Quand les forces de l’ordre témoignent aux mariages à Charleville (1800-1839)

Au début du XIXe siècle, apparaît dans les actes de mariage de l’état civil le témoignage d’agents de maintien de l’ordre.

Cet article présente une recherche en cours : les conclusions ne sont pas définitives et constituent pour l’instant des pistes pour vérifier une hypothèse.

Cet article est aussi l’opportunité d’aborder certains problèmes de méthodologie concernant les interprétation des statistiques et les différents biais dont il faut se méfier.

Sommaire : 1. Contexte : qui sont ces agents au début du XIXe siècle ?
2. Faits : les témoignages au mariage des agents de maintien de l’ordre à Charleville
3. Hypothèses
4. Conclusion

Bibliographie (pour ceux qui voudraient en savoir plus)

Contexte : agent de police, commissaire, gendarme, garde champêtre… la pluralité des acteurs de la sûreté municipale

Agents de police, commissaires, gendarmes, gardes champêtres… Tous ces acteurs participent à l’ordre public mais sont assez différents. C’est pourquoi il est important de commencer par les différencier. Quand nous les analyserons ensemble, nous les appellerons pour simplifier « acteurs du maintien de l’ordre » ou AMO.

1. La police municipale (agents de police et commissaires)

Tableau 1 : les acteurs du maintien de l’ordre à Charleville par décennie (1800-1839)

Chaque ville de plus de 5 000 habitants a sa propre police municipale et un commissaires à partir de la loi du 19 vendémiaire en IV (confirmée par la loi du pluviôse an VIII (17 février 1800)). C’est le cas de Charleville qui a environ 8 000 habitants à la fin du XVIIIe siècle.

Le maire est le seul responsable du recrutement, du paiement et de l’organisation de cette police. Agent de police et sergent de police désignent les mêmes personnes à Charleville. Le commissaire est, quant à lui, nommé par décret pat le pouvoir exécutif sur proposition du maire. Il dépend à la fois du maire (pour le salaire et les relations quotidiennes), du préfet, et aussi du ministère public pour les questions judiciaires.

Leur recrutement et profil social dépendent beaucoup de la ville où ils exercent.
– Les agents de police ne sont pas forcément des agents très qualifiés, surtout dans les petites villes. A Charleville, les agents recrutés savent lire et écrire de façon aisée.
– La figure du commissaire n’est pas non plus très claire socialement au XIXe siècle. Ce sont en général plutôt des hommes inscrits dans la société locale, puisqu’ils sont proposés par les maires. Ce qui est certain est qu’ils sont recrutés pour certaines caractéristiques, mentionnés dans le règlement du 13 novembre 1848 : avoir entre 25 et 45 ans, savoir lire et écrire, notamment rédiger des rapports et avoir des notions de droit législatif, notamment en droit public.

2. Les gendarmes

Les gendarmes appartiennent au corps militaire : ils sont créés par la loi du 16 février 1791 pour remplacer la maréchaussée d’Ancien Régime et ont pour but d’assurer la sûreté publique, maintenir l’ordre et assurer l’exécution des lois. En 1813, ils sont 30 600 hommes dans toute la France, après une longue période d’augmentation des effectifs, notamment en raison de l’extension du territoire avec les nouveaux départements sous Napoléon. La diminution des effectifs est réelle à partir des années 1830 : la loi de 1828 diminue le nombre de gendarme à 12 000. Les gendarmes étaient surtout recrutés dans le Nord et le Nord-Est de la France.

Ce sont des hommes alphabétisés, recrutés à une taille minimum (1,73m). Ils ne sont en général pas originaires de la région dans laquelle ils exercent leur métier et le mobilité géographique au cours de la carrière empêche un ancrage avec la population locale. Environ 46 % des gendarmes en 1811 sont issus de la société locale seulement (1).

Les brigadiers dirigent la brigade, composée de 4 ou 5 militaires, unité territoriale de base de la gendarmerie. La loi de 1791 fixe le nombre de brigade enre 15 et 18 par département. Selon l’arrêt du 12 thermidor an XI (31 juillet 1801), « chaque brigade sera composée d’un sous-officier et de 5 gendarmes ».

