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29/08/2017

La grande illusion

La belle équipe (1936) un film de Julien Duvivier

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Cela n'a pas du être facile à vivre pour Julien Duvivier de voir son film, La belle équipe tourné en 1936, devenir le symbole positif d'une époque, lui qui l'avait conçu avec le scénariste Charles Spaak comme un drame. Ce récit de cinq copains, cinq prolos de Paris, qui gagnent à la loterie une grosse somme et l'investissent dans la création d'une guinguette au bord de l'eau, là où il faut si bon se promener le dimanche, s'achevait après la dislocation progressive du groupe par le meurtre de Charlot par Jeannot, une femme fatale étant passée par là. La fin avait été tournée qui voyait Jeannot aux mains d'un gendarme débonnaire, effondré, répéter en boucle que « C'était pourtant une belle idée ». Une belle idée comme pouvaient l'être en 1936 les promesses d'un Front Populaire fraîchement élu. Une belle idée en forme d'espoir. Las, lors d'une première projection, les spectateurs portés par l'air du temps rejettent ce pessimisme cher à Duvivier. Le réalisateur se laisse convaincre de revoir sa copie. Il remonte sa dernière scène, tourne quelques plans de plus et l’amitié triomphe de la fourberie. Les deux amis réconciliés descendent ouvrir le bal des réjouissances. Longtemps, la fin heureuse s'est imposée, mais souvent, la fin tragique était mentionnée et je me souviens d'une diffusion télévisée où les deux options avaient été proposées au spectateur. Avec le temps, le choix de Duvivier a été respecté et c'est désormais le final heureux qui est proposée en bonus.

julien duvivier

Il est d'usage de ne pas dévoiler la fin d'un film quand on est amené à en parler, à moins de prendre un tas de précautions. Tout en pouvant comprendre que l'on ménage les surprises destinées au spectateur, c'est un usage auquel je n'aime guère me plier. Dans le mouvement d'un film, la fin est très souvent capitale pour saisir les enjeux de l’œuvre. Elle lui donne sa justification et son sens profond. Les pudeurs mal placées ne peuvent qu'amputer la portée de la réflexion. Et puis chacun devrait savoir qu'il vaut mieux voir un film avant de lire quelque chose à son sujet. Au spectateur de prendre ses responsabilités et de ne pas succomber à une curiosité trop mal placée. Ceci posé, c'est un curieux cas que celui de La belle équipe puisque l'histoire de sa double fin est un élément clef de sa postérité. Bien avant les nouvelles technologies, il était possible au spectateur de faire un choix essentiel et, selon son humeur, de faire son propre film. A le revoir aujourd'hui, ce qui est fascinant, c'est de constater comment le montage donne le sens au film. Selon les versions, la longue scène finale varie assez peu. Le destin se manifeste par quelques instants qui font basculer la récit d'un côté où de l'autre, une lettre qui arrive à temps, un pistolet qui sort d'un coup, une colère qui explose où arrive à se maîtriser, un coup de sang où un éclair de réflexion. Comme dans la vie ou un film de Kieslovski sur le hasard. D'une certaine façon, optimiste ou pessimiste, les deux options se valent avec leur part de crédibilité et leur part de fabriqué. Tout dépend de ce que l'on aura ressenti du mouvement du film.

Ce que je trouve remarquable ici, c'est la tension existant entre le récit et son arrière-plan qui se superpose à celle entre le tempérament de Duvivier et l'air de son temps. Le scénario s'organise autour de ce rêve d'indépendance des cinq héros qui se brise sur le destin s'incarnant, comme dans les œuvres les plus fortes du réalisateur, par les personnages féminins. La misogynie de Duvier n'est pas une légende et le personnage de Gina, incarné par la sensuelle Viviane Romance, est une garce intégrale comme nous en reverrons dans Panique en 1946 (toujours incarnée par Viviane Romance) ou Voici le temps des assassins en 1956 où c'est Danièle Delorme qui s'y colle. Pire, le personnage de la douce Huguette joué par la toute gentille Micheline Cheirel est tout aussi responsable de la dislocation du groupe pour les sentiments qu'elle inspire malgré elle à Jacques alors qu'elle est fiancée (et sincèrement amoureuse) de Mario. Jacques sous la pression de son frère Jeannot s'exile pour le Canada. Et c'est elle qui, toujours sans le vouloir, permet à la police de remonter la trace du réfugié espagnol et entraîne la fuite précipitée du couple. Pour Duvivier, l'amour et l'amitié ne font pas bon ménage. Le récit est donc marqué par le poids du destin et l'impuissance de l'homme à enrayer sa mécanique. La belle équipe est en cela un film fondateur du réalisme poétique cher à Marcel Carné, contribuant à faire de Jean Gabin, qui joue Jeannot, l'acteur emblématique de cette veine. Mais ce récit marqué par la fatalité se déroule dans un contexte qui décrit une tout autre réalité. Nous sommes bien en 1936 dans un Paris populaire, vivant, gouailleur, volontaire et plein d'espoir. Sans ciller, Duvivier excelle à saisir cet air du temps, la vie de quartier, le quotidien des ouvriers, leurs espoirs et leurs craintes, l'atelier des fleuristes, les bistrots, l'Espagne qui va plonger dans la guerre civile avec le personnage de Mario, les bords de Seine le dimanche, les guinguettes, Gabin et la chanson Quand on s'promène au bord de l'eau écrite par Duvivier et Louis Poterat pour faire bonne mesure. Comme dans le Paris des Halles en décor de Voici le temps des assassins où celui de la place des fêtes dans Panique, Duvivier sait filmer le collectif et les moments de bonheur comme René Clair où Jean Renoir. Ici les scènes de l'immeuble où vivent nos héros ameutant leurs voisins pour fêter leur bonne fortune où celles de l'inauguration de la guinguette sont deux morceaux de bravoure où fourmillent personnages pittoresques habités par les formidables acteurs de seconds rôles de l'époque et notations fines, quasi documentaires. Il se dégage de ces scènes un élan qui percute la fatalité s'abattant sur les personnages principaux.

julien duvivier

Pourtant Duvivier n'est pas plus Clair que Renoir. Là où Clair s'attaque à la valeur travail de façon radicale dans A nous la liberté dès 1931, Renoir, proche alors du Parti Communiste, réalise le film de propagande La vie est à nous et montre des ouvriers montant une coopérative dans Le crime de monsieur Lange, tous deux contemporains de La belle équipe. Rien de cela chez Duvivier qui utilise le deus ex-machina du billet de loterie gagnant (comme Clair dans Le million en 1930, mais d'une toute autre façon) pour forcer le destin de ses héros. Le projet de la guinguette n'est pas envisagé sous un angle politique ou social, ni comme l'expression d'un projet collectif qui aurait valeur exemplaire. C'est surtout une façon, pour les cinq amis, de se donner les moyens de vivre comme ils l'ont toujours fait, avec plus de liberté et de confort. Mais les implications de cette façon de faire n'intéressent pas le réalisateur. C'est dans cette approche personnelle que réside la part sombre de Duvivier. Attaché à l'individu, il montre que celui-ci recherche le groupe pour traverser les épreuves (la scène magistrale de la tempête où les amis se couchent sur les tuiles du toit pour les empêcher d'être emportées), mais qu'il ne peut empêcher le groupe d'être miné par les intérêts égoïstes, les siens y compris (Jeannot succombe après-tout aux charmes de Gina). Cet égoïsme n'est pas toujours à prendre négativement. Il exprime aussi une aspiration profonde chez l'individu. Pour Duvivier, le groupe s'oppose par nature à ces aspirations individuelles et au bonheur intime. Le drame naît quand ce tiraillement se fait irrésistible. Le groupe peut aller jusqu'à se retourner contre l'individu. Ce sont les braves gens de la place des Fêtes qui lynchent l'innocent monsieur Hire, le personnage joué par Michel Simon dans Panique. Au-delà de la surface débonnaire, le groupe est un danger mortel pour l'homme. C'est en plantant « le drapeau des travailleurs » que Tintin, le rigolo de l'équipe joué par l'immense Aimos, glisse du toit et se tue. Cet attachement à l'individu évite le piège du cynisme. Duvivier est aidé en cela par la qualité d'écriture des personnages qui sont portés par une superbe distribution. Outre ceux déjà cités, il y a Charles Vanel en Charlot, Charpin venu de chez Marcel Pagnol en gendarme, avec Maupi dans un petit rôle, Raymond Cordy magnifique ivrogne, le jeune Robert Lynnen en frère de Jeannot, ou Marcelle Géniat en touchante grand-mère, rare personnage féminin sympathique.La belle équipe comme tous les grands films de Julien Duvivier fonctionne sur cette tension entre l'attachement à l'humain et l'instinct misanthrope.

