Journée d’étude « Ethnologie chez soi »

Pour journée d'études Ethnographie chez soi

Date :
Mardi 22 mars 2016

Lieu :
Musée de l’Homme
17, place du Trocadéro et du 11 Novembre, 75016 Paris
Salle Claude Lévi-Strauss

Organisation et contacts :
Sef : Anne Monjaret (IIAC-Lahic, CNRS-EHESS), Vincent Rubio (Université Paris Ouest – Sophiapol – GDR Lasco) et Sylvie Sagnes (IIAC-Lahic, CNRS-EHESS)
Afea : Delphine Burguet (RAE-EHESS) et Chloé Rosati-Marzetti (Université de Nice-Sophia Antipolis, Lapcos)

 

Argumentaire 

Qu’est-ce que faire de l’ethnologie « chez soi », de l’ethnologie « du proche » pourrait-on également dire ?

Comment le chercheur peut-il porter un regard sur sa propre société ?

Questionner « l’ethnologie chez soi » suppose d’interroger le traitement possible de la distance. Longtemps prônée par les ethnologues des lointains grâce à la distance géographique que permettaient leurs terrains éloignés, elle relevait d’une projection loin dans le temps pour les ethnologues de la proximité. Si ce questionnement n’est pas nouveau, il mérite d’être repris à la lumière du contexte contemporain (notamment du développement d’Internet qui modère, sinon efface les distances géographiques), en revenant sur les différentes manières de concevoir et de pratiquer aujourd’hui cette ethnologie « chez soi », au figuré comme au propre.

C’est principalement à la construction de la distance ethnologique que nous nous intéressons ici, une distance que certains trouvent, éprouvent, grâce au détour par l’histoire, que d’autres marquent par le choix d’étude d’une classe sociale, d’une culture, d’un genre, etc., se différenciant de leurs appartenances personnelles. Cela étant, l’ethnologue tend aussi à investir des mondes sociaux qui ne sont plus simplement au voisinage des siens, mais qui sont à proprement parler les siens (sa famille, sa discipline, etc.). Comment dès lors la distance se réinvente-t-elle ?

Cette question en appelle une autre, tout aussi majeure en ethnologie : celle du traitement de l’Altérité dans une société concernée par un mouvement de globalisation, qui a pour effet de perturber la distinction entre l’autre et le semblable, entre le « eux » et le « nous », de la redéfinir, voire de la nier (citoyens du monde). Comment les ethnologues sont-ils alors amenés à adapter leurs approches pour mieux se caler sur les réalités sociales qu’ils étudient ?  Lui-même pris dans ces dynamiques de recomposition identitaire, l’ethnologue voit le savoir de l’autre hissé à hauteur du sien. Sur le principe de cette égale dignité des compétences, se fondent de nouveaux dispositifs de recherche, dits participatifs ou collaboratifs, le plus souvent à visée d’application, amenant le chercheur à travailler non plus seulement sur mais avec ses informateurs. Dans ces configurations inédites, où la proximité du « chez soi » se resserre singulièrement, comment l’ethnologue bouscule-t-il les cadres habituels de sa recherche, pour quelles innovations méthodologiques et pour quelles réponses à la demande   sociale ?

 

Programme

10h – Présentation de la journée et de l’intérêt du partenariat  (Afea et Sef)

10h20 – Introduction : « Vous cherchez l’exotisme dans le papier peint »

