Voici un excellent texte de Léon Trotsky expliquant comment une société industrialisée pourrait générer la révolution, et ainsi organiser une toute nouvelle économie. Bien que ce texte date de 1935, plusieurs points sont encore d’actualités, notamment la croyance droitiste qui dit que ce qui est communiste est ce que la Russie était en 1917 à 1925 dans les régions les plus arriérées au plan culturel et économique.
Si le régime communiste est instauré aux Etats-Unis, comme une conséquence de l’incapacité de votre ordre social capitaliste à résoudre ses difficultés et ses problèmes, vous découvrirez que ce régime bien loin de signifier une tyrannie bureaucratique intolérable et l’enrégimentement des individus, sera à l’origine d’un développement des libertés individuelles et donnera l’abondance pour tous.
A l’heure actuelle, la plupart des Américains ne considèrent le régime communiste que d’après l’expérience de l’Union Soviétique. Ils craignent que ce régime n’engendre en Amérique les mêmes résultats matériels que chez les peuples culturellement arriérés de l’Union Soviétique.
Ils craignent que l’on ne veuille les coucher sur un lit de Procuste, et considèrent, par ailleurs, le conservatisme anglo-saxon comme un obstacle insurmontable même pour des réformes éventuellement souhaitables. Ils soutiennent que la Grande-Bretagne et le Japon interviendraient par la force armée contre les Soviets américains. Ils redoutent de s’entendre dicter quels vêtements ils doivent mettre, quels aliments ils doivent consommer; d’être contraints à se contenter de rations de famine; à ne trouver dans la presse qu’une propagande officielle stéréotypée; à entériner des décisions prises sans leur participation active; à garder leurs pensées pour eux, et à chanter bruyamment en public les louanges de leurs dirigeants soviétiques pour échapper à la prison ou à l’exil.
Ils ont peur d’être la proie de l’inflation monétaire, de la tyrannie bureaucratique, d’une paperasserie intolérable dans toutes les démarches de l’existence quotidienne. Ils craignent d’assister à une standardisation mécanique des arts et des sciences, comme de la vie de tous les jours; à la destruction, par la dictature d’une monstrueuse bureaucratie, de toute spontanéité politique et de la liberté de la presse. Et ils tremblent à l’idée d’être obligés à parler un incompréhensible jargon de dialectique marxiste et à professer une philosophie sociale obligatoire. Ils craignent, en un mot, que l’Amérique soviétique ne devienne la contre-partie de la Russie soviétique telle qu’on la leur a dépeinte.
En réalité, le régime. soviétique américain diffèrera autant du régime soviétique russe que les Etats-Unis du Président Roosevelt différent de l’empire russe du tsar Nicolas II. Cependant, le régime communiste ne peut être instauré en Amérique que par une révolution, comme l’y furent l’indépendance et la démocratie. Le tempérament américain est énergique et violent, et il exigera pas mal de vaisselle cassée avant que le régime communiste ne soit solidement établi. Les Américains sont des enthousiastes et des sportifs avant d’être des spécialistes ou des hommes d’état, et il serait contraire à la tradition américaine d’opérer un changement majeur sans se diviser, tout d’abord, en camps opposés et fendre des crânes.
Néanmoins, si élevé qu’il puisse être, le coût de la révolution communiste aux Etats-Unis sera insignifiant, rapporté à votre richesse nationale et à votre population, en comparaison de celui de la révolution bolcheviste en Russie.
Cela tient à ce que, dans une guerre civile révolutionnaire, ce n’est pas la poignée d’hommes qui se trouve au sommet de l’échelle sociale qui se bat –les 5% ou 10% qui possèdent les neuf dixièmes de la fortune américaine: ils ne peuvent recruter les armées de la contre-révolution que dans les couches inférieures des classes moyennes. Or la révolution pourrait facilement amener ces dernières sous son drapeau en leur démontrant que le soutien des soviets leur ouvrirait seul une perspective de salut.
En dessous de ce groupe social, tout le monde, au point de vue économique, est préparé au communisme. La crise a ravagé votre classe ouvrière, et a porté un coup terrible à vos agriculteurs, déjà atteints par le long déclin agricole de la décade d’après guerre. Il n’y a aucune raison pour que ces groupes opposent une ferme résistance à la révolution; ils n’ont rien à y perdre, en admettant, bien entendu, que les dirigeants de la révolution adoptent une politique modérées et clairvoyante à leur égard.
Quels autres hommes voudront se battre contre le communisme? Vos milliardaires et multimillionnaires? Vos Mellon, Morgan, Ford, Rockefeller? Ils cesseront la lutte dès qu’ils ne pourront plus trouver d’autres gens pour se battre à leur place.
Le gouvernement soviétique américain prendra fermement possession des leviers de commande de votre système économique: les banques, les industries-clés et les moyens de transport et de communication. Il donnera alors aux agriculteurs, aux petits commerçants et négociants, un temps de réflexion suffisamment long pour que ceux-ci aient la possibilité de constater comme le secteur nationalisé de l’industrie fonctionne bien.
C’est ici que les soviets américains pourront faire de véritables miracles. La « technocratie » ne pourra devenir une réalité que sous le régime communiste, une fois votre système industriel affranchi des entraves de la propriété privée et du profit privé. Les plus audacieuses propositions de la commission Hoover sur la standardisation et la nationalisation ne sont que jeux d’enfants auprès des possibilités nouvelles que libérera le régime communiste.
L’industrie nationale sera organisée sur le modèle de la chaîne de montage dans vos usines automatiques modernes à production continue. La planification scientifique pourra sortir du cadre de l’usine individuelle pour être appliquée à votre système économique tout entier. Les résultats seront stupéfiants.
Les coûts de production tomberont à 20%, ou moins, de leur valeur actuelle. De ce fait, le pouvoir d’achat des agriculteurs s’élèverait rapidement.
Bien entendu, les soviets américains institueraient leurs propres entreprises agricoles géantes, en guise d’écoles de collectivisation volontaire. Vos agriculteurs pourraient facilement calculer s’il est de leur intérêt de demeurer des anneaux isolés, ou de se joindre à la chaîne publique.
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Rappelez-vous de ceci : l’Entreprise d’aujourd’hui est ce que l’Église était autrefois à l’État.