Environnement et politiques publiques en Tunisie
Le Sommet de la Terre de Rio en 1992 a été le signal donné à de nombreuses nations pour faire de l’environnement et de sa préservation un enjeu majeur de leurs politiques nationales. La Tunisie, plus petit pays du Maghreb n’a pas raté ce rendez-vous et a profité de cette dynamique internationale pour elle aussi mettre en place une stratégie en faveur de l’environnement. Très vite, la Tunisie ratifie la Convention sur la Diversité Biologique (signée à Rio en 1992, ratifiée en mai 1993), la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (signée en 1994, ratifiée en 1996), la Convention cadre sur les changements climatiques (signée et ratifiée en 1993) ainsi que d’autres conventions internationales en lien avec la préservation de l’environnement. Elle adopte également l’Agenda 21 de Rio et s’engage à élaborer un Agenda 21 national.
Outre ses engagements sur ces textes fondateurs au niveau international, la Tunisie, au lendemain du Sommet de Rio crée, structure (quasiment de toute pièce) l’organisation au sein de son État pour se doter de réelles stratégies et moyens pour participer à la préservation de l’environnement. Son premier rapport national sur la Diversité Biologique (1998), fait état du nouvel outillage tunisien en détaillant l’organisation mise en place, les stratégies sectorielles prévues, les nouveaux cadres institutionnels et juridiques mis à jour ou créés ainsi que l’état des engagements internationaux pris. Et dans le premier Rapport national sur l’état de l’environnement publié en 1993, M. Mlika alors ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du Territoire (neveu de Ben Ali et ancien directeur de l’Office national de l’assainissement-ONAS) rappelle dans son propos introductif que la Tunisie n’est pas novice » en matière de protection de l’environnement, mais qu’un besoin de « mise en cohérence » semble indispensable au niveau des « institutions administratives et techniques, des associations, des dispositions réglemen-taires et législatives » afin de mener une politique plus efficace. Il rappelle également que la Tunisie s’est dotée d’une structure solide pour mettre en œuvre sa politique de l’environnement », composée de trois piliers que sont l’ONAS créée en 1974, l’ANPE (Agence nationale pour l’environnement, créée en 1988 (et dont les prérogatives ont été revues en 1992) et pour chapeauter ses établissements publics, la création, peu avant le Sommet de Rio, du premier ministère en charge de l’environnement qui voit le jour en 1991.
La Tunisie, à cette époque, souhaite clairement se positionner comme un acteur/partenaire/modèle au niveau des autres pays du Maghreb, de l’Afrique et être un alter-ego des pays occidentaux. Des prétentions soumises toutefois à l’octroi de financements de la part des bailleurs de fonds internationaux.
Bien qu’ayant dans les rapports nationaux annuels de l’état de l’environnement et ceux de la diversité biologique des comptes-rendus très détaillés, parfois très techniques et souvent très élogieux des actions mises en œuvre, au lendemain de la Révolution de 2011, la Tunisie semble complètement dépourvue de la moindre stratégie et organisation en faveur de l’environnement.
La presse nationale ainsi que les réseaux sociaux se font régulièrement écho du niveau de dégradation du cadre de vie, de la saleté des rues et de l’anarchie dans la gestion des déchets. Ils attribuent clairement cet état de fait au désengagement de l’État et des municipalités mais aussi au manque de civisme des Tunisiens. Ils s’indignent de cette situation et regrettent que la « Tunisie verte » d’autrefois ne soit plus.
Par ailleurs, au moment des différentes élections qui se sont tenues en Tunisie au lendemain de la révolution (législatives en 2011 et 2014, présidentielles en 2014), il semble que l’environnement ait été absent des programmes politiques des principaux partis.
La place de la nature dans la société tunisienne – Retours de terrain
Aussi, la place qu’occupe la nature dans la société tunisienne actuelle nous questionne. Dans cet article et à l’occasion des Journées doctorales de l’IRMC sur la thématique des territoires et de leurs dimensions plurielles, nous avons choisi d’aborder la dimension politique. C’est-à-dire s’intéresser aux politiques publiques en faveur de l’environnement et à la manière dont elles se manifestent dans la vie des Tunisiens. Identifier les marqueurs de ces politiques sur le terrain, leur intégration dans la société et les contradictions qu’ils sont susceptibles de révéler dans ces politiques. Comme terrain, nous avons sélectionné deux espaces de « nature » différents de manière à élargir notre champ d’étude. L’un est Ichkeul, un parc national situé au nord-ouest de Tunis et le second Nahli, un parc urbain, situé dans la banlieue nord-ouest de Tunis.
