Les ressources cartographiques sur l’Algérie au Service historique de la Défense

par Alix Duvillier, mai 2015

Le Service historique de la Défense détient un  fonds considérable de cartes portant sur l’Algérie, fruit de divers apports. La plupart de ces cartes ont été tout d’abord conservées par le Service géographique dans les années 1880, avant d’être versées par l’Institut géographique national au Service historique de l’armée de Terre dans les années 1980. Le reste des documents est issu des archives de l’armée de Terre et c’est après la dissolution du Dépôt dans les années 1880 que ces cartes sont parvenues au Service historique de la Défense. Par conséquent, les auteurs sont des officiers d’état-major et des ingénieurs géographes militaires.

Principalement réalisées sur une période allant de 1830 à 1950, ces cartes sont, de par leur nombre, une source primordiale en ce qui concerne l’accroissement progressif des connaissances et des informations acquises sur ce territoire ; leur variété font également de ces cartes un exemple type du processus cartographique. En effet, si la grande particularité de ce fonds est le panel impressionnant de cartes de reconnaissances et d’étapes liées à l’exploration et à la conquête de l’Algérie, s’y trouvent, en outre, de nombreux plans de villes et de leurs environs immédiats, des cartes à plus grande échelle, ainsi que les travaux préparatoires qui permirent de réaliser à terme la couverture méthodique du territoire.

Cartographier l’Algérie : une cartographie militaire

En 1830, les littoraux sont déjà renseignés, contrairement à l’intérieur du territoire ; c’est donc la conquête qui en impose la nécessité et qui lance le mouvement. Ainsi les ingénieurs géographes ont-ils d’abord pour ordre de se consacrer aux environs des points de débarquement grâce à des levés à grande échelle (1:5 000, 1:10 000), ce qui permet la réalisation de cartes comme celle des environs d’Alger éditée en 1832 ; cependant, l’établissement d’une colonie militaire les conduit rapidement à cartographier l’intérieur des terres, instruction étant donnée de réaliser des cartes d’ensemble. C’est pourtant entre 1834 (début des négociations avec Abd el-Kader) et 1837 (traité de la Tafna) que le territoire commence à être réellement mieux connu grâce à la reconnaissance de grands itinéraires levés durant cette période ; ces acquis s’expriment notamment dans la réalisation en 1837-1838 de la première édition d’une carte de reconnaissance des provinces d’Alger, d’Oran et de Constantine au 1:400 000.

La courte période de paix qui suit permet de préciser davantage les données déjà rapportées : extension du plan d’Alger et de ses environs, plan de Blida, premiers travaux de triangulation dans la province de Constantine… Cependant, c’est à partir de 1840, avec la reprise de la lutte contre Abd el-Kader, et jusqu’en 1844, que s’accumule la plus grande quantité de matériaux cartographiques : la succession de colonnes offensives, d’expéditions et de coups d’armes donne lieu à des retranscriptions cartographiques d’autant plus abondantes que des topographes se joignent à ces actions. En outre, participent à ces travaux cartographiques les officiers d’état-major accompagnant les renforts de troupe et les officiers du génie chargés d’organiser la colonisation.

Lorsque le pays se soulève plus massivement en 1844, et ce, jusqu’à la soumission de la Kabylie en 1856, les opérations deviennent davantage confuses : de ce fait, peu de matériel cartographique est produit durant cette période. La mise au pas de la Kabylie entraîne, pourtant, quelques expéditions, telles que l’expédition du Djurdjura dans les vallées du Sebaou et du Sahel, en 1857, et ces campagnes auxquelles s’adjoignent les topographes conduisent à l’établissement d’une carte spéciale de la Kabylie. Cette carte au 1:50 000 en 6 feuilles paraît en 1858.

La conquête du Sahara, un enjeu impérial

Tandis que se poursuivent les opérations en Kabylie, les forces militaires entreprennent la conquête du Sahara, perçu comme un obstacle manifeste à la continuité impériale. La connaissance du désert se développe au rythme de l’expansion méridionale de la colonie algérienne. Et, dans une logique de conquête, le Sahara, perçu depuis Alger et créé de manière artificielle par la cartographie française, devient un Sahara « algérien ». Jusqu’au début du XXe siècle, le relevé d’itinéraire représente la base de la cartographie saharienne. Tandis que la première carte du Sahara algérien, établie en deux feuilles au 1:1 000 000 et publiée en 1845, est encore fondée sur des renseignements essentiellement oraux, un nouvel élan est donné à la cartographie de cette région, à partir de 1852, grâce à l’action du maréchal Randon.

De 1843 à 1856, se succèdent colonnes et expéditions dans le Sud algérois, oranais et constantinois. Avec la conquête de ces oasis du nord du Sahara, les états rapportés permettent l’établissement des étapes de l’Algérie au 1:800 000.

