Il nous est apparu expressément nécessaire, suite aux désastreux événements du 15 mars 2014, Journée internationale contre la brutalité policière, de communiquer aux militantes et militants révolutionnaires de la région de Montréal un appel d’urgence, un wake-up call, afin d’initier une sérieuse réflexion de fond collective sur les méthodes et les stratégies utilisées en ce moment. Nous croyons que le moment est non seulement propice pour cela, mais aussi nécessaire. Les défis et les difficultés récemment vécus ainsi que la répression subie, bref, la conjoncture actuelle, forcent, d’après nous, une profonde remise en question des pratiques et conceptions de la plupart des militant-e-s. Bien que le collectif de L’Agitateur est un collectif communiste et que nos analyses reposent sur la théorie communiste, cet appel n’est pas à proprement dit un appel au communisme. Il s’agit plutôt d’une alarme visant à amener les révolutionnaires d’avant-garde à se sortir du marasme et du défaitisme qui sont rampants en ce moment.
Question de rendre les choses claires, nous allons parler de l’extrême-gauche (EG) comme étant le mouvement général des forces dites anticapitalistes de Montréal. De plus, nous tenons à ne pas amalgamer les différents courants, tendances et groupes, car ceux-ci possèdent souvent des stratégies incompatibles ou même contradictoires. Par contre, il existe entre ces forces un certain degré d’affinité politique qui s’est exprimé d’une manière dominante durant les deux dernières années.
Nous commencerons par introduire sommairement et grossièrement le sujet que nous voulons soumettre à débat en soulevant certaines des problématiques que l’on retrouve au sein de l’EG montréalaise. Ces problématiques ont pu être clairement observées durant et depuis le mouvement de grève de 2012 et sont le fond de nombreuses discussions plus ou moins formelles dans le mouvement. En premier lieu, la plus évidente contradiction en 2012 au sein de l’EG était la mise de l’avant de la stratégie syndicale-révolutionnaire, chère aux anarchistes se revendiquant plus ou moins consciemment de Bakounine, par des groupes ou fractions qui ne pouvaient aller en ce sens, puisque la majorité des gens étaient mobilisés par un groupe, la CLASSE, qui avait les deux pieds bien encrés dans la légalité, lequel a porté le mouvement vers sa conclusion logique, un cirque électoral. La deuxième contradiction qui saute aux yeux était de mettre de l’avant une pareille stratégie (arriver à l’insurrection, à la révolte populaire, par la ou les grèves), puisque même si ce fût un groupe clandestin ou semi-clandestin qui aurait organisé les forces, le contexte social général ne s’y prêtait et ne s’y prête toujours pas; il n’y a qu’à se rappeller les multiples tentatives de « radicalisation » avec les mots d’ordre de « grève sociale », de casseroles, d’amener des travailleurs-euses en grève dans le conflit et qui se sont toutes soldées en échec. En bref, depuis le mouvement de masse de la grève étudiante de 2012, moment tant attendu par des fractions assumées qui ont démontré leur style de radicalisme durant le mouvement et qui ont tenté de porter la « radicalité plus loin » ou de « maintenir la lutte », l’EG se retrouve devant une amère constatation : elle est devant un échec et une impasse, elle n’a pas progressée malgré des conditions favorables.
De surcroît, cette vulgaire constatation n’est qu’une caricature de l’ampleur des difficultés qui traversent le mouvement, une parodie de tous les enjeux politiques de fond qui délimitent la conjoncture actuelle. Par contre, elle est brutalement tangible dans son insubstantialité, tel un cauchemar, pour un grand nombre de militant-e-s. Nous la racontons ainsi, car elle est à l’image du choc et de la détresse qui se trouve dans les forces d’EG. En effet, l’enjeu est tel que des organisations « majeures » comme l’Union communiste libertaire (UCL) en viennent à se dissoudre ou disparaître. Elle est telle que malgré la radicalisation de nombre de jeunes personnes au cours de 2012, nous constatons depuis une démobilisation massive dans toutes les manifestations de l’activité publique de l’EG.