Dans cet article, nous souhaitons faire une synthèse du travail de terrain effectué sur ces deux sites. Au préalable de ce travail de terrain, il est à noter qu’un important travail d’analyse de contenu des différentes publications des ministères de l’environnement et de l’agriculture, pour ne citer qu’eux, ainsi que des entretiens semi-directifs avec des acteurs de l’environnement en Tunisie que ce soit du côté des organisations d’État, des associations, des universitaires, des opérateurs de voyage, au niveau national ou local ont été réalisés.
Pour ce travail de terrain, la méthodologie utilisée est inspirée de celle que pratiquait Duvignaud quand il se rendait dans les années soixante à Chebika, oasis de montagne du sud de la Tunisie, pour effectuer ses travaux de recherche en microsociologie (Chebika, sociologie d’un village tunisien, publié en 1968). Duvignaud se rendait régulièrement sur son terrain d’étude (dans son ouvrage, il parle d’ailleurs d’« étude de cas » et justifie ainsi la dénomination de microsociologie, Chebika p.17). Il observait la vie du village et de ses habitants, dans l’enceinte du village mais aussi dans la palmeraie et dans les alentours que ce soit vers les sources d’eau ou vers la plaine désertique. Il prenait des notes sur un carnet et s’entretenait avec les habitants et les bédouins d’une manière qui semblait très libre (sans questionnaire dans la main à remplir).
« Chebika » a fortement influencé ma méthodologie d’enquête sur le terrain. Au carnet de notes de Duvignaud, j’ai souhaité ajouter un appareil photographique afin de capturer des instants et ainsi disposer d’une source de données complémentaire à ma prise de notes. Cette double « perception » avait pour but d’éviter un maximum de subjectivité pour être dans la perception et non la représentation (même si nous concevons que la perception est forcément subjective). Par ailleurs, compte-tenu de la configuration de mes terrains, le carnet de notes et l’appareil photographique numérique semblaient être deux outils adaptés à l’observation « nomade » que je souhaitais pratiquer.
Quant au choix de mes deux terrains, comme précisé plus en amont, il s’est imposé à l’issue d’un long processus où pertinence et pragmatisme furent des impératifs. Un choix qui notons le, a suscité beaucoup de scepticisme pour certains de mes interlocuteurs et pairs et leur a paru très audacieux. Certains, considérant que les parcs urbains ne pouvaient être considérés comme des espaces naturels au même titre que les parcs nationaux. Remarque démontrant à elle seule la pertinence de ce choix de deux terrains dont seule l’évocation du nom suscite déjà des représentations de la nature différente, voire que tout oppose. Une remarque qui par ailleurs n’a jamais été formulée par les personnes en lien avec les parcs urbains.
Toutefois, ces remarques confirment qu’il sera indispensable, lors de la rédaction finale de ma thèse, de bien définir ce que l’on entend par « espaces naturels » dans le cadre de mes travaux.
Parc urbain et parc national où comment le politique marque l’espace naturel
Nahli et Ichkeul sont deux territoires dont les contours, les dynamiques, les enjeux ont été fixés par le pouvoir politique. Nahli est une colline de pins et d’oliviers transformée en parc urbain par la volonté d’un président et Ichkeul est un territoire aux contours mouvants dont la finalité a évolué selon des intérêts politiques successifs.
Le parc urbain de Nahli peut être considéré comme une pure création politique. C’est une colline de pins et d’oliviers qui a vu son espace transformé en territoire à valeur nationale en tant que « réserve de nature », garde fou ultime à une urbanisation galopante. Inauguré en 1997 dans le cadre du Programme National des Parcs Urbains (PNPU) lancé en 1996, il est effectivement aujourd’hui le dernier bastion « naturel » cerné de toute part par des constructions d’habitation.
Outre l’acte politique qui a fait de cet espace un territoire de nature à conserver, les signes de l’action politique sont (extrêmement bien) visibles dans le Parc de Nahli et sont les témoins des différentes stratégies qui se sont succédées en matière d’environnement (rappelons que le PNPU a été placé sous la responsabilité du Ministère de l’environnement de l’époque et de la Direction Générale de l’Environnement et de la Qualité de la Vie en particulier).
