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Made in Algeria – Généalogie d’un territoire, INHA, Saison 2015

En s’appuyant sur le seul commentaire narratif d’œuvres littéraires qui ont un motif ou un sujet « oriental », et en proposant que la littérature du XIXe siècle ait été un procédé fictionnel en charge d’une construction de représentation, Edward Saïd a fondé une nouvelle critique qui a affecté tous les domaines de la création.

C’est ce modèle de contre-champ critique qui sous-tend le séminaire et sa programmation. Soutenu par le croisement de sources visuelles et textuelles, il sera porté par des chercheurs algériens, français et d’autres pays, des cinéastes, des écrivains et des plasticiens.


3 février 2015 : Hélène Blais / Mirages de la carte. L’invention de l’Algérie coloniale

17 février 2015 : Sylvie Thénault / Violence ordinaire dans l’Algérie coloniale. Camps, internements, assignations à résidence

10 mars 2015 : Tariq Teguia / L’Algérie, ce territoire cinématographique

7 avril 2015 : Lamine Ammar-Khodja / Projection-débat / Algérie, photographie du présent

21 avril 2015 : Daho Djerbal / Algérie : l’esthétique de la crise – retour sur le numéro 17 de la revue NAQD

12 mai 2015 : Todd Shepard / « L’arabe au sexe-couteau » : comment les représentations de la guerre d’Algérie ont façonné la révolution sexuelle en France

26 mai 2015 : Habiba Djahnine / Made in Algeria – Féminisme, politique et cinéma : la voie poétique

16 juin 2015 : Hannah Feldman / Aesthetics and other erasures : l’art durant la guerre d’indépendance algérienne

10 novembre 2015 : Laurence Bertrand-Dorléac / D’une guerre l’autre

15 décembre 2015 : Zahia Rahmani & Jean-Yves Sarazin / Présentation de l’exposition Made in Algeria

12 MAI 2015 : Sixième séance / Todd Shepard / « L’Arabe au sexe-couteau » : Comment les représentations de la guerre d’Algérie ont façonné la révolution sexuelle en France

Entretien avec Todd Shepard, Zahia Rahmani et Jean-Yves Sarazin, dans le cadre du programme Made in Algeria – Généalogie d’un territoire

Institut national d’histoire de l’art
2, rue Vivienne 75002 Paris
Salle Giorgio Vasari (1er étage), 18h-20h

BenZobi
“Wanted: Mohammed el-Prick, Born in Algeria, Living in France. This Man is Dangerous! Liable to Kill! Rape!… You Won’t Have to Look Very Far to Find Him… All Around You, There Are 700,000 Just Like Him!” Europe-action 22 (1964), back cover.


Todd Shepard est professeur d’histoire à l’université Johns Hopkins. Son travail porte sur la France et son empire colonial au XXe siècle. Son premier livre, The Invention of Decolonization. The Algerian War and the Remaking of France (Cornell U.P., 2006), a été traduit en français sous le titre : 1962. Comment l’indépendance algérienne a transformé la France (Payot, 2008 ; en poche 2013).

Il prépare actuellement deux ouvrages. Le premier, La France, le sexe et les Arabes, 1962 à 1979 (à paraître chez Payot en septembre 2016), explore l’importance et la fonction des représentations de la « perversion » masculine dans les débats politiques français après 1962. Le second, Affirmative Action and Empire, porte sur un ensemble de programmes novateurs, mis en place par la République dans le contexte de la Guerre d’Algérie, visant à corriger les discriminations subies par les « musulmans d’Algérie ».

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Image de couverture : photographie de Brahim Haggiag dans le rôle de Ali la pointe, extraite du film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo (1966).

3 février 2015 : Première séance / Hélène Blais / Mirages de la carte. L’invention de l’Algérie coloniale

Hélène Blais, Maître de conférence en histoire contemporaine à l’Université Paris Ouest La Défense,  inaugure le cycle de séminaires qui jalonnera sa préparation durant l’année 2015.

Entretien autour de son ouvrage Mirages de la carte. L’invention de l’Algérie coloniale, animé par les responsables du projet Made in Algeria, Zahia Rahmani et Jean-Yves Sarazin.

Institut national d’histoire de l’art
2, rue Vivienne 75002 Paris
Salle Giorgio Vasari (1er étage), 18h-20h

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Hélène Blais, Mirages de la carte. L’invention de l’Algérie coloniale, Paris, Fayard, 2014

