A San Francisco, la tour qui veut ĂŞtre plus haute que le brouillard

A la mesure des ambitions de la tech

On la voit de partout. D’un peu trop partout, même. Des hauteurs de Berkeley, du comté de Marin, du Fisherman’s Wharf… La nouvelle tour Salesforce, du nom du champion du cloud computing et du logiciel de bureau, est désormais omniprésente dans le paysage de San Francisco. Le skyline a un invité de plus. Un géant qui dépasse ses voisins de plusieurs têtes, à la mesure des ambitions de la « tech ».

Depuis le 11 octobre, la tour a dĂ©passĂ© l’auguste pyramide TransAmerica, qui rĂ©gnait depuis 1972 Ă  260 m au-dessus de l’horizon. AchevĂ©e le 6 avril, elle est devenue l’édifice le plus Ă©levĂ© Ă  l’ouest du Mississippi. Quand la dernière poutrelle a coiffĂ© le gratte-ciel, Marc Benioff, le PDG de Salesforce, lui-mĂŞme d’une stature imposante (131 kilos pour 1,96 m) a conviĂ© quelques privilĂ©giĂ©s au 60e étage : la presse, l’ancien maire de la ville, Gavin Newsom, qui brigue la succession du gouverneur Jerry Brown, et l’archevĂŞque de San Francisco, Mgr Savatore Cordileone. Tous ont Ă©tĂ© Ă©poustouflĂ©s par la vue.

A raison de deux nouveaux étages par semaine, San Francisco avait eu le temps de s’habituer. Mais quand la couronne conique a été juchée au sommet de l’obélisque, la ville a réalisé que quelque chose avait irrémédiablement changé. Certains employés de Salesforce se découvrent eux-mêmes un peu embarrassés par l’absence de modestie de leur nouveau siège, symbole s’il en était besoin, de l’insolente prospérité de la tech. 10 000 d’entre eux commenceront à y emménager en octobre. Ils occuperont les trente premiers étages, ainsi que les deux derniers.

« Manhattanisation »

S’ils sont progressistes sur le plan politique et culturel, les habitants de l’ancienne capitale de la contre-culture sont archi-conservateurs dès qu’il est question de leur environnement. La tour – œuvre du cabinet du maître architecte Cesar Pelli – n’a « que » 326 m de haut. Elle n’atteint pas les sommets du One World Trade Center à New York (540 m) ni même de l’Empire State building (443 m). Rien qu’à Shenzhen, en Chine, on compte treize édifices plus élevés.

Mais dans le ciel égalitariste de San Francisco, ce ciel dégagé qui donne à la ville un sens aigu du climat et des éléments, une telle irruption est vécue comme une perturbation fracassante. Un argument de plus dans le débat passionné qui oppose les partisans du développement urbain et ceux qui craignent que leur ville ne perde encore un peu plus son identité. « Gratte-ciel, voitures autonomes, montée des eaux, sans oublier le grand tremblement de terre : San Francisco est-elle prête » ? s’interroge le San Francisco Chronicle.

La plus haute -pour l’instant- Ă  l’Ouest du Mississippi

Un camp du non s’est dĂ©jĂ  dessinĂ©. Ceux-lĂ  dĂ©noncent la « manhattanisation » de San Francisco, menacĂ©e comme New York de voir le ciel rĂ©trĂ©cir, Ă  cause des gratte-ciel. L’outrecuidance de l’édifice. « C’est comme le prĂ©sident Trump sur CNN. Impossible de l’éviter », ironise le spĂ©cialiste d’architecture du Chronicle, John King, obsĂ©dĂ© comme tout le monde par l’occupant de la Maison Blanche.

Dans le camp des sceptiques, on compte aussi Dianne Feinstein, la vénérable sénatrice, et ancienne maire, surtout, de la ville. L’élue a regretté que les promoteurs aient été autorisés à déroger aux limites – 167 m de hauteur – qu’elle avait fait adopter dans les années 1980. Limites accompagnées d’un règlement pointilleux : chaque construction élevée doit être précédée d’une étude mesurant l’ombre qu’elle risque de projeter. Les bâtisseurs sont invités à compenser en action sociale l’ensoleillement perdu.

« Même le brouillard ne peut pas bloquer la vue »

Mais San Francisco ne veut quand mĂŞme pas chagriner Marc Benioff, 52 ans, une figure populaire dans la ville. L’opposĂ© d’un Travis Kalanik, le fondateur de Uber, dont la brutalitĂ© a Ă©tĂ© jugĂ©e nuisible Ă  l’image de la firme, et qui a Ă©tĂ© poussĂ© Ă  la dĂ©mission par le conseil d’administration.
Benioff est Ă  l’avant-garde des patrons progressistes de la Silicon Valley. Il a donnĂ© son nom (et 250 millions) pour rĂ©nover l’hĂ´pital des enfants, qu’il a dotĂ© d’une flotte de 25 robots distributeurs de repas et mĂ©dicaments. Salesforce, sociĂ©tĂ© qu’il a cofondĂ©e en 1999, a maintenant une valorisation de 65 milliards de dollars. Et elle est dans le peloton de tĂŞte du classement Forbes des entreprises « oĂą il fait bon travailler ».

Marc Benioff était déjà millionnaire à 25 ans. Après avoir cherché sa voie et rencontré un gourou indien, il est devenu l’apôtre du « capitalisme compassionnel ». Sa firme redistribue 1 % de ses ressources à des associations qui œuvrent au « bien commun », un principe qui est devenu un modèle pour la philanthropie d’entreprise.
Il l’a répété : il n’aura pas de bureau au denier étage de sa tour et ne monopolisera pas la vue à son profit. L’endroit sera réservé aux réunions avec le personnel, aux événements sociaux, et rebaptisé «Ohana » du nom qu’il a attribué à la « communauté » du personnel, de clients et des partenaires (Benioff est très influencé par la culture Hawaiienne).
Les associations caritatives ne sont pas oubliées. Elles pourront organiser, à 300 m au-dessus du lot, des soirées qui leur permettront de collecter des fonds. En vertu du capitalisme compassionnel, la vue sur la baie sera elle aussi redistribuée.

Du « Cloud » au brouillard
(Photo SF Curbed)

Sur les réseaux sociaux, les internautes ont commencé à construire la légende photographique de la tour. Et grâce à « Karl the fog », le brouillard qui annonce l’été à San Francisco (oui, le brouillard a un nom à SF), les clichés sont spectaculaires. Seule la couronne du gratte-ciel émerge du rouleau de coton, comme un petit robot flottant sur les nuages.
Une vision Ă  rendre jaloux le vieux Golden Gate Bridge, dont on vient de fĂŞter le 80e anniversaire. Ce pont qu’il n’a fallu qu’un an pour construire comme le rappelait Donald Trump le 7 juin, en vantant son plan d’Ă©limination des rĂ©glementations qui « empĂŞchent la rĂ©novation » des infrastructures amĂ©ricaines.

– MĂŞme le brouillard ne peut pas bloquer la vue du haut de la tour Salesforce, a fanfaronnĂ© le PDG Marc Benioff le 23 mai sur Twitter.
C’est vous qui le dites, a rétorqué #KarlTheFog, le porte-parole des éléments.

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Dans la Silicon Valley, « l’Oracle » français de la complexité

Michel Morvan est avant tout un mathématicien. « Hybride », corrige-t-il, parce qu’il est aussi informaticien. Et entrepreneur. Et passionné par la complexité. Un penseur des systèmes complexes qu’il n’est pas rare de croiser à la petite librairie indépendante de West Portal, le quartier très mélangé où il s’est installé, au sud-ouest de San Francisco. Etonné de voir que la capitale du numérique compte encore autant de boutiques de livres et de consommateurs de papier.

Michel Morvan (photo Cosmo Tech)

L’homme est grand, pétillant, volubile, âgé de 52 ans. Il est arrivé dans la Silicon Valley il y a trois ans pour y implanter The CoSMo Company, la compagnie de modélisation de systèmes complexes qu’il a cofondée en 2010 à Lyon. Parmi ses clients, CoSMo compte RTE, Total, Alstom, GE ; parmi ses partenaires, IBM, Accenture.
En France, elle emploie 70 personnes de 16 nationalitĂ©s, pour la plupart ingĂ©nieurs et informaticiens de haut niveau. 11 langues y sont parlĂ©es. Ambition: introduire la complexitĂ© dans l’entreprise pour « amĂ©liorer les processus de dĂ©cision ».


Chaos et catastrophes

C’est un livre a « tout changĂ© » dans la vie de Michel Morvan. Le jeune diplĂ´mĂ© commençait tout juste Ă  enseigner Ă  Paris VII Diderot, après un doctorat d’informatique. Son mentor -un membre de l’AcadĂ©mie des sciences qu’il ne nommera pas- lui avait dĂ©crit le chemin tout tracĂ© qui l’attendait : une carrière assurĂ©e, de « 40 ans » dans les rangs de la facultĂ©. A 26 ans, il Ă©tait, pour ainsi dire, arrivĂ©.

Le matheux a poussé la porte d’une librairie parisienne. Il cherchait La théorie des catastrophes, de René Thom, dont un ami lui avait parlé. Les catastrophes n’étaient plus en rayon mais il a cueilli l’ouvrage voisin. C’était La théorie du chaos, de James Gleick, un concept aussi révolutionnaire, selon certains, que la relativité d’Einstein.
– « Je l’ai lu sur l’après-midi, relate Michel Morvan, et je me suis dit : c’est lĂ -dessus que je veux passer mes 40 prochaines annĂ©es».
Tant pis pour l’Académie.
– « Depuis, je suis sur cette histoire lĂ  ».

Invité à Santa Fe

Du « Chaos » lui est venue l’intuition que tous les systèmes complexes se ressemblent et que « les sous-systèmes qui interagissent en même temps à des vitesses différentes et à des échelles différentes » -définition de la complexité- répondent à la même logique. Il a réorienté ses recherches. Créé une conférence internationale à laquelle, à sa grande surprise, les grands noms de la discipline sont venus (le symposium -European conference on complex systems- existe toujours). «C’était tellement important pour moi d’avoir compris ça » !

Pendant 8 ans, Michel Morvan a Ă©tĂ© professeur invitĂ© Ă  l’institut de recherche sur la complexitĂ© de Santa Fe (Nouveau Mexique), un centre privĂ© Ă  l’avant-garde de la multidisciplinaritĂ©. En 2006, il a proposĂ© Ă  l’Ecole Normale supĂ©rieure de Lyon, oĂą il enseignait la science informatique, de crĂ©er un projet similaire: l’idĂ©e a donnĂ© naissance Ă  l’Institut rhĂ´nalpin des systèmes complexes (IXXI). Il y a rĂ©uni 250 chercheurs : physiciens, Ă©conomistes, biologistes, philosophes, linguistes, gĂ©ographes, mĂ©decins. Sciences « dures » et sciences sociales mĂ©langĂ©es.

La forme de la main

-« Un jour, raconte-t-il, les biologistes sont venus me voir. Ils voulaient savoir ce qui faisait la forme ».
Par exemple, la main.
– « Qu’est-ce qui fait une main, demande-t-il en regardant la sienne. On sait ce qu’il y a dedans, mais qu’est-ce qui fait qu’elle a cette forme ?».
Les biologistes pensaient que grâce à l’avalanche de données dont le développement du web les gratifiait, ils allaient « tout résoudre », se souvient-il.
– « Très vite, ils se sont rendu compte que ça n’expliquait rien. La forme, c’est le rĂ©sultat d’une dynamique. Les donnĂ©es ne suffisent pas Ă  l’expliquer. Il faut regarder les cellules. Comment elles Ă©voluent en fonction des gĂŞnes, des cellules voisines. La forme Ă©merge de cette interaction ».
Ses recherches ont abouti à la création d’un langage informatique breveté – que CosMo a racheté ensuite à l’ENS- traduisant son intuition que tous les systèmes ont un « cœur commun ».
– « Ma grande idĂ©e, c’était qu’il y avait un formalisme qui permettait de le reprĂ©senter. Et qu’on pouvait utiliser le mĂŞme outil de modĂ©lisation pour la diffusion d’une Ă©pidĂ©mie, la gestion d’un rĂ©seau Ă©lectrique ou le dĂ©veloppement d’une grande ville ».
Il insiste :
– « Un grand rĂ©seau Ă©lectrique, c’est la mĂŞme chose qu’une Ă©pidĂ©mie. Une ville, c’est la mĂŞme chose que ma main ».
C’était, reconnait-il, un « pari ».

