Immigration et mémoire, un enjeu aussi hors de Paris

Pour la deuxième année, une initiative originale a lieu en Ile-de-France autour du lien entre immigration et mémoire : « le Printemps de la mémoire ». Depuis le 13 mai et jusqu’au 13 juin, une série de débats et d’expositions sont organisés dans le Val-de Marne, le Val-d’Oise, la Seine-Saint-Denis et à Paris. La manifestation ne concerne pas uniquement l’immigration mais le sujet en est l’un des piliers. Le but : valoriser et témoigner de l’apport des différentes vagues migratoires dans l’histoire locale.

Cette année, la coïncidence veut que deux expositions sur des thèmes similaires soient programmées en même temps hors de Paris – même si elles ne font pas partie stricto sensu du Printemps de la mémoire. Une est à Lyon, au Musée de l’Afrique, l’autre à Rennes, au Musée de Bretagne. Dans ces villes, les flux migratoires sont statistiquement moins élevés qu’à Paris. La Bretagne est même la région française où l’immigration est la moins importante. Mais ces initiatives qui se multiplient révèlent le besoin de témoigner d’un métissage désormais autant parisien que provincial.

Une sociabilité moins connue

Au musée africain de Lyon, l’exposition inaugurée le 15 mai, concerne les commerçants de produits « afro » du quartier multiculturel de la Guillotière. A travers une trentaine de clichés, le photographe et ethnologue Benjamin Vanderlick, témoigne de l’essor d’une diaspora longtemps peu visible dans l’agglomération. M. Vanderlick en a immortalisé les vitrines, les gérants, les clients. Toute une sociabilité comme il en existe à Paris ou à Marseille mais qui, à Lyon, était jusqu’à présent bien moins connue et étudiée que l’immigration maghrébine, plus ancienne et plus importante.

 « Je me suis dit : ‘quelle est cette immigration africaine ? Est-elle représentative de l’immigration française ?’, raconte M. Vanderlick. Si cela se trouve, dans quinze ans, elle ne sera plus là. J’avais envie de témoigner de cette époque.» Le jeune photographe de 34 ans connait bien la ville : « Le quartier de la Guillotière a accueilli toutes les vagues d’immigration de l’agglomération depuis le XIXe siècle : italiennes, arméniennes, maghrébines, asiatiques, etc. Mais les africains, eux, étaient éparpillés sur l’agglomération et ce n’est qu’à partir des années 1980 qu’ils ont commencé à ouvrir des commerces ici.» L’exposition est programmée jusqu’au 28 juillet.

« la réalité locale c’est ce qui parle le plus aux gens »

Au musée de Bretagne, la démarche est un peu différente. « Sur les 5,3 millions d’immigrés en France, seuls 85 500 vivent en Bretagne », explique Françoise Berretrot, la conservatrice du musée à l’initiative de l’exposition « Migrations », inaugurée le 15 mars et programmée jusqu’au 1er septembre. « Pourtant, en dix ans, entre 1999 et 2009, selon les chiffres de l’Insee, le nombre d’étrangers a augmenté de plus de 80%, reprend-t-elle. Les effectifs sont sans commune mesure avec le reste de la France mais cette présence a notamment été rendue visible par la multiplication de squats dans la métropole rennaise et un grand nombre de demandeurs d’asile en Ille-et-Vilaine. Il nous a donc paru important de mettre en lumière ce mouvement.» 

L’exposition est relativement importante. Elle défend une approche humaniste de la question de l’immigration sur plus de 600 m2. Au fil des salles, elle met en scène les témoignages de nouveaux venus qui racontent leur périple depuis l’Afghanistan ou le Kurdistan turc jusqu’en Bretagne. Elle aborde aussi la situation de sans-papiers à Rennes, via les photographies de deux photographes locaux. « On savait que c’était un sujet casse-gueule. Mais on a essayé d’être le plus neutre possible », détaille Mme Berretrot. Dans cet esprit et par souci de pédagogie, l’exposition met sans cesse en regard les parcours des immigrés d’aujourd’hui avec le phénomène de «l’émigration » des Bretons au XIXe siècle, outre-Manche et outre-Atlantique.

En matière d’immigration, « la question du patrimoine devient un enjeu hyper local », résume Sarah Clément, déléguée générale de Générique, une association spécialisée sur l’histoire des migrations en France qui collecte, organise et valorise, toutes les sources disponibles – publiques ou privées – sur le sujet depuis 1987. « La réalité locale, c’est ce qui parle le plus aux gens, abonde-t-elle. Le fait de savoir ce qui s’est passé dans tel café ou telle salle de concert change les représentations. Quant aux deuxièmes et troisièmes générations, ça leur permet de savoir ce qui a été vécu par leurs parents.»