Janvier 1957 : une région autonome est créée (Organisation commune des régions sahariennes) et marque la tentative d’un découpage de l’espace qui forme une enclave française en Afrique, apparaissant, dès lors, comme une résurgence de l’histoire coloniale. Ce geste est révélateur du lien qui existe entre la domination et les savoirs sur l’espace, entre les savoirs géographiques et l’impérialisme. Il nous faut comprendre les enjeux de la pratique cartographique dans un contexte d’exploration puis de colonisation d’un territoire et l’Algérie semble être un exemple particulièrement significatif. En effet, la longévité de l’Algérie comme colonie française, son exceptionnalité en tant que colonie de peuplement et sa proximité géographique avec la métropole sont autant de facteurs déterminants pour comprendre l’intérêt suscité par l’Algérie dans l’histoire de la colonisation, notamment dans sa dimension spatiale. La cartographie du territoire algérien fut l’une des visées françaises, et ce, dès le débarquement à Alger (1830); la carte participe de la mise en ordre du territoire et de sa soumission et devient ainsi un instrument de pouvoir aussi bien qu’une source privilégiée pour l’historien qui s’intéresse à l’Algérie coloniale. Au-delà de l’objet en tant que tel, c’est la construction de la carte qui nous intéresse ici, son élaboration sur le terrain, les enquêtes menées, la collecte des informations… car ce sont toutes ces étapes qui expriment l’affirmation d’une autorité sur le territoire.

Comment, à partir des pratiques de l’espace, de la connaissance et de la reconnaissance des territoires, une politique coloniale peut-elle se mettre en place ?

Dans un contexte de domination et d’appropriation du territoire, une carte et son élaboration ne sont jamais neutres. La carte topographique se présente donc comme un révélateur des logiques spatiales d’un gouvernement colonial. Elle est à la fois le fruit et l’instrument d’une construction territoriale aussi bien réelle que mentale. Elle donne à voir l’empreinte laissée par la colonisation sur l’espace et les sociétés qui l’habitent en même temps que sur les façons de les représenter, de les figurer. Dans l’histoire de l’Algérie colonisée, deux discours s’affrontent : le discours de propagande qui fait de l’Algérie une créature de la France et le discours qui met en avant « l’ancienneté de la nation algérienne, sa cohérence et son unité précoloniale ». En s’appuyant sur l’étude de la carte, Hélène Blais renouvelle les regards portés sur l’Algérie coloniale en favorisant les emboîtements d’échelle et les passages de frontières. Tout l’enjeu de son étude consiste à comprendre dans quelles mesures la politique coloniale s’appuie sur les pratiques et les représentations du territoire, à comprendre les rouages de la construction territoriale dans la mise en place d’un projet politique colonial. Pour cela, l’historienne croise deux chronologies : l’histoire de la colonisation et l’histoire des savoirs.

Par conséquent le livre s’intéresse à la fois à l’ensemble des savoirs disponibles sur l’Algérie qui ont pu servir aux acteurs coloniaux (chapitre 1) et à l’expérience du terrain qui passe par la fabrication des cartes dans l’Algérie colonisée (chapitre 2) puis par la rencontre avec le terrain (chapitre 3). La situation coloniale suppose un certain nombre de décalages et de bricolages révélés par le savoir cartographique ainsi que par les connaissances vernaculaires qui en découlent (chapitre 4). Enfin, le livre consacre deux chapitres à l’histoire de la constitution des frontières de la colonie (chapitre 5) et plus particulièrement au Sahara qui voit ses limites sans cesse rediscutées (chapitre 6).

À travers son étude, Hélène Blais nous rappelle que le territoire colonial est un espace dont les limites, les découpages et les représentations ont été mis en place en fonction des intérêts et des objectifs des colonisateurs. La construction des savoirs sur l’espace colonial n’étant jamais lisse, jamais neutre, l’historien doit tenir compte du contraste qui existe entre les représentations cartographiques destinées à l’administration et la réalité de la pratique sur le terrain. Ainsi la confusion semble-t-elle apparaître derrière l’ordre apparent de la carte et du territoire colonial. Les tentatives d’uniformisation spatiale se heurtent à une réalité complexe qu’est celle du territoire de l’Algérie colonisée, marqué par des enclaves et des discontinuités, marqué par le nomadisme (alors incompatible avec l’exercice cartographique). Durant la période coloniale, l’Algérie est plus un assemblage de morceaux qu’une entité politique, et ce, malgré une logique administrative qui tend à imposer une image uniforme afin de construire un prolongement de la France en Afrique. Les spécificités locales, les spatialités vernaculaires sont mises de côté par les autorités coloniales en charge de la cartographie. Les cartes témoignent alors des illusions des acteurs coloniaux et des mirages de l’exercice infaillible de leur pouvoir. Elles sont représentations autant que constructions territoriales. En effet, les cartes produites par l’armée entre 1830 et 1930 ont contribué à la création d’un territoire colonial en Algérie. Les officiers topographes ont cartographié l’Algérie qu’ils percevaient et qu’ils administraient et donné consistance à une réalité construite et sans cesse modifiée au cours du temps. C’est pourquoi nous pouvons considérer la carte non seulement comme un reflet des évolutions politiques mais encore et surtout comme l’outil qui les accompagne voire les anticipe. La domination repose sur une façon de représenter et de donner à voir les territoires colonisés, en Algérie comme dans les autres colonies. Avec Mirages de la carte, Hélène Blais montre que la possession d’un territoire, qu’elle soit militaire et/ou symbolique, passe notamment par la géographie sans pour autant que celle-ci ne se réduise à imposer une domination.

[Recension par Marie-Hortense de Richoufftz.]