Note: l'auteur de ces lignes n'a pas encore lu l'ouvrage en question, et ne peut donc prendre sa défense. Il se contente de décortiquer les propos de l'abbé Gravel et d'en soulever les contradictions. Vous pouvez trouver l'original de l'émission ici: http://www.radio-canada.ca/mesAbonnements/baladodiffusion/index_emission.asp?path=radio/am_p
Le 22 septembre dernier sur les ondes de Radio-Canada, à l'émission L'après-midi porte conseil, Yannick Villedieu et Normand Baillargeon sont venus présenter leur nouveau livre, Heureux sans Dieu en compagnie de l'abbé Raymond Gravel, bien connu pour avoir été député bloquiste.
Malheureusement, le débat s'est plus ou moins terminé sur un match nul en dépit d'une faible démonstration de la part de l'abbé Gravel. Ce n'est certainement pas à cause du manque d'arguments des deux autres invités, mais, normes radio-canadiennes obligent, il n'était pas de mise, je présume, d'y aller d'une attaque en règle contre un digne représentant de l'Église, même si celle-ci le mérite mille fois. Qu'à cela ne tienne, nous pouvons ici reprendre les "arguments" de l'homme de Dieu, les analyser et surtout y répondre de manière satisfaisante! Notons que nous avons repris ici seulement les propos de M. Gravel et non ceux des deux autres invités. Nous les trouvons représentatifs d'une certaine conception de cette foi, qui se prétend ouverte et moderniste.
Disons que l'exposé de l'abbé Gravel commence bien mal, car dès le départ, il reproche aux athées de vouloir jouer aux martyrs. Voilà l'un des traits les plus détestables des écclésiastes, qu'est le maniement d'une rhétorique biaisée et sophiste. La foi qu'il défend a pourtant été fondée sur la martyrologie et sur le mythe de la persécution, et voilà qu'il reproche aux autres ce qu'il accepte, forcément, de sa religion! Peut-être tente-t-il de se dédouaner en prétendant à la blague (comme si il le dénonçait lui même) que cette tendance à la victimisation n'est qu'une résurgence du vieux fond judéo-chrétien des athées, mais c'est sans trop convaincre; ne lui en déplaise, l'athéisme n'est pas toujours bien vu.
Ce qui frappe surtout, en poursuivant l'écoute, c'est son manque d'arguments. Il ne répond jamais directement aux attaques. En fait, selon lui, les athées auraient une mauvaise conception de la religion, issue d'un traumatisme dans l'enfance, et que, se fiant uniquement à l'enseignement religieux donné dans le passé en classe, tout le monde serait athée. Outre le fait qu'il puisse s'agir d'une bonne raison de ne pas croire (car même les gens de Dieu ne sont pas capables de faire passer leur message) nous sommes plutôt devant un argument de faiblesse, qui peut être déconstruit de deux façons, aboutissant à autant de conséquences sur la croyance ou l'incroyance.
D'abord, dirons-nous, la religion n'est pas qu'une question de philosophie et de réflexion. Elle porte non pas sur l'appréciation rationnelle du monde, mais sur le fait qu'il existe un Dieu invisible, inaudible, dont on n'a aucune expérience concrète, mais qui par ailleurs existe et a tout créé. Il va de soi qu'une telle affirmation est tellement grosse et difficile à croire que cela doit prendre toute une organisation sociale basée sur la peur et la manipulation pour la faire avaler à des enfants. La religion comme celle pratiquée dans l'enfance de Villedieu ou de Baillargeon demeure encore la norme dans la plupart des pays. Si cela ne constitue pas une raison absolue de ne pas croire, cela en reste à tout le moins un bon motif.
Puis, l'abbé Gravel semble oublier qu'il n'est pas seulement un croyant sans religion, mais un digne représentant de l'Église catholique. Ces pratiques religeuses étaient de mise dans l'ensemble des pays catholiques, elles étaient cautionnées par le Pape. La religion catholique est ainsi faite que c'est le Pape qui en est l'autorité suprême, qu'il est le gardien de la doctrine et de la foi. En d'autres mots, il n'y a pas PLUSIEURS religions catholiques, il n'y a que l'institution dirigée par le Vatican, ne lui en déplaise. C'est à cette religion que lui-même croit, et il est, comme ces mêmes curés de notre passé, soumis à ses diktats. Tant et tellement que quand on lui a demandé de se retirer de politique, il l'a fait. Un homme qui agit ainsi ne peut prétendre que sa religion est autre chose. L'Église catholique est une dictature tant temporelle que spirituelle.