julien duvivier

La mise en scène comme toujours est virtuose avec un travail de la caméra très riche. La photographie est signée de deux collaborateurs réguliers, Jules Krüger et Marc Fossard qui alternent avec bonheur ambiances de studio dans la veine du réalisme poétique et extérieurs vibrants de lumière à la façon d'un Renoir. Duvivier est très à l'aise quand il s'agit d'investir un vaste décor (l'immeuble, la guinguette), d’orchestrer le ballet d'une foule nombreuse, de faire monter la tension comme lors de la scène de l'orage ou dans un autre registre, de mettre en valeur la sensualité active du personnage de Gina. De longs mouvements souples permettent de privilégier les groupes et leurs déplacements dans leur environnement tandis que des travellings caressent les berges tranquilles de la Seine. Une coupe habile ou un délicat fondu enchaîné disent la douleur d'une séparation. Duvivier est d'une grande précision sans jamais étouffer son film. 80 ans après sa sortie, dégagé de son contexte immédiat, La belle équipe peut afficher sans arrière-pensée son sens d'origine, celui d'un drame populaire de très haute tenue et du portrait précis d'une époque où il pouvait faire bon se promener au bord de l'eau.

A lire sur Mon cinéma à moi (avec une rare photographie de tournage).

A lire sur DVDClassik.

A lire chez Strum

Photographies source The red list.

20/08/2017

Retour de vacances


11/07/2017

Globalement Positif

L'esprit Positif, histoire d'une revue de cinéma 1952-2016 (éditions Euredit) par Édouard Sivière.

Édouard Sivière est loin d'être un inconnu sur Inisfree. Créateur du blog Nightswimming puis de l’intermittent Nage nocturne, acharné promoteur de l'expérience collective Zoom arrière, c'est aussi un compagnon de rubrique sur Kinok puis Les Fiches du Cinéma. Il y a quelques années, il avait entamé une histoire parallèle des Cahiers du Cinéma et de Positif. Qu'il ait choisi de mettre son énergie et sa passion à écrire la longue aventure du second titre pour donner naissance à son premier livre est une excellente nouvelle.

edouard sivière

L'histoire de la revue de cinéma Positif était à écrire, au-delà des anthologies et des textes commémoratifs justifiés par plus de soixante années d'existence. C'est désormais chose faite avec L'esprit Positif signé Édouard Sivière et publié aux éditions Euredit. C'est une histoire, presqu'une légende, qui débute à Lyon en 1952 avec sa création par Bernard Chardère. Une histoire pleine d'enthousiasme, de convictions affirmées avec force (l'érotisme, l'engagement à gauche), de difficultés économiques surmontées à force de ténacité et d'un modèle original (bénévolat des rédacteurs, indépendance économique), d'admirations fidèles (John Huston, Luis Bunuel, plus tard Joseph Losey, Stanley Kubrick ou Bertrand Tavernier), et de détestations solides (Jean-Luc Godard de manière exemplaire). Une histoire construite par des plumes fameuses, Ado Kyrou, Robert Benayoun qui fit beaucoup pour Jerry Lewis, Jean-Paul Török, Michel Ciment, Louis Seguin, Christian Viviani, suivis de beaucoup d'autres. C'est surtout une histoire qui se construit à travers la rivalité avec la grande sœur Les Cahiers du Cinéma, née un an avant. Cette opposition, parfois montée en épingle de façon artificielle, va se révéler fructueuse en structurant le débat critique pendant une trentaine d'années avant la relative normalisation des années quatre-vingt. Le débat, il n'y a que ça de vrai et l'on en ressent encore la nostalgie comme le besoin lors de récentes passes d'armes, alimentées à l'occasion par les éditoriaux de Michel Ciment, le directeur de la publication. C'est que la revue défend ses fondamentaux face aux évolutions des dernières décennies, de la crise de la presse et de la critique à l'explosion d'Internet, blogs puis réseaux sociaux, en passant par les pratiques de diffusion (DVD, streaming...). Positif a peaufiné une formule année après année, construit son panthéon toujours plus vaste d'auteurs et de centres d'intérêts (le cinéma d'animation, le cinéma classique), sans jamais se départir d'une certaine rigueur, certains pourront parler de rigidité, jusque dans une maquette au cordeau. La revue est devenue une institution vénérable avec les risques de momification que cela comporte, et malgré l'apport d'une nouvelle génération de rédacteurs.

C'est toute cette histoire avec toutes les questions qu'elle soulève que raconte Édouard Sivière en adoptant un point de vue original : celui d'un lecteur passionné et collectionneur patient des bientôt 700 numéros de la revue. Les textes, rien que les textes, le livre se base sur les milliers d'articles disponibles pour dire l'évolution des idées au sein de Positif et écrire son impressionnant parcours. Détaillé et précis, l'auteur cite de nombreux extraits qui donnent souvent envie de découvrir les textes complets. Il conserve surtout un bel équilibre entre son récit, ses analyses et les citations, avec surtout une dimension personnelle attachante, ce qui rend l'ensemble fluide et agréable à lire, ce qu'il n'était pas évident à obtenir avec la masse d'informations à faire passer. Les lecteurs (plus ou moins) fidèles de la revue pourront ainsi s'adonner au plaisir de la rétrospective et retrouver tel où tel texte marquant. Les autres découvriront la richesse d'un ensemble critique qui, avec ses fulgurances et ses errements, reste sans peu d'équivalent. Ils seront guidés dans leur lecture par le récit qui court en filigrane de sept décennies d'histoire du cinéma, du néo-réalisme à la Nouvelle Vague, du cinéma militant des années soixante au nouvel Hollywood, des difficiles années quatre-vingt à l'explosion du cinéma asiatique, en passant par le dada de l'auteur, le cinéma Roumain. Mais l'exercice ne saurait se limiter à la dimension historique, ni à la nostalgie, et si Édouard Sivière fait remonter le passé bouillonnant, c'est pour mieux se pencher sur le présent et réfléchir sur l'avenir. Le dernier chapitre consacré au bilan (provisoire?) de Positif est tout à la fois son ressentit de lecteur sur la position actuelle de la revue et les questions qui se posent, qui devraient se poser du moins, sur son évolution nécessaire. Faut-il secouer le canon patiemment construit ? Faut-il retrouver l'esprit de découverte, celui de contradiction ? Faut-il retrouver le droit de se tromper, de donner la parole à des voix plus discordantes, moins "dans la ligne" ? Que doit-être, que peut être, en 2017 une revue papier ? Vastes sujets...

Venu à Positif au milieu des années quatre-vingt dix, j'y suis resté fidèle jusqu'à ces dernières années où j'ai ressentit un éloignement du contenu par rapport à mes pratiques. Si je suis resté passionné par certains dossiers thématiques, je me suis largement détaché de leur approche de l'actualité. J'ai donc trouvé un écho intime dans les réflexion de l'auteur. Je ne doute pas que tous ceux qui partagent le goût de la critique de cinéma, d'où qu'elle provienne, se plongeront avec plaisir dans L'esprit Positif et les questions fondamentales qu'il pose.

A commander sur le site de l'éditeur.

10/07/2017

Estivale

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Deborah Kerr dans une pose de circonstance. Photographie source The red list.

07/07/2017

C'est ça ton requin ?

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Roy Scheider, Steven Spielberg et la monteuse Verna Fields quelque peu dubitatifs sur le tournage de Jaws (Les dents de la mer - 1975). Aie, le sable sur la pellicule ! Photographie source The red list.

06/06/2017

Cinéphilie et critique

Nous vivons dans une époque "orwellienne", où tout le monde voit les mêmes choses, en réponse aux stimulis des marchés (exemple : les séries TV). Et le temps que nous accordons à tel ou tel "événement", comme par exemple la gifle de Joey Starr chez Hanouna (dans l’émission « Touche pas à mon poste », NDLR), est révélateur de l'état de cette société. Le temps qu'elle accorde à cette chose insignifiante, elle ne l'accorde pas à d'autres choses plus intéressantes. Il devient plus important ou impératif de suivre en direct les milliers de tweets sur cette gifle que de voir un film de John Ford. Et cette superficialité de l'époque est absolument terrifiante.

Passionnant entretien avec Jean-Baptiste Thoret sur le blog Rétines où il se dit plein de choses qui me réjouissent même si elles ne sont pas réjouissantes.

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Horizon critique (allégorie). Photographie source Forum Western Movies.

