éditoriaux
Le corps a ses raisons
Le corps a-t-il une histoire ? Madame Bovary avait-elle de la fièvre ? Pourquoi Molière se moque-t-il des médecins ? Les psychiatres soviétiques ont-ils révolutionné l’approche des maladies nerveuses ? Et encore : d’où vient la semence ? Le stress est-il une maladie ? Telles sont quelques-unes des questions étonnantes que Jean Starobinski affronte dans ses enquêtes d’histoire de la médecine, réunies aujourd'hui par M. Rueff sous le titre Le corps a ses raisons (Seuil). D'un essai à l'autre, l’historien se penche sur les disciplines qui ont tenté de cerner les "raisons du corps" : il y a le corps des médecins, celui des philosophes, celui des écrivains, celui des peintres…. M. Rueff nous rappelle que J. Starobinski pratiqua et étudia la médecine comme "une discipline du sens". Si le colloque qui devait marquer à Genève, les 13 et 14 novembre prochain, le centième anniversaire de Jean Starobinski a dû être annulé, saluons par anticipation la parution prochaine de son Histoire de la médecine aux éditions Héros-Limite. Fabula la signalera mieux en temps voulu.
L'ordre des temps
À l’instar de Buffon reconnaissant les «Époques» de la Nature, F. Hartog s'attache à distinguer des époques du temps, des manières grecques d’appréhender Chronos jusqu’aux graves incertitudes contemporaines, avec un long arrêt sur le temps des chrétiens, conçu et mis en place par l’Église naissante : un présent pris entre l’Incarnation et le Jugement dernier. Dans Chronos. L'Occident aux prises avec le Temps (Gallimard), il nous invite à observer comment l’emprise du temps chrétien s’est diffusée et imposée, avant qu’elle ne reflue de la montée en puissance du temps moderne, porté par le progrès et en marche rapide vers le futur. Jusqu'à notre présent : "un temps inédit a surgi, vite désigné comme l’Anthropocène, soit le nom d’une nouvelle ère géologique où c’est l’espèce humaine qui est devenue la force principale : une force géologique. Que deviennent alors les anciennes façons de saisir Chronos, quelles nouvelles stratégies faudrait-il formuler pour faire face à ce futur incommensurable et menaçant? ". Fabula vous invite à lire un extrait de l'ouvrage…
Raisons d'agir. Passions et intérêts au XIXe siècle
À la croisée de la psychologie cognitive, de l’histoire des idées et de la poétique du roman, un récent colloque tenu à la Sorbonne se proposait d'examiner les ressorts des conduites dans les fictions du XIXe siècle, sous l'intitulé "Raisons d'agir : passions et intérêts dans le roman français du XIXe siècle". Les Colloques en ligne de Fabula en accueillent aujourd'hui les actes, réunis et présentés par Boris Lyon-Caen, avec la collaboration d’Aurélia Cervoni et de Pascale Langlois.
La vérité sur les fausses nouvelles
On ne l'attendait pas sur ce terrain, même en sachant son indéfectible passion pour la vérité des paradoxes: Pierre Bayard prend la défense des fake news dans un essai dont l'intitulé est lui-même sans vergogne: Comment parler des faits qui ne se sont pas produits ? (Minuit). Il nous y invite à reconnaître les bienfaits des informations fausses, dans notre existence privée et comme dans la vie collective. "Elles ne sont pas seulement, en effet, source de bien-être psychologique, elles stimulent la curiosité et l’imagination, ouvrant ainsi la voie à la création littéraire comme aux découvertes scientifiques." Vraiment ? Fabula vous invite à lire les premières pages de l'ouvrage, à feuilleter un extrait, ou à voir la vidéo de présentation…
L'art d'assaisonner les textes
Après B. comme Homère. L'invention de Victor B. (2016) et Carmen, pour changer (2018), Sophie Rabau prolonge sa salutaire réflexion sur la "lirécriture" en enseignant L'Art d'assaisonner les textes, un essai lui-même assez relevé qui paraît ces jours-ci aux mêmes éditions Anacharsis avec ce sous-titre : Théorie et pratique de l'interpolation. Le geste de l'interpolateur y est défini comme "la capacité à intervenir – selon des principes bien établis – dans tous les textes, selon une logique de lecture active". Fabula vous invite à découvrir un extrait de l'ouvrage…
L'institut W.
Ancienne élève d’Ernst Cassirer, philosophe, historienne de l’art, bibliothécaire, Gertrud Bing (1892-1964) collabore dès la fin 1921 à la Bibliothèque Warburg des sciences de la culture (KBW). Elle devient bientôt l’assistante d’Aby Warburg qu’elle accompagne dans son dernier voyage italien. Ouvrière essentielle du collectif que représente l’Institut Warburg depuis sa naissance, elle en a assuré, entre autres, la transmission de la mémoire de ce laboratoire décisif de la pensée du XXe siècle et d’une histoire de l’art qui a accompli là son tournant décisif. C’est elle qui, en 1932, trois ans après la mort de Warburg, réalise la première édition de ses Écrits. À partir de 1933-1934, c’est elle qui dirige avec Fritz Saxl le redéploiement de l’Institut à Londres, le sauvant de sa destruction par le régime national-socialiste. En 1955, succédant à Henri Frankfort, elle assume la direction de l’Institut, désormais associé à l’Université de Londres. Nommée membre honoraire à partir de 1960, elle a continué à éditer les publications de l’Institut tout en travaillant à une biographie intellectuelle de Warburg. Bing meurt en 1964, laissant inachevé son dernier grand projet, une biographie intellectuelle de Warburg. Édités par Philippe Despoix et Martin Treml, et préfacés par Carlo Ginzburg, les Fragments sur Aby Warburg (INHA éd.) rassemblent pour la première fois les textes ayant trait à ce projet de biographie intellectuelle de Warburg dans leurs langues originales, l’allemand et l’anglais, entre lesquelles oscille l’écriture de Gertrud Bing.
(Illustration : G. Bing, A. Warburg et H. Volmer à Rome en 1929, avec la feuille de Strohmeyer. The Warburg Institute, archives)
Une histoire mondiale du musée
Krzysztof Pomian fait paraître en français le premier tome de son maître-livre : Le musée, une histoire mondiale (Gallimard). Des accumulations des tombeaux égyptiens ou chinois et des trésors royaux jusqu’à notre Louvre d’aujourd’hui, entre autres lieux, il faudra du temps pour que le musée trouve sa forme et sa fonction de conservation, d’étude et d’exposition des objets. Le premier volume de cette monumentale entreprise (trois tomes sur deux ans), Du trésor au musée, part d’un passé éloigné pour arriver à la création de l’institution appelée "musée", inventée en Italie à la fin du XVe s., gagnant toute l’Europe au XVIIIe s. Une histoire faite de dons et de marchandises, de vols et de pillages, de guerres et de diplomatie. Et aussi d’architecture, de manière de contempler et de manier les objets, de problèmes juridiques et d’organisation, avant les vastes débats d’exposition, d’éclairage, d’accrochage qui suivront. Une histoire d’art, mais aussi de commerce, de savoirs, de techniques.