Julien Gosselin, Faire vie de la littérature

« Je veux que les gens puissent, même si c’est voué à l’échec, au moment où on est sur scène, ressentir la force que j’ai ressentie seul en lisant dans ma chambre »

Julien Gosselin

C’est ainsi que s’exprimait Julien Gosselin, dans un entretien réalisé par Laure Adler le 10 juillet 2018 pendant le Festival d’Avignon, et que nous publions en juin aux EUA. Né en 1987 dans le Pas-de-Calais, le jeune metteur en scène se distingue par ses adaptations monumentales d’œuvres romanesques contemporaines. Après s’être fait connaître en 2013 grâce à son spectacle d’après le roman de Michel Houellebecq Les Particules élémentaires, il adapta en 2016 le roman 2666 de l’auteur chilien Roberto Bolaño. L’année dernière, nous lui devions le triptyque Joueurs, Mao II, Les Noms de l’Américain Don DeLillo.

Il y a deux ans déjà, nous publiions un premier entretien avec lui (Fracas et poétique du théâtre, voir sa présentation sur ce blog). Nous y découvrions sa conception du théâtre, remplie de contradictions assumées, de binômes a priori opposés devenus des fondations stables. Rendant hommage tant au théâtre « flamand », si libre, qui l’a bercé, qu’au théâtre français, si classique, qui l’a formé ; respectant les auteurs adaptés, mais rejetant le dogme de la fidélité ; disant haut et fort les mots que d’autres auraient laissés sous-entendus ; mais n’ayant pas peur d’y ajouter de nouveaux supports. La longueur est un non-problème : s’il faut douze heures pour faire vivre tout ce qu’il y a à faire vivre, alors la pièce durera douze heures. Face à la laideur du monde, Julien Gosselin nous proposait un théâtre « total », plongeant le public dans la littérature et la poésie. Littérature et poésie qui ne sauvent peut-être pas à chaque fois, mais qui permettent de vivre.

Couverture du nouveau livre de Julien Gosselin

Cette idée, nous la retrouvons dans le titre de son nouvel entretien, Faire vie de la littérature. Julien Gosselin raconte que s’il a été attiré par le théâtre, c’est parce qu’il y voyait un moyen de « vivre dans la littérature ». Et c’est la volonté de partager la force qu’il a ressentie en lisant ces grands romans qui l’a conduit à les mettre en scène. Mais le théâtre n’est pas la littérature, il se rapprocherait même plus de la gastronomie. Comme un repas, le théâtre n’existe pas avant sa création, et meurt une fois sa dégustation finie. Ce qui n’est pas un défaut, loin de là ! En 2016 comme aujourd’hui, Gosselin est un artiste du présent, vivant dans le présent, qui cherche à parler du présent, par le biais d’écrivains du présent.
Après Michel Houellebecq et Roberto Bolaño, c’est l’écrivain américain Don DeLillo qui est adapté sur scène avec un triptyque monumental constitué de Les Joueurs, Mao II, et Les Noms. Julien Gosselin nous parle ainsi de cet écrivain souvent prémonitoire, qui dresse dans la poésie ce que le metteur en scène appelle une « pastorale américaine ».
Cet ancrage n’empêche pas Julien Gosselin d’être conscient de ce et de ceux qui ont fait de lui l’homme qu’il est. Hommage est rendu à Stuart Seide, son ancien professeur, à Claude Lanzmann, qui lui a inspiré le nom de sa troupe, « Si vous pouviez lécher mon cœur… », ou encore à Jean-Luc Godard, qu’il a longtemps laissé de côté, pour aujourd’hui voir en lui peut-être le plus grand artiste de son temps.

Tout le long de cet entretien, nous sommes marqués tant par l’iconoclasme de Julien Gosselin que par son humilité et sa générosité. Ses spectacles sont immenses, brisent toutes les conventions, mais se veulent ouverts et accessibles à tous. Chacun doit pouvoir les apprécier, mais il n’y a pas besoin que tout le monde y soit allé. Il n’est pas question de « sauver » un théâtre, qui n’est de toute façon pas en danger, ou de graver son nom dans la postérité. Julien Gosselin se distingue par un profond respect de l’intelligence et de la liberté du public, public avec lequel il s’agit de partager un présent rempli de littérature et d’intensité.

Pour en savoir plus :


Auteur : Julien Gosselin
Édition : Éditions Universitaires d’Avignon
Collection : Entre-Vues
Série : Leçons
Pages : 60
Format : 10,5 x 20 cm
Parution : 13 juin 2019
Prix public : 7€
ISBN : 978-2-35768-065-4
Diffusion/distribution : FMSH Diffusion

Sur le Web :

  • Site officiel de sa troupe « Si vous pouviez lécher mon cœur… »
  • Critique du spectacle Joueurs/Mao II/Les Noms dans Le Monde (accès à l’article intégral réservé aux abonnés ou via Europresse dans les bibliothèques universitaires)
  • Critique du même spectacle sur la revue en ligne Miranda
Citer cet article : Roland Squire, "Julien Gosselin, Faire vie de la littérature," in Les Éditions Universitaires d'Avignon, 23 mai 2019, https://eua.hypotheses.org/2246.

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