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Carnets de débats

Géographies, géographes et émotions

Retour sur une amnésie… passagère ?
Pauline Guinard et Bénédicte Tratnjek

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Mots-clés :

émotions, épistémologie

Rubriques :

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Texte intégral

« Dès lors, et autant que faire se peut, les géographes doivent essayer de comprendre la conception du monde qui réside au cœur du groupe ou de la société qu'ils étudient. Ceci, moins pour l'étude de la représentation culturelle en elle-même que pour celle de ses expressions spatiales. Il s'agit là de retrouver les lieux où s'exprime la culture et, plus loin, l'espèce de relation sourde et émotionnelle qui lie les hommes à leur terre et dans le même mouvement fonde leur identité culturelle. » (Bonnemaison, 1981 : 254-255)

1Bien que les émotions aient pendant longtemps et sont encore largement abordées à la marge de la réflexion géographique, cette citation de J. Bonnemaison dans « Voyage autour du territoire » nous rappelle qu’elles n’en participent pas moins à notre manière de nous rapporter et de nous identifier à l’espace, de l’habiter, de nous y déplacer, de le pratiquer ou encore d’agir sur lui.

2Cette forte imprégnation des émotions dans l’espace des sociétés a d’ailleurs conduit, dans d’autres sciences humaines et sociales que la géographie, à l’élaboration de véritables champs de recherche qui ont progressivement construit les émotions comme objets d’étude. La mobilisation des émotions a ainsi enrichi la sociologie à partir des années 1930 avec les travaux de M. Halbwachs, et surtout à partir des années 1970 (Turner, Stets, 2005), autour des travaux d’A. R. Hochschild ou d’E. Goffman par exemple. Considérant que la culture et la socialisation participent au ressenti des émotions en permettant entre autres de les nommer, ces dernières ont en effet été peu à peu appréhendées comme de véritables faits sociaux. Elles ont, à ce titre, été envisagées à la fois comme des « produits de l’emprise du monde social sur les individus » et comme « des influences en elles-mêmes de l’action et de l’interaction sociale », c’est-à-dire « comme des forces explicatives à intégrer à l’analyse de la dynamique sociale » (Bernard, 2015a). De la même façon, le rôle des émotions dans la construction du soi a marqué l’anthropologie depuis les travaux de M. Rosaldo (1980), notamment par une remise en cause de « l’idée reçue selon laquelle les émotions seraient de l’ordre de l’intériorité, de l’irrationnel, de la nature » (Crapanzano, 1994). Cette approche montre combien les émotions ne relèvent pas seulement l’individu et la psychologie, mais participent du rapport de l’individu au collectif. L’appel de L. Febvre à une histoire de la « vie affective » ou encore les travaux de N. Elias (1987) ont également amené à la constitution d’une histoire des émotions (Corbin, Courtine et Vigarello, 2016 ; Deluermoz et al., 2013). Les émotions ont ainsi été abordées en fonction des évolutions qui ont marqué leurs expressions dans le temps et dans les cultures (Ermisse, 1994). Cette appropriation des émotions par la sociologie, l’anthropologie et l’histoire questionne leur statut dans les sciences humaines et sociales (Lordon, 2013), et plus particulièrement en géographie.

3Dans quelle mesure les émotions peuvent-elles passer du statut de phénomène mobilisé à la marge, quand elles ne sont pas tout simplement rejetées en tant que biais, à un objet géographique à part entière ? Plus généralement, la revendication d’un « emotional turn » par des géographes anglophones suffit-elle à faire des émotions un objet d’étude de la géographie ? Les émotions comme fait social appréhendé dans le passé et le présent des sociétés peuvent-elles être analysées en tant que fait spatial ? C’est la place et le statut des émotions dans la géographie, notamment française, que ce numéro spécial a souhaité interroger de manière critique.

Les émotions, une notion géographique ?

  • 1 Pour avoir une idée de la vivacité des débats suscités par la question des émotions au sein de la c (...)
  • 2 Pour rappel, se rapporter à : http://calenda.org/322144

4Si la géographie culturelle et la géographie post-moderne ont ouvert des pistes dans la prise en considération des émotions, certaines réticences1 à étudier les émotions en géographe et en géographie persistent néanmoins, comme le déploraient déjà B. Bochet et J.-B. Racine dans un appel lancé dans la revue Géocarrefour (2002). Ces résistances s’expliquent d’ailleurs sans doute en partie par un certain flou qui entoure la définition de cette notion, du fait de sa proximité avec d’autres termes comme sentiments (Gervais-Lambony, 2012) et affects (Thrift, 2004 ; Bochet, Racine, 2002). Si ces termes renvoient à des types de ressentis qui participent de fait à une certaine géographie du sensible, compris comme ce qui a trait à nos différents sens, ils n’en méritent pas moins d’être distingués. Dans l’appel à contribution2, nous avions ainsi proposé une première différenciation de ces termes, en insistant sur la dimension potentiellement sociale (Bernard, 2015b), collective et externalisée des émotions de façon à insister sur leur capacité à se manifester et à agir dans l’espace. Dans cette acceptation, les émotions se distinguent des sentiments, qui sont la conséquence de ressentis et de stimulus avant tout personnels (Slepoj, 1997), et des affects qui, bien que pouvant se manifester corporellement et donc spatialement, s’apparentent à des ressentis qui ne sont pas nécessairement ni conscientisés ni verbalisés (Shouse, 2005).

5Reprenant à leur compte la question définitionnelle, les auteurs de ce numéro ont poursuivi l’effort de caractérisation et d’articulation des différents termes (les propositions d’Emeline Bailly et, plus encore, de Fabienne Cavaillé sont à souligner à ce titre), afin de proposer des acceptions des émotions qui soient à la fois compatibles avec une approche géographique et pertinentes pour leur cadre d’analyse (Figure 1).

