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    Récit

    «Noyés de la Deûle», sur la piste des skins lillois

    Par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
    Les pompiers fouillent la Deûle, le 22 février 2011. Cinq hommes y ont été retrouvés morts en 2010 et 2011.
    Les pompiers fouillent la Deûle, le 22 février 2011. Cinq hommes y ont été retrouvés morts en 2010 et 2011. Photo Philippe Huguen. AFP

    Après le placement en détention provisoire d’un homme dans le cadre de l’enquête sur la mort d’Hervé Rybarczyk, guitariste d’un groupe punk retrouvé noyé dans la métropole du Nord le 11 novembre 2011, retour sur des années marquées par la montée en puissance de groupuscules extrémistes flamands.

    A Lille, c’était le gars dont on évitait la route, un skinhead réputé pour sa violence. Yohann Mutte est désormais en détention provisoire et ferait partie d’un groupe de trois personnes mises en examen pour «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, en réunion, avec préméditation ou guet-apens, et avec arme». Cet homme de 29 ans est soupçonné de faire partie du trio qui a agressé Hervé Rybarczyk, un guitariste de punk-rock, et l’a jeté dans le canal qui traverse la capitale des Flandres, le 11 novembre 2011. C’était un soir d’après-concert, le musicien part seul, après avoir remballé le matériel. Personne ne l’a jamais revu. Après treize jours, son corps est retrouvé dans la Deûle, visage tuméfié. Mais à l’époque les policiers n’ont pas enquêté, et ont estimé qu’il s’agissait d’un suicide. Ses proches n’y ont jamais cru.

    Yohann Mutte a le look des boneheads, ces skins d’extrême droite. Crâne rasé, bombers, des tatouages : une croix celtique sous l’œil, et un «Rijsel Firm» qui lui barre la gorge. Une marque d’appartenance à la Losc Army, les hooligans de l’équipe de foot lilloise. Rijsel, cela veut dire «Lille» en flamand, dans un coin où les volontés indépendantistes sont facilement identitaires. La Losc Army est un groupement apolitique, où se côtoient fascistes et antifascistes, au milieu d’autres qui s’en fichent, mais ont la bagarre facile. Un vivier de recrutement pour l’extrême droite. «Le stade, c’est un endroit où les gens se lâchent, et il y a beaucoup de jeunes, explique un membre d’un autre club de supporteurs. Certains sont là pour repérer le gars qui n’a pas froid aux yeux. Ensuite, ils lui offrent une cause, un truc dans lequel croire.»

    Troisième Voie

    Yohann Mutte a déjà eu affaire à la justice : en novembre 2013, il a été condamné à six mois de prison avec sursis pour l’agression du Vice&Versa, un bar gay dans le Vieux-Lille. C’était le 17 avril 2013, après un rassemblement de la Manif pour tous, dont il revenait. Là aussi, il était en bande, avec deux autres potes de la même mouvance. La justice n’a pas retenu le facteur aggravant d’homophobie. Pourtant, plusieurs témoignages font état d’insultes, du style «ta gueule, pédé, si t’as des couilles tu me regardes dans les yeux». Il a reconnu alors à la barre «être d’extrême droite», mais a nié avoir voulu «casser du pédé». Son avocat, Me Cateau, garde le souvenir d’un jeune homme «respectueux, éduqué», et explique la rixe comme une «situation qui est partie en cacahouète, en relation avec son apparence». Il précise que Mutte a été licencié des Eaux du Nord, où il travaillait depuis sept ans, à la suite de ce procès médiatisé. Il se rappelle aussi la présence de sa famille, surtout sa mère «très inquiète de cette affaire et des personnes qu’il fréquente».

    Elle a raison. Son fils est proche de Serge Ayoub, une figure historique de la mouvance identitaire française. Surnom : Batskin. Yohann Mutte a été membre des JNR (Jeunesses nationalistes révolutionnaires), le service d’ordre de Troisième Voie, fondé par Ayoub. Impliqué dans la mort à Paris de Clément Méric, militant d’extrême gauche, le groupuscule néonazi a été dissous en juin 2013. A l’époque, entrer aux JNR était considéré comme «un honneur» : «J’avais de l’ambition»,a ainsi raconté Jérémy Mourain, un Picard impliqué dans la mouvance, à la barre du tribunal correctionnel d’Amiens, en mars. Il comparaissait dans le cadre du procès (pour de multiples violences) du groupe d’ultra-droite qu’il avait fondé en 2013 après la dissolution de Troisième Voie, le White Wolf Klan. Aux JNR, le Picard, qui vivait à l’époque à Lille, avait comme parrain… Yohann Mutte.

    Condamné à l’issue du procès de mars à neuf ans de prison, Mourain confie à un ami, sur un téléphone placé sur écoute, qu’il a participé à la mort d’un homme. «Pourvu que le juge n’aille pas chercher trop loin dans ma période lilloise», dit-il. Ces aveux amènent les gendarmes à rouvrir le dossier Rybarczyk. Ils sont corroborés par les déclarations d’un autre membre du Klan, qui précise que Mourain a dû frapper un homme avant de le jeter à l’eau dans le cadre d’un rituel initiatique d’entrée aux JNR.