Amener la théorie au monde réel

Michel Morvan a quitté le monde universitaire pour celui du business. Veolia, d’abord, où il a été le « chief scientist » de 2009 à 2013. Puis CoSMo, la start-up fondée avec Hughes de Bantel et Eric Boix.
– « C’était pas pour devenir riche. Mais pour porter cette thĂ©orie vers le monde rĂ©el. Je rĂŞve de l’amener dans toutes les industries, de l’appliquer aux problèmes gĂ©o-politiques, aux conflits ».
Selon lui, il est urgent de « penser » complexité.
– « Plus les systèmes sont interconnectĂ©s, plus c’est important ».
Aujourd’hui, un simple individu muni d’un panneau solaire a le pouvoir d’influencer le fonctionnement du rĂ©seau Ă©lectrique. Si tous les automobilistes adoptent en mĂŞme temps l’itinĂ©raire de dĂ©lestage proposĂ© par Google Map, les embouteillages ne s’Ă©vanouissent pas. Ils surgissent ailleurs. Les fournisseurs doivent compte de toutes ces interactions.
– « Il n’est plus possible d’agir sur un sujet sans impacter tous les autres ».
Et le cerveau humain n’y suffit plus.

Effets en cascade

CoSMo a travaillé au début sur des scénarios d’administration de vaccins en période de pandémie. D’attaque terroriste contre le réseau d’eau. Son plus gros contrat (plusieurs millions d’euros) est actuellement avec RTE, qui gère le réseau haute tension pour EDF.
– « Tous les rĂ©seaux occidentaux ont le mĂŞme problème, explique Morvan : les Ă©quipements ont Ă©tĂ© installĂ©s il y a Ă  peu près 50 ans. Et comme ils ont une durĂ©e de vie de 50 ans. Ils risquent de tomber en panne tous en mĂŞme temps ».
Pour des raisons financières, les entreprises ne peuvent pas renouveler toutes leurs infrastructures à la fois.
-« Que faut-il privilégier ? Les câbles de transport ? Les transformateurs ? Peut-on en laisser certains 15 ans de plus en activité? L’impact des choix d’investissements à faire a des effets en cascade».
Sans compter les multiples autres variables, commerciales et humaines.
-« 40 % des employés vont partir en retraite. Ils seront remplacés par des gens qui auront les compétences de demain. Comment éviter le scénario où il y a une panne et personne pour réparer ?».
CoSMo a dessinĂ© un outil de simulation sur mesure qui doit permettre Ă  RTE d’optimiser la maintenance et le renouvellement du rĂ©seau sur 25 ans en rĂ©alisant une Ă©conomie de 5 Ă  10%. C’est cette plateforme que Michel Morvan essaie de « vendre » aux compagnies Ă©nergĂ©tiques amĂ©ricaines, un univers beaucoup plus morcelĂ© qu’en France.
Pas facile.
-« On attaque le marché Américain sur le secteur le plus conservateur de l’industrie », admet-il.
Le 15 juin, la société a adopté un nom plus Silicon Valley: Cosmo Tech. Et annoncé une nouvelle levée de capitaux: 3 millions de dollars (pour un total de 8,2 millions depuis 2014).

Les limites de l’intelligence artificielle

Quand le prof est arrivé dans la Silicon Valley, c’était la folie du big data.
– « Les gens se disaient: on a des milliers de donnĂ©es, on est assis sur une mine d’or, relate-t-il. Comme quelqu’un qui voit un double-dĂ©cimètre pour la première fois. Il mesure tout et n’importe quoi, et le soir il se retrouve avec une masse de donnĂ©es sans savoir quoi en faire ».
Le big data, c’est « formidable » pour établir des corrélations, analyse-t-il, mais c’est un reflet du passé. Comme regarder dans un rétroviseur.
– « Il y a une limite intrinsèque. On ne peut prĂ©dire que des choses qui se sont dĂ©jĂ  produites ».
Et les corrélations ne remplacent pas la causalité.
– «Avec des capteurs, on peut mesurer la corrĂ©lation entre le nombre d’accidents de voiture et celui des passants qui portent des parapluies. Mais elle n’a aucun sens si on a oubliĂ© de mesurer une troisième variable : la pluie».

Fashion victims

Aujourd’hui, la mode est à l’intelligence artificielle. Toutes les compagnies ont réorganisé leur image autour de l’ « AI ». La Silicon Valley est un univers « très moutonnier », observe-t-il.
– « Il y a quantitĂ© de fashion victims dans le domaine de la tech. Les gens vont tomber de haut ».
Il a lui-même enseigné l’intelligence artificielle à l’Ecole Normale supérieure, à une époque où la discipline avait déçu au point que les labos changeaient de nom et s’orientaient vers les sciences cognitives.
– « L’AI n’est pas une nouvelle technologie. Les mĂŞmes algorithmes Ă©taient connus depuis longtemps ».
Depuis, le big data et la puissance de calcul du cloud ont tout changé :
– « Les algorithmes ont Ă©tĂ© capables d’apprendre».
Mais l’approche « machine learning » a ses limites: les nôtres.
– « Les algorithmes sont très bons lĂ  oĂą notre cerveau est bon. Ils miment notre rĂ©seau de neurones».
L’intelligence artificielle a beau être championne du monde pour la reconnaissance des formes, elle est –et restera- incapable d’expliquer pourquoi les molécules s’assemblent comme elles le font –et ce qui fait la forme de la main.
Un robot peut battre un homme au jeu de go, consent-il. Mais allez savoir.
-« Peut-être que l’homme est très mauvais au jeu de go ».

Intelligence augmentée

Plus que l’intelligence artificielle, Michel Morvan prône «l’intelligence augmentée ». Et augmentée par les humains, qui sont seuls capables d’explorer la causalité. Pour ses modélisations, CoSMo essaie « d’encapsuler » les savoirs d’experts de disciplines multiples et de les relier.
– « On peut anticiper des situations qu’aucun dĂ©cideur ne pourrait prĂ©voir tout seul. Coupler la comprĂ©hension des mĂ©canismes avec l’agrĂ©gation des donnĂ©es : l’avenir est là».

Aux patrons dĂ©bordĂ©s, qui paniquent devant leur mauvais jeu de go – « si je bouge Ă  droite, ça a un impact Ă  gauche »- Michel Morvan rĂ©pond que la complexitĂ© est une chance, Ă  condition de savoir la mesurer. « Si on sait qu’il suffit d’un petit truc Ă  droite pour avoir un rĂ©sultat Ă  gauche, il faut en tirer avantage, non ? ». PlutĂ´t que d’essayer de la simplifier, il faut l’étreindre: « voir ces tissus d’interactions comme une force plutĂ´t qu’une contrainte dont on cherche Ă  se dĂ©barrasser ».


Dans la grande transition qui s’annonce, le mathématicien-entrepreneur pense que la France a des cartes à jouer, avec ses cerveaux et sa tradition théorique sur la complexité, de Teilhard de Chardin à Edgar Morin.
– « La France a toujours jouĂ© un rĂ´le important dans la pensĂ©e de la complexité », souligne-t-il. On ne fera pas Snap en France. En revanche, on pourrait ĂŞtre demain les champions des start-ups très techno pour les grosses industries ».
Il en est convaincu: les ingénieurs français, ceux de Cosmo Tech « ou d’autres», ont le potentiel de créer «l’Oracle de la complexité ».

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13 villes publient les infos sur le climat purgées par l’administration Trump

 

Page manquante sur le site actuel de l’EPA; republiĂ©e par 13 villes dont ici Boston

Vous cherchez des informations détaillées sur le climat ? Les derniers relevés de température qui montrent qu’il n’a jamais fait aussi chaud ? Le Clean Power plan de Barack Obama ? Inutile d’essayer de vous documenter sur le site officiel de l’agence de l’environnement (EPA). Depuis le 28 avril, ces informations se sont évanouies. « Page non trouvée », répond le site www.epa.gov à la recherche « changement climatique » sous l’onglet « questions transversales ».

L’agence a attribué le changement à la nécessité de remettre le site à jour afin qu’il « reflète les priorités de l’EPA sous l’autorité du président Trump et de l’administrateur Scott Pruitt ».

Certes, l’expression « changement climatique » n’a pas totalement disparu du site. Mais la question ne figure plus sur la page d’ouverture ou dans la liste des principaux «sujets environnementaux » (https://www.epa.gov/environmental-topics) à l’ordre du jour.

Le climat a Ă©tĂ© remplacĂ© par d’autres « prioritĂ©s » : les friches industrielles, le flĂ©au des « bedbugs », les punaises de lit…

« Back to basics », souligne une dĂ©claration de M. Pruitt sur le site. Retour aux « fondamentaux » (https://www.epa.gov/newsreleases/epa-administrator-brings-back-basics-agenda-missouri-power-plant).
 

Help is on the way

Mais toutes les statistiques ne sont pas perdues. Depuis le 11 juin, 12 municipalités ont pris le relais. Comme l’avait fait Chicago début mai, ces localités (Atlanta, Boston, Evanston, Fayetteville, Houston, Milwaukee, New Orleans, Philadelphia, Portland, Seattle, and Saint. Louis) ont posté sur leur site officiel les pages que l’EPA avait reléguées aux archives numériques avec une mise en garde: «Ce site n’est plus mis à jour ».  (https://19january2017snapshot.epa.gov/climatechange_.html).

« Les Américains ont droit aux recherches de l’EPA sur le climat financées sur fonds publics, a expliqué Ed Lee, le maire de San Francisco. A l’heure où le gouvernement fédéral continue à nuire aux progrès réalisés sur le climat, les villes prennent position. San Francisco continuera à prendre des mesures énergiques pour protéger ses habitants et la planète ».

La ville de San Francisco s’est engagée à générer 50 % de l’énergie consommée en renouvelables d’ici 2020 et 100 % dix ans plus tard. Cela dit, elle est confrontée à nouvelle réalité : l’afflux de voitures Lyft et Uber, qui viennent de toute la région profiter de la manne de la Silicon Valley, met en danger les progrès accomplis dans la réduction de la pollution…

Les 13 villes publient les pages purgées (https://www.boston.gov/news/making-climate-change-data-accessible), dans leur exacte forme initiale (http://epaclimatechange.sfgov.org/), en reprenant les données diffusées en open source par le département d’innovation de la ville de Chicago (https://www.ecowatch.com/climate-change-is-real-website-2440285898.html).

 

Missing : les indicateurs du changement climatique près de chez vous

On y trouve l’incidence du risque climatique sur les communautés locales ou les détails du Clean Power Plan, dont Donald Trump a ordonné la révision le 28 mars.