Si ce qui est supposée être l’avant-garde des opprimées et des opprimés ne trouve rien de mieux que de patauger misérablement dans le martyre et les lamentations, mieux vaut hisser le drapeau blanc dès maintenant. Si devant la grogne populaire face aux multiples injustices l’EG montréalaise ne trouve rien de mieux que de rédiger des textes d’opinions, lancer des appels à la solidarité, avoir des débats sur Internet pour « corriger les pensées erronées des autres » et tenter vainement d’éduquer « le peuple » sur des enjeux d’importance moindre que les problèmes de fond qui pourissent la vie quotidienne et matérielle dudit « peuple », mieux vaut aller brûler nos bannières et devenir membres de Québec solidaire (certain-e-s l’ont déjà fait) ou bien aller voter Parti nul. Par nos défaites et notre manque de courage collectif, nous démontrons que se révolter est une peine perdue, que les forces répressives sont « trop imposantes » pour même penser qu’une brèche révolutionnaire est possible. Certain-e-s prétendent que de toute façon, « les gens » ne sont pas prêts à aller plus loin; pourtant, la rage de l’injustice est palpable, les éléments révolutionnaires sont là, attendant juste de se faire saisir, de s’organiser.
Depuis un an maintenant, les forces paramilitaires (la police, selon Yves Francoeur) de la bourgeoisie appliquent le règlement municipal P-6 presque systématiquement dans le but de nous briser et elles y parviennent sans aucune difficulté. Mentionner la répression comme le principal obstacle nous faisant face est certes légitime, mais s’en morfondre est une bévue que trop de militant-e-s commettent. Il faut plutôt se demander pourquoi nous sommes dans l’incapacité d’y faire face. Selon nous, on ne peut aspirer à changer radicalement la société sans assumer que cela implique de la violence, d’un côté, révolutionnaire et, de l’autre, réactionnaire (répressive).
Grossièrement, notre point, c’est qu’il existe une mauvaise analyse de fond, une mauvaise théorie générale de la société capitaliste canadienne chez les radicales et les radicaux. Sans cette bonne analyse, il est impossible de trouver les éléments sur lesquels nous pouvons nous appuyer, développer une stratégie pour gagner la guerre des classes et mettre fin à toute forme d’oppression. Encore plus problématique, c’est celles et ceux qui nient, explicitement ou implicitement, que la révolution est possible. À l’extrême du problème, il y a aussi celles et ceux qui nient la lutte de classe et qui se vautrent dans « l’anti-oppression » et l’activisme. La preuve de l’existence de cette mauvaise analyse, c’est le surplace chronique et le défaitisme congénital dans lequel se complait une folle quantité de personnes.
Un vieil adage du mouvement communiste dit, grossièrement, que « si ça ne marche pas, c’est de sa propre faute ». Justifier ses échecs avec une multitude de facteurs extérieurs à soi n’excuse en rien le fait d’avoir mal jugé ou analysé une situation, mal organisé une campagne, avoir de mauvais objectifs (qui peuvent même être irréalistes), etc. L’EG se retrouve maintenant face à deux options : continuer dans cette voie jusqu’à démobilisation générale ou bien s’engager dans l’autocritique, admettre que sa conception révolutionnaire est erronée et changer de façon de faire. Pour celles et ceux qui ne se sont même pas rendu à l’étape du concret, il s’agit plutôt de se poser d’urgence de sérieuses questions quant à ses propres motivations et passer à l’action, ou cesser de prétendre être révolutionnaire.
Comme nous l’avions dit au départ, nous sonnons l’alarme. Nous n’avions pas l’intention de faire une critique théorique de fond. Nous n’avons pas l’intention de tout étayer dans le détail. Par contre, nous tenions à mettre de l’avant le problème de la nécessité de l’élévation du niveau théorique lié à l’élévation de la pratique. En d’autres mots, la théorie qui guide l’activité révolutionnaire de l’EG n’a pas suivi l’accentuation du niveau de pratique pendant la grève étudiante de 2012. De plus, l’EG n’a pas su pratiquer une consolidation des gains potentiels apparus pendant 2012.