A ce titre, l’association Générique travaille à la mise sur pieds, d’ici à la fin de l’année, d’un portail national sur l’histoire de l’immigration en France en partenariat avec le ministère de la culture. Il s’appellera « Odysseo ».

Elise Vincent

 

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Farook et son petit journal, ou l’asile incertain

Farook Nawaz Khan est un petit homme trapu qui parle toujours vite, très vite. Il a 42 ans. Sept frères et trois sœurs. Pas d’enfants mais une épouse. Et surtout toute une vie qu’il a laissée derrière lui au Bangladesh.

Son histoire est presque ordinaire à l’échelle de la diaspora bangladaise. Elle qui fuit en masse son pays depuis des années en raison de violences en tous genres. Comme d’autres au Royaume-Uni, Farook a donc demandé l’asile en France voilà plus deux ans et il prie chaque jour le ciel pour qu’on lui accorde le statut de réfugié. Il connaitra son sort le 30 mai.

Mais l’histoire de Farook c’est aussi celle d’un journal. Le premier de la jeune diaspora bangladaise de France. Un six pages en papier recyclé un petit peu plus étroit qu’un format berlinois. On peut le trouver depuis le début de l’année pour un euro dans les boutiques spécialisées, notamment autour de la gare du Nord. Son nom : « Paris theke ». A prononcer [Téké].

Farook en est l’un des fondateurs. Le journalisme, c’est son métier. Il a fait un effort pour l’expliquer aussi lentement que possible à celui qui traduisait pour lui, le 7 mai, à la cour nationale du droit d’asile (CNDA), cette chambre d’appel des déboutés. C’est même à cause de cette profession qu’il dû quitter le Bangladesh, un soir de janvier 2011, caché dans la voiture d’un ami.

Met en cause un ministre

Jusqu’en 2009, Farook exerçait pourtant sereinement son travail. Il a d’abord été journaliste dans son district natal d’Habiganj  – situé dans le nord-est du pays, dans la région de Sylhet, d’où viennent une grande partie des migrants bangladais. Puis à partir de 2001, il a rejoint Dacca et a écrit pour différents quotidiens nationaux réputés : le Daily Janata puis le Daily Sangbad.

Après des années passée à couvrir les questions de développement rural – « sans enjeux », selon lui – Farook a commencé à s’intéresser en 2009, au traitement discriminatoire des populations « indigènes » (environ 3 millions de personnes qui habitent principalement dans le Nord et le Sud-Est du Bangladesh). Dans un article, il s’est risqué à mettre en cause un ministre du gouvernement. C’est à partir de là qu’il a reçu ses premières menaces.

« J’ai fini par être incité à partir »

Pugnace, Farook a toutefois décidé de poursuivre son enquête sur les malversations de ce responsable politique. Il part le faire dans un autre quotidien, le Daily Bhorer Kagoj. Mais les choses ont progressivement dérapé. Au fil des mois, les coups de téléphone anonymes se sont transformés en agression physique à son domicile. Sa mère, âgée de plus de 70 ans, a été frappée. Ses plaintes sont restées sans suite.

La situation de Farook est devenue intenable début 2011, quand il a été cette fois accusé « à tort» du meurtre d’un homme. Une méthode classique au Bangladesh, utilisée par tous les camps politiques pour éliminer leurs adversaires les plus coriaces. « J’ai fini par être incité à partir », a expliqué Farook Nawaz Khan.

Talons défoncés

La cour l’a un peu ennuyé sur ce point. Il est vrai que dans la famille Nawaz Khan, on milite de père en fils au parti nationaliste bangladais (BNP) , le principal parti d’opposition au Bangladesh aujourd’hui. Farook lui-même, y est adhérent depuis 1986. Or le BNP est l’ennemi juré de la Ligue Awami, d’obédience socialiste, au pouvoir depuis 1996. Avant cette date, ce sont les militants de la Ligue Awami qui se plaignaient du BNP.

Mais Farook est resté calme dans son pantalon de velours et son costume vert-foncé. Sûr de son récit. Tout un comité de soutien était venu assister à son audition. Seuls les talons défoncés de ses mocassins cirés comme pour une remise de diplôme trahissaient la précarité de sa vie en France.

Principaux réfugiés de l’Hexagone

C’est cette vie-là qui lui a en fait donné l’idée de créer Paris Theke. En tant que demandeur d’asile, Farook a pu bénéficier d’un logement dès son arrivée : une petite chambre située dans un hôtel au fin fond du Val-de-Marne. Il touche également depuis 300 euros chaque mois. Mais il n’a jamais eu le droit de travailler, comme l’impose la législation en vigueur, et les journées ont souvent paru extrêmement longues à cet hyperactif.