Le prĂ©liminaire explique sans dĂ©tour que le changement climatique est « établi » et que les humains en sont « largement responsables ». Ce qui n’est pas l’opinion de Scott Pruitt. Celui-ci a rĂ©pĂ©tĂ© le 9 mars qu’il ne croit pas que l’activitĂ© humaine soit « le contributeur principal » du rĂ©chauffement.
Cette affirmation lui vaut une plainte du Sierra Club devant l’inspecteur de l’agence pour « violation de l’intégrité scientifique ». (https://www.documentcloud.org/documents/3536439-Sierra-Club-Scientific-Integrity-Complaint-3-14.html)

Guerilla

Quoi qu’il en soit, l’initiative des 13 municipalités (12 + Chicago) est un nouveau signe de l’engagement des collectivités locales en faveur de l’environnement -encore renforcé par la décision de Donald Trump de sortir de l’Accord de Paris.
Presque une ruĂ©e. Du rassemblement des 298 maires (« Climate mayors », le groupe fondĂ© par le maire de Los Angeles Eric Garcetti – http://www.climate-mayors.org), qui ont promis de respecter les objectifs de l’accord, aux 13 Etats partie prenante Ă  l’Alliance sur le climat des gouverneurs de Californie, du Massachussetts et de Washington, les collectivitĂ©s locales sont très sollicitĂ©es.
Sans oublier le mouvement international « Under2 » lancĂ© par Jerry Brown, l’apĂ´tre du climat en Californie. Under 2 est un accord « subnational » qui rĂ©unit 176 entitĂ©s internationales, dont plusieurs en Chine (http://under2mou.org/coalition).

Ventilateurs et chauffe-eaux

Les défenseurs de l’environnement sont sur tous les fronts, obligés de surveiller la moindre circulaire. Le 13 juin, 11 Etats, dont la Californie, la Pennsylvanie, le Maryland ou l’Illinois, plus la ville de New York, ont déposé une plainte contre le gouvernement devant un tribunal de San Francisco.
Ils lui reprochent de retarder l’application des standards de conservation d’énergie pour les climatiseurs individuels, les chambres froides des restaurants et les chauffe-eau d’immeubles. Les normes avaient été remises à jour par l’administration Obama en décembre. Elles devaient entrer en service en mars. Le secrétaire à l’énergie Rick Perry n’a pas jugé bon de les publier.

Le dĂ©partement de l’énergie a procĂ©dĂ© Ă  la mĂŞme tactique sur les ventilateurs de plafond. Les mĂŞmes plaignants sont intervenus, avec relatif succès: le ministère a promis de publier les normes … en septembre. Il n’y a pas de petit combat, contre le climat.

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En silence, les arrestations de clandestins s’accélèrent

Crissy Gallardo, de l’association Faith in Merced. L’association est dĂ©bordĂ©e par les appels Ă  l’aide

 

Les policiers sont arrivés dans des voitures banalisées. Il était 4 heures du matin, mardi 6 juin. Julio, ouvrier agricole installé en Californie depuis plus de vingt ans, venait de quitter son domicile pour aller travailler à Selma, à une heure de route de Merced, une localité de 84.000 habitants de la vallée centrale californienne. Son véhicule a été intercepté avant l’entrée sur l’autoroute. Il était accompagné de sa femme et de sa fille, qui fait aussi les récoltes bien qu’elle n’ait pas 16 ans.

Les agents avaient un mandat d’expulsion, datant de plusieurs années. L’affaire n’a pas traîné. Julio (dont l’avocate souhaite protéger l’identité) a été interpellé et emmené en détention à Fresno. Les policiers ont laissé la voiture sur le parking du McDo: aucune des deux femmes n’était en mesure de la conduire. Ils leur ont conseillé de se présenter à 9 heures à la prison avec un sac de linge et de l’argent pour le détenu. « Il sera expulsé dans la journée. »

Quelques heures plus tard, le fils de Julio, 15 ans, le seul des huit membres de la famille, avec le petit dernier de 5 ans, à avoir des papiers en règle, a pu dire au revoir à son père, qu’il a vu menotté des poignets jusqu’aux chevilles. Le soir, l’ouvrier agricole était déjà au centre de rétention de Bakersfield, à 350 km. Résigné à retourner à Oaxaca, sa ville d’origine, même si l’avocate mobilisée par l’association catholique Faith in Merced essayait encore de retarder l’expulsion, plaidant qu’elle ferait peser des « craintes justifiées »sur sa sécurité.

Le lendemain, la famille de Julio était de retour dans les champs. « Elle ne pouvait pas se permettre de perdre un jour de travail supplémentaire », explique Crissy Gallardo, la responsable de l’association Faith in Merced, qui fait partie du réseau catholique de défense des immigrants, Faith in the Valley.

Le scénario est devenu banal. Pendant que le pays a les yeux rivés sur le «show Trump », la police de l’immigration (Immigration and Customs Enforcement, ICE) multiplie les opérations, largement sous le radar. Sans effet d’annonce, sans coordination dans des « raids » qui seraient largement couverts par les médias, mais au cas par cas. Un clandestin à la fois, et peu importe qu’il ait un emploi, une maison, une voiture, un emprunt, des assurances et qu’il paie des taxes pour une couverture santé dont il n’a pas le droit de bénéficier.

Selon le Washington Post, 22 000 immigrants ont été arrêtés entre janvier et mars, soit une augmentation de 33 % par rapport à la même période de 2016. « Les gens sont ramassés en silence. Les familles sont séparées en silence, se désole Crissy Gallardo.

DĂ©bordĂ©e par la demande, Faith in Merced a mis en place une « unitĂ© de rĂ©action rapide ». Dès la première rumeur sur une possible prĂ©sence de la police de l’immigration, un activiste, par prudence un citoyen amĂ©ricain, est envoyĂ© sur place. Si l’alerte est confirmĂ©e, un membre de l’équipe juridique essaie de documenter les arrestations, prendre des photos, et diffuser le signalement des vĂ©hicules banalisĂ©s utilisĂ©s par les agents. S’il y a lieu, l’association dĂ©pĂŞche un avocat pour obtenir les dĂ©tails que la police rechigne Ă  fournir aux familles : numĂ©ro du dossier, lieu de dĂ©tention. Enfin, elle a formĂ© des « équipes d’accompagnement » qui se rendent auprès des familles. ClergĂ©, voisins, bĂ©nĂ©voles se relaient pour faire les courses, conduire les enfants au centre aĂ©rĂ©, et aussi pour prier. « Mais la plupart des familles n’ont pas de relais, dĂ©plore Crissy Gallardo. Elles se sentent terriblement isolĂ©es. »

Dans son dĂ©cret du 25 janvier, prĂ©cisĂ© par les circulaires suivantes du ministère de la justice, Donald Trump a donnĂ© toute latitude Ă  l’ICE pour accĂ©lĂ©rer les expulsions. Les policiers savent qu’ils sont soutenus. Dans l’ensemble du pays, les media locaux se sont fait l’Ă©cho d’arrestations de clandestins.

A National City, au sud de San Diego, en Californie, les quatre enfants Duarte, âgés de 12 à 19 ans, ont été séparés le 25 mai de leurs parents, arrêtés à l’heure du petit déjeuner. Livrés à eux-mêmes, ils ont levé 70 000 dollars sur la plate-forme GoFundMe pour payer leur nourriture et un avocat pour leurs parents.

A Ann Arbor, dans le Michigan, des agents se sont présentés au restaurant Sava le 24 mai. Après avoir pris leur repas, et complimenté le chef, ils ont embarqué trois employés.
Près de Boston, Oscar Millan, 37 ans, a été intercepté le 29 mai alors qu’il se rendait à l’hôpital où son bébé de deux semaines venait d’être opéré.
En Virginie, Cesar Lara, un peintre en bâtiment de 33 ans, a Ă©tĂ© arrĂŞtĂ© le 14 mai. Il avait Ă©tĂ© surpris Ă  couper du bois dans une forĂŞt nationale en 2012, une infraction passible d’une amende de 50 dollars…

Les policiers n’ont pas besoin de la coopération des polices locales, grand sujet de contentieux entre le gouvernement fédéral et les villes «sanctuaires ». Les adresses des «clients » sont dans les dossiers. L’administration Obama avait épargné les immigrants épinglés pour des infractions mineures, à condition qu’ils se soumettent à des contrôles réguliers. Aujourd’hui, il arrive aux contrevenants d’être arrêtés alors qu’ils sont venus de leur plein gré à leur rendez-vous annuel avec l’immigration.

Les associations sont largement impuissantes. Sur les dossiers, tels que l’environnement ou le « travel ban » (l’immigration en provenance de pays musulmans), les activistes anti-Trump ont pu saisir la justice et lui demander de bloquer les plans du gouvernement. Sur la question des expulsions de clandestins, c’est impossible : la loi existe, les tribunaux ont dĂ©jĂ  tranchĂ©. Les ordres d’expulsion ont Ă©tĂ© signĂ©s et parfois confirmĂ©s en appel. Les immigrants -encore faut-il avoir un avocat- peuvent tout au plus espĂ©rer en retarder l’application.

Les défenseurs des expulsés en sont réduits à en appeler à l’opinion. Lancer des hashtags sur Twitter : #JusticeForJuan, #StandwithJessica… Publier des appels dans les journaux, comme les professeures Beth Baker et Alejandra Marchevsky, dans le Los Angeles Times du 6 juin. « Le 18 mai, Claudia Rueda, 22 ans, étudiante à l’université de l’Etat de Californie à Los Angeles, est sortie dans la rue pour changer de place la voiture de sa mère. Elle n’est jamais revenue… »

Claudia Rueda remplissait les conditions pour bénéficier du statut DACA, offert par Barack Obama aux jeunes « dreamers » amenés par leurs parents avant l’âge de 16 ans, mais sa famille n’avait pas pu payer les 500 dollars de frais de dossier. Elle militait activement pour les droits des immigrants avec une coalition de jeunes de Los Angeles. Ses amis se sont mobilisés à leur tour, affirmant qu’elle avait été visée pour des raisons politiques. Vendredi 9 juin, un juge fédéral a ordonné sa remise en liberté, estimant qu’elle était victime d’une décision « injustement sévère ».

EncouragĂ©s Ă  faire du zèle, les agents de l’immigration en profitent-ils pour viser les « rebelles » ? C’est que qu’affirment les deux universitaires dans leur tribune au L.A Times. Selon elles, l’ICE a tendance Ă  viser des jeunes qui, comme Claudia Rueda, « remettent en cause la politique migratoire » de l’administration. Exemples Ă  l’appui: en mars, trois figures du groupe Migrant Justice ont Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©s dans le Vermont. Dans le Mississippi, Daniela Vargas, 22 ans, a Ă©tĂ© interpellĂ©e, quelques heures après avoir pris la parole dans une manifestation anti-Trump.
En Géorgie, Jessica Colotl, 28 ans, l’étudiante qui avait célébrée il y a quelques années comme «le visage des dreamers » a vu son statut abruptement révoqué le 8 mai par les services de l’immigration. Il lui est reproché d’avoir donné une fausse adresse à un contrôle routier il y a 6 ans. Lors d’une audience, jeudi 6 juin à Atlanta, le juge a – vainement – essayé de savoir pourquoi elle avait été ciblée. « Le gouvernement ne peut pas simplement décider qu’il n’aime pas la couleur de ses chaussures », a-t-il pointé.

L’ICE a dĂ©nombrĂ© 970 000 immigrants faisant l’objet d’un ordre d’expulsion (sur environ 10 millions de sans-papiers aux Etats-Unis). De son propre aveu, plus de 80 % d’entre eux, n’ont pas de casier judiciaire criminel, une statistique qui confirme les craintes des associations.
Donald Trump a affirmĂ© plusieurs fois qu’il entendait viser en prioritĂ© les criminels, « membres de gangs, trafiquants de drogue », dans les opĂ©rations d’expulsion, et laisser en paix les jeunes « dreamers ».
Mais, en fait de bad hombres (son expression), le bilan des cinq mois de son administration montre que ce sont surtout des immigrants ordinaires qui sont visĂ©s, ceux qui ont eu la malchance d’être contrĂ´lĂ©s sans permis de conduire ou avec un faux numĂ©ro de SĂ©curitĂ© sociale, le sĂ©same qui permet de travailler. Des «proies » faciles Ă  localiser, puisqu’elles ont domicile et travail. Et qui permettront de gonfler les statistiques dont l’administration Trump pourra se prĂ©valoir auprès de sa base. A dĂ©faut d’avoir construit le « mur » (perdu dans les limbes de la procĂ©dure budgĂ©taire), le prĂ©sident pourra dĂ©montrer qu’il a rĂ©duit le nombre de clandestins.

