Les multilicences

Cet article répond à des questions qui furent posées sur le multilicenciement et tente de tracer rapidement les grands axes de ce mécanisme. Il est issu en grande partie de l'étude juridique de Benjamin Jean portant sur la compatibilité entre contrats, et d'autres articles qui furent rédigés en leur temps sur la compatibilité entre la LAL et la CC-By-SA.

Le multi-, ou dual-, licenciement est l'une des solutions fréquemment avancées pour résoudre les conflits absurdes, et abscons, d'incompatibilités qui surgissent de toute part au sein des communautés du Libre (des licences copyleft identiques dans leur effet, imposent la redistribution de l’œuvre dérivée sous cette même licence et sont alors incompatibles elles, ce qui est contre productif).

Comment fonctionne le multilicenciement ?

Contrairement à ce que beaucoup semblent croire, le multilicenciement se trouve être une technique simple et efficace. Il consiste pour le titulaire des droits à consentir plusieurs licences non exclusives sur une même œuvre : technique habituelle au sein des licences classiques que rien n'interdit de transposer aux licences libres afin de les cumuler ou de les rendre alternatives.

À quoi ça sert ?

Le licencié aura alors le choix parmi les licences proposées par le donneur de licence, celui-ci pourra utiliser ses droits en conformité avec l’une ou l’autre des licences.

Plusieurs avantages peuvent être mis en avant :

- Le contenu sous licence est dès lors compatible avec la totalité des licences qui lui sont adjointes, (Le contenu d'une œuvre sous triple licence peut ainsi valablement être repris et inséré dans une œuvre sous licence simple, double ou triple.) auxquelles se rajoutent les licences avec lesquelles elles sont déjà elles-mêmes compatibles. Une faille existe cependant : si des contributions lui sont apportées sous une seule des licences, alors l'œuvre nouvelle devra limiter à cette seule licence. Ainsi, un tel mécanisme n'est viable qu'autant que l'ensemble des contributions se fasse sous licence multiple, quitte à ce que le donneur de licence s'inspire d'éventuelles contributions ultérieures pour les réécrire lui-même dans son œuvre. En dépit de cette relative précarité, le dispositif de multilicenciement assure une meilleure compatibilité que l’usage d’une seule licence.

- Le licencié dispose de beaucoup plus de droits dès lors qu'ils sont conférés par au moins l’une des licences. (Il faudra se conformer aux obligations de la licence qui les accordent pour disposer des « droits supplémentaires » en question.) En quelque sorte, le multilicenciement permet d'ajouter une liberté au licencié qui est celle du choix de la licence à laquelle il se soumet, même si ce choix est limité.

- Le multilicenciement permet de limiter le copyleft global qui s'applique à l'œuvre. Le licencié peut utiliser tout droit compris dans l'une au moins des licences, ce sont les dispositions de la licence la plus permissive qui l'emportent.

- Si l'une des licences devait être annulée par une juridiction nationale, le licencié pourrait toujours revendiquer les droits conférés par l'une des autres licences proposées.

Pour finir, cette stratégie — à laquelle certains pouvaient préférer une licence très permissive comme la licence BSD — a l'avantage de cumuler copyleft et compatibilité.

Quand est-ce utile ?

Le multilicenciement est un remède qui peut être utilisé à bon escient par les auteurs afin de pallier les discordes entre les différentes communautés, en versant ainsi — toujours sous licences copyleft — dans divers pots communs.

Mais les doubles licences sont particulièrement intéressantes lorsqu'il s'agit de limiter par la même occasion la portée de l’une des licences : une double licence MPL/GNU GPL permet d'appliquer les deux licences, ou l'une au choix, dans les limites d'un copyleft standard. Par exemple, la double licence GFDL/LAL est un bon choix lorsque l'œuvre concernée est autre chose qu'une simple documentation de logiciel et qu'elle a vocation à être utilisée conjointement avec d'autres œuvres sous licences différentes (la GFDL disposant d'un copyleft fort, calqué sur la rédaction de la GNU GPL).

Quand est-ce inutile ?

Par soucis de compatibilité, certains développeurs ont tendance à cumuler les licences pour un même projet. Mais les licences multiples ne sont véritablement utiles que si elles permettent d'associer plusieurs licences qui sont originairement incompatibles.

Dans le cas contraire, la licence compatible « contenant » déjà la seconde licence, la réunion des deux ne confère ainsi aucune prérogative spéciale au licencié : la réunion d'un ensemble avec un autre qui lui est inclus est égale au premier ensemble.

L'atout des licences multiples est en revanche indéniable lorsqu'il s'applique à plusieurs licences incompatibles tendant au même but. Les communautés peuvent alors ajouter leur force pour développer un logiciel en commun, le travail de l'une profitant à l'autre : c'est en quelque sorte un retour aux sources du libre, en construisant des ponts pour relier deux communautés qui se sont éloignées.

N'y a t'il pas d'autres solutions ?

Pour l'instant : non. En choisissant une licence copyleft, l'auteur peut être certain que la licence sera incompatible avec une autre ; en choisissant une licence permissive, l'auteur s'assure d'une relative compatibilité, mais sans que soit pour autant garantie la liberté de son œuvre.