogue entre les œuvres, "à mesurer non seulement l’action qu’elles exercent sur la spectatrice ou le flâneur, mais le lien qu’entretiennent avec elles gardiens et gardiennes des lieux, tandis que le monde alentour se laisse découvrir par la fenêtre". Sous le beau titre de Délivrer le temps. Écrire le musée (XIXe-XXIe siècles), leurs réponses se trouvent aujourd'hui réunies, comme autant d'invitations à méditer la possibilité d’une pensée littéraire spécifique sur les œuvres d’art réunies au musée. Avec la complicité des éditions Hermann, Fabula donne à lire l'introduction du volume…
Théories de la surveillance
Si, d’un point de vue empirique, la surveillance est bien identifiée depuis plusieurs décennies comme un enjeu majeur - politique, social et économique – de nos sociétés contemporaines, donnant lieu à de nombreux dossiers et investigations journalistiques, le champ des écrits théoriques sur le sujet reste assez méconnu, souvent aimanté par la seule hypothèse "panoptique" formulée par Foucault dans Surveiller et punir (1975). Le fait est que les situations que nous vivons semblent accréditer l'idée d'une logique principalement "gouvernementale", portée par un arsenal de dispositifs de type avant tout "disciplinaire". Il n’est que d’évoquer la crise sanitaire actuelle… Dans Les théories de la surveillance. Du panoptique aux Surveillance Studies (A. Colin), Olivier Aïm ouvre l'œilleton sur une tradition de textes qui préexiste à la thèse foucaldienne (Taylor, Weber, James B. Rule), comme sur les relectures et les amendements théoriques qui lui succèdent, et l'horizon immense de recherche qui s’est ouvert depuis une vingtaine d’années : la société de contrôle (G. Deleuze), le paradigme sécuritaire (G. T. Marx ; G. Agamben), la capture (P. E. Agre), la dataveillance (R. Clarke), la vigilance (M. Foessel), la sousveillance (S. Mann), la gouvernementalité algorithmique (T. Berns et A. Rouvroy), le tri panoptique (O. Gandy ; D. Lyon), la société de la transparence (D. Brin ; B. C. Han ; E. Alloa ; etc.) ; la shareveillance (C. Birchall), le capitalisme de surveillance (S. Zuboff), la surveillance sociale (D. Boyd et A. Marwick), la société de l’exposition (B. E. Harcourt), le design de l’obscurité (W. Hartzog), l’obfuscation (F. Brunton et H. Nissenbaum)… L'Atelier de théorie littéraire de Fabula inaugure une nouvelle entrée "Surveillance" avec un extrait de l'ouvrage : "Le tournant "actuariel" de la littérature surveillancielle : Dostoïevki et Zamiatine".
Donner un sens à la misère
Après Le Dernier jour d'un condamné présenté par M. Stein et la Préface de Cromwell éditée par C. Anfrey, la collection GF-Flammarion poursuit son entreprise de réédition des grands titres de V. Hugo avec Les Misérables dans une édition très attendue, établie et présentée par P. Laforgue. Le spécialiste s'y est proposé de "restaurer les lisibilités perdues, en tenant compte de l’historicité de l’écriture", car l'écart entre cet immense roman et le public d'aujourd'hui est devenu immense, pour mieux saisir la force symbolique de la fiction qui n'a rien perdu de son actualité. Car Les Misérables n'ont qu'un objet : "interroger la misère, bien qu’elle échappe au discours, et lui donner un sens, bien qu’elle n’en ait pas". Fabula vous invite à feuilleter le tome I… Les deux volumes sont accompagnés d'un troisième intitulé Philosophie : un essai rédigé par V. Hugo en 1860 au moment de reprendre le manuscrit de son roman après douze ans d'interruption. De l'aveu même de son auteur, cette Préface philosophique des Misérables, "contient un quasi-ouvrage sur [sa] philosophie religieuse personnelle, pouvant servir, soit de préface spéciale aux Misérables, soit de préface générale à [ses] œuvres".
Études africaines
Acta fabula consacre son 59e dossier critique aux études africaines. Le dossier coordonné par Christine Le Quellec-Cottier et Simona Sala, à l'initiative du Pôle pour les études africaines de la faculté des Lettres de l'Université de Lausanne (PEALL) témoigne d'une relecture active du champ des littératures mettant en scène un univers africain – continental ou diasporique – impliquant autant l’histoire littéraire, des formes singulières que le temps de l’Histoire. Il vient mettre en lumière un renouveau des études sur les littératures et les arts africains, souvent parce que les propositions sont interdisciplinaires et envisagent un continent connecté, partenaire d’autres parties du monde : il ne s’agit pas – ou plus – d’affirmer une spécificité, mais de faire connaître des créations et des initiatives qui résonnent sur des plans similaires, chacune à sa façon. Après l'édition d'Afriques transversales, qui réunissait les textes des entretiens littéraires tenus à l’École Normale Supérieure, les actes du colloque de Lausanne sur L'œuvre de Yambo Ouologuem. Un carrefour d'écritures (1968-2018) et la récente publication d'une journée d'étude consacrée à Henri Lopes, ce dossier "Études africaines: nouvelles approches, nouveaux enjeux" vient redire que l'Afrique est chez elle sur Fabula.
Centenaire Jean Starobinski (1920–2020)
En 2018, les Archives littéraires suisses décidaient de concevoir une exposition virtuelle pour commémorer le centenaire de la naissance de Jean Starobinski (1920–2019). Conçu avec l'aide de l'ECAL Lab (École Polytechnique Fédérale de Lausanne), le projet a réuni pendant deux ans, au gré d’un vaste chantier expérimental, des experts de littérature, en recherche muséale, en design, en ingénierie et psychologie. L'équipe a observé, documenté, commenté, l’histoire de la critique et la critique de la critique, à une époque où les débats sur celle-ci faisaient la une des grands journaux. L’exposition Relations critiques, couronné par le Prix "Le Meilleur du Web" 2020 est désormais ouverte au public.