Dans le budget proposé par l’administration le 24 mai, les défenseurs des sans-papiers n’ont rien vu pour les rassurer : 300 millions de dollars prévus pour embaucher des policiers ; 1,4 milliard pour les opérations d’interpellation et d’expulsion ; 51 379 lits supplémentaires dans les centres de rétention. L’ère des « déportations de masse », craignent-ils, ne fait que commencer.

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Summer of Love : 50 ans déjà

Un peu d’amour, pour changer. San Francisco fête les 50 ans du « Summer of love », l’été torride qui a vu plus de 100.000 jeunes converger en 1967 vers la capitale de la contre-culture au bord du Pacifique. Les filles avaient des fleurs dans les cheveux, des robes longues, rien qui entravait leur poitrine. Grateful Dead et Jefferson Airplane faisaient l’apologie des « trips » multisensoriels. Le « flower power » était né;  le mouvement hippie allait faire le tour de la terre en quelques années.

Samedi 13 mai, les visiteurs arrivant Ă  l’aĂ©roport de San Francisco ont eu droit Ă  des fleurs et des cupcakes surplombĂ©s du signe de la paix. Madame Tussaud avait dĂ©pĂŞchĂ© son Allen Ginsberg en cire. A midi, on a chantĂ© « If you go to San Francisco » la chanson de Scott McKenzie commanditĂ©e par les organisateurs du Festival pop de Monterey, en juin, oĂą dĂ©filèrent Jimi Hendrix, The Who, Ravi Shankar… Le morceau est devenu l’hymne « peace and love » de l’étĂ©, repris en français par Johnny Halliday: « Si vous allez Ă  San Francisco, vous y verrez des gens que j’aime bien. Tous les hippies de San Francisco vous donneront tout ce qu’ils ont pour rien »…

La commémoration va durer jusqu’à l’automne. Une agence de tourisme propose un « tour » dans un minibus VW de l’époque, décoré de couleurs psychédéliques. Le de Young Museum présente une exposition « Art, mode et rock and roll ». On y voit quelques uns des 600 affiches de concerts, de véritables œuvres d’art aux couleurs fusionnelles, collectées dès les années 70 par le musée. Des tuniques artisanales, des jeans tatoués, les premiers « pattes d’éléphant » même une robe Yves Saint Laurent, avec des fleurs en velours incrustée dans la soie.
Pourquoi San Francisco ? Ronald Reagan venait d’être élu gouverneur de la Californie. La commission du congrès chargée des « activités un-américaines » avait tenu des auditions en 1960 qui avaient suscité des manifestations étudiantes. La « beat generation » de Neal Cassady, Jack Kerouac et Allen Ginsberg était venu s’installer au bord du Pacifique.
Le 14  janvier 1967, le mouvement a commencé par « Human Be-In » dans le parc du Golden Gate. Ce fut un « rassemblement des tribus ». Celle venue de Berkeley: les radicaux qui remettaient toutes les institutions bourgeoises en question ; et celle qui s’était installée dans le quartier de Haight-Ashbury, où les loyers étaient ridicules à cause d’un projet d’autoroute: les bohémiens qui dénonçaient un « monde en fusion » endeuillé par « trop d’explosions ».
La fête a donné lieu à un grand concert (40.000 personnes) et un « communiqué de presse » à la mesure des délires du moment. La jeunesse mondiale a eu la « révélation de l’unité spirituelle de tous les hommes et femmes, de toutes les races », proclame le manifeste. « Ici et partout, sur toutes les planètes de tous les systèmes solaires de toutes les galaxies de l’univers »…

C’était la préhistoire des communications, avant les portables. Les parents affolés envoyaient des photos d’identité au commissariat de police du quartier, qui les affichait sur un « runaway board », un tableau des fugueurs. Ils ne se doutaient pas que les représentants de l’ordre auraient bien du mal à reconnaitre les jeunes gens sages et bien coiffés, dans les hippies de la communauté extatique de Haight-Ashbury.

Côté drogue c’était la folie. Timothy Leary avait inauguré les expériences d’élargissement de la conscience grâce au LSD –qui ne fut interdit que fin 1967. Le groupe des Merry Pranksters circulait dans un bus rouge qui offrait des doses à qui voulait essayer. On en sortait avec un « diplôme d’acid test » (celui de Jerry Garcia du Grateful Dead est exposé à l’exposition du musée De Young).

Les « diggers », le groupe de théâtre d’avant garde, organisait des concerts, des distributions de repas et soins médicaux gratuits. Joan Baez jouait de la guitare contre la conscription pour le Vietnam, assise sur le trottoir. Le journal, l’Oracle de San Francisco, né d’un rêve du poète Allen Cohen d’une communauté lisant des pages arc-en-ciel, annonçait les proclamations. « Halleluia pour la pilule », s’enthousiasmait un artiste –le contraceptif oral était apparu quelques années plus tôt.

De concerts en happenings, l’été s’est terminé par une mise en scène, le 6 octobre : « Death of a hippie ». La mort d’un hippie. Un petit film muet, à la California Historical society, sur Mission Street, montre la cérémonie : le cercueil que l’on cloue dans une arrière cour peuplée de lapins blancs, les drapeaux en tête du cortège, la crémation du symbole. Jusqu’à ce que les funérailles soient interrompues par l’arrivée, quelque peu désabusée, de vrais pompiers. La police avait fini par faire une descente anti-drogue dans le quartier, jusqu’à la maison des Grateful Dead au 710 Ashbury Street. Il était temps de se replier.

Le quartier de Haight-Ashbury n’a pour ainsi dire pas changé, à part les prix devenus prohibitifs. Les jeunes routards déambulent avec leur sac à dos parmi les boutiques d’encens, de tissus indiens ou de bijoux tibétains, avant d’aller s’allonger sur Hippie Hill, dans le parc. Les bohémiens d’aujourd’hui sont devenu « bobos » ; ils ont les poches bien remplies et vont en vélo faire leurs courses à Whole Foods, le magasin bio, en face de l’Amoeba Music, le magasin de disques.  Le quartier s’est figé dans le mythe, devenu touristique. L’Amoeba vend toujours des vinyles et des tourne-disques, mais ceux-ci qui sont revenus à la mode, n’en déplaise au tout-digital.
La génération du Summer of love peut être remerciée. « Nous avons fait tomber des présidents, Lancé tous ces mouvements : le free speech, l’écologie, le féminisme. Toute une génération s’est réveillée et s’est rendu compte qu’il y avait autre chose dans la vie que de rester toute sa vie assis à un bureau », décrit Boots Hughston, l’organisateur de concert qui a essayer de monter une réplique cet été dans le Parc mais qui s’est vu dénier l’autorisation par la municipalité, pour des raisons de sécurité.
L’anniversaire du Summer of Love était prévu bien avant l’élection de Donald Trump. La commémoration tombe à point nommé. A ceux qui se demandent pourquoi la Californie est aux avant-postes de la contestation actuelle, le Summer of Love apporte une mise en perspective historique. Plus de 120 jours après l’arrivée du républicain à la Maison Blanche, la résistance n’a pas faibli. Dans le budget rectifié qu’il a présenté le 11 mai, le gouverneur Jerry Brown a inclus un supplément de 6,5 millions de dollars. La somme permettra d’embaucher 31 juristes supplémentaires pour travailler aux multiples plaintes en justice déposées par l’Etat contre le pacha de la Maison Blanche. No love there…

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La base démocrate à l’assaut des townhall meetings

C’est sa troisième manifestation, dĂ©jĂ , cette semaine, mais elle ne s’en lasse pas. Depuis qu’elle a pris ses distances avec sa famille, totalement envoĂ»tĂ©e par Trump, et « plus que jamais », Darleen Patrick en a « adoptĂ© une nouvelle » : la grande famille recomposĂ©e des anti-Trump. Elle, qui est une ancienne militaire – elle a servi pendant la première guerre du Golfe –, n’a jamais Ă©tĂ© aussi inquiète. Non pas pour elle, souligne-t-elle, mais pour ses deux enfants, qui, chacun, ont beaucoup Ă  perdre. La cadette, âgĂ©e 30 ans, a Ă©tĂ© diagnostiquĂ©e avec une maladie de l’estomac qui lui impose des injections qui coĂ»tent 5 000 dollars par mois. Elle a rĂ©ussi Ă  financer son traitement grâce Ă  l’Obamacare, l’assurance santĂ© que les rĂ©publicains entendent supprimer. L’aĂ®nĂ© a pu Ă©pouser son compagnon grâce Ă  la lĂ©galisation du mariage gay. L’administration Trump n’a rien annoncĂ© Ă  ce sujet, mais Darleen est persuadĂ©e que les homosexuels sont dans le collimateur des conservateurs qui règnent maintenant Ă  Washington.

Jeudi 23 février, elle a participé à la « veillée aux chandelles » organisée devant la maison du représentant républicain de la 10e circonscription de Californie, Jeff Denham. Enfin, devant les grilles, parce que l’élu habite une gated community (une résidence fermée avec accès restreint), gardée par un vigile qui ne laisse entrer que les invités. Vendredi, c’était un rassemblement de défense des sans-papiers, nombreux dans les fermes d’amandes et les plantations de vigne de cette région du nord de la Vallée centrale, le grenier agricole de la Californie. Aujourd’hui, devant la permanence de l’élu, à Modesto, elle porte son tee-shirt noir, marqué « Resist ». « Où est-ce que vous l’avez trouvé ? », interroge un manifestant, admiratif. « Je ne sais plus. J’ai contribué à tellement d’organisations ! », soupire-t-elle. La démocrate « bout » d’exaspération. Dans l’armée, elle était affectée aux écoutes en lien avec la Russie. « Même pendant la perestroïka, on était sur nos gardes », rappelle-t-elle. Et maintenant, voilà que sa propre famille – « une famille de militaires ! » – est devenue inconditionnelle de Trump. « C’est comme un coup de poing à l’estomac », lâche-t-elle.

« Où est Denham ? »

La manifestation est joyeuse. C’est samedi, les enfants sont là. Et le soleil est revenu, après le déluge de pluie. Dans les champs, on voit encore des parcelles inondées. Jamais la Vallée centrale n’a été aussi verte. Les militants sont venus assister à la rencontre prévue avec Jeff Denham. Un conservateur pur sucre – opposé au mariage gay, à la réglementation des armes à feu et des émissions de CO2 – mais favorable à une régularisation graduelle des clandestins – difficile de faire autrement dans le contexte local. Le rendez-vous a été annulé. De la semaine, Jeff Denham ne s’est pas montré. Il s’est affiché sur Twitter, studieux, occupé à surveiller l’état des barrages près de déborder. Mais injoignable pour ses électeurs, ce qui lui a valu d’être accusé de se dérober à son devoir démocratique. Les militants ont lancé une pétition réclamant une rencontre, accompagnée de quolibets. « Où est Denham ? », interrogent les affiches, sur le mode du jeu « Où est Waldo ? ».

Dans tout le pays, la gauche anti-Trump a adopté la même tactique : profiter de la semaine de vacances parlementaires du Congrès (le « recess ») pour perturber les rencontres que tiennent traditionnellement les élus quand ils sont de retour dans leur circonscription (les « townhall meetings »). Le Tea Party l’avait fait dès 2009 à l’encontre des démocrates et des républicains modérés. Les progressistes ont adopté le schéma avec le même plaisir de se retrouver pour se défouler, transgresser l’ordre établi et harceler les élus. « Leur demander des comptes », corrige l’infirmière Amy Glass, l’une des organisatrices du mouvement à Modesto.