C’est tout d’abord l’arche d’entrée qui, comme le rappelle Besma Loukil (Les nouveaux parcs urbains à Tunis : Pour qui et pourquoi ?, 2006), est voulue pour « être l’image de marque du parc et pour donner de l’importance au parc ». Elle souligne d’ailleurs que ce type d’aménagement monumental nécessite une part importante du budget alloué à la création des parcs urbains.
En clôturant un espace « banal », l’État a souhaité à la fois le mettre en défens et ainsi lui donner une valeur à l’échelle de la nation. Par conséquent, l’État, par son action politique, a modifié la représentation de cet espace auprès des habitants ; cette colline, espace lambda, devenant ainsi un espace de nature protégé et à protéger. Il est à noter que la pose de clôture et l’aménagement des entrées sont dans la majorité des cas les premiers travaux conduits lors de la création d’un parc urbain.
Outre une incarnation de la nation, Nahli, semble également avoir servi de vitrine pour les actions de sensibilisation et d’éducation à l’environnement menées par le ministère de l’Environnement et l’ANPE. En effet, dès que vous pénétrez dans le Parc, vous êtes accueilli par la mascotte « Labib ». Apparue pour la première fois le 5 juin 1993 lors de la célébration de la Journée internationale de l’environnement, comme le souligne le Rapport national sur l’état de l’environ-nement de 1993, cette mascotte de l’environnement a été créée par le Ministère de l’environnement pour « véhiculer l’information et identifier toutes les campagnes de sensibilisation ».
Une mascotte à la physionomie d’un fennec, inspirée des figurines pour enfant qui se veut conviviale et attirante. Au sein du parc, impossible de manquer Labib le fennec. Il est présent dès votre arrivée (certainement pour vous saluer), près des bancs sous les pins (peut-être pour surveiller que vous ne jetez pas vos papiers par terre mais bien dans la poubelle), sur un plongeoir au-dessus de ce qui a certainement été au moment de l’inauguration un plan d’eau et qui est aujourd’hui une superbe mare pour les grenouilles… Le plus impressionnant reste la version gigantesque de Labib (4-5m de béton) qui surplombe l’aire de jeux.
Labib est omniprésent à Nahli mais également dans de nombreux lieux associés à l’environnement et à l’éducation. Cette mascotte a accompagné toutes les campagnes de sensibilisation tout support confondu (clip, brochure, peluche…) pendant toute la période où le ministre Mlika a été en poste. Ensuite, Labib a fait parti des souvenirs. Des souvenirs d’ailleurs tenaces puisque de nombreux trentenaires tunisiens se souviennent encore de Labib, de ses clips et de ses chansons diffusés à la télévision.
Autre type de marqueur des actions politiques en faveur de l’environnement présent à Nahli, et en particulier celles liées à la sensibilisation, ce sont tous les panneaux en bois porteurs d’un message de bonne conduite adressé aux visiteurs, grand et petit, rédigés en arabe et en français. On les trouve pour la plupart aux abords des tables de pique-nique. Différentes approches sont privilégiées afin de prévenir la dégradation du site oscillant entre interdiction et encouragement.
Autre marqueur évident de l’ambition portée par les politiques d’éducation à l’environnement, l’écomusée qui se trouve à l’entrée du parc mais qui aujourd’hui n’est plus ouvert au grand public et n’est plus ou peu fonctionnel. Un écomusée dont la thématique était celle de l’abeille (nahli signifiant abeille dans la langue arabe). Des panneaux expliquaient en détail la vie de la ruche, la fabrication du miel et donnaient des informations sur la faune et la flore locales. Aujourd’hui, l’écomusée est en partie à l’abandon tout comme la bibliothèque qui se situe à l’étage supérieur.
Cet écomusée témoigne effectivement d’une ambition politique mais aussi d’une époque. Des moyens avaient alors été alloués pour faire de Nahli une vitrine pour tout le pays en matière d’éducation à l’environnement mais il semble qu’avec le temps et les différents gouvernements se succédant, la dynamique se soit émoussée jusqu’à ne plus exister.
Des marqueurs identiques à Ichkeul et Nahli
A l’instar de Nahli, Ichkeul est un terrain d’étude où il est possible de distinguer les mêmes types de marqueurs politiques et en particulier celui qui donne à cet espace la dimension de territoire national. En effet, tout comme Nahli, Ichkeul est doté de deux arches d’entrée ou de portique pour reprendre le terme utilisé par B. Loukil (2016) : un au niveau de l’entrée sur le périmètre du parc national d’Ichkeul et un second au niveau de l’entrée de l’aire d’accueil. Passer pour la première fois sous le portique d’entrée sur le périmètre du parc ne se fait pas sans émotion. Cela donne à la visite un caractère solennel et exceptionnel. Ces portiques sont également associés à des clôtures qui sont visibles tout le long de la route d’accès. Nous reviendrons ultérieurement sur ce marqueur.
