Dans l’optique où le Québec semble être sur le point de changer son mode de scrutin pour un système plus représentatif du vote populaire, soit pour un mode de scrutin proportionnel mixte, nous pouvons espérer que nos élus prendront une décision dans ce sens très prochainement. Mais nous pouvons aussi constater que les solutions pour y arriver semblent avoir plusieurs défauts. Entre autres, elles demandent des changements en profondeur du système démocratique. Par exemple, il est proposé de réserver une partie des circonscriptions pour les répartir aux partis selon le pourcentage du vote populaire, ce qui pour certains mettrait à mal la légitimité de cette députation imposée envers les circonscriptions choisies pour ce faire. Et pour ce qui est du sujet de la proportionnalité en tant que telle, selon les points de vue de différents commentateurs et d’acteurs politiques, ces propositions donneraient des résultats plus ou moins satisfaisants. Et le risque qui devrait nous sembler évident, c’est que cela pourrait faire en sorte que cette démarche de réforme aboutisse à un non-lieu.
Un mode de calcul plutôt qu’un mode de scrutin
Pour répondre à ce problème, j’aimerais proposer un nouveau système, inventé par mes soins, qui n’est pas à proprement parler un mode de scrutin, mais plutôt un mode de calcul. Et ce qui serait nettement appréciable avec cette solution, c’est qu’elle n’occasionnerait aucun changement pour la population lors des élections. Le mode de scrutin actuel demeurerait en place et ainsi, nous pourrions profiter encore de sa simplicité de fonctionnement et du fait qu’il nous est habituel. Et encore, pour ce qui est la légitimité démocratique de la députation, nous pourrions encore nous appuyer, mais en partie, sur celle que leur octroie la concentration des votes par circonscription. Mais, pour contrebalancer le fait que la légitimité de la députation permet actuellement de légitimer le parti au pouvoir, ainsi que sa majorité, je propose avec mon système de l’équilibrer avec le pourcentage du vote populaire, comme le propose tout mode de scrutin proportionnel mixte, mais en passant par d’autres moyens. Donc, cela se ferait en aval, dans le cadre du système parlementaire actuel, où il faudrait comptabiliser les votes en chambre selon différentes valeurs, alors qu’elles seraient modulées selon un calcul qui additionnerait la valeur traditionnelle d’un vote par circonscription à celle de la valeur d’une prime proportionnelle. Ce qui fait qu’en comparaison avec les autres propositions sur la table, ce système serait beaucoup plus simple à appliquer et à comprendre, autant pour les instances démocratiques, les acteurs politiques que pour les électeurs.
Une répartition équitable entre les pourcentages des sièges et du vote populaire
Donc, comme vous pourrez le constater dans mon tableau – qui se base sur les résultats de la dernière élection -, ce calcul s’appuie sur le nombre de votes correspondant au nombre d’élus, soit 125 votes, mais en y additionnant la valeur de la prime, pour arriver à la moyenne. Autrement dit, chaque vote, correspondant à un siège, a une valeur d’un point et, en guise de compensation, cette prime s’ajoute équitablement à chacun des votes, selon le pourcentage du vote populaire correspondant à chaque parti. Ainsi, plus de points vont aux partis qui ont obtenu un pourcentage plus élevé au résultat du vote populaire qu’au résultat des votes par circonscription. De cette manière, en tenant compte de cette prime, bien que le gouvernement caquiste soit majoritaire avec 74 sièges sur 125 (59.2% des votes en chambre), alors qu’il a obtenu 37.42% du vote populaire (pour un gain de 21.78% – en plus des avantages de gouverner avec une majorité), son pourcentage tomberait à 48.31% (pour une baisse de 10.89%). Mais comme vous pouvez le constater, bien que ces chiffres montrent que la CAQ ne serait majoritaire qu’en terme de nombre de sièges, le pourcentage des partis d’opposition est à 49.38%, donc qu’ils ne sont pas non plus en situation majoritaire, mais seulement en situation d’avantage. La raison en est que 4.6% des votes comptabilisés ne sont pas allés aux quatre partis ayant obtenu des sièges et qu’ils n’ont pas été ajoutés à la prime. Donc, cela montre que la différence entre la CAQ et l’opposition en terme de pourcentage n’est que d’un point et des poussières, donc que ce calcul est, pour la CAQ, moins désavantageux qu’il n’y paraît.