Anne MONJARET, Présidente de la Sef, IIAC-Lahic, CNRS-EHESS

10h40 – Enquêter chez soi : le récit d’expérience d’une Grassoise

Chloé ROSATI-MARZETTI, Université de Nice-Sophia Antipolis, Lapcos

Il est aisé de penser qu’il est plus confortable d’étudier sa propre culture puisque nous la connaissons déjà… Or, il n’en est rien. C’est ce que j’ai découvert à l’occasion d’un travail doctoral sur ma propre ville : Grasse. Ayant grandi et y vivant, mon étude du terrain grassois a entraîné une importante réflexion méthodologique. Elle a imposé un retour réflexif sur le positionnement à adopter face à une multitude d’a priori, qui, jusque-là, correspondait aux idées que je me faisais de ma ville. Comment redécouvrir son espace de vie avec les yeux du chercheur ? Comment utiliser les discussions tenues avec son entourage (professionnel ou personnel) et les transformer en discours scientifique ? Cette présentation propose un récit d’expérience. Elle présente les avantages et les inconvénients, ainsi que les moyens mis en œuvre pour trouver la « bonne distance » (N. Dias, 2005 ; J. Favret-Saada et C. Isnart, 2008) sur un terrain qui apparaît souvent comme « trop » proche. Comment prendre le recul nécessaire pour tenter d’objectiver sa propre subjectivité ? Partir, s’éloigner pour mieux appréhender son terrain, dépouiller les archives et remonter l’histoire du lieu pour comprendre ce qu’il est aujourd’hui sont des exemples de stratégies adoptées ici pour tenter de créer ce qui serait cette « juste distance » (A. Bensa, 1995).

11h10 – Pause-café

11h20 – La prison du coin de la rue et l’évasion romanesque : quand les proximités imposent les détachements

Philippe COMBESSIE, Université Paris Ouest – Sophiapol

Depuis mon enfance, j’étais en position de proximité double, et donc trouble, avec l’univers carcéral ; j’avais des proches de chacun des deux côtés de cet espace dramatiquement scindé, clivé par l’ordre social contemporain qui édifie, à travers la prison, une barrière drastique entre « le bien » et « le mal ».

Deux formes de détachement se sont alors imposées à moi. Le premier consista en un éloignement, d’une dizaine d’années, entre mon dernier séjour à proximité d’une prison et mon premier projet de recherche concernant l’enfermement carcéral. Le second m’invita à adopter un point de vue distancé par rapport à la question pénitentiaire, alors que la plupart des sociologues l’approchent dans une perspective fortement empreinte de militantisme. Ces positionnements me conduisirent à moins focaliser mes analyses sur la prison elle-même que sur ce qu’elle nous révèle de la société qui la sécrète.

11h50 – Discussion

12h30-14h00 – Repas

14h00 – Il faut abolir la distance, même « juste »

Nicolas ADELL, Université Toulouse Le Mirail – Jean Jaurès, Lisst

L’anthropologie a fondé la totalité de ses démarches et de ses réflexions méthodologiques et épistémologiques autour de la notion de distance : distance à réduire quand les mondes de l’anthropologue et de ses enquêtés paraissaient irréductibles l’un à l’autre ; distance à construire quand, au contraire, les sujets se présentaient comme immédiatement accessibles et « identiques ». Distance, dans tous les cas, à documenter : où suis-je et qui suis-je pour ceux dont je cherche à rendre compte ?

Sur ces aspects, l’essentiel des débats a porté sur l’éthique de la recherche anthropologique : comment élaborer une distance qui soit « juste » ? où est la « juste distance » (A. Bensa) ?

Mais l’on a laissé dans l’ombre la question même de la légitimité de cet écart « nécessaire ». Il semblait acquis que tout raisonnement scientifique et toute proposition qui s’en réclame n’existent qu’à la condition qu’une « distance », garante d’une objectivité ou d’une subjectivité contrôlée, sépare l’observateur de l’observé.

C’est précisément ce qui est remis en cause, dans les dernières années, avec le développement de l’ethnologie de soi (qui n’est pas forcément « chez soi ») et de l’autoethnographie, qui sont au fondement de plusieurs recherches actuelles, dont celles conduites en France autour de la « vie savante ».

14h30 – Ethnographier le cyberespace ? Le cas de la prostitution étudiante en ligne