Un second marqueur commun à Nahli et Ichkeul, est celui de la mise en œuvre de politiques de sensibilisation et d’éducation à l’environnement. Ichkeul, tout comme Nahli, est équipé d’un écomusée qui présente l’ensemble complexe de l’écosystème d’Ichkeul ainsi que sa fragilité. Toutefois, à la différence de Nahli, cet équipement est en service et accueille l’ensemble des scolaires qui viennent visiter le parc national (et qui représente la grande majorité des visiteurs). Un équipement qui a d’ailleurs profité d’une réactualisation et d’un toilettage il y a quelques mois. Associé à cet aménagement, de nouveaux panneaux de médiation scientifique ont d’ailleurs été installés à l’extérieur grâce à un programme de coopération internationale. Point sur lequel nous reviendrons plus tard.
A ce stade de nos retours d’étude des deux terrains, nous constatons que deux espaces naturels protégés dont les statuts législatifs et réglementaires sont différents, révèlent pourtant des marqueurs politiques identiques. Toutefois Ichkeul, site naturel consacré comme territoire d’exception par le politique a vu sa physionomie et ses valeurs évoluer au cours des siècles par la volonté du pouvoir politique.
Ichkeul, un territoire à dimension et à vocation variables en fonction du politique
C’est tout d’abord le djebel d’Ichkeul qui a été « remarqué » par le pouvoir politique de l’époque Hafside. Selma Zaiane relève que vers 1240, Ichkeul était une réserve de chasse (Zaiana, Tourisme et loisirs dans les parcs nationaux tunisiens, l’exemple du parc national d’Ichkeul, 2004). Une vocation qui perdure pendant la période beylicale. En 1921, un guide édité par la Fédération des syndicats d’initiative de Tunisie intitulé « Tunis et la Tunisie » présente le djebel Ichkeul comme un « domaine beylical où vivent des buffles que l’on peut chasser moyennant une permission d’ailleurs difficile à obtenir ». C’est toujours le djebel sur lequel les autorités du Protectorat (1881-1956) ciblent leur actions avec l’ouverture de carrières d’extraction de gravier et de marbre (une reprise d’activité inaugurée par les Romains). Une activité industrielle qui modifie considérablement et de manière irréversible la physionomie et le fonctionnement du site ainsi que sa vocation. Une activité qui ne sera définitivement arrêtée qu’en 1993 alors qu’Ichkeul était déjà parc national depuis 1980. Le périmètre d’Ichkeul en tant qu’espace naturel protégé n’évoluera quasiment plus à partir de 1980, date à laquelle l’État lui confère officiellement le statut de territoire national d’exception et de patrimoine naturel. C’est ainsi qu’Ichkeul en tant que « nouveau territoire » se compose de trois entités paysagères différentes : un djebel, un lac et des marais. Ceux-ci auront été les derniers à être intégrés au périmètre et donc consacrés comme territoire. C’est à partir des années 1970, que le lac et les marais concentrent le plus grand intérêt de la communauté nationale et internationale et en particulier pour l’accueil de milliers d’oiseux d’eau hivernants. C’est à partir de 1977 qu’Ichkeul est reconnu par de nombreuses conventions internationales : Réserve de Biosphère (Programme MAB, 1977), zone humide d’importance mondiale (RAMSAR, 1980), Patrimoine mondial de l’Humanité (UNESCO, 1980). Là encore, la vocation d’Ichkeul ainsi que son périmètre se trouvent profondément modifiés suite à l’action politique nationale et internationale.
L’implication des politiques inter-nationales à Ichkeul est omniprésente. De nombreux marqueurs sont visibles à tous les visiteurs en balade à Ichkeul. Ce sont tout d’abord les logos des différents labels de reconnaissances inter-nationales dont bénéfice Ichkeul et qui sont apposés sur le portique à l’entrée du périmètre du parc national. Ce sont aussi les nouveaux panneaux d’interprétation que l’on découvre dès le parking de l’écomusée et qui jalonnent ensuite le chemin d’accès. Et enfin, à l’intérieur de l’écomusée, un panonceau qui indique que le parc national d’Ichkeul a profité du programme européen MEET (Programme financé par la communauté européenne pour développer les expériences en écotourisme en Méditerranée). On constate qu’Ichkeul est certes un territoire national mais qu’il est aussi intégré dans une dimension européenne et internationale et ce, à la faveur de son écosystème sensible et en particulier son avifaune et son fonctionnement hydrologique.
