L’anarchie de A à Z - « J » comme JUSTICE

Pour les anarchistes, l’appareil judiciaire (tribunaux, prisons) fait partie, avec la police et l’armée, des institutions répressives de l’état qui ont pour missions fondamentales le contrôle social et la protection de la propriété privée. Il s'assure que continuent l’exploitation économique et les inégalités sociales en réprimant ceux et celles qui les combattent. En général, les prisons entassent surtout des pauvres et des marginaux. Les juges appliquent pour ceux-ci des règles qu'ils ne sauraient appliquer à tous : le propriétaire d'un commerce peut voler le travail de ses employéEs sans limite, mais lorsque ceux-ci décident de se réapproprier une partie de son capital, ils sont accuséEs et condamnéEs. L'inégalité est source de tension et le système judiciaire, en empêchant de résoudre cette tension, est lui-même responsable des comportements qu'il réprime.


L'ANARCHIE
...de A à Z
Déjà paru:

Il arrive parfois qu'une police secourt une victime, qu'un juge tranche en faveur d'une personne en besoin : assurer la sécurité physique de la population ne menace pas les schèmes d'exploitation liés au salariat et à la propriété privée des moyens de production.

Il est bien évident que même dans une société plus égalitaire, les conflits d’intérêts, les déviances et les litiges entre individus ou organismes subsisteraient. Mais les anarchistes estiment que le nombre de conflits sera infiniment moins important lorsque les tensions, frustrations et injustices liées directement à l’exploitation de l’humain par l’humain disparaîtront avec celle-ci.

Il restera alors bien des raisons de se disputer... comment envisager une gestion des conflits sans retomber dans un système répressif inacceptable? D’abord, les règles communes, indispensables dans toute société, devront être élaborées collectivement et rediscutées autant que nécessaire, dans le souci d’être le mieux adaptées possible aux besoins et à l’éthique. Ces règles feront partie du contrat social que chaque individu pourra refuser... en se privant également de tous les services collectifs qui l'accompagnent. Par exemple, la nécessité d’une contribution aux tâches collectives (travail) ne peut être refusée qu’en renonçant à l’accès aux biens, services et ressources collectifs qu’elles fournissent.

Comme pour la police ou l’armée, il est dangereux (et incompatible avec la rotation des tâches) d’instaurer une caste judiciaire chargée de régler les différends. Les personnes chargées de régler les conflits pourraient être élues pour une durée déterminée par secteur géographique ou professionnel, avec des clauses de contrôle et de révocabilité, assurant qu'elles rendent compte de leurs décisions et les justifient. La procédure judiciaire, une fois établis les faits de la façon la plus objective possible (en tenant compte des points de vue contradictoires), au lieu de chercher d’abord la sanction, devrait s’efforcer, lors de réunions de conciliation, de trouver les voies d’une réparation, qui permette à la fois à la « victime » d’être indemnisée, d’obtenir réparation matérielle ou morale du préjudice causé, et au « coupable » de sortir de cette situation de marginalisation, de rupture sociale pour reprendre une place digne, de se reconstruire un espace social. En ce sens, la prison, même si elle ne consistait qu’en la privation de liberté (ce qui est loin d’être le cas) ne peut pas être une réponse constructive puisqu’elle n’est qu’une punition (et la victime, sauf si elle est sadique, ne peut s’en satisfaire) et qu’à de rares exceptions près elle a tendance à aggraver pour la personne détenue, sa famille et ses proches, les ruptures avec la société et accroît ses difficultés économiques et relationnelles. Dans la façon de rendre la justice aujourd’hui, ce qui se rapproche le plus d’une possible décision de justice en société anarchiste, ce sont les « travaux communautaires ». Les dégâts matériels peuvent assez souvent trouver une équivalence de dédommagement, la difficulté vient des préjudices moraux, qu’on ne saurait compenser par une somme d’argent (que l’on espère aboli!) ou quelque forme de torture que ce soit de la personne condamnée. L’essentiel du travail de la justice sera un questionnement psychosocial des protagonistes et de leur environnement pour ouvrir les pistes, dans le dialogue (y compris vif, vengeur ou affectif), sinon à une réconciliation au moins à la possibilité de cohabiter à nouveau librement et sans heurts. Même dans les cas de troubles mentaux, l’enfermement n’est pas une thérapie et doit rester une étape de courte durée.

Remettre en cause le bien-fondé de l’incarcération est réellement subversif : un pas de plus, et c’est la prison dans nos têtes qui saute. Et ça, aucun gouvernement ne souhaite que nous y parvenions.

Des extraits de ce texte sont tirés de
« De la justice en société anarchiste » paru dans le Monde Libertaire no 1339 (déc. 2003).

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Extrait de Cause commune no 10.