Les démocrates aussi ont été chahutés – on leur demande un peu plus de « muscle » contre Trump – mais se sont surtout les républicains qui étaient visés. Depuis que le représentant Tom McClintock, de Californie, a dû être été escorté par la police après une réunion houleuse, les ténors républicains ont préféré se trouver d’autres occupations. A l’image de Paul Ryan, qui a parcouru – à cheval – le futur chantier du « mur » à la frontière mexicaine.
Après la « marche des femmes » du 21 janvier, l’épidémie de perturbation des « townhall meetings », qui se conclut le 26 février, est le signe que le mouvement de « résistance » s’installe dans la durée. Les rendez-vous s’organisent autour de quelques hashtags: #ResistanceRecess, #HereToStay (Ici pour rester) pour la défense des immigrés, ou le générique #NoBanNoWall (pas d’interdiction à l’entrée des musulmans, pas de mur). Désormais complété d’une référence aux éventuelles « rafles » anti-sans papiers : #NobanNoWallNoRaids.

Les associations établies de longue date comme moveon.org ont pris le train en marche, mais celui-ci est largement piloté par des nouveaux intervenants, comme le groupe « Indivisible », une émanation d’assistants parlementaires démocrates. Son guide d’action anti-Trump a été téléchargé à plus d’un million de reprises, et il revendique quelque 4 500 groupes dans le pays. C’est lui qui a compilé la liste des réunions prévues mi-février par les élus. Le super-Pac (groupe d’intérêts qui soutiennent un candidat) Priorities USA, créé par des proches de Barack Obama, et grand soutien de la campagne de Hillary Clinton, a financé les publicités sur Internet, annonçant les rassemblements. Le groupe Swing Left Project, dont l’objectif est de reprendre la majorité à la Chambre des représentants en 2018, a identifié une cinquantaine de circonscriptions gagnables par la gauche. Dont celle de Modesto, qui, bien que républicaine, a donné la majorité à Hillary Clinton en novembre 2016. « Jamais personne ne s’était préoccupé de suivre les “townhall meetings”, relève Bart Ostro, un scientifique spécialiste du climat. Là, les gens se précipitent : “Qu’est-ce que qu’on peut faire ?” On n’avait jamais vu ça. »

Dans la manifestation de Modesto, le groupe le plus visible est le « Our revolution » de Bernie Sanders, lancĂ© aussitĂ´t après la victoire de Donald Trump. Il a bon espoir de figurer bientĂ´t sur le site Internet de « Bernie ». Il faut au moins 10 membres, explique son responsable Juan Vazquez, un spĂ©cialiste d’agro-Ă©conomie. « Et on en a dix fois plus depuis le dĂ©but ! » Parmi les activistes vĂŞtus du tee-shirt bleu azur de la « RĂ©volution », la dĂ©ception est claire : en Ă©lisant le centriste Tom Perez Ă  la tĂŞte de son comitĂ© directeur, le Parti dĂ©mocrate a une fois de plus fait la preuve qu’« il n’écoute pas les gens », reproche l’infirmière Amy Glass. « Dans toute son arrogance, le parti continue d’ignorer les progressistes ». L’establishment dĂ©mocrate ne perd rien pour attendre : « Nous essayons de prendre le pouvoir de l’intĂ©rieur », explique-t-elle. Par « nous », elle entend : « Les gens qui ne veulent plus se rĂ©soudre Ă  choisir le moindre des maux ».  

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100 days of Trump: Jerry Brown, « California First »

c29-eiluuaer_kjDans son discours sur « l’Etat de l’Etat », mardi 24 janvier, le gouverneur Jerry Brown a confirmĂ© que la Californie serait au premier rang de l’opposition anti-Trump. Si les projets de la nouvelle administration sont contraires Ă  ses valeurs d’inclusion et de dĂ©fense de l’environnement, elle s’y opposera par tous les moyens à sa disposition.
– « La Californie ne retournera pas en arrière. Ni maintenant ni jamais, a lancĂ© M. Brown, saluĂ© par une standing ovation des Ă©lus des deux chambres rĂ©unis Ă  Sacramento.

Au slogan de Donald Trump –« America First »- Jerry Brown a opposé le sien: «Californien d’abord ». « Un Américain sur huit vit en Californie », a-t-il souligné. L’Etat pèse autant que la 6ème économie du monde. Et 27 % des habitants, soit près de 11 millions, sont nés dans un pays étranger. « Quand nous défendons la Californie, nous défendons l’Amérique », a-t-il affirmé.

Sans citer le nom du nouveau prĂ©sident, le gouverneur a fait part de « signes inquiĂ©tants » venus de Washington: « l’affirmation de « faits alternatifs » quoi que cela puisse signifier» (une rĂ©fĂ©rence aux propos de la conseillère de Trump Kellyanne Conway sur le nombre « alternatif » de participants Ă  l’investiture du 20 janvier). Et aussi les attaques « contre la science », contre la « vĂ©rité » et la « civilitĂ© »..

Quelques heures plus tôt, Donald Trump avait annoncé la la relance des oléoducs Keystone XL et Dakota Acess dans le Midwest, Jerry Brown, un écologiste convaincu, a tonné contre les climatosceptiques. « Le climat change. Les températures augmentent. Le monde le sait bien. Nous ne pouvons pas céder à ceux qui le nient ». Il a annoncé qu’il poursuivrait ses efforts pour associer le plus grand nombre de régions au maintien d’engagements volontaires de limitation des émissions.

Sur l’immigration, il a reconnu que la loi fédérale est prépondérante mais rappelé les mesures prises par la Californie comme l’octroi de permis de conduire aux sans papiers. «Nous défendrons tout le monde, a-t-il assuré. Chaque homme, femme ou enfant qui est venu ici chercher une vie meilleure et a contribué au bien être de l’Etat ».

La marge d’action du gouverneur n’est cependant pas très claire. En cas de bras-de-fer, la Californie a beaucoup à perdre. Sur le démantèlement de l’Obamacare, des dizaines de millions de dollars de subventions fédérales pourraient être éliminés, a-t-il noté. Or l’Etat est confronté à un déficit de 1,6 milliard de dollars (sur un budget de 122,5 milliards), pour la première fois depuis plusieurs années.

Mais sur l’environnement et la dĂ©fense des immigrants, Jerry Brown a assurĂ© qu’il ne transigerait pas. Comme Donald Trump, Jerry Brown a des ancĂŞtres originaires d’Allemagne, mĂŞme s’il n’en tire pas tout Ă  fait les mĂŞmes conclusions. Son arrière grand père est arrivĂ© en 1852 du port de Hambourg, sur un bateau appelĂ© « PersĂ©vĂ©rance ». « La pĂ©riode actuelle rĂ©clame courage et persĂ©vĂ©rance. Je vous promets les deux », a-t-il dit.

La Californie est particulièrement inquiète des projets de l’administration Trump. Les collectivités locales qui se sont déclarées « villes sanctuaires » risquent d’être privées de certaines contributions fédérales si elles ne coopèrent pas avec la police en charge de l’immigration. Dans la vallée centrale, les agriculteurs, grands exportateurs vers l’Asie, déplorent déjà les conséquences du retrait du TPP, le traité commercial transpacifique, annoncé le 22 janvier.

Parallèlement, le soutien à l’idée d’indépendance de la Californie a augmenté de manière spectaculaire. Selon un sondage Reuters Ipsos effectué entre le 6 décembre et le 19 janvier, et publié le 24 janvier, 32 % des Californiens sont favorables à faire sécession « de manière pacifique » de la fédération américaine (et 22 % pour l’ensemble des Américains) . Une hausse de 12 points depuis le dernier sondage effectué en 2014. Le « Calexit » est cependant un scénario hautement improbable : il faudrait que les deux-tiers du Congrès l’approuvent et que 38 Etats au moins l’entérinent pour qu’un amendement autorisant la sécession d’un Etat soit adopté.

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Absents à l’hommage de Nice: les parents de Nicolas Leslie

Conrad Leslie a perdu son fils unique Nicolas, 20 ans, le 14 juillet dans l’attentat de Nice. Sa femme Paola et lui ont été invités par le gouvernement français à assister à la cérémonie du 15 octobre à Nice en présence du président François Hollande. Mais la fragilité de la maman de Nicolas ne lui a pas permis de voyager. Entrepreneur, spécialiste d’ingénierie marine, Conrad Leslie réside à Del Mar, près de San Diego, en Californie du sud. C’est là que nous l’avons joint par téléphone. Il était en train d’écrire une lettre de remerciements.

Nicolas Leslie, 20 ans, Ă©tudiant Ă  Berkeley

Nicolas Leslie, 20 ans, Ă©tudiant Ă  Berkeley

« J’écrivais aux maîtres-nageurs de Del Mar pour les remercier d’avoir assuré la sécurité à l’occasion de la journée de « paddle out » qui a été organisée en souvenir de Nick en août. Deux cents personnes sont sorties sur des planches de surf. Nous nous sommes tenu la main et nous avons dispersé ses cendres dans l’Océan.
Je ne pensais pas que j’aurais la force d’y participer. Mais tous les amis de Nick étaient là, même des camarades de l’école maternelle. Ils s’étaient tatoués son nom sur les bras et portaient des leis (les colliers de fleurs hawaiiens).
C’était le 7 août. Vous vous rendez compte ? Je suis seulement en train de les remercier. Je prends facilement du retard, maintenant;  j’ai du mal à faire les choses rapidement.

« Vous connaissez Del Mar ? C’est un paradis, on se croirait sur une ile, avec l’OcĂ©an d’un cĂ´tĂ©, l’autoroute et le lagon de l’autre. On se sent tellement loin de quelque action terroriste que ce soit. Nick Ă©tait instructeur de kite-surf. Il Ă©tait vraiment bon en kite-surf, il avait commencĂ© Ă  10 ans. A cinq ans il montait dĂ©jĂ  sur une planche de surf. On l’a emmenĂ© faire du kite, Ă  HawaĂŻ, en Sardaigne, en France. Il faisait aussi de la plongĂ©e sous-marine. Son rĂŞve c’était de voir toutes les espèces de requins. Il voulait protĂ©ger les requins.

Nick sur son profil Facebook

Nick sur son profil Facebook

« Nick Ă©tait Ă  Nice pour participer au stage d’études Ă  l’étranger de Berkeley. Il Ă©tait en troisième annĂ©e Ă  l’universitĂ©. Tout marchait tellement bien pour lui. C’était incroyable. Il avait rĂ©ussi Ă  ĂŞtre admis dans la Haas business school, l’une des meilleures du pays.
Nous n’étions pas particulièrement inquiets. Nous connaissons bien Nice. La première fois que Nick y est allé, il avait trois ans. Je me souviens que ma femme avait sauvé un enfant qui allait se faire écraser. On lui faisait confiance pour être prudent. Quand il est parti à Berkeley, comme c’est une région à fort risque sismique, on lui a préparé un petit sac à dos avec de l’argent, une couverture, une lampe de poche, un chargeur de téléphone, et une paille spéciale pour boire au travers l’eau contaminée.

« Le programme de « summer study abroad » consiste Ă  monter une start up, avec un Ă©lève-ingĂ©nieur en informatique et un autre de l’école de commerce. L’idĂ©e de Nicolas c’était de crĂ©er une application qui permet de mesurer le niveau d’acide lactique dans les muscles des sportifs. Ca donne aux entraĂ®neurs la possibilitĂ© d’Ă©valuer le degrĂ© de fatigue d’un athlète et de le remplacer si nĂ©cessaire. Le projet a Ă©tĂ© classĂ© dans les meilleurs. Après le 14 juillet, un camarade a repris la place de Nick. Je crois qu’ils ont trouvé un financement.