01/06/2017

Relax (9)

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Jane profite du soleil en attendant Tarzan. Maureen O'Sullivan entre deux prises sur le tournage de Tarzan and his mate (Tarzan et sa compagne - 1934) de Cédric Gibbons où elle porte encore son charmant deux pièces. Photographie MGM.

25/05/2017

La viaccia

La viaccia (Le mauvais chemin - 1961), un film de Mauro Bolognini.

En hommage à Claudia Cardinale honorée à Cannes cette année, et comme le film est passé dans une conversation hier à l'heure de l’apéro, voici un texte écrit pour Kinok, désormais inaccessible : 

Claudia Cardinale et Jean-Paul Belmondo. Jeunes et beaux. Magnétiques et talentueux. En 1961, ils construisent tous deux leur mythe sous la caméra de Mauro Bolognini dans La Viaccia. Le réalisateur  lui-même après La notte brava (Les garçons - 1959), Il bell'Antonio (Le bel Antonio – 1960) et La notte balorda (Ça s'est passé à Rome – 1960) clos sa collaboration avec Pier Paolo Pasolini et s'engage dans la voie du film à costume, de ces reconstitutions minutieuses dans la veine de Luchino Visconti qui le passionnent et l'inspirent. Claudia Cardinale a 22 ans, elle a été révélée par Un maledetto imbroglio (Meurtre à l'italienne - 1959) de Pietro Germi qui lui vaut un célèbre article de Pasolini, puis rencontre Visconti, Maselli et Valério Zurlini pour qui elle est La ragazza con la valigia (La fille à la valise) juste avant le film de Bolognini. Elle a déjà tourné pour ce dernier Il bell'Antonio, et travaillera encore avec celui dont elle dit : "Je considère Mauro Bolognini comme un très grand metteur en scène : un homme d'un rare professionnalisme, de goût et d'une grande culture. En outre, il est pour moi un ami sensible et sincère". Bianca dans La Viaccia restera l'un de ses rôles préférés. Jean-Paul Belmondo a 27 ans et n'a pas encore rencontré Philippe de Broca, mais 1960 est sa grande année. Il vient d'incarner le Michel Poiccard de Jean Luc Godard, symbole de la nouvelle vague, et l'Eric Stark de Claude Sautet. Il poursuivra son expérience italienne avec Vittorio De Sica et Alberto Lattuada. A eux deux (mais pas tout seuls), ils incarnent la jeunesse d'un cinéma qui bouscule les traditions établies, l'alliance de la France et de l'Italie, deux pays en pleine fièvre créatrice, deux pays en pleine évolution et dont le cinéma, un certain cinéma, tente de saisir à pleines mains quelque chose de son époque. C'est aussi, à travers les coproductions franco-italiennes l'idée d'un cinéma européen, pas vraiment théorisée mais qui avec le recul n'est pas basé sur le nivellement insipide du plus petit dénominateur commun, mais sur l'alliance de talents au service d'une œuvre. Quelque chose d'un âge d'or.

Le sens du détail

Mauro Bolognini avec ce film trouve sa voie dans une forme, celle du film en costume adapté de romans (ici "L'eredità" de Mario Pratesi), qui lui permet d'aborder de biais les problèmes de son temps tout en donnant libre court à son goût pour les belles choses. Après deux comédies de la fin des années 50, La Viaccia marque une étape capitale dans la collaboration de Bolognini avec le décorateur et costumier Piero Tosi. Le film se déroule dans une Florence  1900 scrupuleusement reconstituée, avec un partit pris original puisque au soleil toscan attendu est préféré une ambiance de pluie et de brouillard, de petits matins blêmes et de campagne froide, le tout magnifié par la superbe photographie en noir et blanc de Leonida Barboni, collaborateur régulier de Mario Monicelli et Pietro Germi que l'on retrouve ici dans le rôle du père d'Amerigo auquel il donne son autorité et son physique bourru. Barboni avait déjà éclairé le visage de la Cardinale pour son premier grand rôle, celui que lui avait donné Germi deux ans auparavant dans Un maledetto imbroglio. Ici, Belmondo fait le lien entre ses partenaires mais ils n'ont aucune scène ensemble.

mauro bolognini

Florence 1900, le film se déroule successivement dans une ferme de la proche campagne, dans un magasin de vin tenu par Ferdinando, oncle d'Amerigo, joué par Paul Frankeur, et dans le lunapar, le bordel, la maison close, ultime fantasme des hommes d'alors, où exerce Bianca. Les reconstitutions de la ferme et de la boutique sont riches de détails et sonnent juste, mais c'est avec la maison que Bolognini et Tosi s'en donnent à cœur joie. Robes à frou-frous, velours chatoyants, glaces et jeux de miroirs, la maison est un espace clos, plus ou moins choisi, chaud et velouté. Lieu de plaisir, il est refuge et prison, lieu de passion et de violence mais aussi capable de s'ouvrir à une joyeuse bande de fêtards pour une scène qui rappelle Von Sternberg ou Gremillon, lointainement. Dans ce travail de reconstitution où l'on sent le choix maniaque de chaque étoffe, de chaque objet, travail parfois contesté et taxé de maniérisme, travail qui parfois prend le risque d'étouffer l'émotion, on retrouve une constante des grands réalisateurs italiens comme Visconti évidemment mais aussi un Sergio Leone, un Vittorio Cottafavi ou un Dario Argento. Il s'agit de montrer, avec un plaisir ludique, les signes extérieurs d'une époque, d'une ville, d'un pays, et de faire du décor un personnage à part entière qui participe de l'action et dans lequel les acteurs seront plus justes car il s'appuieront pour leur jeu sur une accumulation de détails précis. La rigidité d'une veste, la texture d'un corsage, la rudesse d'une carriole, le froid d'un mur de ferme. Rien de gratuit là-dedans.

En route pour la gloire

Bolognini s'appuie donc sur ce travail et sur un scénario classique et tragique pour explorer une nouvelle fois, et ce ne sera pas la dernière, l'un de ses thèmes de prédilection : la difficulté pour la jeune génération à trouver sa place au sein d'une société corsetée (et sans frou-frous). C'était déjà tout le problème des garçons et des filles de La notte brava, rejetés aux lisières de la ville, comme celui du bel Antonio coincé entre son statut de mâle que sa famille veut lui voir assumer et sa passion pour la belle Barbara. La Viaccia du film, c'est le nom de la vieille propriété familiale, enjeu de luttes de chiens entre les frères (Germi et Frankeur) qui passent outre les dernières volontés de leur père. C'est aussi le mauvais chemin, celui que prend Amerigo, envoyé pour travailler chez son oncle et qui devient voleur comme dans une chanson de Brassens pour passer du temps avec la fille de mauvaise vie, Bianca. C'est encore le chemin que prend Bianca qui se vend et refuse de s'attacher de nouveau malgré son amour pour Amerigo. Mais c'est aussi le mauvais chemin qui est réservé aux jeunes amoureux par cette société de Florence 1900 dans laquelle il n'est pas bien difficile de lire en transparence celle de l'Italie des années 50/60, celle du miracle économique qui sacrifie une partie de sa jeunesse a culte de l'argent et de la réussite. Une société hypocrite où les dernières volontés des mourants ne sont pas respectées, où l'on manipule un agonisant pour emporter l'héritage, scène terrible de la mort de Ferdinando dont la compagne profite de son délire pour l'épouser avec la complicité d'un curé. Ah ! Les belles gens !

mauro bolognini

Bolognini organise sa mise en scène autour des mouvements maladroits d'Amérigo qui rêve d'autre chose mais d'un rêve trop vague. Il joue sur le physique particulier de Belmondo, un peu décalé au milieu de ces acteurs si italiens, de son côté boxeur pour faire croire à sa force, de son regard encore adolescent pour révéler ses faiblesses. Entre les terres de la Viaccia, les murs et l'escalier de la maison close, les étagères du magasin de l'oncle, Belmondo se tient légèrement voûté, en équilibre instable, incapable de prendre une direction franche. Il ne réagit que par à-coups, comme dans la jolie scène avec Bianca quand il la rattrape dans le couloir qui mène à sa chambre. « Et alors, qu'est-ce que tu crois avoir fait ? » lui jette-t'elle, lui coupant l'élan. C'est tout le drame de leur couple impossible saisi entre deux murs étroits.

Monté par le grand Nino Baragli (Pasolini, Leone, Corbucci, Fellini, etc.) comme nombre de films de Bolognini, La Viaccia mène à un rythme soutenu vers l'inéluctable. Sur les violons déchirés de Piero Piccioni, il ménage néanmoins quelques poses romantiques entre les amants enlacés dans la chambre de Bianca, précaire refuge. Mais le mauvais chemin est en forme de boucle et Amerigo n'aura pas la force de rompre ce cercle infernal. Pour Cardinale et Belmondo, c'est le début d'une voie royale.