    Losc Army, JNR : Yohann Mutte ne s’est pas contenté de ces seules cartes de visite. Il a également fréquenté la Maison du peuple flamand (1), installée à Lambersart, une commune de la banlieue lilloise. Des photos collectées par le groupe antifasciste de Lille le montrent au bar de ce cercle privé, actif entre 2008 et 2012. Son fondateur, Claude Hermant, ancien mercenaire en Afrique, est une figure de l’extrême droite locale. «Nous voyons [alors] arriver ce personnage au passé sulfureux. Il organise des combats de krav maga [art martial israélien], des tournois de boxe, des concerts, des conférences», relate Pierre-Yves Pira, à l’époque conseiller municipal Front de gauche, qui s’en inquiète. Le site de la Maison du peuple flamand affiche le compte rendu de journées commando dans les Ardennes, et la vidéo «Rejoins-nous» mouline des scènes de close-combat et des slogans du type «le cauchemar des gauchistes». Pour Pierre-Yves Pira, «il y avait de quoi former une jeunesse identitaire sur Lille, bien armée intellectuellement et physiquement». Mis en cause sur le site de la Maison du peuple flamand, il a porté plainte : «J’ai été bien reçu au commissariat, mais je n’ai plus eu de nouvelles.»

    Les soupçons d’accointances avec les forces de l’ordre ont longtemps nourri les blogs antifascistes : ils sont nés à la suite de la diffusion en 2009 d’une liste donnant noms et adresses de militants autonomes sur le site de la Maison du peuple flamand, sur fond musical des Bisounours. Pour les antifas, c’est clair, un contrôle policier, suite à une manifestation devant le local nationaliste, a fuité. Me Maxime Moulin, avocat de la Maison du peuple flamand, jurait alors que l’information venait d’une lettre anonyme. Aujourd’hui, l’avocat - qui n’a pas souhaité répondre aux questions de Libération - défend toujours Claude Hermant, mis en examen dans une affaire de trafic d’armes, dont certaines ont servi à Amedy Coulibaly dans la tuerie de l’Hyper Cacher. L’homme a affirmé avoir infiltré les réseaux du grand banditisme pour le compte des services de gendarmerie et de douane.

    Le 28 novembre 2011, quatre jours après que le corps d’Hervé Rybarczyk a été retrouvé, Claude Hermant avertit Yohann Mutte de se «calmer avant les élections», selon Mediapart, qui a eu accès à ses échanges privés sur Facebook. «Me battre dans les rues, j’arrêterai pas pour Claude ou les flics», aurait-il réagi.

    Bagarres de bars

    «Il y a une longue tradition du fascisme et du passage à l’acte dans le Nord», note Alexandre Braud, ancien militant à l’Action antifasciste, aujourd’hui avocat. Il rappelle le meurtre d’un SDF, Patrick Le Mauff, à Lille en 1988, par un groupe de skins. A l’époque, beaucoup étaient adhérents du GUD, syndicat étudiant d’extrême droite. «Ils ont rejoint le FNJ [Front national de la jeunesse] en 1992, et ils se sont dissous dans le légalisme du Front national, raconte Alexandre Braud. Au début des années 2000, il y avait pas mal de mecs isolés. Claude Hermant les a fédérés.»

    A Lille, le nom de Yohann Mutte est cité dans des bagarres de bars. Lahcen Guerroua, ancien gérant du Resto Soleil à Lille, un lieu alternatif qui servait des pizzas et organisait des concerts : «Ah mais lui, on le connaît bien. Il nous a attaqués deux fois, mais nos plaintes ont été classées sans suite.» La première fois, c’était lors d’une fête de la musique, en 2011, l’année de la mort de Rybarczyk. La deuxième fois, en décembre 2012 : le PV de la plainte indique qu’un groupe d’une dizaine de personnes a surgi dans le bar et «criaient tous "sale arabe, sale nègre, sale juif"». La déposition se poursuit : «Les individus ont chargé dans le bar en criant "Heil, heil, heil" […], ils étaient armés de ceintures, de bâtons, de chaînes de vélo.» Parmi les photos qui lui sont présentées, la compagne de Lahcen Guerroua reconnaît Yohann Mutte.

    Aujourd’hui, ce dernier est dans de sales draps : soupçonné d’avoir tué un homme, peut-être impliqué dans les autres affaires de noyés de la Deûle. Car avant Hervé Rybarczyk, quatre hommes avaient été retrouvés morts dans le canal entre 2010 et 2011. Mais à l’époque, le procureur estimait que c’étaient des accidents. Le doute pèse désormais, et l’instruction se poursuit. A Lille, l’extrême droite a un nouveau local, ouvert par Génération identitaire. Des jeunes gens propres sur eux, jeans-baskets, qui fêtent le solstice de la Saint-Jean avec du vin bio et du cochon grillé. Ils ont appris de la théorie de la dédiabolisation. La préfecture et la mairie s’avouent impuissants, le lieu est privé. Pierre-Yves Pira soupire : «A chaque fois qu’on ferme les yeux, c’est un bout de démocratie qu’on pousse dans la Deûle.»

    (1) A ne pas confondre avec la Maison flamande, bailleur social basé à Dunkerque.

    Stéphanie Maurice correspondante à Lille
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