Contexte, scansions, orientations
La diffusion des savoirs biologiques participe à compter des années 1830 du mouvement de vulgarisation scientifique par la presse. À ce moment apparaît la première génération de ces vulgarisateurs, l’ouverture des séances hebdomadaires de l’Académie des sciences à un plus large public permettant aux journalistes de s’emparer de sujets scientifiques. Parallèlement à cela, les progrès techniques sont tels qu’ils facilitent la transmission des informations à la presse alors que les savants étaient généralement méfiants à l’égard de cette publicité. Face à des académiciens excédés par les inexactitudes de la presse, Arago prend la décision de fonder en 1835 les Comptes rendus des séances hebdomadaires de l’Académie des sciences, qui deviennent dès lors les principaux pourvoyeurs d’information pour les journalistes.
Feuilletons scientifiques et annuaires
La première forme de journalisme de vulgarisation scientifique à se déployer dans ce contexte est le feuilleton scientifique : Le Globe, le Journal des débats, Le Siècle, La Presse, Le Moniteur, Le Constitutionnel, Le Pays ou L’Événement en proposent tous. Ces titres attribuent à une seule personne le soin d’alimenter une rubrique pérenne rédigée sur le modèle de la chronique littéraire : le ton peut varier mais il s’approche volontiers d’une causerie à bâton rompu. Capable de traiter aussi bien de médecine que d’astronomie ou de physique, le chroniqueur ancre ainsi la diffusion des sciences au sein du quotidien, le périodique qui l’emploie lui offrant en retour de mettre en scène assez librement son éthos.
Une bonne façon de recenser ce type de publication consiste non pas à consulter les périodiques mais à chercher d’abord les annuaires – des ouvrages publiés chaque année pour la période des étrennes – que la plupart des chroniqueurs constituent à partir de leurs feuilletons. Figuier inaugure cette mode dès 1856 avec L’Année scientifique et industrielle, mais il sera suivi par une quantité impressionnante d’émules dont la liste exhaustive demande encore à être établie. Les annuaires de Figuier, Samuel-Henri Berthoud, Henri de Parville et Victor Meunier constituent une bonne entrée pour accéder à ce type de publication.
Magasins généralistes
La seconde forme de journalisme de vulgarisation scientifique se développe au même moment dans le cadre des magasins généralistes, qui traitent également de science, de littérature ou d’art : ces titres s’adressent prioritairement à un public soucieux de s’instruire. Girardin lance dès 1831 le premier périodique de ce type, le Journal des connaissances utiles, qui connaîtra initialement le succès mais qui pâtira énormément de l’apparition du Magasin pittoresque d’Édouard Charton en 1833. D’inspiration saint-simonienne, ce périodique doit être considéré comme le modèle fondateur de la presse de vulgarisation du xixe siècle. La totalité des magasins généralistes, tels Le Musée des familles ou Le Magasin d’éducation et de récréation, devront se positionner et chercher à innover, parfois en produisant de la fiction inédite ou en ciblant plus spécifiquement encore le public enfantin.
De périodicité hebdomadaire, le Magasin pittoresque compte huit pages répartissant leur matière sur deux colonnes, le prix de vente étant fixé à deux sous. De numérotation continue, il est conçu pour que l’ensemble des livraisons soit relié en fin d’année, une table des matières étant spécialement éditée pour l’occasion : périodique dans son édition, il devient donc livre à terme. Objet hybride, il tire à la fois parti des qualités de l’ouvrage de librairie et des journaux et revues. Approcher les savoirs biologiques dans ce type de publication permet de s’intéresser de près au rapport texte/image et à la rivalité/complémentarité du pittoresque et de la rigueur scientifique des illustrations, les sciences naturelles comptant parmi les domaines de prédilection de ce type de presse.
Presse de vulgarisation dédiée à la science en général
Une troisième forme de journalisme scientifique se bâtit plus tardivement sur le modèle des magasins généralistes : prenant le pouvoir en 1852, Napoléon III muselle la presse, ce qui favorise directement l’essor d’une multitude de périodiques non politiques. La vulgarisation scientifique voit alors apparaître les premiers hebdomadaires qui lui sont dédiés. En toute logique, l’Exposition universelle de 1855 donne naissance à nombre de titres spécialisés : au Cosmos – fondé dès 1852 par l’abbé Moigno – viennent s’ajouter L’Ami des sciences, La Science pour tous et Le Musée des sciences.
