Le gouvernement canadien appuie la rhétorique belliqueuse de Trump contre la Corée du Nord
Par Roger Jordan
21 août 2017
Alors que le président américain, Donald Trump, fait des déclarations belliqueuses contre la Corée du Nord qui démontrent que Washington est prêt à provoquer un conflit militaire catastrophique dans le nord-est de l'Asie, qui ferait des millions de victimes, le gouvernement canadien a indiqué qu'il se range entièrement du côté de l'impérialisme américain.
Le 11 août, le même jour que Trump proclamait que les capacités militaires américaines, incluant les armes nucléaires, étaient «prêtes à être lancées», la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a publié une déclaration affirmant qu'Ottawa voyait Pyongyang comme une «grave menace». «Nous devons trouver un moyen de faire pression et de persuader la Corée du Nord que la voie prise jusqu'à maintenant... cette voie ne peut avoir de conclusion positive pour la Corée du Nord», a affirmé Freeland.
Freeland est demeurée silencieuse sur les menaces de Trump et les déclarations du secrétaire américain à la Défense, James Mattis, qu'une guerre avec la Corée du Nord signifierait la destruction de son régime politique et de son peuple. Plus encore, elle a effectivement appuyé cette position forte, affirmant que quand les alliés du Canada sont en danger, «nous sommes là».
Le silence délibéré d'Ottawa sur les provocations irresponsables et dangereuses de l'administration Trump, qui est la première responsable de la crise actuelle, démontre que le gouvernement libéral soutiendra l'impérialisme américain jusqu'au bout dans un conflit qui pourrait rapidement escalader. Une guerre entre Washington et Pyongyang pose la menace concrète d'une entrée en scène de la Russie et de la Chine, deux puissances nucléaires qui possèdent des frontières communes avec la Corée du Nord qui ne resteront sûrement pas les bras croisés alors que les États-Unis s'engagent dans une guerre de changement de régime à leur porte. Une telle conflagration catastrophique ne mettrait pas seulement en danger direct les millions de personnes vivant sur la péninsule coréenne et l'Asie du nord-est, mais pourrait déclencher une guerre mondiale.
Les propos de Freeland sont le dernier exemple en date des efforts concertés du gouvernement libéral canadien de renforcer le partenariat stratégique et militaire avec l'impérialisme américain. Depuis leur arrivée au pouvoir en 2015, les libéraux ont significativement augmenté la présence militaire canadienne dans plusieurs opérations dirigées par les Américains, incluant dans la zone Asie-Pacifique.
En concordance avec la militarisation américaine contre la Chine, qui est la véritable cible des menaces à l'égard de la Corée du Nord, le Canada a déployé de nouvelles forces navales dans la zone Asie-Pacifique afin de participer aux exercices de «liberté de navigation» dirigés par les États-Unis dans les eaux contestées de la mer de Chine méridionale. Seulement le mois dernier, le National Post signalait que des navires de guerre chinois avaient suivi des vaisseaux canadiens durant une telle manœuvre conjointe avec des vaisseaux américains. Le NCSM Ottawa et le NCSM Winnipeg ont également fait deux arrêts en Corée du Sud pendant leur déploiement pour participer à des exercices conjoints.
En avril, quand l'administration Trump a commencé à faire croitre les tensions avec Pyongyang, le ministre de la Défense Harjit Sajjan a clairement affirmé que le Canada était prêt à entrer en guerre contre la Corée du Nord. Faisant remarquer que les Forces canadiennes faisaient toujours partie du Commandement des Nations unies en Corée, établi pendant la guerre de Corée qui s'étendit de 1950 à 1953, Sajjan a affirmé que dans l'éventualité d'un conflit opposant les États-Unis et la Corée du Nord, les Forces canadiennes seraient mise à disposition à travers la structure de commandement des Nations unies.
Le Canada a servi en tant qu'allié majeur des États-Unis pendant la guerre de Corée, envoyant plus de 25.000 soldats pour participer au conflit, lequel a fait perdre la vie à plus d'un million de personnes et a dévasté la majeure partie des centres urbains nord-coréens.
Tout en approuvant tacitement l'escalade irresponsable de Trump dans son bras de fer avec la Corée du Nord, Ottawa cherche à fournir aux actions de Washington une couverture diplomatique. Freeland a indiqué le 11 août dans une déclaration qu'il était nécessaire d'amener une «désescalade, pour vraiment faire comprendre à la Corée du Nord qu'elle doit sortir de cette voie qui est si destructrice pour la Corée du Nord et le monde».