6Figure 1 : Les définitions des émotions selon les auteurs

Auteur(s)

Définition proposée des émotions

Terme adopté

Approche privilégiée

André-Lamat V. et al.

Etat affectif moins durable, intense et invasif que les sentiments

Etat affectif

Approche réflexive vis-à-vis d’émotions éprouvées à la suite d’une catastrophe

Bailly E.

Un état éprouvé à la fois par le corps et l’esprit, qui conjugue sensations et sentiments

Ressenti

Recherche-action visant à la une meilleure prise en compte du sensible dans l’aménagement urbain

Brunet L.

Une pratique sociale, un pouvoir d’action et une relation à l’espace

Emotions

Emotions comme outils pour comprendre les relations aux espaces naturels

Cavaillé F.

Etats affectifs intenses, caractérisés par une réaction plus ou moins brutale et une durée relativement brève, provoqués par un objet identifiable et ayant pour support des sentiments et valeurs

Emotions géo-graphiques

Emotions comme support et médium d’apprentissage

Chevalier D., Lefort I.

Opérateur spatialisé de mémoire

Emotions

Etude de la mise en scène des émotions dans des lieux touristiques de mémoires douloureuses

Colin C.

Réponses affectives publiquement observables, répondant à des normes sociales et à des modèles culturels situés

Emotions

Emotions comme vecteurs et supports de mobilisation patrimoniale

Gervais-Lambony P.

Ce qui met en mouvement, ce qui est provoqué par un événement soudain

Sentiment

Etude de la nostalgie et de ses instrumentalisations

Morovich B., Desgandchamp P.

Rapports affectif, évolutif et spécifique à l'espace, compris comme phénomène social

Emotions spatialisées

Etude de la fabrique des lieux par le sonore et les émotions qu’il suscite

Muis A.-S.

Aptitude à être affecté par un événement et à y réagir qui donne lieu à des manifestations visibles 

Emotions

Proposition d’un outil pour saisir les émotions (cartes d’émotion)

Olmedo E. et al.

Une dimension du sensible

Ressenti ou sensation

Proposition d’un dispositif de recherche-création pour appréhender le sensible

Oloukoi C.

Réaction psychophysiologique à un environnement

Emotions

Retour réflexif sur l’utilisation des marches urbaines la nuit et les réactions suscitées par celles-ci

Rebolledo L.

Réactions affectives, observables, contextualisées et pouvant susciter des actions

Emotions patrimoniales

Retour réflexif sur des émotions ressenties et rencontrées sur le terrain

Rekacewicz P.

Ce qui est provoqué par un rapport à l’espace, particulièrement par les formes d’injustice

Emotions car-tographiques

Proposition d’outils graphiques et cartographiques pour rendre compte des émotions ressenties par ceux qui habitent le Monde

Staszak J.-F.

Mouvement de l’âme, moins durable, élaboré et complexe que le sentiment

Affect ou sentiment géographique

Etude de la construction du cafard et son esthétisation au cinéma

Volvey A.

Etat affectif occurrentiel, plus ou moins intense, doté de propriétés hédoniques, provoqué dans une situation donnée par un objet ou un événement extérieur

Emotion

Critique épistémologique de la géographie des émotions

Réalisation : P. Guinard, 2016.

7En dépit de divergences liées au sujet abordé, à la place accordées aux émotions dans l’étude ou au cadre théorique dans lequel se situent les auteurs, un certain nombre de points communs quant à ce qui caractérise les émotions apparaît nettement dans le tableau ci-dessus : 1) le fait qu’elles sont un type d’état affectif, 2) leur capacité à s’extérioriser, 3) leur temporalité relativement courte, 4) leur faculté à engendrer une action, 5) leur caractère contextuel. Ces convergences, qui permettent d’enrichir la définition que nous avions initialement donnée, sont intéressantes parce qu’elles permettent de confirmer et de renforcer la dimension spatiale des émotions, au sens où elles justifient une approche des émotions comme phénomènes affectifs qui se produisent dans l’espace, qui induisent une mise en mouvement dans l’espace et qui sont propres à des temps et à des espaces particuliers. Sans vouloir nécessairement donner ici une définition fermée des émotions, ce faisceau de convergences n’en souligne pas moins qu’il est possible de s’appuyer sur un socle de critères spatiaux communs pour mobiliser les émotions en géographe et en géographie.

  • 3 « les émotions ont déjà une place importante dans notre travail et celui des autres ». Les traducti (...)

8Plus encore, l’ensemble des contributions de ce numéro — y compris celles qui sont les plus critiques ou sceptiques quant à l’utilisation du terme émotion (Jean-François Staszak) ou à la constitution d’une géographie des émotions (Anne Volvey) — contribue à montrer que les émotions sont non seulement des phénomènes spatiaux ou des outils de compréhension de l’espace, mais qu’elles sont en outre des éléments à part entière, voire constitutifs, de la discipline géographique. Comme le rappelle à juste titre Fabienne Cavaillé, les émotions ont en effet toujours été présentes dans la géographie française, même dite « classique ». Les notions de genre de vie de P. Vidal de la Blache (1911), d’espace vécu d’A. Frémont (1976), de géosymboles de J. Bonnemaison (1981) ou bien encore l’approche géo-littéraire d’E. Dardel (1952) sont autant d’appels déjà anciens d’une géographie humaniste à la prise en compte des émotions dans la géographie, non certes nécessairement en tant qu’objet d’étude, mais en tant que élément de contexte ou ressort d’écriture. D’ailleurs, les géographes anglophones qui promeuvent depuis plusieurs années l’élaboration de véritables « géographies émotionnelles » (Anderson, Smith, 2001 ; Davidson, Milligan, 2004 ; Davidson et al. 2007), c’est-à-dire d’approches capables de rendre compte de la dimension intrinsèquement émotionnelle de nos rapports aux lieux, et plus largement de notre rapport à l’espace (Straus, 1989) et au monde (Smith et al., 2009), ne disent pas autre chose. Plus que pour une véritable rupture, ils plaident pour un recentrage du regard des géographes sur cette question, affirmant que « emotion already have an important place in our own and others’ work3 » (Davidson et al. 2007 : 1). En France, la reconnaissance des émotions comme composante des études géographiques serait d’autant plus nécessaire aujourd’hui que l’ensemble de la discipline s’est redéfini comme une science humaine et sociale. Or, comme le fait remarquer Philippe Gervais-Lambony dans ce numéro, « comment […] traiter de l'humain sans traiter de ce qui est l’une de ses caractéristiques, à savoir éprouver des sentiments et des émotions » ? Dès lors, c’est bien parce qu’elles sont une composante essentielle de la condition humaine que les émotions mériteraient d’être prises en compte en géographie.