Photographies : DR

A lire également chez Shangols

19/05/2017

Sur un air de charleston

Bluff, storia di truffe e di imbroglioni (Bluff - 1976), un film de Sergio Corbucci

Texte pour les Fiches du Cinéma

France, les années folles. Le plan d'évasion de Philip Bang aurait pu réussir s'il n'était tombé, au moment crucial, sur l'importune présence du jeune et fringuant Felix. Bagnard comme lui, Felix profite de l'occasion et du dispositif mis en place par Belle Duke, l'ex-maîtresse de Bang. Les hommes de main de la dame n'étant pas des lumières, ils prennent Felix pour Philip et le ramènent à Belle qui ne goûte guère la plaisanterie. C'est que le couple ne s'est pas séparé en bons termes et que l'évasion a été organisée pour la vengeance. Felix est ainsi sommé de faire évader pour de bon Philip, convaincu par des arguments frappants et les beaux yeux de Charlotte alias mademoiselle Bang. Résumer plus avant Bluff, sous titré Storia di truffe e di imbroglioni (histoires d'arnaques et d'arnaqueurs), que réalise Sergio Corbucci en 1976 pour Cecchi Gori, serait aussi compliqué qu'inutile. Les quatre héros sont en effet des escrocs patentés et passent leur temps à se jouer la comédie, à se raconter des histoires et à passer des alliances à géométrie variable selon les circonstances. Le scénario est signé par Massimo De Rita et Dino Maiuri, avec la main de Corbucci et de l'acteur américain Mickey Knox qui joue un rôle secondaire dans le film. L'idée de départ était de s’inspirer du succès américain The sting (L’arnaque) réalisé par George Roy Hill en 1974 avec le couple glamour Robert Redford et Paul Newman, en jouant sur l’humour et les faux semblants. Le récit est donc ludique, tarabiscoté et peu soucieux de rigueur logique. Mais ce n'est pas bien grave.

sergio corbucci

En 1976, Sergio Corbucci a terminé ses adieux au western qui a fait sa gloire. Il essaye depuis quelques années de transposer dans d'autres contextes ce qu'il a travaillé dans le genre et de combiner son goût de l'action à son attachement viscéral pour la comédie. De ce point de vue, Bluff est une nouvelle variation bien dans son style sur le couple masculin que tout oppose et qui se trouve plongé dans une suite d'aventures picaresques qui forgera leur amitié, avec explosions, poursuites, acrobaties, évasions et bagarres. Visuellement, si le film baigne dans une reconstitution fantasmée des années vingt (voitures, chapeaux cloches), nous retrouvons les motifs du train, du travestissement, des parties de poker et des empoignades viriles, tout droit sortis des westerns, de la trilogie mexicaine en particulier. Il est significatif que Franco Nero était le premier choix pour le personnage de Felix. Mais les deux hommes étaient brouillés depuis Vamos a matar, companeros ! (Companeros !) en 1970 et Corbucci retrouve un Adriano Celentano tout fringuant, plus emblématique d'un retour à la comédie italienne populaire. Il lui oppose Anthony Quinn, une pointure destinée à donner une envergure internationale à cette arnaque à l’italienne. Pour Corbucci et Cecchi Gori, il s’agit de tenter d’élargir l’audience. Le budget est confortable et permet de situer l’action dans la France des années vingt, reconstitution à l’appui et tournage sur la Côte d’Azur, y compris la principauté de Monaco avec son joli casino. Le yacht du producteur Rizzoli est mis à contribution, il y a de belles voitures et de beaux décors art déco. Le goût de Corbucci pour les grands espaces transparaît dans quelques plans larges tournées en pleine campagne, loin de la côte d'Azur. Le lien entre les différents extérieurs est d'ailleurs assez lâche, contribuant à situer Bluff dans une géographie (et une temporalité) imaginaire, un peu comme le western à l'italienne définissait son propre espace.

sergio corbucci

Sergio Corbucci entre ses vedettes sur le tournage de Bluff
(Photographie de Andrea Lorenzini)

La distribution est enrichie de la jeune française Corinne Clery, auréolée de son succès dans le Histoire d'O (1975) de Just Jaeckin mais qui reste ici plutôt pudique, et surtout de Capucine, autre actrice française qui a débuté avec Jean Cocteau et Jacques Becker avant de faire une belle carrière hollywoodienne devant les caméras de Henry Hathaway, Joseph L. Mankiewicz et Blake Edwards. Capucine incarne Belle Duke, un personnage féminin intéressant, dur, proche de celui joué par Françoise Fabian dans Gli specialisti (Le spécialiste - 1969), femme de pouvoir, de séduction et manipulatrice quand il le faut. L'actrice retrouvera Corbucci à deux reprises, le réalisateur prenant un plaisir visible à la filmer comme un écho du cinéma américain qu'il admire, procédé qu'il a souvent utilisé tout au long de sa carrière. Dans un autre registre, sans parler de l'esthétique, Bluff marque l'entrée dans le cinéma de Corbucci de Sal(vatore) Borg(h)ese, comparse idéal portant le plus souvent la moustache dans le rôle d'un sbire de Belle aussi bête que méchant. Un visage inoubliable pour un acteur qui a joué dans tout et vraiment n'importe quoi, mais dont chaque apparition est réjouissante.

Bluff est monté par Eugenio Alabiso, fidèle au poste, qui donne au film un rythme léger et vif comme un air de charleston, renforcé par la partition jazzy de Lelio Luttazzi. La photographie est signée de Marcello Gatti, un grand nom du cinéma italien, qui a collaboré avec Gillo Pontecorvo à plusieurs reprises, ou Roman Polanski, tout en signant la photographie de films de genre, leur apportant une allure supplémentaire. Sans être une œuvre majeure de Corbucci, Bluff est un spectacle enlevé qui atteint sans peine ses ambitions de divertissement de classe. C'est aussi une œuvre qui s'insère avec aisance dans la filmographie du réalisateur et porte sa marque. Avec sa décontraction rétro, Bluff reste assez atypique pour son époque dominée d'un côté par des comédies plus classiques signées Mario Monicelli, Steno ou Luciano Salce, où de l'autre par l’émergence de la sexy comédie qui s'enfonce très vite dans la vulgarité. Si l'objectif de se donner une ouverture à l’international n'est pas vraiment atteint, le film sera un succès en Italie où il sort le 15 avril 1976. La présence de Celentano est en grande partie déterminante et pour le public français qui connaît mal ce chanteur pop adoré des foules transalpines, c'est l'occasion de découvrir son talent exubérant. Une composition séduisante qui lui vaudra, le fait est assez rare pour être noté, le David di Donatello du meilleur acteur, ex-æquo avec Ugo Tognazzi.

A lire sur Culturopoing sous la plume de Vincent Roussel

A lire sur DVDClassik

Photographie Wikipedia.

18/04/2017

Saludos hombre !

Les media français, sans doute très occupés par d'autres choses, ne se sont guère émus de la disparition de Tomas Milian (à la notable exception de Jean-François Rauger dans Le Monde. Étonnant quand le plus modeste acteur a droit à son paragraphe un peu partout. Et pourtant ! Caramba ! Tomas Milian, bon sang ! Inisfree ne pouvait dès lors manquer, malgré mon peu de goût pour la nécrologie, de saluer comme il convient ce comédien d'exception. Et je pèse mes mots, le dernier en particulier. Milian est exceptionnel et je ne vois guère sur la même période que Klaus Kinski pour avoir construit sans préméditation, dans la plus grande liberté, une carrière aussi riche, aussi dense, aussi folle. Et puis Milian était plus sexy, plus souriant et semble-t-il plus sympathique que le terrifiant teuton, sans être beaucoup plus contrôlable. Milian pouvait tout jouer et ce n'est pas là une tournure de style. Il pouvait être beau comme un dieu, laid comme un pou, outrageusement grimé, porter les costumes et les perruques les plus improbables, être chauve comme un œuf, personnifier le héros populaire, l'éphèbe alangui, le policier impitoyable, le truand sadique, l'intellectuel réfléchi, l'amoureux, le fou, le poète, le révolutionnaire, le paysan minable comme le chef charismatique, la légende. Milian pouvait mener l'action, la regarder passer, la subir. Il pouvait être un second rôle, un comparse, la vedette, la star, il crevait toujours l'écran. Caméléon de choc et de charme, Milian était toujours différent, le plus souvent inoubliable. Et puis il était malin. Il avait du nez. Un pied dans le cinéma d'auteur, un pied dans le cinéma populaire, il a fait très souvent de bons choix. Dans le western italien dont il est devenu une icône, il ne fait quasiment aucun faux-pas et aligne une bonne demi-douzaine d’œuvres phares du genre dans toutes ses nuances, classique, western zapata, parodie et politique. Dans le poliziottesco, il est des meilleurs films et couvre toute la gamme des personnages, du tueur le plus vil au flic le plus radical. Et quand il ne trouve plus sa place dans le cinéma italien, il repart aux États-Unis pour des seconds rôles chez rien moins que Oliver Stone, Steven Spielberg, Sydney Pollack ou Steven Soderbergh.

