France: le Rassemblement national d’extrême droite de Le Pen remporte l’élection européenne

Par Will Morrow
30 mai 2019

Les résultats des élections européennes de dimanche dernier en France montrent qu’il existe chez les travailleurs et les jeunes une hostilité et une aliénation extraordinaires envers l’ensemble de l’establishment politique capitaliste.

Mais l’état de pourrissement de la «gauche» et de la pseudo-gauche officielles, le Parti socialiste et la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, est tel, que le parti d’extrême droite Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen a pu remporter une courte victoire. Il l’a fait en exploitant la colère face à la misère sociale, en se faisant passer pour une tribune du peuple contre les élites et en blâmant de façon démagogique les immigrés pour la crise sociale causée par le capitalisme.

Le parti du président Emmanuel Macron, qui depuis six mois répond aux manifestations des gilets jaunes par les arrestations en masse, les gaz lacrymogènes, les balles en caoutchouc et en déployant l'armée, est arrivé deuxième avec 22,41 pour cent des voix, contre 23,3 pour cent au Rassemblement national.

Une grande partie de l’électorat – 48,7 pour cent, selon les sondages d’Ipsos – a refusé de voter pour qui que ce soit. Parmi ceux qui gagnent moins de 1.200 euros par mois, le taux d’abstention était de 58 pour cent. Il était de 52 pour cent pour ceux qui gagnaient entre 1.200 et 2.000 euros. Une majorité importante de jeunes, soit plus de 60 pour cent des moins de 34 ans, n’ont pas voté.

Un nombre relativement important de travailleurs a voté pour le parti de Le Pen non pas pour soutenir sa politique mais pour protester contre celle du gouvernement et du «président des riches», qui avait fait imprimer des dizaines de milliers de tracts ne montrant que lui, bien qu’il n’ait pas été candidat. Le RN a reçu les voix de 26 pour cent des électeurs disant ne pas être membres d’un parti, le plus fort pourcentage, de loin, de tous les candidats.

Les deux partis capitalistes traditionnels qui ont gouverné la France depuis la guerre d’indépendance algérienne des années 1950 et 1960, le Parti socialiste (PS) et Les Républicains (LR), ont été décimés, obtenant ensemble 14 pour cent des voix.

Le parti gaulliste LR a chuté à 8,5 pour cent. Près d’un tiers de ceux qui avaient voté pour le candidat LR François Fillon au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 ont, selon Ipsos, voté pour la liste patronnée par Macron.

Le PS a obtenu 6,2 pour cent des voix – son score le plus bas de tous les temps. Il a franchi de justesse le seuil des cinq pour cent pour entrer au Parlement européen. Ses scores aux élections européennes ont dégringolé depuis 2004, passant de 28,9 pour cent cette année-là à 16,5 pour cent en 2009 et à 14 pour cent en 2014. Selon Ipsos, il n’a obtenu les suffrages que de trois pour cent des salariés administratifs, de service et d’accueil ; et de huit pour cent des ouvriers (industriels et manufacturiers).

Le parti est détesté comme un outil de la grande entreprise ayant imposé des politiques pro-patronat qui ont ruiné la vie des travailleurs et de leurs familles pendant des décennies. Macron, qui est issu du PS, a été ministre de l’Économie sous son prédécesseur, François Hollande. Depuis qu’il est devenu président, il a poursuivi et intensifié toutes les politiques d’austérité de Hollande, comme l’abrogation du Code du travail pour faciliter les licenciements massifs par les entreprises.

L’effondrement du PS reflète la répudiation par la classe ouvrière des partis sociaux-démocrates et capitalistes de «centre gauche» au plan international, y compris en Allemagne, au Royaume-Uni, et lors des récentes élections fédérales, en Australie.

Les bénéficiaires les plus directs du déclin du PS ont été les Verts qui ont dépassé tous les pronostics préélectoraux en remportant 14 pour cent des voix. Cela est dû en grande partie au vote des jeunes; 28 pour cent des 25-34 ans et 25 pour cent des 18-24 ans ont voté pour ce parti. Les Verts ont été les bénéficiaires indignes d’une politisation croissante parmi de larges couches de jeunes, qui s’est traduite par les manifestations «Fridays for Future» et l’opposition au refus, de la part de gouvernements vendus, de prendre des mesures contre le réchauffement climatique.

