Panel – Styles de pensée, pensées du style : écrire le vivant

Congrès Nineteenth-Century French Studies Colloquium – 2017

University of Virginia (USA) – 9-11 novembre 2017

http://www.ncfs2017.org/

1. « Entre mort et vie : le style à l’épreuve des limites »

Claire Barel-Moisan, CNRS Lyon, ANR Biolographes

Dans la lignée des Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1800) de Xavier Bichat qui définissent la vie comme « l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort », scientifiques et écrivains tentent, tout au long du XIXe siècle, de comprendre « le vivant » à partir d’une problématisation des limites qui le séparent de la mort. Deux moments privilégiés de fascination pour ces limites se dégagent, présentant des enjeux scientifiques et idéologiques distincts. À l’époque romantique, une littérature « galvanique » interroge de multiples cas de morts partielles ou douteuses, autour de deux modèles : les têtes coupées, et les résurrections de cadavres électrisés. En témoignent, notamment L’Âne mort et la femme guillotinée de Janin (1829), L’Élixir de longue vie de Balzac (1830) et Le Lendemain du dernier jour d’un condamné de Cherbuliez (1829). Au-delà des expériences de Bichat sur des condamnés, puis du Docteur Andrew Ure (1818), on continue en effet de questionner la vie à partir des frontières de la mort, comme le fait le professeur Julia de Fontenelle dans ses Recherches médico-légales sur l’incertitude des signes de la mort (1834). Littéraires et scientifiques se rejoignent donc dans une approche matérialiste de la mort, qui déplace la dialectique classique entre corps et esprit dans des scènes ironiques 3de résurrections ratées. Loin de cette littérature « horrifique », la seconde moitié du siècle explore les limites entre vie et mort autour d’expériences différentes. Il s’agit désormais d’envisager l’intrication consubstantielle de la mort et de la vie, que problématise exemplairement le débat sur la génération spontanée. « Une charogne », de Baudelaire (1857) ou Nana de Zola (1881) apparaissent comme autant de variations sur la vie naissant de la mort même. Derrière ces deux manières de dépasser les limites entre vie et mort afin de mieux penser le vivant se joue également l’opposition entre des univers stylistiques dont cette communication entreprend de peser les enjeux tant esthétiques que sociaux.

Claire Barel-Moisan

2. « Écrire l’histoire naturelle au XIXe siècle : le style de Félix-Archimède Pouchet »

Bénédicte Percheron, Fondation Maison des Sciences de l’Homme de Paris – FMSH, ANR Biolographes

Fondateur du Muséum d’histoire naturelle de Rouen, contradicteur célèbre de Pasteur, grand vulgarisateur dans le domaine des sciences naturelles, Félix-Archimède Pouchet a fréquenté de nombreux écrivains, dont Flaubert et Michelet. Il a laissé une production originale dans son domaine : en effet, plus que ses collègues, il combine avec beaucoup de dextérité l’histoire mythologique, l’histoire des sciences avec les connaissances de son époque. Il développe alors un style littéraire unique qui sert directement la vulgarisation scientifique. Dans cette perspective, il a laissé plusieurs écrits, comme l’Histoire des sciences naturelles au Moyen Âge ou Albert le Grand et son époque de 1853 ou encore L’Univers : les infiniment grands et les infiniment petits, un ouvrage de vulgarisation scientifique (1865), plusieurs fois réédité. Le Muséum d’histoire naturelle de Rouen, qu’il a fondé en 1828 et dirigé jusqu’à sa mort (1872), conserve aussi un volumineux manuscrit intitulé Histoire pittoresque et archéologique des oiseaux qui montre le même mélange de mythologie et de science. Bien qu’il valorise l’observation, son recours à la mythologie est une manière habile d’attirer le profane vers la science mais peut-être aussi d’esquisser quelques hypothèses. Il a par ailleurs mis en pratique cette méthode originale, dans ses cours au Collège royal de Rouen où il enseigne l’histoire naturelle, notamment à Flaubert. Il n’est ainsi pas exclu que cette façon si particulière de présenter la science en mouvement n’ait pas influencé d’autres écrits, au-delà même des sciences. Cette communication cherche ainsi à évaluer la place de l’écriture dans l’oeuvre de ce naturaliste. 