Des émotions géographiques plurielles

9Si les émotions ont encore été peu abordées de front en géographie, notamment française, certaines l’ont quand même été plus que d’autres, à l’instar de la peur. L’avènement de ce que M. Foucault appelle une « société de sécurité » (2004 : 12), marquée par l’importance des dispositifs — y compris spatiaux — sécuritaires mais aussi par le fort sentiment d’insécurité des populations, contribue en effet à faire de la peur un élément fondamental du fonctionnement des espaces contemporains. La multiplication des barrières, murs et autres systèmes de sécurité à travers le monde peut en ce sens être appréhendée comme l’indice et la marque de ces peurs multiples (de l’autre, du crime, du terrorisme, de la contestation, etc.) qui façonnent les villes (Dawson, 2005), les paysages (Tuan, 1979) et plus largement l’ensemble des espaces (Appadurai, 2005 ; Pain, Smith, 2008). Emotion largement médiatisée, notamment dans ses dimensions spatiales, les géographes — et plus généralement les chercheurs en sciences humaines — se sont emparés de la peur à la fois comme objet d’étude (Body-Gendrot, 2008 ; Boucheron et al., 2015 ; Rosière, 2006) et comme enjeu méthodologique (Agier, 1997 ; Bouillon et al., 2005 ; Guinard, 2016). Pour autant, si la peur est sans aucun doute une émotion essentielle à prendre en compte pour comprendre la production des espaces et si, du fait de ses matérialisations, elle est vraisemblablement une des émotions les plus aisément identifiables par les géographes, nous avions attiré l’attention des potentiels auteurs dans l’appel à contribution sur le fait qu’il nous paraissait pertinent de ne pas limiter l’étude des émotions à celle-ci. Nous invitions ainsi les futurs contributeurs à appréhender les émotions dans leur diversité et leurs relations. Il s’agissait par là même d’inciter les auteurs à poursuivre l’effort entrepris récemment par quelques géographes français à la fois pour envisager de manière centrale dans leurs recherches d’autres types d’émotions  peut-être moins instantanément visibles que la peur mais non moins spatialement structurantes , telles que la nostalgie (Roux, 1999 ; Gervais-Lambony 2012) ou le plaisir (Célérier, 2014), et pour les interroger dans leur pluralité (voir par exemple : Bochet, Racine, 2002 ; Tonnelat, 2012 ; Cattan, Vanolo, 2013).

10Et, comme le met en évidence le tableau ci-dessous (Figure 2), cette proposition a trouvé un écho particulier dans les textes qui nous ont été soumis.

Figure 2 : Les émotions envisagées par les auteurs

Auteurs

Emotions étudiées

André-Lamat V. et al.

Surprise, effroi, peur, sidération, anxiété, soulagement, joie, culpabilité, empathie, tristesse, colère

Bailly E.

Tout type d’émotions liées à l’espace urbain

Brunet L.

Satisfaction, soulagement, espoir, excitation, frustration, déception, mépris, rejet, énervement, peur, inquiétude, anxiété

Cavaillé F.

Tristesse, excitation, malaise, nostalgie, fierté, colère, révolte, détermination, espoir

Chevalier D., Lefort I.

Terreur, peur, épouvante, effroi, empathie, recueillement, culpabilité, fraternité, sympathie, compassion, indignation, tristesse, angoisse, consternation

Colin C.

Nostalgie, inquiétude, crainte, peur, fierté, colère, indignation, enthousiasme, tendresse, joie, satisfaction, amour, amitié, haine, mépris

Gervais-Lambony P.

Nostalgie, injustice

Morovich B., Desgandchamp P.

Aversion, colère, amusement, surprise, satisfaction

Muis A.-S.

Plaisir, peur, dégoût

Olmedo E. et al.

Tout type d’émotions liées à l’espace proche

Oloukoi C.

Etonnement, peur, plaisir

Rebolledo L.

Colère, détresse, tristesse, indignation, peur, honte, culpabilité, fierté, émerveillement, tendresse

Rekacewicz P.

Colère

Staszak J.-F.

Cafard, nostalgie, mélancolie

Volvey A.

Care, empathie

En gras apparaissent les termes qui nous ont semblés les plus traités par les auteurs.

Réalisation : P. Guinard et B. Tratnjek, 2016.

11En effet, si la peur est abordée dans de nombreux articles (7 sur 15), elle ne l’est pas tellement plus que la colère, et surtout elle n’est jamais traitée isolement mais bien en relation avec d’autres émotions. Cette dernière remarque vaut d’ailleurs pour l’ensemble des émotions envisagées.

  • 4 La réflexion de Jean-François Staszak sur le cafard colonial se décompose en deux articles : dans l (...)