Vincent RUBIO, Université Paris Ouest – Sophiapol – GDR Lasco

Cette communication s’appuie sur l’expérience et les données d’une recherche de terrain de deux ans ayant pour objet la prostitution masculine homosexuelle sur Internet exercée en France par de jeunes hommes, étudiants âgés de 18 à 25 ans. En mobilisant une partie des résultats de ce travail et en mettant au jour les « ratés » de l’enquête, on montrera comment le chercheur a opéré par observation participante sans l’avoir planifié et, plus loin, en n’en prenant véritablement conscience qu’au moment de la mise à plat du matériau empirique. Cette singulière expérience d’un recueil de données « par inadvertance » sur un terrain à l’égard duquel le chercheur n’avait, pour reprendre les termes de Daniel Bizeul, ni support d’accointances antérieures, ni souci militant, ni engouement particulier, n’interroge pas simplement le travail de réflexivité et l’analyse de la relation enquêteur-enquêté propres à toute investigation de type empirique en sciences sociales. Elle constitue tout autant l’occasion d’examiner les modalités – et, au fond, les conditions de possibilités mêmes – d’une ethnologie chez soi entendue au sens d’une description ethnographique « à distance », c’est-à-dire réalisée depuis un écran d’ordinateur, se dispensant alors de la coprésence (physique et actuelle) des différents protagonistes de ce qui demeure pourtant toujours fondamentalement une coproduction.

15h – Pause-café

15h15 Les terrains du patrimoine immatériel : enquêter avec les enquêtés

Laurent Sébastien FOURNIER, Université Aix-Marseille, Idemec

La convention de l’UNESCO de 2003 sur la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel recommande la participation des communautés à la définition de ce qu’elles considèrent comme étant leur patrimoine. En France, pays où cette convention a été ratifiée en 2006, c’est le ministère de la culture qui doit veiller à sa mise en œuvre. Or l’ethnologie est la discipline d’appui du ministère de la culture en matière de recherche sur le patrimoine culturel immatériel. Les ethnologues sont donc invités depuis quelques années à réfléchir aux différentes manières de susciter la participation des communautés en vue de répondre au mieux aux recommandations de l’UNESCO. Cela conduit à imaginer des postures méthodologiques nouvelles pour intéresser les enquêtés à la recherche ethnologique et co-construire avec eux des analyses qui ne correspondent pas toujours aux canons de la discipline.

15h45 – Comment penser l’articulation entre la recherche et l’action patrimoniale ? Recherche ethnologique sur les mémoires des migrations en Rhône-Alpes

Marina CHAULIAC, DRAC Rhône-Alpes, IIAC-CEM

Les mémoires des migrations font l’objet d’un investissement important de la part de divers acteurs culturels en Rhône-Alpes depuis la fin des années 1990. Non seulement du côté associatif, avec la mise en place d’un réseau et d’une biennale sur la question, mais aussi du côté des collectivités territoriales, avec la création de structures culturelles comme le Rize à Villeurbanne (2008) ou le centre du patrimoine arménien à Valence (2005). Les services déconcentrés de l’Etat ont accompagné ce dynamisme, à la fois dans le cadre de la politique de la ville et dans le cadre de la politique culturelle via la direction régionale des affaires culturelles (DRAC). Les différentes actions menées posent la question des stratégies de reconnaissance adoptées par les acteurs pour inscrire l’immigration dans le patrimoine sinon national, du moins local et de la façon dont une collectivité intègre l’immigration dans la construction d’une identité locale. Au final, il est toujours question de la façon dont s’opère un travail de traduction des traces de l’immigration en objet « patrimonialisable ».

Je me suis emparée de cette problématique dans une double posture à la fois de chercheure en tant qu’anthropologue travaillant sur les questions mémorielles et d’acteur en tant que conseillère pour l’ethnologie au sein de la DRAC susceptible d’orienter et financer les projets sur les mémoires des migrations. Ce double statut m’a amené à reconsidérer mon statut de chercheure pour trouver la « juste distance » (A. Bensa) engagée sur le plan professionnel ainsi que citoyen dans les actions de patrimonialisation. Plus précisément, un travail de recherche menée avec Nancy Venel sur la prise en compte de la mémoire de l’immigration par la ville de Villeurbanne via son établissement culturel, le Rize, a nécessité de mettre en place une collaboration avec l’équipe de l’établissement qui permette de mettre en partage les analyses de chacun sans renoncer à nos problématiques de recherche.

16h15 – Discussion

En raison de l’état d’urgence, les inscriptions à la journée se font par voie électronique conjointement auprès de Delphine Burguet (burguet.delphine@gmail.com) et Chloé Rosati-Marzetti (chloe.rosati@gmail.com)


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