Présentation

Ce programme de deux ans (2013-2014) avait pour objectif d’étudier l’implication dans les textes littéraires du XIXe siècle de modèles de pensée et de représentations du temps empruntés à deux domaines scientifiques différents : l’histoire et la biologie (ou plus largement les sciences naturelles à une époque où le périmètre de la biologie est en cours de constitution).

La période choisie correspond à un essor de la biologie et à un renouvellement de l’historiographie, à l’invention de modèles de pensée (organicisme, évolution, hérédité…),  assez labiles pour faciliter les transferts entre disciplines et une implication dans la fiction littéraire. C’est une époque où de nouvelles normativités se forment qui impliquent une conception du temps et du vivant, produisant des représentations et des fantasmes (voir par exemple le rôle de l’hygiénisme et les fantasmes de décadence et de maladie dans la littérature de la seconde moitié du siècle). De Lamarck à Haeckel en passant par Darwin et Spencer, scientifiques et philosophes discutent des modèles de pensée du temps naturel : transformation, évolution, hérédité, dégénérescence, sélection naturelle. Ces modèles ont en commun de prendre en compte la longue durée et une impassibilité de la vie : il s’agit d’un temps de la Nature, indifférent aux dimensions et aux aspirations de la vie humaine. De Humboldt à Burckhardt, en passant par Quinet et Michelet, les disciplines historiques conçoivent de leur côté le temps de l’Histoire en s’interrogeant sur l’articulation de l’individuel et du collectif, sur le rôle des hommes et ses limites, sur le sens de l’histoire, sur les déterminations et la part des sujets de l’histoire. Marqués par l’expérience des changements depuis 1789, les pensées de l’histoire tentent de décrire les développements et les bouleversements de la vie sociale et culturelle, d’en discerner les lois inhérentes ; les concepts de progrès, de révolution, d’esprit d’époque (ou de couleur locale), mais aussi de constance, de stasis marquent les esprits. L’histoire et les sciences naturelles s’influencent réciproquement, les transferts d’idées ou de conceptions et les reprises sont fréquents ; ainsi, le concept de révolution peut marquer l’étude du vivant (Geoffroy Saint-Hilaire), et celui de l’évolution l’histoire (Spencer, Haeckel). Quel rôle joue la littérature dans la négociation de ces échanges entre histoire et biologie, dans le dialogue entre les disciplines, dans la formation de représentations culturelles prégnantes et durables, issues d’une hybridation entre des savoirs du temps d’origine différente ? Ne contribue-t-elle pas à la transformation des modèles empruntés à la biologie et à leur investissement idéologique dans certains cas ?

Nous avons été attentifs à la dimension cognitive, idéologique ou critique des œuvres littéraires mais aussi aux potentialités narratives et poétiques de certaines conceptions scientifiques du temps. Nos travaux ont mis en évidence le caractère interdisciplinaire et transnational des savoirs du temps impliqués dans les œuvres de cette période ainsi que le rôle de la littérature dans le croisement des modèles et des représentations, dans l’hybridation des formes modernes du temps, dans la formation de représentations qui peuvent influer culturellement sur l’appréhension du temps et sur la conception des êtres vivants dans leur histoire et dans leur environnement. Ce projet a mobilisé des connaissances sur la biologie du XIXe siècle et la collaboration de littéraires et d’historiens des sciences. Il s’est appuyé sur le réseau inter-MSH VIVANLIT (« Penser le vivant »).

Deux colloques ont été organisés, à l’université de Tübingen (Forum Scientiarum, 22-24 mai 2014) et à la Fondation Maison des Sciences de l’Homme de Paris (2-3 octobre 2014). Les actes des deux colloques seront publiés en anglais, sous le titre Biological time, Historical time, aux Éditions Brill (Amsterdam/New York), en décembre 2018.

Au-delà de la fin du programme le site continuera à être alimenté, grâce aux programmes connexes qui se sont développés depuis 2014 :

BIOLOGRAPHES 

Les sciences du vivant. Imaginaire et discours scientifique 

Métamorphoses, entre fiction et notion