« Nick parlait italien et espagnol, en plus de l’anglais. Il avait des ascendances multiples ; afro-caribĂ©en de mon cĂ´tĂ© (mon père Ă©tait de Cuba, ma mère espagnole, de Saragosse), italien par sa mère. C’était comme les Nations Unies. C’était comme ça qu’aurait Ă©tĂ© sa vie. Très internationale. On l’a emmenĂ© partout mĂŞme quand il Ă©tait tout petit: sur le Machu Picchu Ă  six mois, en Europe Ă  9 mois… Il se mĂ©fiait des religions. Et il a Ă©tĂ© victime d’une guerre soi-disant religieuse…
Le FBI nous a dit qu’il est mort près de Hi Beach. On aimerait savoir oĂą c’est. Qu’ils mettent une croix sur Google map comme ça on pourrait aller y porter des fleurs. Nous n’avons pas pu aller Ă  l’hommage national mais on aimerait ĂŞtre tenus au courant de l’enquĂŞte. Et si un jour il y a un procès, que les proches des victimes aient la possibilitĂ© de tĂ©moigner.

« Nick Ă©tait très bon orateur. Il Ă©tait capitaine de l’équipe de dĂ©bat dans sa classe. Il savait dĂ©tendre l’atmosphère dans une assemblĂ©e. Je suis sur qu’il aurait pu convaincre ce type, avant qu’il se radicalise. Il lui aurait dit : il n’y a pas de Dieu au monde qui pourrait justifier un acte comme celui-lĂ . Il y a d’autres façons de changer ce qui ne va pas.
Je comprends le contexte, Ă©videmment: les types qui font ça, ils ont peut-ĂŞtre des boulots qui paient mal, ils ont le sentiment de vivre dans un ghetto, ils se demandent comment ils peuvent se sentir Français. Mais Nick leur aurait dit : « Regardez ! Vous habitez Nice »Â ! Berkeley, ça toujours Ă©tĂ© la capitale de la contestation. Il y a tellement d’autres manières de protester.

« Il avait tellement de rĂŞves. Il mesurait 1,93m , Ă©tait en parfaite santĂ©. Quel gâchis! Comme il Ă©tait grand, il marchait vite. C’est peut ĂŞtre pour ça qu’il Ă©tait en tĂŞte, devant ses camarades, sur la Promenade des Anglais. Eux ils ont sautĂ© sur un toĂ®t. Lui, il a disparu. Au dĂ©but, des camarades ont dit qu’ils l’avaient vu vivant. Ce n’est qu’en arrivant Ă  Nice que nous avons appris qu’il Ă©tait mort. On nous a informĂ©s sur le tarmac de l’aĂ©roport. Les officiels se sont excusĂ©s, mais peu importe de toute façon.
Barack Obama nous a téléphoné à la maison. Il l’a fait sans publicité. Personne ne l’a su. Il a dit qu’il appelait en tant que père; et père de deux enfants intéressées par les études à l’étranger. On a parlé. Nick avait été bénévole dans sa campagne électorale. Obama a répété plusieurs fois: « Je n’ai pas la moindre d’explication pour vous ». Ca nous a vraiment émus.

"Et si je ne l'avais pas laissé partir"?

« Et si je ne l’avais pas laissĂ© partir »?

« Nous avons tellement de magnifiques souvenirs. Nous devenons fous. J’ai perdu mon fils ; je ne voudrais pas perdre ma femme. Nous nous sommes rencontrĂ©s en Italie. Ca a Ă©tĂ© le coup de foudre. Six mois après, on Ă©tait mariĂ©s. Mais vous savez, c’est une maman italienne. Quand il Ă©tait petit, elle lui portait tous les jours un repas chaud pour le dĂ©jeuner. Les autres enfants demandaient Ă  leurs mères d’en faire autant. C’est cette relation lĂ  qu’elle avait avec Nick.
On se rĂ©veille le matin et la première chose qu’on se dit, c’est : Nicolas est mort. On a Ă©tĂ© dans le « pourquoi ?». Maintenant, on est dans le « Et si ?». Et s’il ne s’était pas trouvĂ© lĂ  Ă  ce moment prĂ©cis ?
Pardonnez-moi la référence, mais vous savez, à Nice, il y toutes ces crottes de chien sur les trottoirs. Parfois, on se dit : et s’il avait marché dans une crotte de chien ? Ca l’aurait retardé. Le stage à Nice, c’était cher: 7000 dollars. Je me dis: et si je ne l’avais pas laissé partir?
Il faut qu’on ait le courage et la patience d’attendre notre tour de mourir. On aura la rĂ©ponse : oĂą est-il ? J’ai 56 ans. J’ai fait le calcul: mes parents sont morts aux alentours de 90 ans. Un jour je serai dans le mĂŞme endroit que mon fils.

« Les gens me demandent s’il ne faudrait pas suspendre les programmes d’études Ă  l’étranger ? Je leur dis : non ! Justement pas ! On veut que ces jeunes changent le monde !
C’est pour cela que nous avons crĂ©Ă© une fondation : « Victory of the people « . Pour changer les esprits, comme l’aurait fait Nick: une personne, une conscience Ă  la fois ».

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Une élue du Congrès réclame un examen psychiatrique pour Donald Trump

Co8MGIRWAAAQrO4Soumettre Donald Trump à un examen psychiatrique ? C’est la recommandation de la représentante démocrate de Californie Karen Bass, élue de la région de Los Angeles au Congrès fédéral à Washington. « Nous avons besoin d’une plus grande compréhension de la santé mentale de M. Trump avant d’aller aux urnes le 8 novembre », affirme-t-elle.
Mme Bass, assistante mĂ©dicale de profession, Ă©lue au Congrès depuis 2010, a lancĂ© une pĂ©tition sur Change.org. DĂ©finition officielle Ă  l’appui, le texte dĂ©clare que le magnat de l’immobilier « prĂ©sente tous les symptĂ´mes » du trouble de la personnalitĂ© narcissique (NPD).

Selon les critères Ă©tablis par l’association amĂ©ricaine de psychiatrie dans son manuel clinique DSM (« diagnostic and statistical manual of mental disorders »), la personnalitĂ© narcissique se distingue en effet par un sens exacerbĂ© de sa propre grandiositĂ©, une exagĂ©ration de ses rĂ©alisations, des fantasmes de succès illimitĂ©, un besoin incontrĂ´lĂ© d’être admirĂ©, une propension Ă  exploiter les autres et une incapacitĂ© Ă  s’identifier aux besoins des autres. L’exact portrait de Donald Trump, estime Mme Bass, qui prĂ©sente, point par point, un Ă©chantillon des dĂ©clarations de l’empereur des casinos.

Fantasme de succès extraordinaire ? « La seule différence entre moi et les autres candidats, c’est que je suis plus honnête. Et mes femmes sont plus belles », a professé le candidat.

 

Conviction d’être un être à part ? « Je connais les Chinois. J’ai gagné beaucoup d’argent avec les Chinois. Je comprends l’esprit chinois ».

Co8LoBpWIAA5BjXQuête illimitée d’admiration ? « Mes doigts sont longs et beaux. Tout comme, et cela a été bien documenté, certaines autres parties de mon anatomie ».

Certitude de susciter l’envie ? « Mon QI est l’un des plus Ă©levĂ©s. Et vous le savez tous. Mais ne vous sentez pas si stupide ou vulnĂ©rables. Ce n’est pas votre faute »…

La pĂ©tition conclut que Donald Trump est « dangereux »Â par son « impulsivitĂ© » et son « incapacitĂ© » Ă  contrĂ´ler ses Ă©motions.  « Il est de notre devoir patriotique de soulever la question de sa stabilitĂ© mentale », dĂ©clare Mme Bass, en appelant les associations de psychologues Ă  rĂ©clamer du parti rĂ©publicain qu’il accepte de soumettre son candidat Ă  une Ă©valuation psychiatrique. LancĂ©e le 3 aoĂ»t, la pĂ©tition a Ă©tĂ© signĂ©e en trois jours par plus de 15 000 personnes. Elle est accompagnĂ©e d’une campagne sur Twitter sous le hashtag #DiagnoseTrump.

Co8LJqYWgAAgDznL’initiative rebondit sur les questions posĂ©es par les responsables dĂ©mocrates – et nombre de spĂ©cialistes rĂ©publicains de politique Ă©trangère – sur la capacitĂ© et la prĂ©paration de M. Trump Ă  assurer les fonctions de commandant en chef, en charge notamment de l’arme nuclĂ©aire.

Hillary Clinton a mis en cause son tempĂ©rament. Barack Obama a lui-mĂŞme estimĂ© le 2 aoĂ»t que le candidat rĂ©publicain manquait totalement du « jugement » et des « connaissances » nĂ©cessaires (Deux jours plus tard, il a cependant refusĂ© de rĂ©pĂ©ter son diagnostic, se bornant Ă  appeler les AmĂ©ricains Ă  « juger par eux-mĂŞmes »). M. Trump rĂ©agissant gĂ©nĂ©ralement par des tweets vengeurs, les dĂ©mocrates se rĂ©jouissent de le voir mordre Ă  tous les hameçons, dĂ©montrant qu’il n’a pas le cuir assez Ă©pais. « Un homme qu’on peut appâter avec un tweet n’est pas un homme Ă  qui on peut faire confiance sur les armes nuclĂ©aires », a lancĂ© Mme Clinton Ă  la convention de Philadelphie.

Vendredi 5 aout, c’est l’ancien (2010-2013) directeur par intĂ©rim de la CIA Mike Morell qui a lancĂ© une accusation dĂ©vastatrice. Non seulement Donald Trump n’est pas prĂ©parĂ© mais il « met en danger la sĂ©curitĂ© nationale« . Exemple : la naĂŻvetĂ© avec laquelle le businessman est tombĂ© dans le panneau tendu par l’ex-maĂ®tre espion Vladimir Poutine. Celui-ci l’ayant flattĂ©, Trump a rendu la pareille et « rĂ©pondu exactement comme Poutine l’avait calculĂ© ». Il a pris des positions « conformes aux intĂ©rĂŞts russes, non aux intĂ©rĂŞts amĂ©ricains« , Ă©crit l’ancien chef de la CIA dans le New York Times. « Dans le monde du renseignement, nous dirions que M. Poutine a recrutĂ© M. Trump comme un agent involontaire de la fĂ©dĂ©ration russe. »

Mais c’est la première fois qu’un parlementaire national d’un certain rang -Mme Bass est une ancienne secrĂ©taire du Congressional Black Caucus- met en cause non pas l’aptitude du candidat rĂ©publicain mais son Ă©tat mental.

La pétition suscite déjà la controverse. Certains estiment que Donald Trump est moins malade que « raciste » et que lui attribuer une condition médicale masque une réticence à reconnaitre les aspects les moins reluisants de la culture américaine.
D’autres, parmi les psychologues et proches de malades, regrettent que l’élue stigmatise des milliers de personnes atteintes de troubles mentaux.
Traiter Donald Trump de narcissique, autrement dit, donnerait une trop mauvaise image des vrais narcissiques…

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A Portland, la nouvelle contre-culture

vaudou boutique   Aimer Portland, c’est adorer les ponts, les vieilles citĂ©s industrielles, les briques, l’avant-garde dĂ©jantĂ©e, le recyclĂ©….

Et les doughnuts. Portland a érigé le doughnut en religion -si on peut dire, car le temple est dédié au vaudou.

Dans le vieux quartier de Old Town, la boutique Voodoo Doughnut sert 90 sortes de beignets fait maison (bacon, sans gluten, taille XXL..)
Les plus impatients les avalent tout de suite sur les tables de pique-nique violettes installées dans l’allée. Les autres les emportent dans d’énormes boites laquées rose, aussi chics que des emballages de cupcakes.