À l’opposé, les forces réactionnaires ont paufiné leur niveau de pratique et de théorie pendant et depuis le conflit étudiant. Autrement dit, la police est mieux organisée (formation et coordination entre forces de police), mieux préparée (développement de tactiques et utilisation de nouveau matériel répressif) et nous connaît mieux (accumulation de renseignements, enquêtes, surveillance et conditions de liberté pour de nombreuses personnes). De plus, l’État a développé sa législation pour se donner les moyens de mieux nous stopper (Loi 12 et modifications au règlement P-6).
Contrairement à ce que de nombreuses personnes croient, l’usage de violence, la radicalité et le niveau de conscience ne sont pas des choses synonymes ou qui donnent un caractère révolutionnaire. Autrement dit, « radicaliser les consciences » n’est pas un moyen d’assurer un développement révolutionnaire probant. D’autre part, une lutte de masse combative n’est pas nécessairement une lutte révolutionnaire ou qui peut être poussée vers l’insurrection. Selon nous, c’est l’unification du mouvement dans un projet politique révolutionnaire capable de répondre à toutes ses tâches qui compte. Il est une nécessité de toute urgence que les personnes ayant l’intérêt réel d’organiser une révolution au Canada fassent acte, premièrement, d’autocritique et, deuxièmement, de volonté de franchement organiser un débat de fond sur les tâches nécessaires à accomplir pour produire cette révolution.
Face à l’ennemi qui nous déroute, ce que nous avons besoin, c’est de s’unir autour d’un plan pour la révolution. Certains groupes ont produits de tels plans et ces plans, ces programmes, doivent être la base des débats autour de notre unité. Agir de n’importe quelle autre façon revient à sombrer dans l’idéologie pure, l’idéalisme, le sectarisme et, ultimement, dans le défaitisme. En dernière instance, une organisation révolutionnaire ou un projet politique ne se mesure pas à la grandeur de ses idées, mais à la grandeur de ses réalisations.
Parmis les projets intéressants, le Parti communiste révolutionnaire (PCR), fidèle à sa manière de faire, organise ce qu’il appelle un Congrès révolutionnaire canadien à Vancouver dans l’optique que nous évoquions. Ce sera le troisième du genre qu’il organise. Sans vous convaincre des positions du PCR avec lequel le collectif L’Agitateur sympathise, ce que nous croyons et tenons à faire ressortir, c’est qu’un tel procédé démontre tout le sérieux, la bonne foi et l’ouverture qu’une organisation doit démontrer pour s’attaquer au problème de la révolution au Canada. Contrairement à ce que de très nombreuses personnes ont pu ou peuvent croire du PCR, cela démontre bien l’absence de sectarisme ou « d’autoritarisme » qui lui est généralement attribué. La révolution est un problème sérieux à résoudre, qui n’est pas un dîner de gala comme disait Mao. La progression pancanadienne d’une organisation révolutionnaire est un des nombreux critères de sa réussite et le PCR s’attaque sérieusement à ce problème, ce qui devrait être une source d’inspiration pour nous tous.
Le 1er mai de l’année 2014 arrive à grands pas. Les deux derniers 15 mars ont été complètement écrasés et le dernier 1er mai s’est tenu de justesse. La répression s’accentue et se fait de plus en plus efficace. Devant elle, trop de « radicaux » plient et abandonnent le navire par la peur qu’elle inspire. Sans développer notre courage et notre unité autour d’un projet capable de la combattre, nous sommes vaincus d’avance. Nous nous devons de rehausser notre niveau théorique et pratique. Dans le cas inverse, c’est la réaction qui s’organise et qui nous écrase.