Plus de 10.000 personnes se rassemblent à Toronto contre les compressions des conservateurs en éducation

Par nos journalistes
10 avril 2019

Samedi dernier, plus de 10.000 enseignants, élèves, parents et leurs partisans se sont rassemblés devant l’Assemblée législative de l’Ontario à Toronto pour protester contre les attaques du gouvernement progressiste-conservateur de droite contre l’éducation publique. Deux jours à peine après que plus de 100.000 élèves du secondaire aient débrayé dans toute la province, cette forte participation révèle le militantisme grandissant de la classe ouvrière contre les mesures d’austérité de l’élite au pouvoir.

Plus de 10.000 enseignants, élèves et parents ont manifesté à Queen’s Park, devant l’Assemblée législative de l’Ontario

Les manifestants ont exprimé leur colère contre les plans du gouvernement de réduction de milliers de postes d’enseignants, d’augmentation de la taille des classes, de réduction du financement pour les enfants autistes et autres besoins sociaux, ainsi que de l’aide financière aux étudiants de l’Ontario (RAFEO) des collèges et des universités. En plus des participants de Toronto, des manifestants de nombreuses autres régions de la province, notamment d’Ottawa, de Sudbury et de Windsor, se sont rendus en autobus pour assister à la manifestation.

Les participants étaient impatients d’exprimer leur détermination à mener une contre-offensive contre les attaques du gouvernement Ford. Leur détermination à lutter pour la défense des services publics et des emplois décents s’inscrit en droite ligne avec la réapparition de la classe ouvrière à l’échelle internationale en tant que puissante force sociale, notamment avec la grève de masse de Matamoros, au Mexique, les grèves des enseignants aux États-Unis pour défendre l’éducation publique, la montée révolutionnaire en Algérie et les manifestations des gilets jaunes en France.

En contraste frappant des manifestants, les cinq syndicats représentant les enseignants et le personnel de soutien des conseils scolaires qui ont appelé au «Rassemblement pour l’éducation» de samedi étaient en plein mode de limitation des dégâts, cherchant à maintenir la manifestation dans des limites étroitement circonscrites. Les syndicats ont organisé la protestation de samedi uniquement pour garder le contrôle de la vague croissante d’opposition populaire contre la «réforme de l’éducation» du gouvernement, craignant que celle-ci n’échappe à leur emprise suffocante.

Au cours des trois derniers mois, les bureaucrates syndicaux ont assisté avec un air de plus en plus préoccupé aux manifestations des étudiants des collèges et des universités, de parents d’enfants ayant des besoins spéciaux et à la grève des étudiants de jeudi dernier, toutes organisées en grande partie indépendamment de leur contrôle.

Comme l’explique le Parti de l’égalité socialiste (PES) dans sa déclaration distribuée lors du rassemblement de samedi: «Les syndicats qui ont appelé à protester aujourd’hui, la Fédération des enseignants des écoles secondaires de l’Ontario, les autres syndicats d’enseignants de l’Ontario et le Syndicat canadien de la fonction publique, sont profondément hostiles à la mobilisation de la classe ouvrière dans une lutte politique contre la destruction de l’éducation, et le gouvernement Ford. Ils collaborent depuis longtemps étroitement avec l’ancien gouvernement libéral de l’Ontario pour réprimer les grèves des travailleurs, y compris les enseignants, faire accepter les budgets d’austérité et couper dans les avantages sociaux.

Du point de vue des syndicats, la manifestation de samedi est une manœuvre cynique visant à s’associer à la colère et à l’opposition croissante à l’endroit de Ford, afin qu’ils puissent la détourner vers le gouvernement et l’amener sous l’aile des libéraux et des néo-démocrates proaustérité.»

Un pantin représentant le premier ministre de l’Ontario Doug Ford

L’exactitude de cette évaluation a été confirmée par les discours prononcés par les dirigeants syndicaux lors du rassemblement. Le dirigeant de la Fédération des enseignants des écoles élémentaires de l’Ontario, Sam Hammond, a invoqué de façon démagogique la grève étudiante de jeudi, qui était organisée indépendamment des syndicats, pour justifier l’alliance pourrie de la bureaucratie avec les libéraux et les néo-démocrates proaustérité et proguerre. «N’oublie pas, Doug Ford, que ces étudiants vont voter aux prochaines élections provinciales, a proclamé Hammond. Et nous allons voter comme eux.»

Bien que Hammond ait sans doute jugé comme trop politique d’éviter de préciser pour qui lui et ses collègues bureaucrates syndicaux ont l’intention de voter dans un peu plus de trois ans, la Fédération du travail de l’Ontario ne cache pas pour sa part qu’elle fait pression pour élire un gouvernement «progressiste», c’est-à-dire un gouvernement procorporatif libéral ou NDP engagé à faire respecter les attaques de la classe dirigeante contre la classe ouvrière. Sur son site Internet, la FTO cherche délibérément à décourager les travailleurs de lutter contre l’austérité en leur offrant plutôt un compte à rebours leur indiquant que leur prochaine chance d’élire un «gouvernement progressiste» arrivera dans un peu plus de trois ans et deux mois.

Les bureaucrates syndicaux cherchent également à maintenir la protestation au niveau politique le plus bas possible, afin d’éviter toute remise en cause de leur propre feuille de route de droite et anti-classe ouvrière. Aucune mention n’a été faite dans les discours des dirigeants syndicaux de la dévastation causée au système d’éducation par plus de 15 ans de règne libéral, pendant lesquels les syndicats ont collaboré à la mise en œuvre des compressions budgétaires, aux attaques contre les droits de pension des enseignants et au gel des salaires. Au lieu de cela, tout l’accent est mis sur la diabolisation de Ford, un millionnaire du monde des d’affaires aspirant devenir une espèce de Trump local, le favori de la grande bourgeoisie pour mener son attaque intensifiée contre la classe ouvrière.

