Hier, en France, seul un électeur sur deux s’est rendu aux urnes. C’est 8 % de plus qu’en 2014 (42%), mais cela marque tout de même un rejet massif de l’UE et du système politique en général.
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A droite, le RN rafle la mise. Il recueille 5,3 millions de voix, contre 3 millions aux législatives de 2017. Ainsi, le RN recueille 2,3 millions de voix de plus qu’aux législatives. Le parti de Macron, lui, perd 1,3 million de voix (de 6,4 à 5,1 millions). L’alliance des Républicains et de l’UDI perd 3 millions de voix (de 5 millions à 2 millions) : c’est une nouvelle débâcle pour la droite traditionnelle, après celle – inédite – de la présidentielle de 2017.
Bien sûr, le RN a été aidé par les manœuvres de Macron et par la complaisance des grands médias. Mais ce ne sont que des facteurs secondaires ; au mieux, ils peuvent accentuer le processus le plus fondamental : le RN est le parti qui a le mieux réussi à capter le rejet du système, dans la masse de la population. Ce n’est pas la première fois. Et comme les fois précédentes, cela souligne avant tout que les formations de gauche n’ont pas été capables, elles, de capter cette colère.
Avec 13,5 % des voix, les Verts s’en sortent bien mieux que toutes les autres forces de gauche (si on range les Verts à gauche, ce qui ne va pas de soi). Mais on connait la chanson : les Verts font souvent un bon score aux élections européennes, avant de s’effondrer au scrutin suivant. Il n’en ira pas autrement cette fois-ci. L’électoralisme viscéral des Verts les pousse à se tenir au centre de l’échiquier politique, dans l’espoir de prendre des voix aussi bien à la droite qu’à la gauche (de fait, un nombre significatif d’anciens électeurs de la FI et de LREM ont sans doute voté pour les Verts, cette fois-ci). Mais dans un contexte de crise du capitalisme et de polarisation politique croissante, le « centrisme » écologiste – comme le centrisme en général – est une impasse.
Plus ou moins caché derrière Glucksmann, le PS évite le fiasco, mais poursuit son déclin : 1,4 million de voix (6,2 %), contre environ 2 millions de voix aux législatives de 2017 (alliés compris) et 2,6 millions aux européennes de 2014. Ainsi, ces élections confirment la profonde crise des deux partis qui ont dominé la vie politique française pendant des décennies, avant 2017 : à eux deux, le PS et LR n’ont recueilli que 14,7 % des suffrages, hier. C’est sans précédent.
Avec 3,3 % des suffrages, Hamon et son mouvement (Génération.s) arrivent « loin » derrière le PS, qu’ils ont quitté en 2017. Quant au PCF (2,5 %), il reste exposé à la marginalisation, malgré le dévouement de ses militants, pendant la campagne.
La France insoumise
A gauche, c’est la France insoumise (FI) qui subit le revers le plus sévère, au regard de ses performances passées et de son potentiel. Avec 1,4 million de voix (6,3 %), la FI est très loin des 7 millions de voix de Mélenchon en avril 2017. Et elle perd près d’un million de voix par rapport aux législatives de 2017.
Cette contre-performance de la FI ne manquera pas de provoquer des débats dans ses rangs. Ces débats sont nécessaires. Il ne suffira pas d’invoquer telle ou telle circonstance objective. Il faut comprendre les causes internes de ce mauvais résultat. Ici, nous ferons simplement deux observations, que nous développerons plus tard.
Tout en appelant à voter pour la FI, Révolution avait signalé que « son programme ne va pas assez loin dans la remise en cause du capitalisme ». De manière générale, il est clair que le succès de la FI, en 2017, reposait sur la relative radicalité de son discours, et notamment de son opposition aux politiques d’austérité. Or cette radicalité sociale s’est perdue, au moins partiellement, dans les méandres confus du programme de la FI sur l’Europe (« plan A », « plan B », etc.). Pour donner une expression adéquate à la colère et à la frustration des millions de personnes qui souffrent de la crise du capitalisme, la FI doit remettre la lutte contre l’austérité et contre l’oligarchie capitaliste au centre de toutes ses interventions publiques.
Deuxièmement, la FI a tout à gagner à se structurer, c’est-à-dire à s’orienter vers la constitution d’un parti. Nous savons que les dirigeants de la FI – à commencer par Mélenchon – s’y sont opposés à de nombreuses reprises. Mais c’est une erreur à plusieurs égards, comme nous l’avons expliqué ailleurs. Par exemple, une campagne électorale nécessite la mobilisation coordonnée de forces militantes nombreuses, ce qu’un mouvement – par définition – a beaucoup plus de mal à faire qu’un parti bien structuré, bien organisé, doté de directions locales et nationales élues, responsables et révocables. Les structures lâches de la FI ne sont pas un avantage, mais un inconvénient. Elles ont même tendance à démotiver et démobiliser les militants, qui aspirent naturellement au contrôle démocratique de leur organisation.
Dans les semaines qui viennent, les dirigeants des Verts, de Génération.s, du PCF et du PS vont multiplier les appels à « l’union » et à la « reconstruction de la gauche ». C’est le refrain habituel, dans ces circonstances. Mais sur quelle base politique « reconstruire » et « unifier » la gauche ? Aucun des dirigeants en question n’entrera dans les détails. C’est pourtant décisif ! L’éclatement de la gauche, sa fragmentation et, surtout, son affaiblissement, sont d’abord et avant tout la conséquence de la faillite du réformisme social-démocrate, qui a fini par passer de la réforme à la contre-réforme (gouvernement Hollande). « Reconstruire » et « unifier » la gauche sur ces mêmes bases serait absurde. Dans le contexte d’une crise majeure et durable du capitalisme, la gauche ne pourra se renforcer que sur la base d’un programme radical, anti-austéritaire et anti-capitaliste.