12La majorité des auteurs a en effet cherché à appréhender la multiplicité des émotions qui pouvaient se manifester dans une situation, dans un espace, face à un objet ou bien encore vis-à-vis d’une méthode donnée. Cette démarche nous semble avoir deux apports principaux. Premièrement, cela permet de souligner le caractère construit, évolutif ou mélangé des émotions. L’article de Jean-François Staszak sur le cafard publié dans la rubrique Carnet de débats4 est particulièrement emblématique de ce point de vue en ce qu’il analyse les raisons de l’apparition et de la disparition de cette modalité de la nostalgie qu’est le cafard en lien avec le contexte colonial. Il montre ainsi que le cafard est bien une construction, résultant d’une situation spatiale (l’éloignement) et d’un projet politique (la colonisation). De même, Dominique Chevalier et Isabelle Lefort, dans leur analyse de la mobilisation des émotions de la mise en tourisme des lieux de mémoires douloureuses, montrent combien celles-ci dans leur diversité et leur contradiction, sont non seulement ressenties par les visiteurs de ces lieux, mais aussi produites par des dispositifs scénographiques qui sont conçus de façon à ce que l’expérience émotionnelle des touristes évolue, se complexifie au fur et à mesure de leur visite. Deuxièmement, la confrontation des différentes émotions vis-à-vis d’un élément commun (situation, espace, objet ou méthode) permet de mettre en évidence le fait que les émotions sont à la fois produites et productrices de différenciations entre les groupes et les espaces. Par exemple, l’article de Clément Colin sur le quartier de Matta Sur à Santiago du Chili expose très clairement la manière dont les différentes émotions éprouvées individuellement et collectivement par les habitants vis-à-vis des projets urbains en cours, servent non seulement de support à une mobilisation de type patrimoniale contre ces projets, mais sont aussi un élément de différenciation et de distinction entre les groupes d’habitants. Les habitants les plus anciens essaient en effet de jouer de leurs émotions en vue d’assoir leur position et leur légitimité dans le quartier vis-à-vis des nouveaux arrivants. De la même façon, l’exemple du Sonar, cabine d’écoute mobile, développé par Barbara Morovich et Pauline Desgrandchamp dans le cas de Strasbourg illustre la manière dont un même objet peut susciter des émotions variées, si ce n’est conflictuelles, en fonction du lieu d’installation et, consécutivement, du profil des usagers de cet objet. Un des principaux apports de ce numéro tient donc à la diversité des émotions traitées par les auteurs et à leur effort pour les mettre en regard. Cela tend à démontrer que, si certaines émotions peuvent apparaître à première vue comme étant plus immédiatement spatiales – notamment du fait de l’importance de leurs traductions matérielles –, toutes peuvent néanmoins faire l’objet d’une approche géographique.

13Pour autant, nous voudrions attirer l’attention des lecteurs sur la place particulière occupée, aux côtés de la peur, dans les textes sélectionnés pour ce numéro, par deux autres émotions que sont la colère et la nostalgie. L’importance accordée à ces émotions nous semble de fait indiquer l’intérêt privilégié des auteurs pour deux dimensions des émotions que nous avions plus ou moins directement évoquées dans l’appel à contribution. D’une part, la colère pointe vers le caractère potentiellement politique des émotions. La colère est en effet souvent un motif à l’action, à un engagement — souvent brutal — dans le monde qui peut être en lui-même spatial ou qui peut avoir des conséquences spatiales. Dans son essai sur la « géographie de la colère », A. Appadurai (2006) montre ainsi de quelle manière, dans un contexte de mondialisation qui accentue les inégalités, la colère ressentie par les différents groupes de population, et notamment par les minorités, ainsi que son instrumentalisation conduisent à des mobilisations sociales et à des violences. La réaffirmation de la dimension politique des émotions et de leur usage est d’autant plus cruciale que, comme noté par Jean-François Staszak dans ce numéro, l’une des critiques souvent faite à la géographie des émotions et plus largement à la géographie des affects est, du fait d’une certaine attention portée à l’individuel, d’être apolitique ou dépolitisée. La majorité des contributions de ce numéro prouvent, au contraire, que les émotions, leurs expressions ou leurs utilisations résultent de rapports de force. Nous reviendrons d’ailleurs plus longuement sur ce point ultérieurement.

14D’autre part, la nostalgie et plus largement l’ensemble des émotions liées à la mémoire et au passé renvoient à des états affectifs qui ont une manière particulière de s’inscrire et de se rapporter aux temps (passé, présent et futur). A ce titre, on pourrait dire que ces émotions ont, pour reprendre les termes de F. Hartog (2003), un « régime d’historicité » propre, c'est-à-dire une façon inédite d’articuler passé, présent et futur. Dans l’espace, ces régimes d’historicité des émotions peuvent à la fois être mis en scène, politisés, manipulés, et ainsi engendrer des usages contradictoires, voire conflictuels, de l’espace. Dans ce numéro, l’analyse de la touristification des mémoires douloureuses dans l’article de Dominique Chevalier et Isabelle Lefort met en lumière à quel point la coprésence de ces régimes d’historicité (le « passé » reconstitué pour et par le touriste, le présent de la visite, le futur lié à la mise en scène d’un devoir de mémoire) dans des lieux scénarisés pour provoquer des émotions, se traduit par la coprésence d’émotions plurielles en ce lieu où s’entrechoquent divers rapports aux temps et à l’espace. Bien que, comme évoqué précédemment, les émotions soient moins durables et plus spontanées que les sentiments, bien qu’elles se déploient dans une temporalité relativement courte, elles n’en seraient donc pas moins porteuses d’un rapport spécifique au(x) temps qui mériterait d’être interrogé. Au-delà du cas de la nostalgie et de ses dérivés, il est néanmoins légitime de se demander si cette relation au temps caractérise toutes les émotions et nécessite alors d’être prise en compte et interrogée en tant qu’elle leur est spécifique, ou si celle-ci n’est propre qu’aux émotions qui, par définition, se projettent dans un temps autre que le présent, l’importance de ce questionnement dans les contributions du numéro s’expliquant alors vraisemblablement par l’inscription personnelles des auteurs au sein de la discipline.

Les émotions, un objet transversal de la géographie ?