Pendant ce temps, le premier ministre Trudeau a envoyé son conseiller en sécurité nationale, Daniel Jean, pour diriger les négociations en Corée du Nord afin d'assurer la libération de Hyeon-Soo Lim, un pasteur canadien détenu par le régime. Le réel objectif d'engager un officiel d'un si haut rang dans les pourparlers fut révélé suite à la libération de Lim lorsque la CBC a signalé que Jean et ses homologues nord-coréens ont également discuté d'enjeux plus larges lors de leur rencontre. Trudeau a refusé de donner plus de détails, prétextant des considérations de sécurité nationale.
Les engagements diplomatiques de Freeland contrastent grandement avec les antécédents du gouvernement libéral. Deux mois auparavant, elle déclarait dans un discours sur la politique étrangère que la «force dure», c'est-à-dire la guerre, serait une composante centrale de la politique étrangère canadienne dans l'avenir. La ministre des Affaires étrangères a spécifiquement identifié la montée de la Chine comme étant une «menace» pour la stabilité mondiale, affirmant qu'il était nécessaire de l'intégrer dans l'ordre économique et politique dominé par les États-Unis. Son discours a préparé le terrain pour une annonce de Sajjan concernant une hausse des dépenses militaires de 70% au cours de la prochaine décennie afin de financer l'achat de nouveaux systèmes d'armement et d'équipement, et pour élargir l'armée.
L'opposition conservatrice et les commentateurs de la politique étrangère ont saisi la menace de guerre avec la Corée du Nord pour presser les libéraux à aller plus loin dans leur élan de remilitarisation. Peter McKay, le précédent ministre de la Défense au sein du gouvernement Harper, a dit regretter sa décision de ne pas intégrer le bouclier de défense antimissile dirigé par les États-Unis, qui, malgré son nom, vise à procurer à Washington la possibilité de mener une guerre nucléaire contre ses rivaux géopolitiques et de la gagner.
Conrad Black, le propriétaire de journaux néoconservateur qui a soutenu l'élection de Trudeau après avoir conclu que Harper avait échoué à mettre de l'avant l'impérialisme canadien sur l'échiquier mondial, a déclaré son entière solidarité avec la belligérance de Trump. «Trump et Mattis parlent de bombardements systématiques et de frappes précises de missiles conventionnels et de bombes intelligentes à une échelle qui éliminerait toute cible militaire en Corée du Nord et impliquerait inévitablement quelques dommages collatéraux à la population civile», écrit Black dans le National Post. «Les États-Unis possèdent certainement les moyens d'infliger de tels dégâts, et il n'est pas inapproprié de penser en de tels termes à l'heure actuelle».
Les soi-disant figures libérales ne sont pas moins enthousiastes à propos d'une intervention canadienne plus poussée dans la crise. Tina Park, cofondatrice du Canadian Centre for the responsability to Protect (R2P), a écrit un commentaire invité dans le magazine Maclean's dans lequel elle s'enthousiasme du passé canadien dans la péninsule coréenne, incluant le déploiement de «26.000 jeunes et brillants Canadiens» qui se sont «enrôlés pour servir en Corée pour la défense de la liberté et de la sécurité» pendant la guerre de Corée. Le Canada et la Corée du Sud ont longtemps conservé des intérêts sécuritaires et économiques étroits, affirme-t-elle, et elle note que les États-Unis, la Corée du Sud et le Canada ont maintenu une «amitié spéciale tout au long de la Guerre froide».
Malgré sa tentative de dépeindre le Canada comme un «intermédiaire honnête» apte à faire la médiation lors de disputes, le réel objectif de Park devient clair lorsqu'elle affirme que la situation à laquelle est confrontée la population nord-coréenne appelle à «notre responsabilité collective de protéger (R2P)». Depuis son développement à l'aube des années 2000 par une commission internationale financée par le Canada, le R2P a servi de justification idéologique pour un changement de régime après l'autre, le plus notable étant le violent bombardement aérien de l'OTAN en Libye en 2011, qui a mené à la mort des dizaines de milliers de personnes et plongé le pays dans une violente guerre civile.
Le Nouveau Parti démocratique (NPD), dont le personnel dirigeant a critiqué l'échec du gouvernement Trudeau à s'opposer à Trump sur des questions économiques comme la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain, n'a rien à dire à propos de l'approche belliqueuse du président américain qui laisse peser la menace d'une guerre contre la Corée du Nord. Démontrant encore une fois le parti pris proguerre du NPD, pas un seul des cinq aspirants à la chefferie du parti cet automne n'a fait de déclaration sur la crise nord-coréenne des dernières semaines, sans parler qu'aucun ne fait du risque de guerre un enjeu majeur dans cette campagne à la direction.
(Article publié en anglais le 16 avril)