Des marqueurs qui témoignent également d’une faiblesse du pouvoir politique
A Ichkeul, certains signes témoignent effectivement de la présence de l’action politique mais sont aussi révélateurs de faiblesse ou de contradiction dans sa mise en œuvre et dans l’exercice du pouvoir. C’est en particulier le cas des clôtures d’Ichkeul. On a noté précédemment leur importance comme caractère politique faisant d’un espace un territoire national. Elles ont été en grande partie vandalisées et de nombreuses brèches sont visibles depuis la route d’accès au parc. Quand on circule en voiture, il n’est pas rare de voir des troupeaux de moutons et de chèvres accompagnés de leurs bergers traverser et pénétrer par les trous béants sur le territoire du parc et sur les terrains des marais. Ainsi, il n’est pas rare de constater que ce territoire pourtant voulu par le pouvoir politique comme exceptionnel et, donc à protéger, est livré au pâturage du bétail. C’est semble-t-il une contradiction de l’action politique qui à la fois a la volonté de protéger un espace qu’elle a voulu territoire et de l’autre, laisser ce même territoire abandonné à une certaine forme d’anarchie et aux conséquences susceptibles de perturber le fonctionnement de l’écosystème sensible d’Ichkeul.
Certains signes qui justement, sont quasi invisibles à Ichkeul témoignent également d’une défaillance de l’action politique ou d’une inefficacité des programmes mis en place sur le long terme. Ichkeul a été reconnu depuis 1977 comme réserve de Biosphère et en 1980 il a été inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’Humanité, sur la liste Ramsar et est devenu Parc national. Avec autant de distinctions nationales et internationales (ce qui est rare dans le monde), on s’attendrait en pénétrant sur le territoire du parc à trouver de nombreux supports, activités, actions afin de participer à sa valorisation. Pourtant, ce n’est pas le cas. Aucun support individuel de médiation scientifique n’est disponible, aucune prestation d’accompagnement assurée par des guides professionnels n’est offerte (des visites accompagnées par le conservateur du Parc sont possibles en déposant une demande officielle auprès des autorités de rattachement), aucune valorisation n’est réellement mise en œuvre…. L’absence de valorisation de l’ensemble de ces labels sur le territoire du parc est très surprenante et révèle une contradiction supplémentaire entre cette abondance de consécration et le peu de valorisation mise en œuvre.
Pour conclure cette présentation des premières analyses de mes deux études de terrain, plusieurs éléments semblent intéressants à souligner. Tout d’abord, la pertinence d’une analyse de deux espaces de nature dont les statuts sont différents. En effet, malgré deux conceptions d’espaces naturels que tout semble opposer entre une nature dite de conservation et une nature dite de loisirs, on constate que certains marqueurs de l’action politique sont identiques.
Cette étude a également révélé des marqueurs significatifs de l’action politique à la fois dans les moyens mis en œuvre pour créer un territoire national et pour assoir des politiques d’éducation à l’environnement et de sensibilisation. En outre, l’étude sur le terrain a aussi permis d’identifier les contradictions ou les faiblesses du pouvoir politique sur ces territoires de nature et de constater le manque de continuité dans l’action.
Bibliographie
MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, 1998-
2014, Rapports nationaux sur la Diversité Biologique, Tunis.
MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, 1993-2010, Rapports nationaux sur l’état de l’environnement, Tunis.
DUVIGNAUD Jean, 1968, Chebika, Étude sociologique, Paris, Gallimard.
LOUKIL Basma, 2006, Les nouveaux parcs urbains à Tunis : Pour qui et pourquoi ?, Tunis.
ZAIANA S., 2004, Tourisme et loisirs dans les parcs nationaux tunisiens, l’exemple du parc national d’Ichkeul, Tunis.
FÉDÉRATION DES SYNDICATS D’INITIATIVE DE TUNISIE, 1921, Guide Tunis et la Tunisie, Tunis.
Anne GUILLAUMET
doctorante à l’Université d’Avignon Pays du Vaucluse
Pour citer ce billet : Anne GUILLAUMET, « La place de la nature dans la société tunisienne Les empreintes du politique sur l’environnement », Le Carnet de l’IRMC, N° 20, juin-octobre 2017. [En ligne] http://irmc.hypotheses.org/2145.