Bénédicte Percheron – Gisèle Séginger

3. « Ernest Renan : pour une embryogénie de l’esprit humain »

Azélie Fayolle, Université Paris-Est, ANR Biolographes

Après avoir quitté, le séminaire de Saint-Sulpice et renoncé à devenir prêtre, Ernest Renan écrit, en 1848, L’Avenir de la science (publié seulement en 1890). C’est l’esquisse d’un projet qu’il désignera comme une embryogénie de l’esprit humain. Renan veut considérer que les produits culturels que sont les langues et les religions ont une vie propre : ils naissent, vivent, meurent et évoluent, à l’image des organismes. Renan pense le vivant en un sens large, comme une force presque immatérielle, mais dont les traces dans l’histoire sont perceptibles et analysables. Dès lors, la philologie devient pour lui le prolongement des sciences naturelles, auxquelles elle peut emprunter des méthodes et notamment l’analogie, dont Lamarck avait défendu, en 1809, dans Philosophie zoologique, le rôle heuristique lorsqu’il s’agit de penser les transformations inobservables du vivant sur une longue période. Pour penser le vivant dans le domaine des sciences historiques (auxquelles appartient la philologie), Renan adopte un certain style de pensée, en partie hérité de la Naturphilosophie allemande. Il s’appuie aussi sur une pensée du document : les textes sacrés ne peuvent plus, pour Renan, être considérés comme des textes révélés ; ils sont eux-mêmes les réceptacles de la vie intellectuelle et spirituelle de générations de croyants et de copistes qui les ont créés et transformés. Ils portent les traces philologiques et culturelles d’une histoire des religions depuis leurs origines dont il faut retrouver les stratifications. 

Cette communication se donnait pour objectif d’étudier les métaphores organicistes (peu abordées par les études sur le style de Renan), qui ont permis à l’historien de penser les phénomènes culturels comme des êtres vivants. C’est avec une riche imagerie, qu’il retrace leurs évolutions en termes naturalistes. Bien plus, le texte produit par l’historien doit lui-même être à l’image de son objet d’étude et se faire organique.

Azélie Fayolle

4. Flaubert : des savoirs du vivant à la pensée en style.

Gisèle Séginger, Université Paris-Est, Institut Universitaire de France et FMSH – ANR Biolographes

Contre les préjugés moraux et religieux, mais aussi contre le style romantique, Flaubert a défendu l’idée d’une littérature exposante, en se référant aux sciences naturelles. Il lui semble par ailleurs nécessaire de fonder une véritable science de l’homme, à l’image de ce que fait cette discipline : il faudrait étudier l’homme comme les naturalistes étudient les mastodontes et les crocodiles, sans idées préconçues (lettre du 31 mars 1853). Imaginant à partir de cela la possibilité d’une littérature positive, il donne au style un rôle essentiel : s’appuyant sur la réflexion de Buffon à propos de l’unité de la forme et du fond et sur l’organicisme goethéen, Flaubert élabore une conception du style qui sera « à lui seul une manière absolue de voir les choses » (16 janvier 1852). Or, voir c’est, pour Flaubert, une manière de penser d’une façon nouvelle, car il s’agit de devenir un « triple penseur » (26 avril 1853), en tenant à distance dans les œuvres tous les discours, ceux de la science comme ceux de la bêtise bourgeoise : la perspective critique de l’écriture flaubertienne, l’ironie qui retourne le pour et le contre, et donne toujours un tour de plus, font du style la force organique de l’œuvre. La réflexion de Flaubert sur le style comme manière de penser – en action, jamais figée par des idées et des discours – mobilise des conceptions et des métaphores empruntées aux sciences du vivant, afin de concevoir différemment la littérature, sans référence à des règles éternelles ni à des révolutions esthétiques ou des écoles. Cette communication s’efforçait d’éclairer quelques-uns des présupposés épistémologiques d’une conception du style comme manière de penser sans pensée.

Gisèle Séginger

University of Virginia – Le Campus