A Charleville, dans le tableau, nous avons de nombreux brigadiers témoins qui viennent de Mezières.

De plus, les gardes champêtres et forestiers et d’autres gardes, ont été intégrés dans le tableau car ils participent localement au maintien de la sécurité et à l’application des lois.

On remarque que les acteurs sont peu nombreux à Charleville : il y a par exemple qu’un seul commissaire (tableau 1). Le fait qu’il n’y en ait aucun entre 1810 et 1829 ne signifie pas qu’il n’y avait aucun commissaire à Charleville, mais simplement qu’aucun n’a été temoin dans l’échantillon. L’erreur d’interprétation serait ici de confondre le nombre des AMO qui témoignent au mariage et leur nombre réel en ville.

(1) J.-N. Luc, F. Medard (dir), Histoire et dictionnaire de la gendarmerie, de la maréchaussée à nos jours, Paris, Ministère de la Défense, 2013, p. 28.

Les faits : les témoins aux mariages

Tableau 2 : nombre de témoignage par les AMO

Le choix d’agent de maintien de l’ordre comme témoin n’est pas très répandu, mais il est quand même significatif: les mariages où ils apparaissent représentent entre 10 % et 25 % du total des mariages de l’échantillon, avec un pic entre 1820 et 1829.

La baisse de 1830-1839 est pour l’instant difficilement explicable. Il faudrait continuer et voir si la tendance à la baisse perdure les années suivantes.

De plus, par mon sujet de thèse qui s’intéresse à un ensemble défini de familles carolopolitaines, je ne regarde que les mariages des famille que je reconstitue. L’ancrage des familles fait que ces époux ont plus de chance d’avoir de la famille sur place et donc des témoins de mariage apparentés.

Si mon hypothèse est vraie, il est possible que la proportion des mariages où les AMO sont témoins soit plus haute si on avait pris toute la population de la ville.

On remarque également qu’ils témoignent souvent par deux et, dans la plupart des cas, les autres témoins ne sont pas apparentés non plus.

En 1810-1819, par exemple, les agents de police témoignent par deux à 6 mariages sur les 21 où ils témoignent : un exemple est donné ci-après. En 1820-1829, ils sont aussi par deux à 5 mariages et même trois à un mariage sur le total de 23 mariages pour cette décennie.

Ce choix de deux agents pour être les deux témoins d’un époux indique que le choix a été fait pour leur profession.

Dans l’exemple ci dessous d’un mariage en 1817, les agents de police sont Jean Baptiste Salmon et Jacques Fayon.

Mariage de Henri Joseph Courbet et Marie Anne Laverne le 17 décembre 1817 à Charleville (AD état civil en ligne 2E105 103 )

La mention « ami de la future épouse » pourrait faire croire que les agents de police sont des amis des époux. Cela est peut-être le cas, mais cette qualification est d’usage lorsque les témoins ne sont pas des parents. Il faut donc toujours s’interroger sur les mots utilisés et comparer si possible avec d’autres documents de la même série.

Hypothèse : un choix par défaut ?

Comment expliquer leur témoignage ?
Leur témoignage au mariage fait penser à celui des bedeaux ou des chantres de la paroisse au XVIIIe siècle. Mon hypothèse est que dans les mariages civils, puisqu’il est obligatoire d’avoir pour chaque époux deux témoins les AMO font office de personne de référence pour être témoins en cas d’absence de témoin proposé par les époux.

Pour vérifier cette hypothèse, nous allons voir s’il existe des liens de parenté avec les époux (1), s’ils sont sollicités pour le mariage de collègues (2), ou encore si des familles choisissent de façon récurrente des AMO comme témoins (3).

  1. Tout d’abord, assez peu de AMO sont apparentés aux époux pour lesquels ils témoignent, comme le montre le tableau 3 ci-après. Mais ils représentent quand même environ 20%.
Tableau 3 : nombre et proportion des témoignages des AMO pour des époux apparentés

On peut préciser les statistiques pour les agents de police et les gendarmes (tableau 4). Environ 15% des agents de police sont apparentés aux époux.