15Dans l’appel à contributions, nous faisions en effet le constat que non seulement un certain nombre de géographes français s’intéressaient de plus en plus à l’étude des émotions, mais aussi que progressivement différents champs de la géographie française prenaient en charge cette question de recherche. A cet égard, nous évoquions notamment la géographie du corps (Volvey, 2000 ; Barthe-Deloizy, 2011) et la géographie du genre (Blidon, 2012 ; Borghi, 2016). Or, étonnement, peu d’articles de ce numéro abordent cette question à l’exception de Chrystel Oloukoi qui explore la dimension corporelle de la peur la nuit à Johannesburg et d’Anne Volvey qui se livre, dans une perspective épistémologique, à une analyse critique du cadre théorique et méthodologique de la géographie féministe anglophone. Comment expliquer cette absence ? Serait-ce parce que, comme le suggère Anne Volvey dans ce numéro, la géographie émotionnelle du genre d’inspiration anglophone n’a pas su adapter l’ensemble de ses méthodes à ce nouvel objet ? De la même façon, il est intéressant de noter que, plus largement, peu de contributeurs positionnent leur texte ou se positionnent eux-mêmes comme relevant de la géographie culturelle. Seul Jean-François Staszak le fait expressément, tout en revendiquant une approche qui ne soit pas exclusivement culturelle mais qui soit aussi politique. Ceci est d’autant plus surprenant que les émotions sont communément associées à ce champ et que, comme mentionné précédemment, ce sont les géographes culturels qui ont les premiers explicitement appelé à une meilleure prise en considération des émotions dans la géographie française, notamment parce que, à l’instar de J. Bonnemaison cité en exergue, ils considéraient l’espace comme socialement signifié, chargé d’affectivité et de symboles, . La même remarque pourrait d’ailleurs valoir pour la géographie sociale. Si celle-ci peut paraître, de prime abord, moins directement concernée par les émotions que la géographie culturelle, les travaux d’A. Frémont sur les sensibilités ont, comme le rappelle Fabienne Cavaillé dans ce numéro, ouvert la géographie sociale aux dimensions sensibles et émotionnelles de l’espace. De nombreux travaux en géographie sociale évoquent ainsi les émotions, qu’il s’agisse de la géographie de la pauvreté (Zeneidi-Henry, 2002) ou de la géographie des migrations (Bastide, 2013 ; Mekdjian et al., 2014). Si, tout comme pour la géographie culturelle, l’approche par la géographie sociale ne semble pas être revendiquée explicitement par les auteurs de ce numéro, c’est peut-être parce qu’il ne s’agit pas, par les émotions, de se positionner dans une approche particulière, mais bien au contraire de décloisonner la discipline. La diversité des approches proposées dans ce numéro renforce donc à notre sens l’hypothèse que nous faisions dans l’appel à contributions quant à la capacité des émotions à concerner toutes les géographies, voire à constituer un objet transversal de la discipline.

16Et de fait, des propositions relevant de la géographie urbaine, de la géographie du tourisme et du patrimoine, de la géographie scolaire, de l’épistémologie ou bien encore de l’environnement nous ont été soumises. Parmi ces approches, on peut noter importance les études urbaines (6 articles sur 15), ce qui est sans doute le reflet de l’une des évolutions majeures de la discipline, et secondairement de la géographie du tourisme et du patrimoine (4 articles sur 15), ce qui explique certainement la place accordée dans le numéro aux émotions liées aux mémoires et au passé que nous avons précédemment relevée. A cet égard, Lisa Rebolledo note dans ce numéro la multiplicité de la mobilisation, dans les sciences humaines et sociales, des expressions telles qu’« émotions patrimoniales » ou « émotions patrimonialisantes », qui renvoie à l’idée défendue par N. Heinich que l’émotion serait « la preuve du patrimoine  » (2012 : 21), au sens où sa manifestation relèverait que le patrimoine est bien perçu comme tel. Certains objets géographiques amèneraient donc à prendre davantage en compte les émotions que d’autres. La présence des études environnementales dans ce numéro est, quant à elle, particulièrement intéressante en tant qu’elle révèle à la fois l’ouverture des environnementalistes à la question des émotions et surtout l’apport de l’intégration de celles-ci à leurs analyses. Et de fait, les géographes de l’environnement — héritiers d’une géographie physique à dominante quantitative — évoquent rarement la dimension émotionnelle des phénomènes qu’ils étudient, et ce alors même qu’elle est particulièrement prégnante dans de nombreuses questions environnementales contemporaines, qu’il s’agisse du changement climatique, des risques (Beck, 2008 [1986] ; Reghezza, 2015) ou des conflits environnementaux par exemple. Dans cette perspective, l’article de Lucas Brunet (sociologue de l’environnement), qui s’attache à montrer, à partir de l’étude de la notion de service écosystémique, en quoi les émotions peuvent être un outil pour appréhender les évolutions des rapports homme-nature, ouvre des pistes de réflexion fructueuses aux géographes. De même, l’article de Lysa Rebolledo questionne les émotions attachées à l’arbre, comme lieu structurant à la fois des pratiques spatiales et des sentiments d’appartenance, autour du cas des projets actuels de restauration du canal du Midi. Enfin, l’article collectif de Véronique André-Lamat, Marie Faulon, Etienne Jacquemet et Isabelle Sacareau, qui revient dans une perspective réflexive sur le séisme du 25 avril 2015 au Népal, met en évidence l’intérêt, si ce n’est la nécessité, d’une réflexion sur les émotions suscitées, y compris chez les chercheurs, par les grandes catastrophes. En réunissant autour d’un même événement et d’un même terrain des chercheurs aux approches ou objets d’étude variés, il souligne en outre la fertilité d’un questionnement collectif sur ces questions, au-delà des différents courants disciplinaires. Dans cette perspective, les émotions semblent donc également pouvoir permettre, ou même favoriser, le rapprochement des géographies contemporaines.