tomas milian

Tepepa, cigare et sombrero

Il a été Michel, Cuchillo, El Vasco, Esposito, Il gobbo, Er Monezza, Nico Giraldi, Tepepa, Providence, Sakura, et toujours Tomas Milian. Cubain né en 1933, il quitte son île pour les États-Unis à la fin des années cinquante et entrer à l'Actor's studio. Je l'aurais bien vu jouer face à Marlon Brando. Mais il est embarqué en Italie pour y jouer du Cocteau sur les planches. Dans la foulée, il débute sur l'écran entre quelques superbes spécimens de la jeune génération européenne (Laurent Terzieff, Jean-Claude Brialy, Elsa Martinelli, Mylène Demongeot, Rossana Schiaffino) sous la caméra de Mauro Bolognini avec La notte brava (Les garçons – 1959) écrit par Pier Paolo Pasolini. Milian tournera deux autres fois pour Bolognini, fait un passage éclair chez Pasolini, et fréquente le cinéma de Luchino Visconti, Alberto Lattuada, Francesco Maselli qui en fait le frère de Claudia Cardinale dans Gli indifferenti (1964) adapté d'Alberto Moravia, et Valerio Zurlini pour lequel, délicat et sobre, il escorte une troupe de prostituées destinées à l'armée dans Le soldatesse (Des filles pour l'armée) en 1965. Mais à côté de ce cinéma prestigieux, il crève l'écran dans le western en créant un type de héros inédit : le paysan mexicain. Quelques années avant Bruce Lee, Milian incarne le premier héros non occidental à séduire en masse le public occidental et à faire chavirer le cœur des masses du tiers-monde. Avec La resa dei conti (Colorado - 1966) de Sergio Sollima, il crée le personnage de Cuchillo (couteau), péon et bandido, roublard et crasseux, courageux et débrouillard, cavaleur et sensuel, en butte aux puissants qui veulent lui coller sur le dos un viol et un meurtre. Sollima et Milian approfondissent le sujet avec Faccia a faccia (Le dernier face à face – 1967) qui raconte les trajectoires croisées d'un bandit (Milian) et d'un intellectuel (Gian Maria Volonte), l'éducation politique du second provoquant une prise de conscience du premier. Milian incarnera Cuchillo dans de nouvelles aventures, toujours sous la direction de Sollima dans l'enlevé Corri, uomo, corri (Saludos hombre) en 1970.

tomas milian

Se sei vivo, spara ay, gringo !

Entre-temps, notre homme aura traversé la perle noire du genre, Se sei vivo, spara (Tire encore si tu peux – 1967) de Giulio Questi. De nouveau bandit mexicain, Milian est exécuté avec sa bande par ses complices américains après un sanglant hold-up. Il ressort de la tombe pour être secouru par deux indiens et chercher sa vengeance dans une petite ville réceptacle de toutes les perversions du monde, à commencer par celles de l'or et du sexe. Milian y campe un anti-héros qui va se révéler plus spectateur qu'acteur de la violence qui se déchaîne dans ce petit monde surréaliste. Dans une scène, il est torturé, crucifié quasi nu, avec juste un pagne. Une image qui renvoie à une autre scène tournée deux ans plus tard par Lucio Fulci pour Beatrice Cenci (Liens d'amour et de sang - 1969) où Milian meurt sur le chevalet par fidélité pour sa maîtresse. Il est également le paysan brésilien Espedito qui devient bandit d'honneur pour venger le meurtre de sa vache par l'armée dans le superbe O'Cangaceiro (1969) de Giovanni Fago ; et le révolutionnaire Tepepa dans le film de Giulio Petroni où il est opposé à rien moins que Orson Welles. Puis il rencontre Sergio Corbucci qui le met en tandem avec Franco Nero pour l'époustouflant Vamos a matar companeros ! (1970). Milian compose pour l’occasion un avatar farfelu de Che Guévara, béret basque inclus, et énerve son partenaire en se moquant de ses yeux bleus. Suivront le Jed Trigado de La banda J. e S., cronaca criminale del Far West (Far-west story – 1972), superbe variation western sur l'histoire de Bonnie et Clyde, puis la farce de Il bianco, il giallo, il nero (Le blanc, le jaune et le noir – 1975) où Corbucci fait ses adieux rigolards au western et donne à Milian un rôle de samouraï idiot cherchant à récupérer un poney sacré et péteur. Comme son réalisateur, Milian sent que les temps changent et il se sert de ces rôles pour créer un nouveau type, celui du romain hâbleur, baratineur, un peu truand, avec cette voix si particulière qui est, doublage oblige en Italie, celle de l’acteur Ferruccio Amendola. Cela fera sa nouvelle fortune dans des films d'un tout autre genre. Il Vasco et Jed, comme le chasseur de primes chaplinesque Providence, sont les prototypes de Er Monezza et du flic atypique Nico Giraldi.

tomas milian

Gli indifferenti, la classe Milian (Source Wikipedia)

Car entre-temps, le film policier remplace le western. Là encore, Milian a un coup d’avance. Il est le policier déterminé de Banditi a Milano (Bandits à Milan), film séminal du genre que tourne Carlo Lizzani en 1968 et retrouve Fulci pour un de ses meilleurs films, le giallo rural Non si sevizia un paperino (La longue nuit de l'exorcisme) en 1972 où il est un journaliste enquêtant sur des meurtres d'enfants dans un village reculé. Milian change de camp pour Umberto Lenzi et crée le terrifiant Giulio Sacchi dans Milano odia: la polizia non può sparare (La Rançon de la peur - 1974). Bossu, sadique, le visage torve, il assassine de sang froid et ne recule pas devant le mitraillage d'un enfant. Lenzi n'y va pas avec le dos de le cuiller et l'oppose au flic joué par le rude Henry Silva. Milian emporte le film avec d’authentiques éclairs de folie. De ce personnage, il tirera, à peine adouci, celui d'Il gobbo opposé à Maurizio Merli et sa moustache impavide dans Roma a mano armata. Grand moment quand le flic l'oblige à avaler une balle de revolver que Milian fait descendre d'un coup de rouge. Il passe ainsi par toute la gamme des figures du genre et crée Er Monezza (l'ordure) toujours pour Lenzi dans Il trucido e lo sbirro en 1976. Barbu, tignasse noire frisée, parlé populaire romanesco, Er Monezza ramène en Italie les personnages de mexicains populaires et marginaux et tire le polar violent vers la comédie à l'italienne. De la même façon, Nico Giraldi, le flic débraillé, fils d'un escroc et d'une prostituée, est joué par Milian dans un registre toujours plus comique. A partir de 1976 avec Squadra antiscippo (Flic en jeans), il initie une série de films à succès où Milian laisse libre cours à sa faconde exubérante.

tomas milian

Vamos a matar, companeros ! où la révolution n'est pas un dîner de gala.

Dans la même période, Milian poursuit ses grand écarts. Il est du redoutable péplum érotique Messalina, Messaline (Messaline impératrice et putain - 1977) que tourne Bruno Corbucci dans les décors du Caligula de Tinto Brass. Coiffé comme Er Monezza, il est un escroc romain qui se fait chevaucher par Anneka Di Lorenzo dans le rôle titre. Et à côté de ces hautes œuvres, Milian joue dans La luna (1979) de Bernardo Bertolucci et il incarne pour Michelangelo Antonioni le personnage principal de Identificazione di una donna (Identification d'une femme), le réalisateur Niccolo pris entre deux figures féminines jouées par Daniela Silverio et Christine Boisson. Il fait aussi quelques incursions dans le cinéma français, chez Claude Chabrol et surtout dans l'adaptation du roman de Jean-Patrick Manchette, Folle à tuer, réalisée en 1975 par Yves Boisset, où il est un tueur froid traquant Marlène Jobert et qui balance sans pitié Victor Lanoux du haut d'une carrière. Comme tant qu'autres, sa carrière italienne marque le pas dans les années quatre-vingt, la crise, la télévision, la dégénérescence du cinéma de genre, toutes ces sortes de choses. Milian sent la lassitude du public et il repart en Amérique pour mieux revenir dans des seconds rôles pour des films d'un autre calibre. Point d'orgue de cette nouvelle carrière, le général corrompu Salazar dans le film de Steven Soderbergh Traffic (2000). Ce panorama sans doute incomplet de son impressionnante filmographie devrait suffire à démonter combien Tomás Quintín Rodríguez Milián aura marqué son époque, libre, fou, exalté, enthousiasmant, inquiétant, hilarant, désarmant, chantant même à l’occasion. Tomas, où que tu sois, joue encore si tu peux !