Le projet de Paris Theke a muri au fil de ses mois d’ennui. D’autant plus vite, que l’arrivée de Farook a coïncidé avec une période difficile pour la diaspora exilée en France. Aujourd’hui, celle-ci ne cesse de s’aggrandir. Au point de constituer l’un des principaux flux de réfugiés vers l’Hexagone. La plupart de ses ressortissants parlent très mal le français. Ils sont perdus dans les démarches administratives. Les divisions politiques restent fortes. Chacun essaye de construire sa vie dans son coin. Et il n’existe aucun lieu fédérateur.

Financés par les petites annonces

Avec l’aide d’un des premiers réfugiés bangladais en France, parfaitement francophone – Hussein Sohel, arrivé en 1986, nommé rédacteur en chef – Farook a décidé de monter Paris Theke comme un outil de départ à plus de solidarité. La création du journal était au passage l’occasion pour lui de ne pas perdre la main. Il savait en outre que cela pouvait l’aider à démontrer la véracité de ses compétences journalistiques le jour où il passerait devant la CNDA.

Paris Theke n’est pas le premier journal communautaire à être créé en France. Les Sri Lankais et les Chinois notamment, ont les leurs depuis longtemps. Comme tous ceux-là, Paris Theke est en grande partie financé par les petites annonces. Il fonctionne essentiellement avec des pigistes, une dizaine en l’occurrence, et est imprimé à Dacca, où le papier est évidemment moins cher.

1000 exemplaires

La parution du premier numéro fut un évènement à l’échelle de la diaspora. C’était le 6 janvier, dans la cave d’un des premiers bistrots parisiens tenu par un Bangladais : le Café Royal, 127 rue du faubourg Saint-Denis. Tout ce que la communauté bangladaise compte de notables étaient présents. Un conseiller de l’ambassade avait fait le déplacement. La chaîne Bangla TV avait même dépêché un caméraman. Et il y avait bien sûr Farook, au premier rang.

Pour le premier numéro de ce bimensuel, tiré à 1000 exemplaires, la manchette avait un sujet tout trouvé : la circulaire du ministère de l’intérieur facilitant la régularisation des étrangers en situation irrégulière, publiée le 28 novembre 2012. Le reste était un savant mélange des centres d’intérêts supposés des lecteurs à conquérir :

  • Des articles sur l’histoire de la Marseillaise et de la Tour Eiffel.
  • Un débat sur « Sarkozy va-t-il revenir en politique ? »
  • Une interview de l’avocate française spécialiste des demandes d’asile bangladaises, connue jusqu’à Dacca : Me Pascale Taelman.
  • Des focus sur l’économie avec une attention particulière portée aux 3 millions de chômeurs français et à la hausse de la redevance télévisée.
  • Deux pages consacrées à l’actualité bangladaise et internationale.
  • Et bien sûr du sport, avec un peu de PSG, mais surtout beaucoup de cricket…

L’éditorial, lui, concernait la nécessité de « juger les criminels de la guerre » au Bangladesh. Soit les responsables de la répression du mouvement sécessionniste de 1971 contre la tutelle du Pakistan qui a abouti à l’indépendance du pays mais a fait entre 300 000 et 500 000 morts. Un sujet brûlant au Bangladesh, et qui touche particulièrement une diaspora presque exclusivement constituée de réfugiés politiques. Le 30 mai, Farook Nawaz Khan saura s’il rejoindra leurs rangs ou ceux des déboutés, cette masse anonyme des sans-papiers.

Elise Vincent

 

Dernière minute : le 30 mai, la cour nationale du droit d’asile (CNDA) a finalement décidé d’accorder le statut de réfugié à Farook Nawaz Khan. Il était évidemment aux anges…

 

 

 

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A la découverte du Paris Oriental

Un petit guide de Paris d’un genre nouveau vient de sortir aux éditions Parigramme. L’idée : aborder sous un angle touristique le métissage oriental de la capitale. Un pari original, décomplexé et réussi. Après Paris Gratis, Paris Bio, Paris Yoga ou encore Paris undergroung, vous pouvez trouver en librairie depuis le 26 avril, Paris Oriental. Un guide pour les « dés-Orientés » et tous ceux curieux de découvrir « l’Orient-sur-Seine », comme le résume avec humour, l’auteure de l’ouvrage, une journaliste franco-marocaine qui a collaboré notamment à RFI, Jeune Afrique et le Courrier de l’Atlas : Yasrine Mouaatarif.