17L’autre point de convergence des articles, indépendamment de leur approche, tient au fait que nombre d’entre eux mobilisent dans leurs analyses les sens physiologiques, ce qui confirme l’idée d’une parenté féconde entre géographie des émotions et géographie du sensible. L'article collectif de Benoît Feildel, Elise Olmedo et Florence Troin, ainsi que ceux d’Emeline Bailly et de Fabienne Cavaillé dessinent des perspectives particulièrement stimulantes à ce propos. La mobilisation des émotions dans des situations d’apprentissage que propose Fabienne Cavaillé montre ainsi que les expériences sensorielles accompagnent les émotions, les provoquent, les accentuent ou les diminuent. Dans cette perspective, l’expérience sensorielle de l’espace participe de notre rapport émotionnel aux lieux et aux espaces. Pour Fabienne Cavaillé, les dimensions spatiales des émotions ne peuvent être pensées que par leur emboîtement complexe avec les sensations, les sentiments et les évaluations éthiques. Les émotions participent donc d’un faire avec l’espace complexe. Or, ce point est important sur le plan des savoirs mais aussi des savoir-faire, des pratiques et des méthodes pour aborder des émotions en géographie.

Emotions, terrain et méthodologies

18Une des raisons — outre les réticences ci-dessus évoquées — qui explique la relative difficulté des géographes (Olmedo, 2011), et plus largement des chercheurs en sciences humaines et sociales qui s’appuient sur une pratique de terrain (Bernard, 2015a), à prendre en charge la question des émotions, tient en effet pour une large part à des raisons méthodologiques. Dans l’appel à contribution, nous posions à ce sujet un certain nombre de questions, telles que : à quels méthodes, outils ou protocoles d’enquêtes recourir pour saisir en géographe les émotions ? Comment prendre en compte et rendre de compte des émotions dans un travail de terrain (en amont, sur place, pendant l’analyse des résultats, dans la restitution) ?

19A cet égard, les contributions de ce numéro, et notamment celles placées dans la rubrique des Carnets de terrain, se sont révélées particulièrement foisonnantes. Nombre d’entre elles présentent des manières innovantes d’appréhender les émotions, que ce soit en adaptant les outils existant (notamment la carte et la marche), en proposant des protocoles d’enquête spécifiques ou bien encore en créant de nouveaux dispositifs. Parmi celles-ci, on peut évoquer les « parcours augmentés » par Benoit Feildel et al. et les « cartes d’émotions » d’Anne-Solange Muis. Les « parcours augmentés » consistent à faire traverser des espaces « ordinaires » (espaces résidentiels ou commerciaux, dédiés aux loisirs ou aux mobilités) préalablement définis, à un groupe de participants, en leur imposant des « contraintes » sensorielles qui leur permettent de vivre et de se représenter l’espace différemment : dispositifs d’expérience spatiale entre art et géographie, ces parcours augmentés consistent, par exemple, à proposer une marche urbaine où un duo prend chacun le rôle de guidé, privé de la vue, et de guide. La restitution de l’expérience sensorielle de l’espace est à la fois individuelle et collective, ce qui permet de saisir la façon dont les expériences spatiales dans leur dimension sensible sont personnellement et socialement construites. Quant aux « cartes d’émotions », elles s’apparentent à des cartes mentales spécifiques en ce qu’elles visent à répertorier les lieux et les espaces en fonction des émotions que les participants estiment avoir ressenties. Anne-Solange Muis conçoit ainsi ces cartes d’émotions comme un outil complémentaire au diagnostic territorial en ce qu’elles peuvent permettre de réintroduire du vécu et du ressenti dans l’appréhension et la conception des espaces. Ces méthodologies rejoignent notamment celle proposée par S. Mekdjian et al. (2014) en vue de mettre en évidence à quel point les parcours migratoires constituent des espaces d’un traverser vécu, ressenti et éprouvant (à la fois au sens d’épreuve et d’émotions). On peut voir dans la diversité et la multiplicité de ces méthodologies une inflexion de la géographie vers une prise en compte croissante de la dimension émotionnelle de l’espace, tout particulièrement en ce qui concerne la compréhension des mobilités, des migrations et du traverser.

20Du fait de la richesse et de la diversité des propositions méthodologiques faites par les auteurs, nous espérons que ce numéro donnera aux lecteurs, qui souhaiteraient eux-mêmes développer des recherches sur les émotions, des outils pour le faire. Plus largement, nous espérons également que ce numéro offrira des pistes de réflexion stimulantes à toutes les personnes qui s’intéressent à la question de la fabrique du savoir géographique, et qu’il contribuera par là-même à poursuivre le travail notamment entrepris par A. Volvey, Y. Calbérac et M. Housay-Holzschuch (2012) pour mettre au centre du débat les questions de méthodologie et de terrain.

21Nous aimerions également mettre l’accent sur l’effort des auteurs non uniquement pour restituer leurs méthodologies et expériences de terrain mais aussi pour avoir été attentifs aux manières de le faire. Ce numéro comporte effectivement un certain nombre d’articles notamment collectifs, dont celui de Benoit Feildel et al. et celui de Véronique André-Lamat et al., qui ont veillé à adapter leur écriture de façon à faire entendre la pluralité des voix et des émotions qui peuvent naître autour d’un même événement ou d’une même expérimentation. Ceci vaut aussi bien pour les émotions de ceux qui sont enquêtés que de ceux qui enquêtent. De fait, comme le propose Philippe Gervais-Lambony de manière quelque peu provocatrice dans les Carnets de débats, ne faut-il pas pour étudier les émotions d’abord les éprouver ? Dès lors, quelle peut être ou doit être la place accordée aux émotions des géographes dans leurs propres recherches ?

Emotions, subjectivités et engagement

22Comme le dénonçaient R. Widdowfield (2000) puis L. Bondi après elle (in Davidson et al., 2007), les émotions sont encore un aspect en grande partie inexploré non seulement des savoirs, mais aussi des savoir-faire et des pratiques des géographes. Ceci est d’autant plus surprenant que nombre de travaux anglophones puis francophones se sont évertués à questionner la subjectivité et la positionnalité du chercheur, notamment dans son rapport au terrain (Volvey et al., 2012). Pourquoi les émotions des géographes sont-elles alors si rarement analysées ?

