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Louis Bernard de Montbrison

Pascal Duris, Hugues Marchal

Auteur : Louis Bernard de Montbrison (1768-1841)

Source : Lettres à Madame de C** sur la botanique et sur quelques sujets de physique et d’histoire naturelle ; suivies d’une Méthode élémentaire de botanique, Paris, Levrault, an X-1802, t. I, p. 46-49.

Texte (extrait)

Vous pensez, Madame, que l’étude des plantes exige la connaissance de la langue latine ? Quelques gens habiles vous l’ont dit ; et vous craignez que la botanique, à l’instar des autres sciences, n’ait été traitée que par des savants brouillés avec les grâces ?

Ah, Madame, que ces auteurs vous sont peu connus ! ils ont écrit, il est vrai, en latin pour la plupart ; mais Cicéron lui-même, s’il revenait au monde, n’entendrait rien à ce latin nouveau ; et vous voilà d’abord, à peu de chose près, aussi avancée que le serait ce grand homme.

Linné, savant suédois, une des éclatantes lumières de la botanique moderne, fut un auteur galant et agréable, comme j’espère vous le prouver. Il s’occupa du sexe des plantes, de l’amour végétal, et rapporta tout son système à ce sexe et à cet amour. Vous sentez, madame, qu’un homme qui apportait à l’étude des idées aussi riantes, n’était point un auteur bourru, dépourvu d’urbanité. Il suivit les plantes au moment de leurs épanouissements amoureux ; il prit mille fois la nature sur le fait, et il a consigné ses curieuses observations dans son Systema sexuale, c’est-à-dire… système sexuel.

Ce livre tomba d’abord entre les mains des savants, qu’il fit rire in petto dans le cabinet ; mais exclusifs dans leurs plaisirs, ces messieurs ont longtemps dédaigné de traduire cet ouvrage en faveur des dames, et naguère encore il gisait doctement dans la vénérable poussière des bibliothèques, d’où quelques modernes ont cherché à le retirer.

Daignez, Madame, jeter les yeux sur ce tableau1. Voilà le système de Linné, présenté d’une manière méthodique, et traduit à l’usage des dames. […] Il n’est aucune plante qui ne vienne se classer à l’extrémité de l’une de ces ramifications ; et toutes ces classes prises ensemble, forment une galerie, une suite de tableaux de galanterie, la plus complète qui ait encore paru.

Tout ceci excite votre curiosité, je le sens ; mais ce ne sera point en vain, et je compte bien vous intéresser par les détails du système. Vous serez émerveillée, Madame, de ne voir jamais que l’amour, où vous pensiez trouver tout autre chose. […]

Vous ne pourrez désormais, Madame, faire un pas dans la campagne sans trouver dans la moindre fleur une source de plaisirs vrais et de découvertes intéressantes.

Heureux qui vous suivra sur ces aimables routes,
Dans les prés émaillés, de vos pas embellis,
Sur ce règne amoureux éclaircira vos doutes,
Et verra ses doux soins payés par un souris !

 Commentaire

Bernard de Montbrison emploie un dispositif complexe pour populariser la botanique linnéenne. D’une part, son ouvrage prend la forme d’une suite de lettres, qu’un locuteur masculin envoie à une destinatrice anonyme, intéressée par la botanique. D’autre part, la prose de ces lettres est régulièrement interrompue par des petites pièces en vers, qui permettent au scripteur de badiner sur les beautés de son interlocutrice et d’exprimer son envie de la séduire. Enfin, la sexualité végétale, à la base du système de Linné, est présentée comme une matière elle-même égrillarde et qui ne peut à ce titre qu’intéresser le public – un programme que la suite de l’ouvrage ne se privera pas d’exploiter, en multipliant des équivoques liées aux analogies employées par Linné : comme étamine et pistil représentent chez le naturaliste l’équivalent d’un homme et d’une femme, mais aussi de leurs organes sexuels, et comme la plupart des fleurs rassemblent plus d’une étamine et d’un pistil dans une seule corolle, les multiples conjonctions rencontrées valent manuel d’érotologie. Aussi ce prosimètre, qui inclut par ailleurs des figures et nomenclatures fort sérieuses, constitue-t-il un curieux hybride tant pour sa forme que pour ses thèmes et ses visées : il mêle vers, prose, roman épistolaire, leçon, science, badinage et érotisme, tout en se réclamant de Linné, auteur non moins « galant et agréable ».

Lien vers la source

  1. L’auteur renvoie à un grande planche dépliante, qui expose la classification de Linné. []