« Beyrouth, une capitale meurtrie par… ses reconstructions »

Avant même l’explosion du 4 août, le centre-ville de Beyrouth était défiguré par des quartiers résidentiels et des tours selon un modèle urbain politico-financier qui devrait être remis en question, espère l’urbaniste Bruno Marot dans une tribune au « Monde ».

Publié aujourd’hui à 06h00 Temps de Lecture 4 min.

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Tribune. « Beyrouth a plus été détruite et défigurée en temps de paix qu’en temps de guerre », clamait, il y a quelques années, un militant engagé pour la protection du patrimoine. L’explosion survenue le 4 août confirme ce constat. Les éclats de verre, les débris et la poussière qui jonchent les rues y rappellent les plus tristes scènes de séisme ou d’attentat. Les quartiers de Gemmayzé, de Mar Mikhael et de la Quarantaine, qui jouxtent le port, sont ravagés : les toits sont lacérés, des bâtiments se sont effondrés, nombre d’immeubles sont fragilisés.

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Ces quartiers d’habitat ancien comptaient parmi les cœurs battants de Beyrouth. Ils faisaient également partie des quartiers touchés, ces vingt dernières années, par une fièvre immobilière qui a vu des milliards de dollars de capitaux privés transformer le paysage urbain en une jungle de tours résidentielles de luxe, dépourvue de toute forme d’urbanité. Et qui a rendu le logement à Beyrouth inabordable pour la plupart de ses habitants. Si cette financiarisation de la fabrique urbaine n’est pas l’apanage de la capitale libanaise, son histoire, ses mécanismes et ses acteurs sont, eux, au cœur d’un modèle d’économie politique aujourd’hui à bout de souffle.

Près de 150 hectares aussi symboliques que stratégiques

Solidere, le projet urbain de reconstruction du centre-ville engagé après la guerre civile (1975-1990), a joué un rôle essentiel pour enclencher cette financiarisation, en confiant au secteur privé, sans cahier des charges garant d’un quelconque intérêt général, la reconfiguration d’un espace de près de 150 hectares aussi symbolique que stratégique. L’expropriation des ayants droit (compensée par des actions dans la société foncière) et la levée de plus de 650 millions de dollars sur les marchés financiers pour financer les aménagements publics ont largement influé sur la programmation du site et sur le devenir de la capitale.

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Bien avant l’explosion du 4 août, le centre-ville n’en était déjà plus un. Les appartements de luxe y sont désespérément vides, tout comme les terrasses des cafés et les allées du mall ultramoderne où les enseignes de haute couture remplacent les étals des marchés d’avant-guerre. Ce quartier résidentiel était l’une des pièces maîtresses du château de cartes politico-financier, imaginé par l’ancien premier ministre Rafic Hariri et l’ensemble des responsables politiques, pour attirer des capitaux étrangers et tenter de refaire du Liban une place bancaire régionale. Cette financiarisation est devenue par la suite le principal moteur du renouvellement urbain depuis le début des années 2000. Ces fameuses tours résidentielles se sont multipliées dans la plupart des quartiers au prix de la destruction d’îlots d’immeubles, certes vieillissants, mais qui accueillaient des familles de tous milieux sociaux et de toutes confessions, ainsi que des petits commerces.

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