Mais passons cette contradiction que bien des prêtres semblent porter. L'abbé Gravel est-il mieux que tous ces autres? Le reste des ses arguments laisse croire que non. Par exemple, il accuse les athées d'être condescendants (face aux croyants) dans la présentation de leurs idées. Mais qu'en est-il du fond de la question? Au delà du ton et du style, il n'ose aborder le contenu des arguments athées. Et qui est-il pour dénoncer la condescendence? Y'a-t-il un processus plus condescendant et méprisant que la confession? Cette pratique religieuse millénaire est pourtant un des fondements de sa croyance, et elle implique une soumission totale d'une personne souvent en détresse, subissant une pression morale intense. C'est à se demander pourquoi, justement, le fait que l'athéisme soit condescendant ne constitue pas un de ses points les plus positifs à ses yeux.
Comme preuve du caractère condescendant des athées, il cite N. Baillargeon tiré de son livre: "Je n'arrive pas à comprendre qu'un homme ou une femme (à propos des pratiques ridicules de la religion) disposant de quelques neurones en état de marche puisse réellement croire les unes (les principes religieux) et se conformer aux autres (les traditions)." Pour tenter de démontrer la fausseté de cette affirmation, l'abbé Gravel se cite en exemple, en disant que, bien que doté de neurones en bon état de fonctionner, il est cependant croyant.
Nous avons ici un bon exemple de cette espèce d'aveuglement (généralement volontaire) de la foi. Aveuglement à double sens. D'abord parce qu'il évite ainsi de discuter de l'idée principale derrière l'affirmation originale de Baillargeon, comme quoi les pratiques religeuses et les principes de la foi sont ridicules et sans fondement logique (ne lui en déplaise, de nombreuses personnes peuvent avoir des problèmes mentaux qui font que ces gens agissent normalement dans la plupart des circonstances mais se démontrent complètement irrationnels dans d'autres). Et, ensuite, parce que la majorité des gens qui croient ne le font pas sur une base logique, en toute réflexion, mais généralement parce qu'ils baignent dans cette culture depuis leur naissance.
Il reproche, dans la même lignée, à certains auteurs de l'ouvrage en question, de confondre la religion, la foi et les institutions religieuses. Mais lui même ne fait-il pas cet acte... de foi, justement? La religion catholique a instauré la croyance en un dieu unique, tout puissant, omniprésent, etc. Elle est, avec certaines autres religions, la responsable de cette confusion des genres. Pourquoi choisir une religion si ce n'est que parce qu'on est d'accord avec ses principes? Encore une fois, peut-il reprocher à ceux-là ce que fait celle-ci? L'athéisme critique non seulement la religion, mais aussi le principe même de Dieu.
Mais peut-on vraiment séparer religion et foi? Puisque nous ne disposons pas de preuves directes de l'existence de Dieu, nous devons nous en convaincre d'une autre façon. La façon la plus évidente consiste à écouter et croire celui qui lit un livre dans lequel il est dit que Dieu existe. Y-a-t-il une autre façon? D'en arriver nous-mêmes à la conclusion? Oui, mais dans ce cas, il faut sérieusement manquer de logique. Toutes les preuves nous portent à croire que Dieu n'existe pas.
Alors, et cela boucle la boucle sur l'argument avancé par M. Gravel: bien qu'il prétende le contraire, quelqu'un d'intelligent qui croit le fait soit par peur, à cause de la tradition, ou par conformisme social. Le fait de croire n'est pas un acte de raison. La croyance peut être issue de la réflexion d'un cerveau en santé, mais c'est toujours parce que ces personnes ont cédé à leur côté irrationnel, à leurs désirs que quelque chose existe, même si toutes les apparences vont à l'encontre de ce quelque chose. Il le dit lui même: la foi n'est pas une certitude, c'est une espérence. Mais cette espérence revient à celle du pauvre qui attend de gagner à la lotterie pour voir son sort amélioré; il aurait mieux fait de garder son argent. Évidemment, il existe toujours l'argument de la chance, même infime, de gagner à la lotterie. Sauf que dans le cas qui nous intéresse, on ne sait même pas qui vend les billets!
Dans ce genre de débat, comme en politique d'ailleurs (quelle coïncidence!), l'important consiste à marquer des points rapidements, sans se soucier de la profondeur des idées ou de leur cohérence. L'abbé Gravel est un bon parleur, plein de charisme, mais dont les propos ne vont pas plus loin que l'expérience personnelle, qui peuvent facilement être utilisés en exemple, et dont il ne se soucie pas qu'ils aillent en contradiction avec la pratique ou avec les valeurs qu'il défend. Voilà pourquoi il mérite d'être dénoncé, tout comme la religion elle-même.