C’est dans l’idée d’un Empire français en Afrique, conçu comme un élément de jonction, que s’organise la pénétration en profondeur du Sahara à partir de ces points d’appui ; ainsi cette progression s’élabore dans deux directions : l’Ouest, afin de rejoindre et le Niger ; l’Est, pour atteindre Ghadamès et le Sud tunisien. L’exploration est également motivée par des projets spécifiques, comme la mission Pouyanne qui étudie la question de la liaison par le rail de l’Algérie et du Soudan entre 1879 et 1881. La pénétration en profondeur du Sahara central est ralentie de 1881 à 1890 suite à l’anéantissement de la mission Flatters. Les cartes d’ensemble du Sahara demeurent alors, à peu près vides, jusqu’à ce que le gouvernement britannique reconnaisse une zone d’influence française, limitée par une ligne qui joint Say sur le Niger à Barroua sur le lac Tchad. S’en suivent des opérations qui permettent une vision plus approfondie du territoire, vision qui devient globale sur cette partie occidentale du désert en 1905 grâce aux reconnaissances du lieutenant Mussel. Les grandes missions se poursuivent et les compagnies de méharistes mises en place par le commandant Laperrine parcourent de long en large le Sahara, produisant une grande masse d’itinéraires. Les deux cartes d’ensemble, qui permettront la synthèse finale, sont conservées par l’IGN.

Ainsi, à la veille de la Première Guerre mondiale, si l’idée impériale française en Afrique se heurte à la réalité de l’immensité désertique, les travaux cartographiques réalisés fournissent une matière considérable. Cependant, après plus de quatre ans d’inactivité cartographique, le retour à la paix offre de surcroît un contexte totalement renouvelé.

Vers l’élaboration d’une carte régulière

Avec la paix, les méthodes changent, ce qui permet l’établissement d’une carte régulière de l’Algérie sur le modèle de la carte d’état-major en cours de réalisation en métropole. L’essentiel des documents de travail ayant servi à établir cette cartographie se trouve à l’IGN ; le Service historique de la Défense ne conserve que les cartes éditées par le Dépôt de la guerre puis par le Service géographique de l’armée.

Les tentatives pour effectuer une couverture cartographique totale du territoire commencent dès le milieu du XIXe siècle : ainsi en est-il de la carte de reconnaissance au 1:400 000 ou de la «carte générale de l’Algérie» au 1:1 600 000, établie en 1856, qui furent toutes deux remplacées en 1890 par une carte «régulière» de l’Algérie au 1:800 000. Les relevés géodésiques, dont les états sont conservés par l’IGN, sont laborieux ; les conflits d’attribution entre le chef du Dépôt de la guerre et le gouverneur général à propos des topographes retardent l’avancée des travaux, du moins jusqu’en 1864, année qui voit l’arrivée en Algérie de sept officiers du Dépôt de la guerre. Ainsi, c’est en 1865 qu’est prise la décision de réaliser une nouvelle carte de l’Algérie proposant un découpage en carrés réguliers de la carte au 1:400 000. Le choix de l’échelle est sujet à de nombreuses hésitations. Après la guerre de 1870, les travaux reprennent, toujours sur la base de levés au 1:400 000, tandis que le méridien d’origine n’est plus celui de Paris, mais celui d’Alger. Dès 1901, la révision des 329 feuilles constituant la carte de base est d’actualité. Par la suite, pour la carte régulière du Sud algérien, on préfère une échelle au 1:200 000, avec levés au 1:100 000, à l’image de la carte de la Tunisie.

Conséquence de la guerre de 1914, le bureau topographique du 19ème corps d’armée est chargé de centraliser les renseignements topographiques de toute nature et d’exploiter, pour les besoins locaux, les documents recueillis. 1920 voit naître le projet de la nouvelle carte du Sahara et c’est finalement une échelle au 1:500 000 qui est adoptée pour les territoires plus au sud. Outre de nombreux avantages pratiques, ce changement d’échelle permet d’intégrer les travaux français à la carte du monde au 1:100 000 entreprise à l’issue des conventions de Londres en 1909 et de Paris en 1913.

Si l’essentiel de cette documentation se trouve à l’IGN, le Service historique de la Défense en conserve de nombreuses traces. Et l’abondance des travaux préparatoires conservés dans ses fonds manifeste non seulement les progrès d’une cartographie hésitante, mais aussi l’importance de l’intérêt qui était porté à ce territoire, enjeu d’ambitions impériales et coloniales.

 

Références bibliographiques

DE VILLEDE Marie-Anne et PONNOU Claude, À la découverte d’un territoire : inventaire des cartes d’Algérie conservées aux archives de la guerre du Service historique de la Défense (1830-1950), Service historique de la Défense, Vincennes, Service historique de la Défense, 2010

BLAIS Hélène, DEPREST Florence et SINGARAVELOU Pierre, Territoires impériaux, une histoire impériale du fait colonial, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011

BLAIS Hélène, Mirages de la carte: L’invention de l’Algérie coloniale, Fayard, 2014


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