Rien n’est trop beau pour les beignets ensorcelĂ©s.

Un petit côté Brooklyn

Un petit côté Brooklyn

Les ponts de Portland n’ont pas la majesté de ceux de San Francisco. Ils n’enjambent ni baie ni Océan mais la Willamette, petite rivière pressée de se jeter, au nord-ouest de la ville, dans la voluptueuse Columbia qui descend des Rocheuses.

Au sud, cela dit, la Willamette creuse son sillon jusqu’au royaume du Pinot Noir, dans les Dundee Hills.
Respect, donc.

Les ponts sont un grand sujet de conversation à Portland. Ils sont douze, et pas un ne ressemble à l’autre.
Chaque Portlandais a son ouvrage préféré.
Le Steel bridge, aux poutrelles d’acier, rappelle le passé industrieux de la cité.
Le Hawthorne bridge est franchi chaque jour par 30.000 cyclistes.
Le Saint Johns a donné à la ville les travaux qui ont sauvé des centaines d’ouvriers de la Dépression des années 1930.
Le plus récent, le Tilikum Crossing, date de septembre 2015. Long de 518 m, Il a été baptisé le Pont du peuple, en hommage à la tribu indienne des Chinook. Il a la particularité d’accepter tout le monde: piétons, vélos, bus, tramways, rickshaws.
Tout le monde sauf les voitures.

It's a wonderful life

It’s a wonderful life

Aimer Portland, c’est adorer le « street art ».
La ville est Ă  la pointe de tous les mouvements alternatifs.
Celui des  « tiny houses », par exemple.

Les Tiny Houses sont des maisons de poupées, popularisées par les écolos anti-consuméristes. Décorées et maintenant sous-louées sur Airbnb.

En version moins hip, les Tiny houses sont vues en ce moment comme un remède à la crise du logement.
De Los Angeles à Oakland, on les fabrique avec des matériaux de récupération et on les attribue aux sans abris.
Exemple: Dignity village, la communauté des homeless de Sunderland Street, dans le nord-est de Portland. Une communauté de 60 places, et autogérée.

Portland est aussi la capitale des food trucks, dit food carts. ils sont plus de 700. Toutes les cuisines y sont représentées, et, un plat à la fois: c’est ce qui fait leur succès. Bing Mi ne sert que des jian bing (crêpes chinoises). Le Frying Scotsman, que des fish and chips, Perriera Creperie est spécialisée dans le milkshake à la cannelle.
Tacos coréens, frites belges, Schnitzelwich tchèque: les cuisines du monde façon trottoirs de Portland ont eu les honneurs du magazine Bon Appetit.

powell books

L’Expresso Book Machine, chez Powell Books

Portland ressemble au «San Francisco d’il y a trente ans, dit Matt Wagner. On peut s’y rĂ©inventer ». Lui-mĂŞme jouait de la batterie dans un groupe de rock quand il est arrivĂ© dans l’Oregon.
Maintenant il est directeur artistique pour une brasserie de bière artisanale (oui, l’art est compatible avec la bière à Portland). Il dirige une galerie (Hellion) et il écrit. Totalement réinventé en « plombier culturel » (son expression).
– « Des jobs, j’en ai des tonnes, s’esclaffe-t-il. C’est fini le temps oĂą les gens allaient au bureau de 8 heures Ă  17 heures »
(Pour les amateurs, Matt Wagner vient de publier un livre sur les artistes parisiens inconnus).

Portland est la ville amĂ©ricaine qui compte le plus grand nombre de crĂ©ateurs par habitants (le cinĂ©aste Gus Van Sant sâ€y est installĂ© il y a 30 ans). La municipalitĂ©, qui les chouchoute, a subventionnĂ© la confection de fresques murales dans les rues. Elle a mĂŞme conservĂ© et exposĂ© des graffitis qui avaient Ă©tĂ© gravĂ©s sur des piliers de pont.

Graffiti

Graviti

Des cartes postales aux sacs en cuir et aux emballages de portables, tout est local. Avant le phénomène des « makers », étaient les artisans de Portland.
La ville a aussi inspiré la série Portlandia, qui se moque gentiment des néo-hippies et des moms en tenue de yoga qui trainent du côté de Hawthorne boulevard, au milieu des routards -dont certains ont les yeux plus que vitreux (l’Oregon a légalisé le cannabis en 2014).

 

Litmosphère

Litmosphère

Tout le monde a un vélo à Portland, qui est surnommée « Biketown ». La ville a été la première aux Etats-Unis à réintroduire le street-car (tramway) en 2001.
Dans son précis « This is Portland » (Microcosm publishing), Alexander Barrett, raconte qu’il lui est arrivé d’oublier qu’il avait une voiture. Il l’a retrouvée deux mois après, intacte, garée au même endroit et sans même un PV.

Le Paris, adults only

Le Paris, adults only

 

Portland se flatte aussi d’être la capitale du strip tease (48 clubs pour 600.000 habitants), considĂ©rĂ© comme une forme d’expression dĂ©fendue par le Premier amendement.
Et d’avoir la plus grande parade de cyclistes nus du pays (plus de 10.000 participants, en juin).

L’autocollant préféré des indigènes le recommande: « Keep Portland weird ». Il faut préserver le Portland déjanté.

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San domicile fixe: l’autre San Francisco

En 2005, il y avait 6248 sans abri à San Francisco. Selon le dernier décompte, ils sont 6686. Pratiquement pas de changement, donc, compte tenu de l’augmentation de la population. Pourtant, on ne voit plus qu’eux dans la capitale de la technologie. « Le nombre de homeless n’a pas varié mais l’impression n’est pas la même », reconnaît Sam Dodge, qui est chargé de la question à la municipalité. Explication ? La folie immobilière qui s’est emparée de la ville. « A cause des nouvelles constructions, l’espace qu’occupaient les sans abri s’est réduit ».

Les homeless sont concentrés dans le centre, dans l’ancien quartier historique de Tenderloin. Devant la « soup kitchen » de Sœurs Marie Bénédicte et Marie des Anges, sur Turk Street, c’est la bousculade dès le matin, plusieurs heures avant la distribution des repas. Les sœurs –des Françaises de l’ordre de la Fraternité Notre-Dame- ont-elles-mêmes été menacées d’expulsion. En février, leur propriétaire, un Indien, a porté le loyer mensuel de leur rez-de-chaussée à 5.500 dollars, soit 2035 dollars d’augmentation. « Priez pour nous », ont affiché les sœurs devant l’établissement. Heureusement la presse s’est saisie de l’affaire. Et un mécène, le gourou du développement personnel Tony Robbins, a offert de payer le loyer des religieuses pour un an.

Autour de la soupe populaire des sœurs, c’est un crève-cœur. Des corps sont allongés sur les trottoirs -endormis, espère-t-on, ou assommés par l’alcool. Certains ont le ventre à l’air, d’autres, plus de chaussures. Un homme d’une soixantaine d’années, assis sur une marche, est penché sur ses jambes. Il est occupé à racler ses plaies, larges comme des soucoupes, et la chair est déjà bien entamée. C’est le Moyen âge, à 350 mètres de Bloomingdale’s et de Sephora, à 600 mètres du siège de Twitter, en plein cœur d’une ville dont le budget a augmenté de 41 % en quatre ans. Le maire Ed Lee a cru bien faire en favorisant l’implantation des entreprises technologiques dans le Tenderloin. Mais la fortune des uns n’a pas rejailli sur la misère des autres. Le San Francisco des « techies » coexiste avec l’autre San Francisco, celui des manants. Deux univers parallèles, incapables de communiquer.

San Francisco, elle-même, n’en peut plus du spectacle de ses rues. Selon un sondage de la chambre de commerce, le nombre de SDF devance maintenant le prix de l’immobilier au premier rang des préoccupations des habitants. Certains ont peur de promener leur chien, menacé par les pitbulls qui défendent les tentes des homeless. Les parents se demandent comment rassurer les enfants quand ils croisent des vagabonds qui vocifèrent contre des ennemis imaginaires. Les psychologues recommandent des explications courtes et directes. « Son cerveau ne fonctionne pas comme il le devrait ». Inutile d’argumenter que le nombre de lits en centre d’accueil reste insuffisant. Ou que la politique de « désinstitutionalisation » de Ronald Reagan dans les années 80 a abouti à mettre des milliers de malades mentaux dans les rues. En aucun cas «ne dire à l’enfant qu’il finira dans la même situation» s’il n’est pas sage, conseille la presse…

En dix ans, San Francisco a vu passer 20.000 personnes dans les foyers municipaux. Quelque 3200 y dorment chaque nuit. « La perte de logement n’est pas une expérience rare dans notre société », constate pudiquement Sam Dodge. A terme, la plupart des sans abris conjoncturels, ceux que la gentrification a chassés de leur logement, arrivent à se remettre sur pied. Reste une population chronique d’environ 15% du total. En mars 2015, la ville a lancé un programme expérimental à destination de ces exclus de la socialisation: un « centre de navigation », qui emprunte «à la mentalité pop-up » à la mode dans la Silicon Valley, décrit le responsable. Dans les shelters traditionnels, les SDF « doivent adopter des changements radicaux dans leur vie, avant même d’être admis : limiter leurs possessions, abandonner leurs animaux ». Le « navigation center » ouvert sur Mission Street, leur permet de venir avec chien, chat et partenaire. Personne ne leur ordonne de décamper dès le matin ou ne dicte les heures de repas. Le centre fournit aide au logement, psychiatrique, et billet de bus pour rejoindre l’éventuelle famille. En un an, il a accueilli 500 personnes. Durée moyenne du séjour : 51 jours.

De tout le pays, les services municipaux sont venus étudier ce modèle dont le principe est « Housing first »: d’abord loger, sans conditionner l’assistance au changement de comportement des demandeurs. Et le 14 juin, le conseil municipal a décidé d’étendre l’expérience à six autres centres de navigation. La proposition d’autoriser l’alcool et la drogue dans deux foyers spéciaux a été repoussée. Le maire Ed Lee a estimé que l’argent des contribuables ne pouvait quand même pas être décemment utilisé pour « permettre à des gens de détruire leur corps et leur esprit avec de l’héroïne et de la méthamphétamine». Sous la pression de ses administrés, M. Lee a commencé à prendre le taureau par les cornes. Pour réduire la bureaucratie, il a créé une super-agence de coordination (actuellement 8 départements  municipaux sous-traitent les services aux sans abris à 76 ONG). Dotée d’un budget de 221 millions de dollars et d’un staff de 200 personnes, elle va se mettre au travail le 1er juillet. Objectif : ramener la population de SDF aux environs de zéro en quatre ans.

San Francisco n’est pas un cas isolé. De Seattle à San Diego, la côte Ouest croule sous les homeless et les « jungles » de tentes que les municipalités « nettoient » régulièrement mais qui resurgissent un peu plus loin. A Seattle (Etat de Washington), le nombre de sans abris a augmenté de 19 % en un an. Los Angeles, de 12 % en deux ans. Selon le département fédéral du logement, un tiers des homeless américains se trouvent en Californie.
Pourquoi dans l’Ouest ? Parce que dans le reste du pays, on les chasse à coup d’ordonnances municipales. Selon une étude du Centre juridique national sur les homeless et la pauvreté, portant sur 187 cités, le nombre de villes qui ont interdit de dormir dehors ou de camper a augmenté de 50 % entre 2011 et 2014. Les localités de l’Ouest restent, elles, relativement tolérantes. A Portland (Oregon), la municipalité a même mis en place en février une politique dite de « safe sleep », sommeil en sécurité. Les tentes sont autorisées sur les trottoirs entre 21 Heures et 7 heures du matin.