Pour sa part, le président du Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (SEFPO), Smokey Thomas, a fait une déclaration creuse et hypocrite pour coïncider avec le rassemblement en demandant aux Ontariens de «combattre la peur par l’intrépidité» et de «s’unir pour un Ontario juste». C’est ce même Thomas qui, en août dernier, a ordonné aux membres du SEFPO de ne pas manifester ou de faire grève, parce que «nous sommes déjà engagés dans un dialogue avec le nouveau gouvernement, et j’ai eu plusieurs réunions avec une foule de nouveaux ministres.»

Si Thomas prône maintenant l’«unité», c’est surement l’unité de la bureaucratie syndicale avec les libéraux de la grande bourgeoisie et le NPD pour faire en sorte que l’opposition émergente de la classe ouvrière aux attaques du gouvernement Ford soit détournée vers des appels futiles aux conservateurs pour «voir clair» et changer de cap.

Contrairement à la position politique cynique de Hammond et de Thomas, les enseignants et autres travailleurs qui ont parlé au World Socialist Web Site ont exprimé leur détermination à mener une lutte pour défendre l’éducation publique.

Le gouvernement augmente la taille «moyenne» des classes du secondaire à 28 élèves, ce qui signifie que de nombreuses classes, y compris pour les matières de base, auront des classes de 32, voire même 35 élèves

«Je suis contre les compressions, nous dit Rich, de Hamilton. Je suis enseignante de français langue seconde et certains des premiers programmes qui disparaîtront en raison de l’augmentation de l’effectif des classes sont des programmes au choix, notamment des programmes de langue avancés comme le français, l’allemand et l’espagnol». Rich a également parlé de la motivation de l’élite dirigeante à sabrer dans l’éducation publique. «Je pense que Ford ne voit de la valeur dans l’économie que si celle-ci est basée des chaînes de montage, car pour lui, au diable l’éducation! Car plus les étudiants sont instruits, plus ils prennent conscience du programme que lui et son gouvernement privilégient.»

Ellen, une autre enseignante également mère de famille, explique: «Je m’inquiète pour mes élèves et je m’inquiète de ce à quoi ressemblera une salle de classe avec 30 ou 35 enfants, surtout pour ceux qui ont des besoins spéciaux sans soutien adéquat. Et je m’inquiète pour mes enfants. J’ai un enfant de trois ans et un de huit mois et ils iront bientôt à l’école.»

Cassie, enseignante depuis six ans, défend avec passion le droit des élèves à un système d’éducation publique décent, et confie à notre journaliste: «Nous voulons des programmes qui permettent aux élèves de trouver leurs talents et de réussir. Mais ils coupent des programmes qui pourraient être la seule chance ou la meilleure chance pour un enfant de faire carrière.»

Cassie, Tasha et Christina

Tasha critique les commentaires méprisants de Ford au sujet de la grève des étudiants de jeudi, qu’il a décrite comme un «spectacle» organisé par les syndicats d’enseignants. «Il insinue que les professeurs ont forcé les enfants à débrayer, mais quand on écoute les enfants parler, on voit bien qu’ils savent de quoi ils parlent.»

Pour économiser encore plus d’argent, le gouvernement Ford va imposer des modules d’apprentissage en ligne obligatoires pour les élèves, qui ne seront pas supervisés par les enseignants. Beth, une enseignante de français, met en garde contre les conséquences négatives que cela pourrait avoir: «Ces étudiants ne vont pas réussir. Ces cours sont beaucoup plus difficiles à suivre qu’on ne le dit. Beaucoup d’étudiants ont de la difficulté avec l’apprentissage en ligne. Je suis professeur de français et nous avons des étudiants qui suivent des cours en ligne parce que nous ne pouvons pas offrir tous les cours tout le temps dans une petite école secondaire francophone et c’est difficile, bien plus difficile qu’un cours régulier parce qu’il n’y a pas d’interaction, il n’y a pas d’enseignant pour donner des conseils.»

La tâche cruciale à laquelle sont maintenant confrontés les enseignants, les jeunes et l’ensemble des travailleurs, c’est de transformer l’opposition militante au programme d’austérité de l’élite dirigeante en un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière luttant pour défendre l’éducation publique, tous les services publics et les droits des travailleurs en passant par la restructuration socialiste de la société. Comme l’a souligné le PES dans sa déclaration distribuée lors de la manifestation de samedi: «Les enseignants, les travailleurs et les jeunes doivent faire avancer leurs propres initiatives, en partant du principe que leur lutte doit s’orienter consciemment pour joindre leurs forces avec l’offensive internationale croissante de la classe ouvrière.

«Pour défendre l’éducation publique de la maternelle à l’université, les travailleurs et les étudiants doivent lancer une lutte politique indépendamment des syndicats et en opposition à l’ensemble de l’establishment politique, y compris les libéraux et le NPD. Ils doivent organiser leurs propres comités de lutte dans les écoles, les universités, les usines, les autres lieux de travail et les quartiers résidentiels pour coordonner les protestations et les grèves, et commencer à préparer une grève politique générale pour faire tomber les gouvernements conservateur de Ford et libéral de Trudeau. Surtout, ils doivent adopter une perspective socialiste et internationaliste pour répondre aux exigences des travailleurs en matière d’éducation de qualité, d’emplois décents et bien rémunérés et d’autres droits sociaux: c’est-à-dire lutter pour un gouvernement ouvrier engagé à placer les principaux leviers économiques de la société sous le contrôle démocratique des travailleurs afin qu’ils puissent être utilisés pour répondre aux besoins sociaux et non pour servir l’enrichissement privé.»

(Article paru en anglais le 9 avril 2019)