Ceci dit, cette partie du calcul serait utile pour mesurer le poids du vote partisan, donc pour comptabiliser les résultats concernant le poids global de chaque parti et pour soustraire de ce poids la valeur des votes des députés absents lors des votes en chambre. Mais à la base, j’ai conçu ce système dans l’optique où le vote dans le sens de la ligne de parti serait consentant, parce que je pense que cette idée de ligne de parti est pour le moins anti-démocratique. Bien sûr, il faudrait que les règles soient modifiées pour permettre ce consentement et que ces votes soient tenus secrets, pour éviter toute pression indue. De cette manière, le choix de suivre la ligne de parti serait entériné par la majorité des élus avant chaque vote en chambre. Et dans le cas où ce choix n’irait pas dans le sens de cette ligne, donc pour un vote non-partisan, une autre méthode de calcul entrerait en jeu. Dans ce cas, la prime de tous les élus serait attribuée au chef, alors que chaque député pourrait voter, selon sa préférence, avec son vote d’une valeur d’un point. Par exemple, les votes des députés caquistes auraient une valeur de 73 points, comparativement aux 120.77 points cumulés du parti, soit 60.44%. Alors que le vote de François Legault aurait une valeur de 47.77 points, en comptant son point obtenu comme député élu, ce qui lui donnerait 39.55% des points. De cette manière, la légitimité démocratique des votes serait partagée en deux : celle du vote pour lequel les députés ont été élus séparément dans leurs circonscriptions leur reviendrait de droit et celle du vote populaire reviendrait de droit à François Legault. Mais même si nous pouvons remarquer qu’il y a un net désavantage pour lui, il n’est pas dit que la totalité des votes de ses députés irait à l’encontre de son vote et il pourrait potentiellement être encore réduit si un ou plusieurs partis d’opposition votaient dans son sens ou choisissaient aussi un vote non-partisan.
Une légitimité démocratique accrue
Donc, si le but de changer pour un mode de scrutin proportionnel mixte est bien de donner plus de poids aux partis d’opposition, particulièrement aux petits partis, l’avantage le plus évident avec ce système, c’est qu’en plus de permettre cette proportionnalité, il permettrait aussi de donner plus de poids à la légitimité de la députation, ainsi qu’à chaque député pour qu’ils puissent s’exprimer librement dans le cas d’un vote non-partisan. Alors qu’en contrepartie, pour ce qui est du parti au pouvoir, le fait pour la députation de prendre une décision avant chaque vote en chambre réduirait le danger de dilution constante des votes, ce que donnerait évidemment tout système octroyant d’office le vote non-partisan (et ce pour quoi il n’est pas proposé ici). Et encore, ce processus d’actualisation de la ligne de parti par la députation aurait un avantage non négligeable pour ce qui est de l’opinion publique : il réduirait l’impression qu’un vote partisan ne l’est qu’en apparence, comme c’est le cas actuellement. Aussi, cela aurait un avantage pratique pour la députation, soit celui de renouveler constamment sa confiance envers son chef et son parti. Et tout comme cela pourrait renforcer d’autant la confiance générale envers notre démocratie, à l’encontre du cynisme ambiant. Et, sait-on, cela pourrait faire augmenter le taux de participation aux élections.
En conclusion, je pense que ce système serait un très bon outil démocratique. Et parce que c’est la démocratie qui m’importe le plus, je considère cette méthode de calcul comme une proposition ouverte, et aux critiques et aux propositions, dans le but de l’améliorer ou d’en proposer une meilleure. D’ailleurs, dans le cas d’un vote non-partisan, concernant la légitimité démocratique du poids des votes pour chacun des députés en chambre, je propose déjà de les moduler selon les résultats dans leurs propres circonscriptions. Mais il resterait encore à trouver le meilleur moyen de calculer cette modulation. Aussi, si ce système s’avérait contre-productif dans le cas où les projets de loi du parti au pouvoir seraient majoritairement freinés par l’opposition – ce qui de toute façon semble être un risque pour tout système proportionnel mixte quand un parti ne se retrouve pas pleinement au pouvoir à la suite d’une élection -, il resterait encore à trouver un moyen de pallier ce problème. Mais déjà, nous pouvons soupçonner que les démarches qui sous-tendent les projets de loi auraient plus tendance à viser les consensus avec un système du genre. Sinon, je pense par exemple à une règle qui permettrait aux partis d’opposition de travailler ensemble sur leurs propres projets de loi, selon une réglementation et des ressources ajustées à leur légitimité démocratique. Et si nous prenons les résultats de la dernière élection, et si cette réglementation et ces ressources étaient proportionnelles à ce calcul, l’opposition en hériterait de la majorité. Ne serait-ce pas légitime dans un système démocratique?