À quelques exceptions près, la majorité de ces titres voudrait faire figure de Magasin pittoresque spécialisé dans les sciences, mais, faute de moyens, d’expérience et de légitimité, il faudra attendre la fin de la guerre de 1870 pour que ces aspirations se réalisent pleinement : fondé en 1873, le périodique La Nature est dirigé par Gaston Tissandier, lequel a été formé par Charton même au sein du Magasin pittoresque. Tissandier en reprend la maquette mais pas la tarification. Valant bien plus cher, le périodique s’appuie sur la puissance de l’éditeur Masson pour offrir des illustrations d’une qualité esthétique sans rivale, les textes étant rédigés aussi bien par des vulgarisateurs professionnels que des savants.
Dès ce moment, La Nature devient le modèle dominant de sa catégorie, de nombreux périodiques tentant de lui faire concurrence tout le long du siècle. Il faudra attendre 1913 pour que La Science et la vie, futur Science et vie, vienne rebattre les cartes de ce champ médiatique.
Ce type de presse est spécialement intéressant pour une étude de la transmission des savoirs biologiques : sous le Second Empire, ses titres s’intéressent par exemple de façon assez appuyée au microscope, des savants tels que Claude Bernard et Charles Robin contribuant alors à la revalorisation des usages de l’optique dans un cadre médical. La querelle de la génération spontanée peut également être suivie dans des périodiques grand public tels que La Science pour tous ou Le Musée des sciences, leurs illustrations s’avérant souvent intéressantes. La Revue des cours scientifiques de la France et de l’étranger (future Revue scientifique), fondée en 1863 aux éditions Germer Baillière, propose quant à elle des cours et conférences reproduits le plus souvent sans altération (mais peu illustrés), ce qui permet idéalement de confronter l’écriture des hommes de presse à celle de savants s’adressant au grand public. De manière générale, les champs médical, zoologique et botanique sont omniprésents dans ces périodiques.
Après 1870, l’attention des vulgarisateurs s’oriente davantage vers les problématiques physiologiques, la question des normes corporelles devenant obsessionnelle, chose que l’on vérifie aisément dans la multiplication d’articles traitant de tératologie, d’hygiène et d’anthropologie. En dehors de La Nature et de la Revue scientifique, les titres suivants méritent une attention particulière : L’Ami des sciences, La Science pour tous, Le Musée des sciences, La Science pittoresque, La Science populaire et la seconde incarnation de La Science illustrée (1888).
Presse spécialisée dans les savoirs biologiques
Une quatrième forme de journalisme scientifique demande encore à être précisément cartographiée : la presse spécialisée dans le champ biologique. Une recherche dans le catalogue de la BnF pour la période 1800-1900 s’appuyant sur le mot « biologie » révèle trois titres dominants du point de vue de la longévité, Masson y occupant une place importante : les Comptes rendus des séances de la Société de biologie et de ses filiales (Masson, 1849-1998), les Archives de biologie (Masson, 1880-1974) et L’Année biologique (1895-2001). Trois titres de langue allemande paraissent eux aussi spécialement intéressants en terme de longévité : Zeitschrift für Biologie (1865-1922), Biologisches Zentralblatt (1881-1996) et Jahresbericht über die Fortschritte der gesammten Medicin in allen Ländern (1841-1916), qui consacre à compter de 1843 l’une de ses quatre sections à la biologie.
Si l’on effectue une recherche basée sur les mêmes critères en partant d’autres termes (« botanique », « sciences naturelles », « histoire naturelle », « physiologie », « hygiène », « anatomie », etc.), le corpus devient pléthorique. Le seul mot « médecine » révèle plusieurs centaines de périodiques édités rien qu’au xixe siècle. Pour l’ensemble de ces domaines, les publications de sociétés savantes semblent logiquement prédominer dans la première moitié du siècle, d’autres titres aux consonances vulgarisatrices plus prononcées apparaissant après 1850. Seul un classement systématique permettra de déterminer la proportion de périodiques savants ou de vulgarisation, en veillant à distinguer les diverses sous-catégories propres à certains domaines.
Brève bibliographie
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Christophe Charle, Le Siècle de la presse (1830-1939), Paris, Seuil, 2004.
Axel Hohnsbein, La Science en mouvement. La presse de vulgarisation scientifique au prisme des dispositifs optiques, université Lumière Lyon 2, thèse de doctorat, 2016.
Yves Jeanneret, Écrire la science. Formes et enjeux de la vulgarisation, Paris, PUF, 1994.
Dominique Kalifa, Philippe Régnier, Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant dir., La Civilisation du journal, Paris, Nouveau Monde, 2011.
Daniel Raichvarg et Jean Jacques, Savants et ignorants, Paris, Seuil, « Points », 1991.
Romantisme, 1989, n°65 : « Sciences pour tous ».