 

Le guide donne un grand nombre d’adresses. Des centres culturels spécialisés en passant par les librairies, les disquaires, ou les galeries d’art.  Certaines sont connues, comme l’Institut du Monde arabe (IMA), d’autres très peu. Il y a bien sûr le chapitre incontournable sur les bonnes tables et bistrots, avec inclus les lieux où prendre des cours de cuisine orientale. Mais vous apprendrez aussi où écouter le meilleur chaâbi algérois (61, rue Dunois), où prendre des cours de malouf tunisien (6, rue Simone Weil), quelle est la cantine algérienne la plus connue (Les Quatre Frères, 37 boulevard de la Villette), ou encore où trouver de l’artisanat syrien (à La maison d’Alep, 25 rue Ernestine).

Des diasporas qui ont chacune leur centre de gravité

« Le Paris oriental s’est construit au fil des vagues d’immigration successives, génération après génération, explique Yasrine Mouaatarif en introduction. Cette histoire a été entamée par la communauté algérienne. Elle est constituée de strates distinctes, des travailleurs kabyles venus contribuer à la construction du métro parisien dès le début du XXe siècle, jusqu’aux vagues d’artistes et intellectuels qui ont fui le terrorisme des années 1990, en passant par l’immigration ouvrière ‘classique’, étoffée au fil des années par l’immigration étudiante ». Les Marocains et les Tunisiens sont ensuite les plus importants numériquement, selon l’auteure :« Ils devancent de loin les Libanais, Syriens et Égyptiens  dont les diasporas sont bien plus importantes outre-Manche, voire outre-Atlantique ».

Toutes ces diasporas ont chacune leur centre de gravité. « Alger pourrait se situer à la rencontre du boulevard Magenta et du boulevard Barbès, décrit Yasrine Mouaatarif. Tunis à Belleville, sur un territoire s’étendant du métro Couronnes aux frontières de Ménilmontant, Beyrouth dans une partie du 15e arrondissement, entre le boulevard de Grenelle et l’avenue Emile-Zola… ». Paris oriental est aussi un guide bien renseigné qui saura vous aider à vous promener dans les vestiges mauresques de la capitale. Que ce soit à travers le nom des rues qui en portent encore la marque – le passage du Caire, la rue d’Alexandrie, la rue d’Aboukir – ou certains établissements comme les Bains de Babylone (7e arrondissement).

Pour 6 euros, laissez-vous surprendre.

Elise Vincent

Dernière minute : une soirée-débat de lancement ouverte à tous aura lieu, le 15 mai, à partir de 19h, à l’institut du monde arabe (IMA), à Paris. L’auteure de Paris oriental sera entourée pour l’occasion de l’artiste plasticien Mustapha
Boutadjine, de l’historienne de l’immigration arabe en France Naïma Yahi et de l’écrivain et ethnologue José-Marie Bel. Une troupe de danse – Karma – fera une démonstration de Dabké libanaise. Il y aura aussi le DJ Le Mood du Mahmood.

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Au Sénat, le vrai-faux débat sur l’immigration professionnelle

Les ors du Sénat sont bien élevés, aussi, mercredi 24 avril, ont-ils accueilli comme il se doit la première discussion annuelle sur l’immigration, promise par François Hollande durant sa campagne. Les huissiers pointilleux étaient à leur poste. La tribune des visiteurs avait ses curieux. Un ordre du jour avait même été vaillamment imprimé. Mais de débat, en fait, il n’y a point eu.

La faute d’abord à une banale question de comptabilité. Moins de vingt sénateurs avaient pris la peine de venir occuper leur siège, ce mercredi, tandis que huit seulement avaient daigné préparer une prise de parole de 8 à 10 minutes. De quoi toutefois permettre d’afficher la courageuse durée d’1 h 15 de discussion au total. Moins qu’un cours d’amphi.

Une séance de nuit

Aucun annonce ministérielle ne s’est non plus risquée devant cet auditoire clairsemé. Bons élèves, le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, et la ministre de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, étaient  présents. Mais ils se sont contentés de grands exposés généraux lors de leur discours d’introduction.

Il est vrai que le créneau était tardif : 21 h 30. Autant dire une séance de nuit. Un esprit malin aurait souhaité limiter toute publicité à la discussion qu’il ne s’y serait pas pris autrement : 21 h 30, c’est l’horaire qui permet d’espérer échapper à tout : au journal télévisé comme au bouclage des quotidiens.

L’immigration « professionnelle » : le sujet le plus épineux

Les sénateurs ne se sont guère non plus affrontés sur le fond. Deux gros dossiers devaient en principe les occuper pour la soirée : l’immigration « professionnelle » et celle « étudiante ». Mais la première était de loin le sujet le plus épineux. Aussi les parlementaires ont-ils vite choisi : c’est sur la question des étudiants qu’ils ont presque tous décidé de « se concentrer », comme ils l’ont poliment dit lors de leur passage à la tribune. La plupart se sont en outre bornés à citer le document de travail qui avait été préparé en amont par le ministère de l’intérieur.