16/04/2017

Bang ! Bang !

cyd charisse

Cyd Charisse toujours classe, même en action. Photographie publicitaire pour le film Meet me in Las Vegas (1956) réalisé par Roy Rowland. © MGM.

09/04/2017

Joe Dante à la Cinémathèque

29/03/2017

Originale et sans retouches

Claudia Cardinale

Claudia Cardinale

Claudia Cardinale

Claudia Cardinale

Claudia Cardinale

Superbe série d'un photographe inconnu, Claudia Cardinale sur un toit de Rome en 1959. DR.

28/03/2017

La duchesse de Varsovie

La duchesse de Varsovie (2016), un film de Joseph Morder

Regards croisés Joseph Morder - Rita Azevedo Gomes

Cinéma Mercury à Nice les vendredi 31 mars et samedi 1er avril

joseph morder

C'est l'histoire d'un jeune peintre en devenir qui n'arrive pas à peindre.

C'est l'histoire d'une splendide vieille dame qui ne supporte pas qu'on l'appelle "duchesse".

C'est l'histoire d'un amour de jeunesse.

C'est l'histoire d'un secret de famille.

C'est aussi une histoire de Paris et du cinéma.

C'est le nouveau film de Joseph Morder, cinéaste, cinéphile, pape du super 8, juif tropical, auteur malicieux et audacieux de multiples courts-métrages, d'un immense journal filmé et de quelques longs métrages qui sont autant de météores sur les écrans trop sages. La duchesse de Varsovie s'ouvre sur les retrouvailles de Valentin avec sa grand-mère Nina. Ils vont passer vingt-quatre heures ensembles. Le jeune homme confie son mal être à cette confidente idéale tout en cherchant à percer le secret de cette vielle dame digne, perspicace et aimante. Ce secret, pour peu que l'on ait quelque sensibilité, on en a vite l'intuition. La Pologne, la guerre, le Yiddish oublié, une marque sur l'avant bras, Varsovie et le « camp de... camp de vacances » jeté à un chauffeur venu de Cracovie et trop curieux. Avec ce film, Joseph Morder aborde à sa manière délicate et frontale, la Shoah, l’expérience de la déportation et des camps et la transmission de cette mémoire.

Pour ce faire, il adopte un dispositif esthétique inattendu dans ce contexte mais riche de sens. Les décors sont intégralement représentés par des toiles peintes, œuvres de Juliette Schwartz. Un procédé utilisé par le tchèque Karel Zeman pour ses adaptations de Jules Verne où les personnages évoluent dans les gravures inspirées de celles des éditions Hetzel, où plus près de nous, et plus près de Joseph Morder, chez Eric Rohmer dans son magnifique L'anglaise et le duc en 2001 qui recrée ainsi le Paris de la Révolution. Mais Morder pousse un cran plus loin. Les personnages secondaires sont aussi dessinés par Léa Delescluze, Sarah Lequoy et Wen Long. Dessinés et non animés même si les personnages parlent. Le tête à tête entre Valentin et Nina est ainsi absolu. Lors que viendra le moment du récit de la grand-mère, cœur sombre du récit, les toiles peintes s'effaceront pour un fond noir uni derrière le visage en gros plan de Nina, regard caméra qui nous perce du bleu-vert des yeux de l'actrice Alexandra Stewart. Cette utilisation des peintures par Joseph Morder lui permet de donner à son film plusieurs dimensions en maintenant une parfaite homogénéité. Le Paris dessiné est d'abord l'expression mentale des deux personnages. Il est le Paris merveilleux et aimé par Nina, coloré, sans cesse renouvelé malgré les figures imposées comme cette tour Eiffel qui semble sortie d'une toile de Raoul Dufy ou de Marc Chagall. Il est le Paris insaisissable qui traduit le désarroi de Valentin, tout à tour mélancolique voire sombre, paisible et secret comme ce jardin où le jeune homme a rencontré son premier amour, niché dans un sordide recoin du quartier juif. Il est ce Paris dont le peintre aimerait faire son œuvre mais dont il ne sait comment lui donner des couleurs. Il est ce Paris triste et gai souligné par la musique de Jacques Davidovici.

joseph morder

Seule entorse à ce principe, le film dans le film que vont voir Nina et Valentin dans un cinéma du Quartier Latin. Pastiche de film muet en noir et blanc perlé plus vrai que nature, mettant en scène deux femmes amoureuses incarnées par l’égérie du réalisateur, Françoise Michaud, et la vive Rosette venue de l'univers d'Eric Rohmer. Les deux actrices font passer le souvenir des stars du Hollywood muet, de Carla Bow et Louise Brooks.

Pour le réalisateur, ces peintures sont aussi une manière d'exprimer sa cinéphilie. « On dirait un décor de cinéma » s'extasie Nina devant un panorama de Notre Dame sur l'île de la Cité. De fait, Paris est en partie pour Morder un Paris hollywoodien classique. C'est le Paris s’inspirant des grands peintres qu'utilise Vincente Minelli dans la grande scène de An américan in Paris (Un américain à Paris – 1951) où Gene Kelly danse sur des décors de Renoir, Lautrec ou Van Gogh. C'est le Paris en technicolor de Stanley Donen et celui en noir et blanc somptueux d'Ernst Lubitsch. Ninotchka est d'ailleurs l'affectueux surnom que donne Valentin à sa grand-mère. Il aurait été impossible à Morder et son chef opérateur Benjamin Chartier d’obtenir la même richesse d'effets en travaillant sur le réel. Et ces peintures prennent un sens plus profond encore quand elles expriment ce que des mots seraient impuissants à formuler. Si le noir se fait au moment du récit des camps qui est une plongée dans l'horreur et vers la mort, c'est que la peinture, la couleur, l'expression artistique sensible représentent la vie. En mettant ses mots aussi limpides et terribles que ceux d'un Primo Levi sur son expérience pour la transmettre à son petit-fis, Nina se défait de ce qui la ronge et soulage Valentin de ce poids inconnu qui entravait sa vie. Il faut dire pour dépasser et vivre semble être la leçon de la duchesse de Varsovie. Il faut filmer à tout prix est le credo de Joseph Morder car filmer c'est vivre en matérialisant son monde intérieur. Montrer qui l'on est. Symboliquement, le cinéaste qui avait sollicité Steven Spielberg dans une lettre cinématographique pour faire un film racontant l'expérience de sa mère et de ses amies déportées, s'est donné la voix du père de Valentin, le fils de Nina. A tout point de vue, une affaire de famille.

joseph morder

A lire également chez le bon Dr Orlof.

Photographies : DR

27/03/2017

Joseph Morder et Rita Azevedo Gomes à Nice

Morder Gomes.png

26/03/2017

La vengeance d'une femme

A Vingança de uma Mulher (La vengeance d'une femme - 2011), un film de Rita Azevedo Gomes

Regards croisés Joseph Morder - Rita Azevedo Gomes

Cinéma Mercury à Nice les vendredi 31 mars et samedi 1er avril

Un texte de Josiane Scoleri.

La vengeance d'une femme est un objet de cinéma surprenant. Adapté d'une nouvelle de Barbey d'Aurevilly, le texte en a le saveur littéraire, dans une langue somptueuse et rare, servi par une actrice vibrante, entièrement habitée par son rôle (Rita Duãro, magnifique de part en part).

Mais cela ne suffirait pas à en faire un film à ce point singulier. En effet, avec La vengeance d'une femme, Rita Azevedo Gomes se propose, entre autres, de faire revivre le décor de cinéma comme on ne l'avait plus vu sur les écrans depuis les tout débuts du cinéma et de le faire dans une écriture totalement contemporaine en transformant le décor en un personnage à part entière.