Tableau 4 : témoignages des agents de police et de gendarmes pour des époux apparentés (1800-1839)

Le nombre des témoignages par des gendarmes est trop petit, ce qui explique de fortes fluctuations qui ne sont pas assez significatives.

Parmi les agents de police, nous connaissons Jean Baptiste Salmon et Jacques Fayon, que nous avons vu dans l’exemple du mariage de 1817, et un sergent, Jean Joseph Gerard Melot, car ils appartiennent à deux familles de mon échantillon de familles étudiées pour ma thèse. Aucune des deux familles n’est tournée vers ce métier. Ils sont les seuls à être devenus policiers. Ils témoignent quelques fois pour des membres de leur famille, mais cela est marginal. La plupart des agents de police ne témoignent donc pas pour leur famille.

Cependant je ne connais pas tous les membres de la parenté alliée car je fais des généalogies descendantes. Même si je descends les branches des filles et des garçons pour les familles de mon échantillon, il m’est impossible de connaître en intégralité les arbres généalogiques des alliés avec qui ils se marient.

2. Est-ce qu’ils témoignent alors au mariage de leur collègue ?

Deux gendarmes, en 1817 et en 1825, ont fait appel pour leur mariage à des gendarmes comme témoins : 3 gendarmes témoins (dont un apparenté) en 1817 et 2 en 1825. Si on regarde le tableau 4, on voit que c’est presque la totalité des cas de témoignage. On peut donc conclure qu’on observe majoritairement ici un choix entre pairs pour les gendarmes.

3. Enfin, la sollicitation d’agents de police se fait en grande majorité pour des familles qui ne sont pas les mêmes à chaque fois (pas de choix préférentiel par quelques familles). En effet, quand on regarde les patronymes des époux des mariages en question, il n’y a pas de récurrence significative.

On note par exemple, trois mariages avec des époux de la famille Peret dans les années 1810 et 1820 avec un ou deux AMO témoins, mais trois mariages ne suffisent pas pour être preuve suffisante d’une tendance familiale.

Ils semblent donc être choisis pour leur profession de façon ponctuelle.

Conclusion

  • Il y a au début du XIXe siècle une grande diversité d’acteurs dans le domaine de la police et du maintien de l’ordre.

  • A Charleville, dans le premier tiers du XIXe siècle, les agents de police témoignent en majorité pour des époux qui ne sont pas de leur famille et qui ne sont pas non plus leurs collègues.
    Les gendarmes sont au contraire surtout sollicités pour des collègues.

  • Le témoignage des AMO semble être ponctuel : il n’y a pas de récurrence de ce témoignage de façon familiale qui soit assez fréquente pour vraiment dégager des tendances familiales et expliquer la sollicitation des AMO.

  • Néanmoins, il me reste encore de nombreuses décennies à analyser les prochains mois pour valider mon hypothèse. Avec un élargissement de la période analysée, il y aura peut-être des tendances qui se dessineront.

Bibliographie

M. Auboin, A. Teyssier, J. Tulard (dir.), Histoire et dictionnaire de la police : du Moyen Âge à nos jours, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2005.

J.-M. Berlière, Le monde des polices en France, XIXe-XXe siècles, Bruxelles, Complexe, coll. « Le monde de » (no 2), 1996.

G. Carrot, Histoire de la police française, Paris, Taillandier, 1991.

C. Chevandier, Policiers dans la ville : une histoire des gardiens de la paix, Paris, Gallimard, coll. « Folio, Histoire » (no 198), 2012.

A. Houte, Le Métier de gendarme au XIXe siècle, Presses universitaires de Rennes, 2010.

D. Kalifa, P. Karila-Cohen (dir.), Le Commissaire de police au XIXe siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2008.

M. Le Clère, Bibliographie critique de la police, Paris, Yser, 1991.

J.-N. Luc, F. Medard (dir), Histoire et dictionnaire de la gendarmerie, de la maréchaussée à nos jours, Paris, Ministère de la Défense, 2013.


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