Les flux étudiants représentent, certes, chaque année, 50 % des titres de séjour pour motif professionnel. On s’est ainsi longuement alarmé du manque d’étudiants russes (1,4 % du total), coréens ou indiens (0,7 % du total)… mais des besoins en main-d’œuvre peu qualifiée et de ses liens compliqués avec la question des sans-papiers, beaucoup moins. Sur ce dernier point, les belles phrases l’ont emporté sur le technique.

« Juste une façade »

A tel point que l’immigration est presque apparue, ce soir de printemps, comme un sujet consensuel. Traditionnelles aux heures de grande écoute, les attaques socialistes à l’égard de la politique de Nicolas Sarkozy semblaient avoir comme reçu consigne de se faire discrètes. Même le représentant des sénateurs UMP, André Reichardt, s’est emballé – tout en défendant toutefois le bilan du quinquennat passé : « Les migrants d’aujourd’hui sont la richesse demain. »

Il n’y a guère que la jeune sénatrice communiste de la Loire, Cécile Cukierman, qui s’est aventurée à quelques mauvais mots lors de cette discussion courtoise : « Espérons que ce débat ne soit pas juste une façade qui ne trouvera pas de traduction concrète », a-t-elle déclaré.

A l’issue de la discussion, M. Valls et Mme Fioraso, eux, ont préféré saluer « le recul » de la haute assemblée et « sa capacité à débattre » de façon « apaisée ». La deuxième partie du débat doit avoir lieu à l’Assemblée nationale fin mai. A la même heure.

Elise Vincent

 

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« On a besoin d’une autre ambition dans la politique migratoire », selon Jean-Christophe Dumont de l’OCDE

C’est ce mercredi 24 avril que doit s’ouvrir le débat sur l’immigration professionnelle et étudiante, promis par François Hollande durant sa campagne. Il aura lieu au Sénat, à partir de 21h30. Il sera suivi d’une autre discussion à l’Assemblée, mi-mai. Celle-ci, initialement prévue le 16 avril, a été repoussée pour laisser le champ libre à la seconde lecture du projet de loi sur le mariage gay. C’est donc dans une relative discrétion que les échanges vont avoir lieu ce soir.

Ce débat sur l’immigration – sans vote – est toutefois une première. Il est censé nourrir un projet de loi qui devrait être déposé d’ici l’été. Le député PS Matthias Fekl, chargé de l’élaborer, devrait notamment y proposer la création de titres de séjour de trois et quatre ans. Des titres conçus pour remédier à la précarité qu’induisent aujourd’hui les titres d’un an renouvelables, seuls intermédiaires avant la carte de dix ans.

Le chef de la division migrations de l’OCDE, Jean-Christophe Dumont, décrypte les enjeux de ce débat pour Le Monde.

L’initiative d’un débat au parlement sur les questions d’immigration économique est-t-elle une bonne idée en période de crise ?

Il est certain que ce n’est pas le moment où l’on a le plus de besoin d’immigration de travail. On peut craindre que ce ne soit pas le bon moment mais y aurait-il un bon ? Ce débat est de toutes les façons nécessaire.

Pourquoi est-ce bien d’en parler ? A-t-on besoin d’immigration?

Le fait est qu’il y a de toute façon de l’immigration en France. Il faut donc voir comment en tirer partie le mieux possible. D’un autre côté, il y des besoins structurels auxquels l’immigration répond depuis longtemps. Ces dix dernières années, les migrants ont contribué en Europe à hauteur de 70% à la croissance de la population active. Ils joué un rôle dans les professions en forte croissance mais aussi, on l’oublie souvent, dans celles en déclin. Les métiers d’artisans sont particulièrement concernés. En moyenne, les migrants ont contribué à hauteur de 25% des entrées dans les professions en déclin!

Depuis son arrivée au pouvoir, malgré quelques coups de menton médiatiques, la gauche travaille globalement à un assouplissement de l’accès au territoire français. Cela va-t-il dans le bon sens ?

Le problème de la France c’est qu’elle n’a pas clairement défini sa politique migratoire à des fins d’emploi. Il y a un cadre légal avec un empilement de dispositifs mais sans objectif d’ensemble. On le voit dans le document rendu public début avril qui doit servir de base au débat. Il identifie un certain nombre de dysfonctionnements, comme le fait que la durée des titres de séjour ne correspond pas à leur objet – pour les étudiants par exemple – ce qui introduit des procédures administratives répétées et inutiles. Le gouvernement a aussi dit qu’il allait assouplir l’obtention des visas pour les « talents étrangers ». C’est de bon augure mais cela relève essentiellement de la simplification administrative.