23Si R. Widdowfield (2000) évoquait plusieurs raisons notamment d’ordre institutionnel, telles que la crainte d’être déconsidéré par ses pairs, il faudrait sans doute prendre en compte également dans le cas français une inertie et une résistance particulières de l’héritage rationaliste et universaliste à l’égard des courants anglo-saxons et ceux d’influence post-moderniste (Staszak, 2001 ; Collignon, Staszak, 2004). Dans une perspective positiviste, les émotions en tant qu’elles perturbent la neutralité du chercheur, en tant qu’elles parasitent son jugement, sont avant tout un biais à évacuer. Au contraire, certains travaux plaident aujourd’hui pour la nécessité d’assumer le fait que le chercheur est aussi une subjectivité, un « sujet-cherchant » (Volvey, 2012 ; Volvey et al., 2012) et un corps engagé dans l’espace. Les émotions sont alors à la fois une manifestation de la subjectivité du chercheur et une invitation à interroger celle-ci pour mieux comprendre son rapport au terrain, pour mieux rendre compte de sa pratique et de sa place vis-à-vis de ce terrain qu’il construit comme sien. Dès lors, mettre à distance ses émotions reviendrait pour le chercheur à se couper d’une partie de sa subjectivité et, à travers elle, de son humanité, c'est-à-dire de ce qui le constitue en tant que sujet et de ce qui le relie aux autres. Ce qui est en jeu n’est donc pas seulement la construction de la subjectivité du chercheur dans sa relation au terrain, mais c’est aussi – et sans doute plus fondamentalement – son rapport aux autres, et avec lui la possibilité même que ce « sujet-cherchant » développe des relations intersubjectives (Thien, 2005), sans lesquelles le terrain ne saurait précisément exister. Appréhender nos émotions, non comme un biais mais comme une expression de ce qui nous relie au monde et aux autres, permettrait alors de mieux rendre compte de la manière dont nous produisons notre terrain, dont nous faisons de la géographie.

24Outre l’article de Véronique André-Lamat et al. que nous avons précédemment évoqué, les articles de Chrystel Oloukoi et de Lisa Rebolledo, deux jeunes chercheuses qui proposent toutes deux un retour réflexif sur des expériences et émotions de terrain, s’inscrivent particulièrement dans cette logique. En analysant en regard les émotions des citadins et ses propres émotions dans le cadre de l’organisation de marches urbaines nocturnes à Johannesburg, Chrystel Oloukoi est ainsi parvenue à prendre conscience de sa positionnalité et du caractère situé de sa méthode, ce qui lui a permis de mettre en évidence à la fois le processus local de co-construction des émotions et les normes implicites de fonctionnement des espaces nocturnes johannesburgeois. Quant à Lisa Rebolledo, confrontée à des mutations paysagères importantes sur le site du Canal du Midi dans le cadre d’une thèse CIFRE, elle questionne la dimension émotionnelle de son rapport aux autres sur son terrain, qu’il s’agisse de percevoir mais aussi de faire avec les émotions de ses interlocuteurs, ou les siennes propres. En questionnant et en mettant en parallèle à la fois ses émotions et celles des autres, elle souligne la nécessaire prise en compte de l’émotion suscitée dans la production de l’événement par l’aménagement du territoire. Les émotions participent de la manière dont le (jeune) chercheur s’approprie son terrain, mais aussi par laquelle il peut y faire face grâce à des « bricolages méthodologiques » (Guyot, 2008). Les émotions du chercheur sont, tout comme les émotions des enquêtés, des objets géographiques situés : le terrain est un vécu, pas seulement un matériau. C’est pourquoi, le fait que ce soit notamment de jeunes chercheurs qui aient pris à bras le corps la question des émotions du chercheur est intéressante et particulièrement stimulante, en ce que cela peut être l’indice d’une certaine évolution de la discipline à ce sujet mais aussi d’une évolution de la façon dont les géographes se positionnent vis-à-vis de la discipline et au-delà de celle-ci. Le fait d’évoquer ses émotions, n’est-ce pas en effet déjà une forme d’engagement du chercheur dans la discipline et dans le monde ?

25Les propos de Philippe Rekacewicz dans l’entretien qu’il nous a accordé sont particulièrement clairs sur ce point. Pour lui, proposer des « cartes en colère » pour évoquer les différentes formes de violence et de domination à l’œuvre dans le monde est un moyen de mettre à jour plutôt que de chercher à masquer vainement le point de vue du cartographe, tout en essayant de transmettre à d’autres cette colère en vue de susciter action et débat. Cette ambition est de plus en plus partagée par les géographes, qu’il s’agisse de ceux qui s’engagent dans une recherche-action, telle que le propose Emeline Bailly dans ce numéro, ou de ceux qui s’inscrivent, de manière encore plus engagée et militante, dans le champ des géographies critiques et radicales (Morange, Calbérac, 2012). Ici, la question de la subjectivité rejoint donc celle de l’engagement, et plus généralement celle de la dimension politique des émotions.

L’affirmation d’une dimension politique des émotions

26Le lien, précédemment évoqué, entre émotions et politique peut se comprendre à plusieurs niveaux.

