Les manifestations contre le G20 ont véritablement ameuté les forces de l'ordre et de la répression, du jamais vu depuis plusieurs décennies. Mais alors que des policiers de plusieurs provinces ont été mobilisés pour contrer les manifestants et que la répression et l'infiltration avaient commencé bien avant le sommet, une question demeure toujours sans réponse : comment les radicaux ont-ils malgré tout réussi à brûler quatre voitures de police et à fracasser les vitrines d'une cinquantaine de multinationales ?
Une première hypothèse — qu’on pourrait appeler l’ « hypothèse du poulet frit », du « rôti de bœuf » ou encore de la « côtelette de porc aux pommes » — suggère que les policiers aient été tout simplement déjoués par les militantes et les militants radicaux. Étant comme toujours en retard d'une guerre, les forces de l’ordre auraient stupidement appréhendé la répétition des événements d'avril 2001, soit des attaques quasi permanentes au mur de sécurité. À Québec, la casse ne cibla au total qu'une quinzaine de vitrines au profit d'attaques parfois spectaculaires contre les forces de l'ordre. La hiérarchie policière de Toronto aurait donc disposé la vaste majorité de ses effectifs autour du périmètre de sécurité, laissant le centre-ville de Toronto et ses fragiles vitrines à la disposition des militants anticapitalistes. Cette hypothèse est d'ailleurs logique avec la suite des événements. La police ayant été déjouée, il ne lui restait qu'à prouver, à retardement, qu'elle mettait tout en œuvre pour protéger la propriété. Ceci expliquerait l'intensification des arrestations et de l'intimidation qu'elle appliqua systématiquement après la tumultueuse manifestation de samedi.
Mais une autre hypothèse — qu'on pourrait appeler « l'hypothèse du simili-poulet » — est également plausible. Le 30 juin dernier, le Toronto Sun nous apprenait que les policiers de Toronto avaient reçu l'ordre de ne pas intervenir alors que le Black bloc et ses alliés passaient à l'action. N’attendant que le feu vert pour agir, un officier affirme avoir reçu l'ordre du centre de commandements de « ne pas engager » d'opération afin de mettre un terme à l'action directe.
Pourquoi la hiérarchie policière aurait-elle agi ainsi ? Comment interpréter cette inaction? Rappelons que les forces de l'ordre n'en sont pas à leurs premières « irrégularités » : on se souvient, entre autres, des agents provocateurs lors du Sommet pour le Partenariat sur la sécurité et la prospérité (PSP) à Montebello en 2007, de ceux présents dans le groupe Germinal en 2001, de même que du cas de Joseph Gilles Breault, alias Youssef Mouammar, indicateur de la police responsable de menace d'attentat dans le métro de Montréal.
Un retour sur le rôle des agents indicateurs lors des manifestations des années 1960 au Québec nous renseigne également sur les stratégies policières contre les mouvements sociaux. On se souvient du rôle des agents sans uniforme lors du fameux Lundi de la matraque en 1968 — les témoignages de l'époque rappellent tristement ceux des militants présents à Toronto . On se souvient également du rôle scandaleux des agents infiltrateurs dans les rangs du FLQ, les rapports gouvernementaux Keable et Macdonald les ayant minutieusement documentés : vol de dynamite et d'explosifs, incendies criminels, attentats, bombes incendiaires, publication de faux communiqués, cambriolages, holds ups … font toute partie des actions policières pour « combattre le terrorisme ».
Pour comprendre l'action de la police, il faut la situer dans son contexte politique. Son action, pas plus que la loi à laquelle elle répond normalement, ne peut être mise à l'écart des rapports sociaux — qui sont des rapports de domination et d'exploitation — structurant notre société. Les policiers ne défendent pas seulement la « loi » supposément neutre et abstraite, ils soutiennent l'État et son gouvernement, de même que les représentants de ces institutions et les décisions concrètes qu'ils prennent à ce titre. Ajoutons également que les policiers défendent l'institution à laquelle ils appartiennent et par laquelle ils ont un statut social, du pouvoir, des privilèges et un salaire. Compris ainsi, le travail des forces de l'ordre ne vise plus uniquement à faire respecter la loi, mais bien à légitimer — aux yeux du public et des grands médias — ses propres opérations, qui sont elles-mêmes à mettre en relation avec les politiques gouvernementales.
Les vidéos de policiers déguisés en Black block lors des manifestations contre le G20 à Toronto se multiplient et, d’après plusieurs témoignages de citoyens et de journalistes, la hiérarchie policière semble avoir délibérément laissé la « casse » avoir lieu sans intervenir. L'objectif était de légitimer le milliard dépensé en sécurité ? De justifier, avant même qu’elles n’aient lieu, le millier d'arrestations? Les forces de l'ordre auraient-elles préféré s'en prendre à des militants pacifistes pendant dans leur sommeil plutôt que d'affronter le Black bloc face à face ? D’où venaient ces ordres: du gouvernement fédéral, de la ville, du chef de police ?
Alors qu'on sait que le chef de la police a menti à propos de la loi concernant les fouilles autour du périmètre de sécurité et que nombre des « armes » déballées en grande pompe au public n'avaient en fait rien à voir avec les manifestations (où étaient simplement des jouets), cette hypothèse n’est pas à écarter. Non seulement les abus de force et de violence ont atteint des sommets historiques lors de cette fin de semaine, mais les nombreux mensonges commis par la police nous permettent de croire que son action a également atteint des sommets en termes de mensonges et de manipulation de l'opinion publique.
* Cet article a été publié dans numéro Le Couac de septembre.