Où voulez-vous en venir ?

On a besoin aujourd’hui d’une autre ambition dans la politique migratoire. Celle-ci continue en grande partie d’être définie par circulaires. Cela donne beaucoup de flexibilité. C’est un atout mais il y a un revers : la vision d’ensemble manque de lisibilité. Dire que l’immigration économique doit contribuer au rayonnement économique de la France ne suffit pas.

Quelles comparaisons peut-on faire entre la France et les Etats-Unis, souvent enviés en matière d’immigration professionnelle ?

Contrairement aux idées reçues, aux Etats-Unis, le fait que les quotas soient votés au parlement, un lieu très politisé, a abouti à une paralysie du système: d’où le nombre très élevé de clandestins [ndlr. plus de 11 millions]. Le cadre législatif était par ailleurs trop rigide. A l’inverse de la France, aux Etats-Unis, tout est dans la loi. Le pays a toutefois pris acte de ses difficultés et se lance actuellement dans une grande réforme de sa politique migratoire [ndlr. qui inclut la régularisation massive des étrangers en situation irrégulière]. Les objectifs en sont clairs. Il s’agit principalement d’apporter plus de flexibilité au système et de mieux répondre aux besoins économiques,  l’immigration familiale étant aux Etats-Unis jusqu’à présent encore plus importante qu’en France – de l’ordre de 75% des flux.

En France, quels devraient être les objectifs ?

La France est à un tournant et doit choisir une orientation parce qu’il y a des échéances démographiques : le pays vieillit, même si c’est moins rapidement que d’autres. En dépit de la situation économique, il y a aussi des besoins structurels dans certaines professions qualifiées mais également moins qualifiées: aide à domicile, travaux saisonniers agricoles etc. On peut évidemment faire mieux en matière de formation ou de mobilité géographique pour orienter les personnes au chômage vers ces emplois, mais même avec des politiques plus efficaces les besoins persisteront. L’immigration seule n’est toutefois pas la solution aux problèmes structurels du vieillissement, du déséquilibre des comptes sociaux, des déficits publics, cela peut juste en être un des éléments.

Que faudrait-il faire concrètement ?

Même s’ils tendent à converger, il y a, si on simplifie, deux grands modèles d’immigration de travail dans le monde parmi lesquels on peut choisir. Le premier est basé sur la demande : le candidat à l’émigration doit avoir une offre d’emploi pour venir travailler dans le pays d’accueil. Ce modèle cherche surtout à faciliter le recrutement de travailleurs étrangers pour les employeurs. C’est le modèle de la France. Il peut cependant être paramétré et aller du très restrictif au très ouvert comme en Suède. Là, il suffit que l’offre d’emploi réponde aux critères de rémunération et ne crée pas de dumping, la réponse des autorités suédoises est presque toujours oui. L’autre modèle est basé sur l’offre. Le pays d’accueil n’exige pas des candidats à l’immigration qu’ils aient absolument – même si cela aide – une offre d’emploi. Il sélectionne surtout les migrants qui ont un bon potentiel et qui vont s’installer durablement avec succès. C’est le modèle canadien, australien et néo-zélandais.

Peut-on vraiment séparer immigration économique et familiale ?

C’est à la fois possible et impossible car la majorité des gens qui entrent au titre du regroupement familial contribuent au marché du travail. Il y a par ailleurs un lien inéluctable entre les deux, car si l’on veut attirer les migrants les plus qualifiés, il faut autoriser le regroupement familial. Cela dit, il y a une différence fondamentale : le regroupement familial est issu d’un droit, alors que l’on peut décider de l’immigration de travail, en théorie, qu’elle soit de zéro.

La France a-t-elle une chance de se rendre plus attractive tant qu’elle est sur cette spirale descendante économiquement ?

La France est attractive, elle a plein d’atouts. Elle est en avance dans de nombreux secteurs de pointe comme le spatial, le nucléaire, les transports etc. On le voit aussi au regard de l’immigration étudiante qui est la composante essentielle de la migration de travail en fin de cursus (50% des titres de séjour pour motif professionnel ). Cela tient à la francophonie, au faible coût des frais de scolarité et à la qualité de son système éducatif. Reste qu’aujourd’hui, malgré le contexte de crise, aucun des grands pays d’immigration de l’OCDE ne reste les bras ballants sur la question de l’immigration économique.

C’est-à-dire ?