Le film débute d'ailleurs dans les coulisses d'un théâtre/studio avec un narrateur costumier et/ou accessoiriste et nous avons même droit à un gros plan sur une poignée de porte en forme d'oreille en écho à notre désir plus ou moins avouable d'écouter aux portes. Mais le cinéma par définition va au-delà de ce désir en nous ouvrant toutes les portes et en nous montrant tous les envers du décor. À moins que ce ne soit un coquillage qui nous permettrait d'entendre la mer. Mais n'est-ce pas là encore une définition -plus poétique cette fois- du cinéma ?

rita azevedo gomes

Nous voici donc en présence de Roberto, dandy revenu de tout, séducteur par habitude, cynique par désœuvrement qui regarde passer les élégantes et nous gratifie au passage d'un commentaire plus ou moins acerbe pour chacune. Et là, tout de suite, nous sommes saisis par le décor de toile peinte devant lequel évoluent les personnages, agrémenté par quelques colonnades à l'antique. Si le tout début du film avait un léger parfum suranné, nous sommes ici stupéfaits devant tant d'audace. D'autant plus que la mise en scène fait « comme si de rien n'était » et enchaîne avec une scène de concert dans un magnifique salon aristocratique, superbement éclairé où Roberto s'ennuie et tire très vite sa révérence. À noter à ce propos, l'importance lancinante de la musique dans la montée en puissance dramatique du film, nous y reviendrons. En quelques minutes, nous sommes passés de la toile peinte des débuts du cinéma au décor soigneusement reconstitué qui ne tardera pas à la remplacer. Et pour ne rien oublier, nous aurons bientôt droit à un coin de rue en carton pâte dans la plus pure tradition des studios. On comprend là que le film, sous un aspect « classique » reflète une folle ambition.

Le film bascule avec la rencontre entre Roberto et l'inconnue dans sa très belle robe jaune soleil qui fait tout pour attirer l'attention comme n'importe quelle prostituée. Roberto la suit dans des ruelles faiblement éclairées -et visiblement entièrement fabriquées- qui nous gratifient de quelques plans tout en finesse où le jaune de la soie éclate dans la pénombre. Il nous faut là citer le nom du très grand directeur de la photo portugais Acacio de Almeida.

Puis virage à 180 degrés dès que nous sommes à l'intérieur. Dans un appartement éclairé par de grands candélabres, et surtout entièrement rouge, rouge comme le sang et comme la passion dont il va être question bientôt, nous entrons dans le monde de la duchesse Arcos de Sierra Leone, née Turre Cremata. Un mouvement de caméra tournant glisse lentement dans la pièce, sans paroles

sur une musique à cordes qui pourrait être du Schoenberg. Dit comme ça, ça pourrait paraître emphatique, mais Rita Azevedo Gomes a le sens de la dramaturgie et elle accorde sa caméra à l'intensité du propos. De même, un peu plus tard, lorsque la duchesse revient toute en noir après s'être changée, Roberto la porte dans ses bras et la caméra au-dessus d'eux se fixe sur le visage de la jeune femme avec un gros plan bouleversant sur les yeux de l'actrice.

rita azevedo gomes

Ce ne sont que deux exemples parmi d'autres de l'utilisation de l'outil caméra à des fins de mise en scène. Mais il nous faut aussi parler du montage et de la manière dont la réalisatrice tresse son récit dans différents espaces-temps : ce qui se passe dans la chambre de la duchesse, ce qu'elle raconte de sa propre histoire avec la réapparition de la toile peinte et ce qui nous est montré du cinéma en train de se faire avec par exemple ce très beau plan où l'actrice s'assied en coulisse son texte à la main. Ce qui est encore plus bluffant, c'est la fluidité avec laquelle nous passons d'un niveau à l'autre, comme si c'était le façon la plus naturelle de raconter une histoire !

Et ici, ça l'est effectivement.

À partir du moment où la duchesse parle de son passé, et surtout de son histoire d'amour, elle est en blanc, le blanc de l'innocence qui contraste avec le rouge de la pièce ou le noir de sa tenue précédente. Toutes les scènes qui racontent le bonheur sont dans des couleurs claires, ivoire ou sable qui disent la délicatesse des sentiments et l'élévation de l'âme. Seules les roses sont rouges, mais d'un rouge orangé délicat. Nous sommes dans l'amour courtois des troubadours et nous entendons les oiseaux chanter.

Et pourtant, pendant tout ce temps, nous savons que cette histoire sera forcément tragique. Ce que nous ne pouvions pas imaginer, c'est qu'elle serait à ce point féroce. La mise en scène voulue par le duc est impitoyable, celle de Rita Azevedo Gomes se fait minimaliste, elle flirte avec le théâtre pour obtenir un maximum de tension dramatique. Et la mise à mort de Estevao, le jeune amant de la duchesse, semble puiser aux sources du mythe et de la tragédie grecque. Elle sera sans appel, comme les sentences des dieux.

On pourrait se demander après un tel paroxysme comment la réalisatrice va poursuivre son récit. Mais c'est à l'aune de cette violence que se mesure l'intensité de la vengeance de la duchesse. Vengeance qu'elle mène jusqu'au bout, même si le duc n'en saura rien. "Mais moi, je le saurai" dit-elle. La vengeance, c'est bien connu, se situe avant tout dans la tête du vengeur. Mais elle finira néanmoins par s'accomplir puisque Roberto apprendra la mort de la duchesse au cours d'une réception à l'ambassade d'Espagne. Le duc ne pourra donc plus ignorer que son illustrissime nom de famille aura été précipité aux abysses par sa femme morte prostituée et rongée par la syphilis comme ces visages de pierre filmés en gros plan avant que Roberto ne pénètre dans la chapelle ardente.

Pour boucler la boucle, le film se termine avec la voix du narrateur sur un décor vide. Les personnages l'ont déserté et la lanterne magique va s'éteindre...

Autrement dit, La vengeance d'une femme est avant tout un film sur le cinéma, son histoire, sa puissance narrative et ses artifices.. C'est un film hommage à tous les aspects du cinéma, le magnétisme des acteurs, la féerie de la couleur et des costumes, la science de la lumière, le découpage du temps et de l'espace... En un mot, c'est un très grand film.

16/03/2017

Requiem pour Alan Ladd

13 West Street (Lutte sans merci - 1962) un film de Philip Leacock

Texte pour Les Fiches du Cinéma

Curieux polar américain plutôt modeste que ce 13 West Street (Lutte sans merci) tourné en 1962 par un metteur en scène anglais, Philip Leacock. Curieux projet adapté du livre The tiger among us écrit par la géniale romancière et scénariste Leigh Brackett. Un projet d'abord ambitieux sous la houlette du producteur Charles Schnee qui imagine John Wayne dans le rôle principal. Difficile d'imaginer le Duke dans le rôle du scientifique Walt Sherill, agressé un soir par une bande de jeunes et qui, devant le peu d'énergie de la police, entreprend de remonter leur piste. C'est que les agresseur ne répondent pas à un stéréotype, celui disons de The backboard jungle (Graine de violence -1955) de Richard Brooks. Ce ne sont pas des cas sociaux, mais des cas psychologiques. Ils sont bien mis, vivent dans les beaux quartiers et semblent sortis d'un inoffensif film de teen-agers. Ils n'en sont que plus redoutables à commencer par le meneur, Chuck Landry, qui évoque les jeunes étudiants de Rope (La corde – 1948), le film d'Alfred Hitchcock. Difficile disais-je d'imaginer Wayne victime d'une telle bande. C'est donc un autre film qui se fera et Sherill va être incarné à l'écran par Alan Ladd.philip leacock

Star du film noir et du western, héros emblématique du Shane (L'Homme des vallées perdues - 1953) de George Stevens, Ladd est en perte de vitesse au début des années soixante après quelques films mineurs. L'acteur négocie mal l'évolution de Hollywood à l'époque. Il a même tenté l'aventure du peplum italien. Il s'engage dans ce film comme vedette et comme producteur. Il est probable que Ladd a trouvé des résonances particulières dans le rôle de Sherill. Comme lui, l’ingénieur est d'abord un homme qui n'est plus en phase avec son époque. Il y évolue le visage tiré, le corps crispé, raide, comme absent. Malgré son travail dans le domaine spatial, signe extérieur de modernité, Sherill apparaît comme décalé. L'Amérique de 1962 est pour lui un monde hostile et incompréhensible. Il a des problèmes dans son travail et ses compétences sont mises en doute. Il est victime d'une agression gratuite lors de laquelle son courage physique ne lui sert à rien. Ses agresseur le prennent en traître, à plusieurs où par surprise, la nuit quand il a déjà été blessé. Ses patrons ne lui manifestent que la compassion minimum quand ils ne cherchent pas à le menacer. La police incarnée par l'inspecteur Koleski joué par Rod Steiger préférerait étouffer l'affaire.

