Le gangstérisme international et la course à la guerre de Washington contre la Syrie

Par Barry Grey et Tom Carter
10 septembre 2013

Au sommet du G20 à St-Petersbourg, le président Barack Obama s’est présenté comme la conscience morale du monde et le garant du droit international. Il l’a fait en tentant (et cela a largement échoué) de rallier un soutien international et de justifier le lancement d’une guerre d'agression illégale et non provoquée contre la Syrie.

A la fin du sommet, lors d’une conférence de presse vendredi, Obama a explicitement défendu l’idée que les Etats-Unis ont le droit d’attaquer un autre pays même si ni eux ni leurs alliés ne sont confrontés à une attaque imminente et que l’action militaire n’a pas été autorisée par les Nations unies. Cela représente un rejet direct de la Charte des Nations unies, qui définit ce type d’action unilatérale lancée sans y avoir été provoqué comme un acte criminel d‘agression militaire. Cela revient à affirmer que, au mépris de tout le cadre du droit international établi après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis peuvent attaquer n’importe quel pays s’ils considèrent que c’est la bonne chose à faire.

Expliquant sa décision de demander l’autorisation au Congrès américain d’utiliser la force militaire contre la Syrie, Obama a dit, « je ne pourrais honnêtement pas affirmer que la menace constituée par l’usage d’armes chimiques par Assad contre des civils innocents et des femmes et des enfants représentait une menace imminente et directe contre les Etats-Unis... Je ne pourrais pas dire que cela allait avoir directement, immédiatement, un effet sur nos alliés. »

A un autre moment, il a dit, « je pense... qu’étant donné la paralysie du Conseil de sécurité sur cette question, si nous sommes sérieux sur l’application d’une interdiction de l’usage des armes chimiques, alors une réponse internationale est nécessaire et cela ne viendra pas d’une action du Conseil de sécurité. »

Le Conseil de sécurité, quant à lui, a validé un grand nombre de sales guerres, dont dernièrement l’attaque des Etats-Unis et de l’OTAN contre la Libye en mars-octobre 2011, mais ses membres restent pour le moment divisés sur la question de la Syrie.

La comédie moralisante qui accompagne l’affirmation éhontée par Washington de son militarisme est, comme toujours dans ce genre de cas, fondée sur des mensonges énormes. Aucune preuve n’a été présentée pour soutenir les accusations d’usage d’armes chimiques visant le régime syrien. Celui-ci n’aurait rien à gagner à mener ce type d’attaque, dans une situation où il avait le dessus sur le terrain sur les forces qui se battent pour le compte des Etats-Unis. Les inspecteurs de l’ONU venaient d’arriver à Damas, sur l’invitation de la Syrie, pour enquêter sur les accusations antérieures d’usage d’armes chimiques.

Les terroristes liés à Al Qaïda, qui constituent la colonne vertébrale des forces « rebelles » au service des Etats-Unis en Syrie, ont, d’un autre côté, bien plus à gagner, puisqu’ils étaient sur le point de se faire battre et avaient besoin d’une provocation pour fournir un prétexte à une intervention directe des Etats-Unis de leur côté. Leurs massacres, décapitations, attentats à la bombe, et autres atrocités tant contre les soldats que les civils syriens sont bien documentés, y compris par des affichages sur Internet. Ils se sont vantés d’avoir des armes chimiques et d’être prêts à s’en servir.

L’autre grand mensonge qu’ils mettent en avant pour le lancement de cette guerre contre la Syrie est l’idée que ce sera, comme l’a répété Obama vendredi, « limité et proportionné. » à cet égard, il faut citer un article affiché le 3 septembre sur le site Web de Foreign Policy par le professeur Bruce Ackerman, une autorité en matière de droit constitutionnel américain qui enseigne à l’Université de Yale.

Discutant le projet d’autorisation d’usage de la force militaire soumis au Congrès à la fin de la semaine dernière par le gouvernement Obama, il écrit : « Mais en fait, sa proposition officielle [celle d’Obama] est un énorme leurre. Elle autorise le président à utiliser "les forces armées des Etats-Unis," y compris à intervenir au sol, et à employer la force militaire "en Syrie, vers ce pays, ou depuis ce pays." De plus, le président peut agir pour empêcher "l’usage ou la prolifération" d’ “armes de destruction massives chimiques ou autres" et intervenir pour "protéger les Etats-Unis ainsi que leurs alliés et leurs partenaires contre une menace posée par de telles armes. " Ce n’est rien de moins qu’une acceptation sans limites d’une intervention militaire au Moyen-Orient et au-delà. »

La résolution qui autorise l’usage de la force militaire adoptée mercredi par la Commission des affaires étrangères du Sénat et soutenue par le gouvernement fait encore plus voler en éclats la prétention que ce qui se prépare serait une opération de faible envergure. Elle dit clairement que l’objectif de cette attaque est de renforcer l’opposition dominée par les islamistes et de réaliser un changement de régime. Elle ouvre la voie à une guerre contre l’Iran, la Russie et tout autre pays considéré comme une aide pour le président Bashar el-Assad.