Actuellement, même des pays qui n’ont pas de problèmes d’attractivité comme l’Australie ou le Canada ne s’endorment pas sur leurs lauriers. Ils adaptent sans cesse leur modèle. C’est le cas aussi de l’Allemagne. Sa situation démographique est plus préoccupante que nous mais elle est dans une conjoncture économique meilleure. Le débat sur l’immigration y est aussi sensible qu’en France mais elle se penche sur les moyens d’attirer des immigrés moyennement qualifiés car cela correspond aux besoins de son économie en grande partie basée, comme en France, sur les PME et TPE. La compétition internationale est rude il faut que la France prenne ce train-là.

Qu’en est-il du Royaume-Uni, pays phare de l’immigration économique ces dernières années en Europe ?

C’est effectivement un des rares pays qui est en train de faire machine arrière. Jusque-là, il avait fait des choix innovants, notamment avec la création d’un organe consultatif composé d’experts indépendants qui était chargé de mettre en oeuvre les objectifs de migration économique : le Migration Advisory committee (MAC). Le Royaume-Uni avait ainsi adopté un système à points. Mais aujourd’hui, au contraire, essentiellement pour des raisons politiques, les visas accordés aux migrants hautement qualifiés notamment, ont été fortement réduits.

Réussir à attirer ou canaliser les migrants économiques, n’est-ce pas moins une question d’immigration que de fonctionnement du marché du travail ?

L’objectif généralement admis d’une politique migratoire à des fins d’emploi est d’aider à répondre aux besoins du marché du travail qui ne pourraient pas être satisfaits suffisamment rapidement, et cela, sans avoir de conséquences négatives sur la main-d’œuvre du pays d’accueil. Le débat sur l’immigration de travail doit donc s’inscrire, effectivement, en France, dans un cadre plus large, de la réforme du marché du travail. Il ne peut non plus écarter la question de l’intégration. Il faut être ambitieux sur ce thème-là aussi. Cela inclut une réflexion sur les contrôles des conditions d’emploi ou sur les mécanismes de régularisation des immigrés sans-papiers.

Propos reccueillis par Elise Vincent

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Adecco signe un partenariat inédit pour la « diversité » en entreprise

C’est a priori une première en France. L’agence d’intérim Adecco, poids lourd du secteur du travail temporaire, vient de signer, ce vendredi 19 avril, un partenariat avec un petit cabinet de recrutement spécialisé dans la « diversité » en entreprise.  « Nous nous lançons très simplement et très humblement, explique-t-on chez Adecco, mais nous voulons croire que la diversité est une chance ».

Le cabinet auquel Adecco a fait appel est Mozaïk RH. Une structure fondée il y a cinq ans et incarnée depuis par son président et directeur général Saïd Hammouche. Agé de 41 ans,  M. Hammouche est originaire de Bondy en Seine-Saint-Denis et travaille depuis longtemps sur le développement de méthodes innovantes pour faciliter l’accès à l’entreprise aux personnes issues des quartiers défavorisés avec souvent des origines immigrées.

« middle-management »

Le partenariat signé cible particulièrement le « middle-management », soit des postes de cadres et de techniciens, en intérim ou en CDI. Un public qui se trouve être le cœur de cible de Mozaïk RH, spécialisée dans le placement des jeunes diplômés titulaires de BAC+2 à BAC+5. C’est donc plus particulièrement avec une filiale d’Adecco, « Experts », spécialisée sur ce segment, que la convention a été signée. Un autre projet est en cours pour développer le recrutement sur des postes moins qualifiés.

« Notre idée, c’est qu’il ne faut absolument pas que la diversité soit vécue comme une contrainte, explique Manuela Guizzo directrice du développement et de la communication d’Experts. Aujourd’hui, les entreprises ne savent souvent pas comment faire, donc notre approche c’est de dire que l’on va fluidifier le marché ». Adecco réfute toutefois le principe de « discrimination positive« . « On va rester sur un processus de recrutement classique. Notre approche c’est seulement de valoriser des parcours et des expériences auxquels les chefs d’entreprise ne pensent pas toujours », précise Mme Guizzo.

 

Concrètement, les consultants d’Experts promouvrons le nouveau partenariat et son fonctionnement lors de leurs démarchages auprès des personnes en charge des ressources humaines dans les entreprises ou directement auprès des PME, le secteur le plus à la peine aujourd’hui en matière de diversité – à l’inverse du CAC 40. Puis, une fois que la proposition d’emploi sera obtenue, elle sera diffusée dans le réseau Adecco en même temps qu’à Mozaïk RH qui  diffusera à son tour les annonces à son réseau de diplômés. « Aujourd’hui, on a plus de candidats que d’offres, explique M. Hammouche, mais si on arrive à inverser la tendance, alors on aura réussi notre pari. »

Mozaïk RH – qui a pour l’heure le statut d’association – assure placer environ 500 jeunes par an. Mais avec seulement 22 salariés, elle peinait depuis quelque temps à monter en puissance malgré de nombreux partenariats passés en bilatéral avec des entreprises. « Notre objectif, avec Adecco,  c’est de passer demain à peut-être 5000 placements », veut croire M. Hammouche. Mozaïk RH dispose actuellement d’un bureau à Paris, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) et d’un autre à Lyon. Le partenariat avec Adecco a été signé pour une période d’un an.