L'homme d'action, incarnation des valeurs américaines, est impuissant face à une société devenue trop complexe. Alan Ladd qui réglait les problèmes colt à la main, en étant sûr de son bon droit et des frontières entre le bien et le mal, est cette fois perdu face aux comportements de ses contemporains. Il doit encaisser les coups tant physiques que psychologiques en espérant ne pas tout perdre. L'acteur s'investit à fond dans cette dimension du film et lui donne tout son prix. Le regard qu'il porte sur son temps et son époque possède une force pathétique qui me touche. Seule son épouse, incarnée par la belle Dolores Dorn apporte une part de réconfort à Sherill même si elle a du mal à vraiment comprendre ce qui le ronge. Symboliquement, la jeune actrice venait de jouer dans Underworld U.S.A. (Les bas-fonds new-yorkais – 1961), polar emblématique d'une nouvelle modernité signé par Samuel Fuller.

philip leacock

Tout ceci pouvait donner une œuvre âpre et puissante. Pourtant le film manque d'une vraie énergie. Philip Leacock , le réalisateur venu du documentaire n'a pas le même degré d'implication que sa vedette. Et peut être que, homme de télévision, anglais, il ne saisit pas les enjeux d'un tel récit. Fuller ou Robert Aldrich auraient pu... mais inutile de rêver. Tel qu'il est, 13 West Street est un polar honorable, bien mené malgré quelques coups de mou, avec une esthétique très années soixante, écran large, noir et blanc signé Charles Lawton Jr. qui a travaillé pour rien moins que John Ford et Orson Welles. Outre une distribution solide, ce film possède désormais avec les années une intéressante valeur documentaire. Tout son arrière plan du Los Angeles du début des années soixante, banal au temps du tournage, est aujourd'hui un rien excitant : les rues, les voitures, les intérieurs, les maisons, les petits chapeaux des hommes, les tenues des femmes, la sociologie des quartiers, tout ceci rehausse la valeur cette œuvre modeste. 13 West Street est un film bien de son temps au contraire de son héros. Restent aussi quelques scènes assez intenses, de l'agression originale au final tendu entre Landry et la femme de Sherill qui dégage un érotisme trouble. Et puis la silhouette plus fragile que je ne l'aurais cru de l'homme des vallées perdues.

Photographies : © Columbia

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25/02/2017

Relax (8)

Guy Madison.jpg

L'acteur Guy Madison pose décontracté en marge du tournage du film d'Anthony Mann The last frontier (La charge des tuniques bleues - 1955). Photographie © Columbia Pictures

19/02/2017

Lalala lalaheu

La La Land (2016), un film de Damien Chazelle

Le cinéaste Damien Chazelle semble plus doué pour filmer la musique que le chant et la danse. Son nouveau film qui plaît à beaucoup de monde se place dans la tradition de la comédie musicale classique. Mais passé la première scène enthousiasmante qui voit les automobilistes coincés dans un embouteillage sur une bretelle d'autoroute à Los Angeles sortir de leurs voitures pour un numéro dynamique et coloré, La La Land ne m'a pas convaincu. C'est à dire qu'il ne m'a pas transporté, exalté, fait frémir de cette joie particulière que dégage une comédie musicale réussie. Pourtant Chazelle connaît ses classiques et les cite avec application de Stanley Donen à Vincente Minelli, faisant un détour sur Jacques Demy. Ce n'est pas un problème de scénario, Chazelle l'a écrit lui-même et son histoire d'une une aspirante actrice (Mia) et d'un pianiste de jazz intransigeant (Sebastian), tiraillés entre leurs rêves de carrière et leur amour forcément contrarié, en vaut bien d'autres. A vrai dire, La La Land fonctionne sur le même principe que le précédent opus de Chazelle, le remarquable Whiplash (2014), une histoire bien classique enveloppée dans une forme séduisante. Cette fois, la mise en scène est plus problématique. Chazelle est passionné de technique et a du mal a contenir sa virtuosité. La première scène est filmée en plan séquence, pourquoi pas, mais très vite les mouvements tourbillonnants, le montage haché et le goût de l'effet pour l'effet ont tendance à parasiter ce qui est quand même au cœur de la comédie musicale, c'est à dire les mouvement des danseurs. C'est ce qui rendait déjà irregardable un film comme Moulin Rouge (2001) de Baz Luhrmann. Je ne veux pas jouer au puriste comme Sebastian, mais il me semble que ce qui compte et qui doit toucher, c'est la beauté de la danse, l'élégance et la performance des danseurs exprimant les sentiments, pas le travail de la caméra. La mise en scène doit être au service du numéro, pas le numéro un prétexte pour en mettre plein la vue avec la mise en scène. Et c'est très délicat, nécessitant à la fois un grand talent et une certaine humilité. De ce point de vue, sans toucher le fond clippé de Luhrmann, Chazelle se laisse trop aller.

damien chazelle

Dooooucement....

C'est aussi, et c'est parfois gênant, que la comédie musicale La La Land est limitée dans sa partie musicale par les capacités des comédiens. Emma Stone et Ryan Gosling sont plutôt bons acteurs, mais à l'évidence il ne sont ni de grands danseurs, ni de grands chanteurs. S'il est vain de vouloir comparer Gosling à Gene Kelly, le fait que Chazelle par ses références de cinéphile plaque l'image de l'un sur le souvenir iconique de l'autre est destructeur pour son film. Un exemple entre dix, la scène nocturne de la première danse nocturne sur la colline démarque le ballet entre Cyd Charisse et Fred Astaire dans Central Park pour Minnelli dans The band wagon (Tous en scène – 1953) où le couple se forme à travers la danse. Du classique. Mais le sentiment amoureux se révèle par la montée en puissance de la danse, passage d'un pas ordinaire à un pas dansé puis à des figures de plus en plus enlevées dont les connotations n’échapperont à personne. Ce qui fait fonctionner une telle scène, c'est la libération des corps via les qualités des danseurs, la grâce qui se dégage de la chorégraphie. C'est quelque chose qui ne supporte pas l'à-peu près. Or sans leur faire injure, les capacités des acteurs de Chazelle ne sont pas à la hauteur. La scène ne décolle pas plus que les pas de Gosling et Stone. Elle reste à l'état d'idée, parfois intéressante, mais presque toujours décevante.

J'ai eu le même problème avec les voix. En bon admirateur de Demy, Chazelle sait certainement que le réalisateur français faisait doubler ses comédiens pour les chansons (au grand regret de Catherine Deneuve). Là encore le manque de maîtrise du chant brise l'élan de plusieurs scènes. Sans ressortir les classiques, il suffit de se souvenir du travail de Roy Scheider sur All that jazz (Que le spectacle commence – 1979) de Bob Fosse pour mesurer la différence. Reste que Chazelle aurait pu jouer de l'inexpérience de ses acteurs pour donner une fragilité à leurs personnages pour nourrir le fond de mélancolie du récit. Mais c'est le grand écart avec sa volonté affichée de retrouver l'éclat des classiques. Gosling n'est pas non plus Frédéric Forrest dans One from the heart (Coup de cour – 1982) de Francis Ford Coppola poussant la chansonnette d'une voix mal assurée pour Teri Garr. Plus simplement, Chazelle ne retrouve pas le subtil équilibre de Woody Allen dans Everyone says i love you (Tout le monde dit I love you – 1996) où Allen ne doublait personne, lui y compris, et tirait le meilleur de ce choix. Lui aussi faisait voler sa partenaire, Goldie Hawn, mais avec une poésie véritable. Le succès de La La land est surtout révélateur notre frustration actuelle de films musicaux.

damien chazelle

You must remember this

Il y a pourtant une partie du film que je trouve réussie, c'est tout ce qui a trait à la musique, à l'amour du jazz manifesté par Sebastian, son obsession à ouvrir un club spécialisé et les compromis qu'il accepte pour y parvenir, jouant pour un groupe plus moderne. Si Gosling claquette moyen, il est excellent quand il explique à Mia l'essence du jazz. Il est drôle dans sa fixation sur un tabouret de bar où se sont posées les fesses de tel jazzman célèbre. Il est crédible quand il joue du piano. Les meilleures scènes du film sont celles des concerts, celui de la piscine avec la reprise de A-ha (quel souvenir!), ceux des clubs jazz où celui plus rock avec le groupe. Chazelle retrouve là la passion qu'il manifestait à filmer la musique dans Whiplash et sa virtuosité est plus adaptée. Chaque concert est mêlé à une partie du récit dramatique de l'histoire du couple et illustre les étapes du cheminement intérieur des personnages. Il y a une résonance bien moins plaquée que dans les scènes de musical. Il y aurait donc deux films dans La La Land, le plus intéressant étant le plus discret.

Photographies : © SND

05/02/2017

Relax (7)

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Steven Spielberg en ses jeunes années, un réalisateur détendu. DR.