Les Verts ne feront rien pour lutter contre le changement climatique parce qu’ils soutiennent la source du réchauffement climatique, le système de profit capitaliste et la subordination de la société aux intérêts des grandes entreprises. C’est un parti de la grande entreprise qui a soutenu les guerres et les attaques contre la classe ouvrière lorsqu’il était au pouvoir – notamment en Allemagne de 1998 à 2005 et en Australie de 2012 à 2015.

L’effondrement électoral le plus marqué a été celui de la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Il a remporté 6,3 pour cent des voix, contre 19,58 pour cent – soit sept millions de voix – en 2017. Alors que les électeurs de Mélenchon à la présidentielle étaient légèrement plus susceptibles de s’abstenir aux européennes que ceux de tout autre parti, 64 pour cent d’entre eux ont simplement voté pour d’autres candidats.

Les 18 derniers mois ont montré le véritable caractère de la politique de Mélenchon. Il a refusé quoi que ce soit qui satisfasse les revendications d’égalité sociale des manifestants en gilets jaunes. Il a au contraire dénoncé toute perspective orientée vers l’unification de la classe ouvrière dans la lutte pour le socialisme et il a insisté sur une «solution institutionnelle» aux manifestations. Ce qu’il a rendu plus explicite en avril en appelant à une coalition de «fédération populaire» avec un Parti socialiste détesté.

Les appels nationalistes de Mélenchon à un mouvement « du peuple» ne font que donner de l’attrait à la démagogie populiste du RN. Avant l’élection, Andréa Kotarac, l’un des principaux membres de LFI, avait ainsi annoncé qu’il appuyait le RN. Il avait déclaré que celui-ci exprimait de la façon la plus cohérente son propre nationalisme et l’opposition à l’immigration qui était la sienne et qu’il exprimait depuis longtemps. Le Pen a publiquement remercié Kotarac après l’élection.

Mélenchon, comme le leader travailliste Corbyn au Royaume-Uni, Podemos en Espagne et Syriza en Grèce, est de plus en plus vu pour ce qu’il est: un fidèle serviteur de la classe capitaliste, déterminé à défendre à tout prix le système du profit contre tout défi venant de la classe ouvrière. Son rôle essentiel est de désorienter les travailleurs et les jeunes et d’empêcher ceux qui cherchent une véritable perspective socialiste de la trouver.

Le résultat est que les descendants politiques du régime vichyste de collaboration avec les nazis sont capables de profiter politiquement de la détresse sociale. Le RN a remporté 29 pour cent des voix des chômeurs, 40 pour cent de celles des ouvriers et 27 pour cent de celles des employés, soit nettement plus que tout autre parti. Le Pen a battu Macron dans toutes les tranches de revenus inférieures à 3.000 euros par mois. Comme en 2014, le RN a remporté les zones rurales et désindustrialisées du nord et de l'est ayant connu les licenciements massifs au cours des trois dernières décennies. En matière de pourcentage, cependant, le vote de Le Pen a légèrement diminué par rapport à 2014.

Le gouvernement Macron a déjà clairement fait savoir que sa réaction à l’élection sera un nouveau déplacement vers la droite. Dimanche soir, le premier ministre Édouard Philippe, a cherché à nier la responsabilité de son propre gouvernement dans la victoire du RN tout en légitimant le parti néo-fasciste. Il a déclaré qu’«il ne suffit pas de parler de colère» ou de «rejet» dans le vote, mais que le RN est devenu «l’une des grandes forces politiques» et «tous les représentants politiques doivent entendre ce message des Français… Nous l’avons reçu haut et fort».

Cela s’inscrit dans la continuité des efforts du gouvernement pour promouvoir l’extrême droite. Cela comprend la célébration par Macron du collaborateur des nazis Pétain en novembre dernier et son «salut républicain» à Le Pen immédiatement après son investiture. Macron, tout comme le Parti socialiste et les Verts, a fait campagne contre le RN sur une base nationaliste et militariste. L’opposition du RN à une armée européenne serait, selon Macron, un obstacle à une affirmation agressive des intérêts de l’impérialisme français sur le plan international.

Cela souligne le fait qu’il n’y a aucune fraction progressiste dans l’establishment politique bourgeois français. Alors que la classe ouvrière monte avec des grèves et des protestations une première offensive contre Macron dont fait partie le mouvement des gilets jaunes, la classe dirigeante elle, se tourne vers la dictature en préparant la guerre et en intensifiant ses attaques contre les travailleurs et les jeunes.

(Article paru d’abord en anglais le 29 mai 2019)