Elise Vincent

Dernière minute : RFi, France 24 et Monte Carlo Douyalia s’y mettent aussi…

 

 

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Le Quai d’Orsay en mode séduction auprès de la diaspora malienne

Une réunion relativement exceptionnelle à l’échelle de la communauté malienne, s’est tenue, mercredi 10 avril, à la mairie de Montreuil (Seine-Saint-Denis) avec les membres les plus actifs de la diaspora. A l’initiative du Quai d’Orsay, plus d’une centaine de responsables associatifs avaient été conviés à se retrouver durant près d’une journée. Thème de cette rencontre :  réfléchir au soutien que pourrait apporter la communauté malienne de France à la situation actuelle au Mali.

Pour l’occasion, plusieurs personnalités avaient fait le déplacement : le ministre du développement Pascal Canfin, à l’origine de la réunion, le nouveau député de Seine-Saint-Denis et président du groupe d’amitié France-Mali à l’assemblée nationale Razzy Hammadi, ou encore la maire de Montreuil, Dominique Voynet, dont la commune est le cœur historique de la diaspora malienne et compte quelque 10 000 ressortissants. L’ambassadeur du Mali en France était également présent, ainsi que Demba Traoré, le ministre des Maliens de l’extérieur, interlocuteur de référence pour tous les Maliens et franco-maliens expatriés (4 millions dans le monde, dont 100 000 en France).

« Nous devons gagner la guerre, mais ensuite il faudra gagner la paix »

L’événement avait bien sûr ses éléments de langage : « Actuellement nous sommes engagés dans une opération militaire. Nous devons gagner la guerre, mais ensuite il faudra gagner la paix. Donc la réunion [était] une manière d’associer les diasporas », explique Jean-Baptiste Mattéi, directeur général de la mondialisation, du développement et des partenariats au ministère des affaires étrangères dans une vidéo sur le site du Quai d’Orsay.  La réunion, intitulée « séminaire de la diaspora malienne pour la paix et le développement au Mali » avait en effet comme objectif affiché d’essayer de mobiliser la diaspora sur des projets de développement au Mali alors qu’en 2013, du fait du contexte difficile dans le pays, des fonds plus importants que d’ordinaire vont être débloqués, notamment par l’agence française de développement (AFD). Une grosse partie de la dotation de cette dernière consacrée à l’Afrique va être réorientée sur le Mali.

Il est assez courant, dans la communauté malienne comme dans d’autres, que ceux qui ont réussi, après un certain nombre d’années passées en France, décident de se lancer dans des projets de type humanitaire (construction de centres de santé, projets d’assainissement, de creusement de puits etc.) pour améliorer les conditions de vie dans leur village d’origine avec lequel ils ont très souvent gardé des attaches profondes. Le séminaire de mercredi, à Montreuil, s’inscrivait toutefois aussi dans un processus plus large.

Une diaspora qui a besoin de sentir que les choses ne se font pas sans elle

Ce processus vise notamment à un rapprochement avec une diaspora qui a largement soutenu l’intervention de la France au Mali et a aujourd’hui besoin de sentir que les choses ne se font pas sans elle. Il est aussi une manière de faire de l’appel à financements, alors que la France sait qu’il lui faut d’ores et déjà préparer l’après-guerre. Une réunion similaire à celle de Montreuil a été ainsi organisée, à Lyon, le 19 mars, avec les collectivités françaises engagées dans des projets de coopération avec le Mali. Et une grande « conférence des donateurs » doit venir clôturer l’ensemble de ces démarches, le 15 mai.

L’une des difficultés de cette approche,  un peu évoquée mercredi, à Montreuil,  est que  l’essentiel des expatriés maliens sont originaires du Sud du Mali alors que la zone de conflit se situe dans le Nord. « Il faudrait que la diaspora s’investisse dans l’ensemble du Mali » a, à ce titre, défendu l’une des participantes . Pour remédier en partie à ce déséquilibre, M. Hammadi estime, lui, qu’il faudrait mobiliser « le secteur privé ». Il dit notamment avoir le projet d’organiser, « en septembre » un « forum » à Montreuil avec les mêmes associations que celles du 10 avril,  mais sur le thème, cette fois-ci, de « entrepreneuriat et investissements« .

Elise Vincent

 

 

 

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