27Tout d’abord, et dans la continuité avec ce qui précède, les émotions en tant qu’elles sont au sens premier ce qui suscitent un mouvement, sont susceptibles de provoquer — chez les chercheurs comme chez n’importe qui d’autre — des réactions mais aussi des actions qui peuvent être de nature politique. Ce sont, par exemple, les émotions engendrées par un certain nombre d’injustices qui poussent des chercheurs comme A. Sen (2012) ou l’ensemble des chercheurs travaillant en France sur la notion de justice spatiale (Dufaux et al., 2009) à s’intéresser à ces questions. Bien évidemment, le fait de dire que l’on travaille sur les injustices plutôt que sur les inégalités n’est pas neutre. Cela sous-entend que la situation observée n’est pas jugée acceptable, qu’elle est explicitement présentée comme telle et qu’elle doit, de ce fait, être dénoncée et combattue. Ici, les émotions sont bien le moteur initial de l’action du chercheur qui espère, par son engagement, provoquer la réaction d’autres personnes dans le champ académique et au-delà. De la même façon, c’est la colère qui pousse Philippe Rekacewicz à proposer une approche de cartographie critique qui invite à réfléchir au statut de la carte mais aussi à utiliser cette dernière pour faire partager les émotions du cartographe. Les émotions ne sont alors plus seulement un motif de l’action politique, elles deviennent elles-mêmes supports et objets de politisation.

28Ensuite, les émotions peuvent également être politiques par les utilisations individuelles ou collectives dont elles peuvent faire l’objet. Nombre d’articles de ce numéro mettent en évidence la façon dont les émotions sont utilisées, voire instrumentalisées, par les différents acteurs, qu’ils relèvent du secteur public (Etats, institution culturelles, etc.), de la sphère marchande (médias, tour-opérateurs, etc.) ou de la société civile (associations, collectifs, etc.). L’article de Dominique Chevalier et d’Isabelle Lefort sur les relations entre tourisme, mémoires douloureuses et émotions est exemplaire à cet égard. En étudiant la scénographie de différents lieux de mémoire douloureuses à travers le monde, il montre à quel point les émotions (tristesse, effroi, culpabilité, etc.) suscitées par une médiation de type expérientiel et émotionnel sont mobilisées par les concepteurs des lieux de mémoire comme un préalable et un support à la compréhension et à la commémoration du passé. Les émotions de groupes sociaux bien définis sont également la cible d’une mobilisation politique, qu’il s’agisse de groupe qui se définissent par leur habiter et leur proximité comme dans le cas des projets immobiliers du quartier Matta Sur de Santiago du Chili étudiés par Clément Colin, ou d’acteurs variés qui se retrouvent par l’usage d’un même espace, comme dans le cas des espaces protégés analysés par Lucas Brunet. Bien évidement ces formes d’instrumentalisation des émotions, qu’elles soient mémorielles, idéologiques ou bien encore économiques, ne sont pas sans soulever des questions d’ordre éthique et moral (Robert, 2016). Les chercheurs eux-mêmes, quand ils parlent de leurs émotions, quand ils les étudient ou quand ils y ont recours, ne sont d’ailleurs pas exempts de ce questionnement.

29Enfin, en faisant retour sur le déni ou l’oubli des émotions qui a longtemps prévalu en géographie, on pourrait se demander si ce silence entourant ces questions n’est pas en lui-même politique, au sens où il résulterait d’un rapport de force au sein du champ disciplinaire et même au sein de la société dans son ensemble qui aurait conduit à faire des émotions un objet secondaire voire illégitime de la compréhension et de la conception des espaces. H. Lefebvre (2000 [1974]) ne pointait-il pas déjà dans cette direction quand il dénonçait la domination de l’espace conçu sur l’espace perçu et vécu, ou pour le dire autrement de l’espace des codes sur l’espace des sens et des pratiques ? Le sociologue de l’art, L. Fleury affirme ainsi que « la dévalorisation ontologique à l’origine de l’illégitimité apparente de l’émotion en tant qu’objet d’étude se découvre être plus idéologique que scientifique » (2007 : 53). L’oubli des émotions en sciences humaines et sociales, et plus encore en géographie, serait donc bien plus politique que théorique. Quoiqu’il en soit, à l’heure où, hors du champ académique, le politique s’empare de plus en plus des émotions à la fois comme discours spatial et comme outil d’action dans l’espace (que ce soit pour favoriser un « mieux vivre ensemble », pour améliorer le bien-être des populations ou bien encore pour légitimer des opérations de sécurisation, d’exclusion, etc.) (Robert, 2016 ; Boucheron et al., 2015), il est sans doute plus que jamais temps que les géographes et la géographie, notamment française, se souviennent des émotions et les prennent au sérieux.

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Notes

1 Pour avoir une idée de la vivacité des débats suscités par la question des émotions au sein de la communauté des géographes, on peut se rapporter au compte-rendu du Café Géo organisé sur ce thème le 13 octobre 2015 à Paris (http://cafe-geo.net/geographies-des-emotions-emotions-des-geographes/).

2 Pour rappel, se rapporter à : http://calenda.org/322144

3 « les émotions ont déjà une place importante dans notre travail et celui des autres ». Les traductions sont des auteurs.

4 La réflexion de Jean-François Staszak sur le cafard colonial se décompose en deux articles : dans les Carnets de débats, l’auteur analyse la manière dont ce sentiment géographique est apparu dans le contexte colonial puis s’est progressivement diffusé et médicalisé ; dans les Carnets de recherches, il décrypte le cas particulier de la mise en scène du cafard colonial dans le cinéma français des années 1930, le cafard étant figuré comme un sentiment lié à un rapport à l’espace et à l’Autre spécifique dans un contexte de domination. Ces deux articles constituent un tout, mais peuvent aussi être lus indépendamment l’un de l’autre.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pauline Guinard et Bénédicte Tratnjek, « Géographies, géographes et émotions  », Carnets de géographes [En ligne], 9 | 2016, mis en ligne le 30 novembre 2016, consulté le 18 octobre 2017. URL : http://cdg.revues.org/605

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Auteurs

Pauline Guinard

Maître de conférences en géographie
Ecole Normale Supérieure de Paris
UMR LAVUE - Mosaïques, UMR IHMC (associée)

Articles du même auteur

Bénédicte Tratnjek

Agrégée de géographie
Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM)
Laboratoire junior Sciences dessinées (ENS-Lyon)

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