Ce qui se prépare est une guerre régionale pour redessiner la carte du Moyen-Orient et garantir l’hégémonie américaine sur la région et ses vastes réserves de pétrole. C’est une perspective qui mène inévitablement – et peut-être plus tôt que l’on pourrait s’y attendre – à une confrontation directe avec la Russie et la Chine et à une nouvelle guerre mondiale.

Le scepticisme de la population et son opposition à une attaque américaine contre la Syrie sont largement partagés et profondément ancrés, aux États-Unis comme dans les autres pays. L’expérience de deux guerres précédentes en l'espace d'une décennie, en Irak et en Libye, lancées sur des mensonges a eu son effet sur la conscience populaire. De plus, Washington ne peut pas dissimuler son propre passif d’infractions aux « normes internationales » qu’Obama affirme défendre – depuis l’holocauste nucléaire d’Hiroshima et Nagasaki jusqu’à l’usage généralisé du napalm et de l’Agent orange au Vietnam, et le soutien que les Etats-Unis ont apporté à l’usage par Saddam Hussein des armes chimiques contre l’Iran dans les années 1980, ainsi que l’usage de l’uranium appauvri et du phosphore blanc en Irak.

Le gouvernement Bush avait dénoncé la Convention de Genève en ce qui concerne les prisonniers capturés durant la prétendue « guerre contre le terrorisme, » ouvrant la voie à la torture, à une détention pour une durée indéfinie, à l’envoi de prisonniers dans d’autres pays pour qu’ils y subissent des interrogatoire brutaux (« rendition »), et aux assassinats par drones – tout cela a continué et a été étendu sous Obama.

L’opposition massive de la population à la guerre ne fait que rendre les mensonges des politiciens et des médias encore plus gros et insistants.

La course des Etats-Unis vers la guerre présente un spectacle de gangstérisme international et de mensonges que l’on n'avait plus vu depuis la montée des dictatures militaires et des régimes fascistes des années 1930 – de Mussolini, Hitler et Tojo. Le mode opératoire du gouvernement des Etats-Unis dans les affaires internationales aujourd’hui est pour l’essentiel le même que celui employé lorsque ces dictateurs ont fait main basse sur l’Abyssinie, la Pologne ou la Mandchourie.

Les paroles que le procureur de Nuremberg et juge à la cour suprême Robert H. Jackson a prononcées pour décrire les crimes de guerre nazis s’appliquent entièrement aux gangsters politiques qui composent le gouvernement des Etats-Unis aujourd’hui. Ces individus, a dit Jackson, « sont surpris qu’il existe quelque chose qu'on appelle la loi. [Ils] ne s’appuyaient sur absolument aucune loi. Leur programme ignorait et défiait toute loi... le droit international, le droit naturel, le droit allemand, toute loi sans exception n’était pour ces hommes qu’un outil de propagande à invoquer quand cela leur était utile et à ignorer quand cela aurait condamné ce qu’ils voulaient faire. »

Le mépris du droit international dont fait preuve le gouvernement américain va de pair avec l’effondrement de la démocratie en politique intérieure. Ce n’est pas par hasard que la guerre contre la Syrie se prépare tandis que les révélations continuent à émerger sur l’espionnage pratiqué par le gouvernement contre la population américaine, en violation évidente de la Constitution, à une échelle gigantesque et sans précédent. Ces développements parallèles montrent le lien inséparable qui existe entre le militarisme impérialiste à l’étranger et les préparatifs d’une dictature à l’intérieur du pays.

Pendant que les médias américains réclament le sang sur toutes les chaînes et à toute heure du jour et de la nuit, la population américaine est à une écrasante majorité opposée à une attaque militaire contre la Syrie. Il y a une compréhension de plus en plus nette que le pays qui a le plus besoin d’un « changement de régime » n’est pas la Syrie, mais les Etats-Unis.

Mais pour que cette opposition populaire puisse s’exprimer aux Etats-Unis, elle doit rompre avec toute la structure pourrie de la politique officielle du pays, dont toutes les factions sont impliquées dans la course à la guerre, dans l’austérité, et dans la destruction des droits démocratiques. L’opposition à la guerre ne doit pas être canalisée derrière le Parti démocrate ou les appels adressés au Congrès. Elle doit au contraire prendre la forme d’une mobilisation politique de la classe ouvrière sur les lieux de travail, dans les établissements scolaires et dans chaque quartier en s’appuyant sur un programme socialiste et révolutionnaire.

(Article original paru le 7 septembre 2013)