« Dans le monde, beaucoup de pays ont des problèmes d’inégalités et des problèmes de drogue. Pourtant, ils n’ont pas le même nombre de sans abris, relevait Sam Dodge, le 1er juin, lors d’un forum organisé par l’association de recherche sur l’urbanisme SPUR. S’agit-il d’un problème d’immobilier ? De racisme ? Les Afro-américains ont cinq fois plus de probabilités d’être sans abri que les autres ». Selon le recensement de 2015, les Noirs comptent pour 7 % de la population de San Francisco mais pour 36 % de ses homeless.

InondĂ©e de courriers de citoyens Ă©cartelĂ©s entre leurs bons sentiments et leur crainte d’ĂŞtre agressĂ©s, la presse locale a dĂ©cidĂ© de passer Ă  l’action. A partir de ce 29 juin, les medias de la baie de San Francisco ont prĂ©vu de bombarder leurs lecteurs, auditeurs et tĂ©lĂ©spectateurs d’informations sur les sans abri. Il sera impossible de consulter Facebook, Twitter, ou d’allumer la tĂ©lĂ© sans entendre parler des causes et des remèdes Ă  la crise du logement. Une initiative de la rĂ©dactrice en chef du San Francisco Chronicle, Audrey Cooper, furieuse d’être tombĂ©e un jour sur un couple faisant l’amour dans une tente, parois grandes ouvertes, alors qu’elle passait avec sa poussette et son bĂ©bĂ©.

Soixante-dix organes de presse se sont associés à l’offensive, une collaboration sans précédent entre médias souvent rivaux : des journaux de quartier aux institutions comme l’antenne locale de la chaîne publique KQED, en passant par des magazines nationaux (Mother Jones). « Comme vous, nous sommes mécontents, désorientés et horrifiés par le problème apparemment sans solution des sans-abri dans notre ville. Comme vous, nous voulons des solutions et du changement, écrivent les participants dans une lettre ouverte publiée le 27 juin. Cette situation serait une honte dans n’importe quelle ville. Mais dans la capitale américaine de la technologie et du progrès social, c’est inadmissible. »

Certains prĂ©parent des portraits de SDF. Le San Francisco Chronicle compte aller plus loin et Ă©tudier des propositions d’action. Première enquĂŞte : la construction un centre de soins psychiatriques pour accueillir les sans abri atteints de troubles mentaux. Une vieille idĂ©e -mais un nouvel exemple du « journalisme de solutions ».

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Les républicains de Californie déstabilisés par Trump

Douglas Drummond veut secouer le cocotier

Douglas Drummond: « Bien sĂ»r, Trump va gagner »

A la convention rĂ©publicaine de Californie, on croirait que Ted Cruz est le grand favori du parti. Dans les allĂ©es, on ne voit que les affiches rouge-blanc-bleu du sĂ©nateur du Texas: « Emploi, libertĂ©, sĂ©curitĂ© ».
Tout est flambant neuf : les prétendants commencent seulement à se mettre en place pour les primaires du 7 juin.
D’habitude, à ce stade du processus de dĂ©signation du candidat rĂ©publicain pour l’Ă©lection prĂ©sidentielle de novembre, les jeux sont faits. Le « nominĂ© » est sorti du chapeau des militants des autres Etats.
Pas cette annĂ©e. Il faudra attendre le vote de la Californie pour savoir si Donald Trump passe ou non le cap des 1 237 dĂ©lĂ©guĂ©s nĂ©cessaires pour s’assurer l’investiture du parti Ă  la convention nationale de Cleveland (Ohio) en juillet. Du jamais-vu, de mĂ©moire de militant, depuis la victoire de Barry Goldwater en 1964 (sur sa lancĂ©e californienne, l’auteur de « Conscience d’un conservateur » a remportĂ© l’investiture quelques semaines plus tard).

Le dĂ©ploiement des affiches de Ted Cruz n’impressionne pas Douglas Drummond, positionnĂ© dans la file d’attente, vendredi 30 avril, pour Ă©couter Donald Trump.
– « Autant acheter du papier toilettes ! Cruz n’a pas le nombre de dĂ©lĂ©guĂ©s. Il ne peut pas gagner. Tout cela est une vaste plaisanterie. »
Le  promoteur immobilier est venu de Californie du Sud pour la convention, qui se tient dans un hĂ´tel de Burlingame, près de l’aĂ©roport de San Francisco. Ce qu’il aime chez Trump ?
– « C’est le seul candidat qui ne me demande pas d’argent. »
A quoi s’ajoute un langage qui cogne :
– « Il peut ĂŞtre vulgaire. Mais pour se faire entendre, il faut parfois lâcher quelques  jurons. »
En 2012, Doug Drummond a voté Mitt Romney.
– « Une erreur monumentale« .
Maintenant, il se fait une joie de secouer le cocotier rĂ©publicain. Les Glenn Beck, Bill O’Reilly, et tous les cadors qui mènent la danse depuis des annĂ©es au GOP, c’est fini. Vive « Trump le grand dĂ©stabilisateur ». Peu importe ses approximations idĂ©ologiques.
– « Il pourrait venir de Pluton, je voterais quand mĂŞme pour lui. »

Cheryl Tapp: "I'm so tired of all politicians"

Cheryl Tapp: « J’en ai tellement assez de tous ces hommes politiques ! »

J’en ai tellement assez de tous ces hommes politiques.

Cheryl Tapp, 62 ans, a, elle aussi, trouvĂ© son homme. EnregistrĂ©e comme « indĂ©pendante », elle a votĂ© Clinton (en 1992), Bush (en 2000) et Obama (en 2008).
– « Et je regrette chacun de ces choix. »
De Bill Clinton, elle retient quand même un point positif : la loi de 1993 qui a autorisé le congé (sans solde) pour raisons familiales. Mais rien que de penser à ses infidélités, elle se met en colère.
– « J’en ai tellement assez de tous ces hommes politiques. Au moins, Trump ne boit pas, ne fume pas et il a de bonnes manières. Et il n’en veut pas Ă  notre porte-monnaie. Il a tout ce qu’il veut. S’il fait tout ça, c’est pour les gens du peuple. DĂ©jĂ  dans son Ă©mission The Apprentice, il crĂ©ait des jobs pour tout le monde. »
Cheryl Tapp est hĂ´tesse de l’air dans une compagnie low-cost. Elle en veut Ă  l’AmĂ©rique post-11-Septembre.
–  « Après les attentats, quand les compagnies aĂ©riennes Ă©taient au bord de la faillite, j’ai failli être licenciĂ©e. Personne ne m’a aidĂ©e. J’Ă©tais sur la paille. Et je voyais tous ces immigrants qui ont des maisons. J’en ai tellement assez qu’on prenne soin de ces gens. Je veux voir tous ces illĂ©gaux hors d’ici. »
L’hĂ´tesse de l’air est particulièrement sĂ©duite par la promesse de Trump de construire un « mur », Ă  la frontière mexicaine.
« Faites-le, et aussi haut que possible ! »

Eric Corgas, 23 ans: "On va bloquer Trump"
Eric Corgas, 23 ans: « Nous allons arrĂŞter  Trump »

Dans l’hĂ´tel Hyatt Regency, les policiers en tenue anti-Ă©meute courent d’une entrĂ©e Ă  l’autre pour repousser les tentatives d’intrusion des manifestants anti-Trump. Ceux-ci ne sont pas très nombreux mais ils sont agiles. Au point que l’homme d’affaires a Ă©tĂ© contraint d’entrer – et sortir – par la porte de derrière.

– « Trump, c’est la voix de la colère, reproche Eric Corgas, 23 ans, un partisan de Ted Cruz. Il se prĂ©tend outsider, mais il est l’exemple parfait du type de l’intĂ©rieur. On n’a pas besoin de quelqu’un qui se flatte de savoir nĂ©gocier. Le parti a besoin de retourner aux idĂ©es. »
Eric ne votera pas pour le milliardaire s’il remporte l’investiture.
– « Il a toujours Ă©tĂ© dĂ©mocrate. Il a soutenu financièrement les Clinton. Et un matin, il s’est rĂ©veillĂ© en prĂ©tendant être rĂ©publicain ! »
A vrai dire, le militant n’est pas loin de croire que Trump est en fait un sous-marin dĂ©mocrate en mission de destruction du GOP…

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Cheryl Westberg : « Le pays doit Ă©voluer vers le socialisme… Je veux quelqu’un qui puisse le ramener »

Ted Cruz compte sur les fermiers de la VallĂ©e centrale. Comme Cheryl Westberg, une ancienne cadre commerciale de la Silicon Valley. Il y a vingt ans, elle a quittĂ© le monde de l’entreprise pour cultiver les amandes et Ă©lever ses enfants Ă  Oakdale, Ă  180 kilomètres Ă  l’est de San Francisco.
Cheryl se dĂ©crit comme une « traditionaliste« : favorable Ă  un gouvernement minimum qui place l’individu au centre de l’Ă©conomie.
Et elle n’a pas envie, elle non plus, de voter pour Donald Trump en novembre.
– « Il a Ă©tĂ© dĂ©mocrate, rĂ©publicain. Il y a toujours ce doute qu’il peut pencher d’un cĂ´tĂ© ou d’un autre. Alors que Cruz a un axe central : la dĂ©fense de la Constitution. »

Pour l’instant, les sondages donnent l’avantage Ă  Donald Trump, mais le système de dĂ©signation des 172 dĂ©lĂ©guĂ©s californiens est compliquĂ© (3 dĂ©lĂ©guĂ©s pour chacune des 53  circonscriptions, 10 « volants » attribuĂ©s au vainqueur de l’Etat et 3 dĂ©signĂ©s par le parti). Et dans chaque circonscription, c’est la règle du winner-take-all qui s’applique. Or, le dĂ©coupage des circonscriptions ne dĂ©pend pas du nombre de rĂ©publicains, mais de la population dans son ensemble.
Exemple : il faut 8 000 voix d’avance pour ĂŞtre dĂ©clarĂ© vainqueur Ă  Oakland – oĂą sont concentrĂ©s les Latinos –, mais 80 000 dans le comtĂ© d’Orange, dans la banlieue de Los Angeles, bastion de la classe moyenne blanche.
Selon le San Francisco Chronicle, les Latinos des circonscriptions urbaines auront six fois plus de poids dans la primaire rĂ©publicaine que les Blancs des suburbs. Paradoxalement, le sort de Donald Trump pourrait ĂŞtre dĂ©cidĂ© par une poignĂ©e de Latinos…

Autodestruction

Le parti rĂ©publicain de Californie a dĂ©jĂ  eu beaucoup Ă  pâtir de ses positions radicales sur l’immigration. A l’Ă©poque de Ronald Reagan – qui, Ă©lu prĂ©sident a rĂ©gularisĂ© des millions de clandestins en 1986 –, il Ă©tait tout-puissant. Aujourd’hui, il ne reprĂ©sente plus que 28 % des Ă©lecteurs inscrits. Les deux chambres sont Ă  majoritĂ© dĂ©mocrate. Depuis la rĂ©Ă©lection d’Arnold Schwarzenegger en 2006, aucun rĂ©publicain n’a gagnĂ© un siège qui nĂ©cessite le vote de l’ensemble des Ă©lecteurs de l’Etat (gouverneur, attorney general, etc.)

Le dĂ©clin a commencĂ© après 1994, quand le parti a soutenu un ensemble de mesures anti-immigrants, notamment la proposition 187 qui refusait les services publics aux clandestins (et l’Ă©cole Ă  300 000 enfants sans papiers). Les publicitĂ©s pour la proposition – soumise Ă  rĂ©fĂ©rendum populaire – jouaient sur la peur de « l’invasion » : « They keep coming » (ils continuent Ă  arriver). En novembre 1994, la proposition 187 a Ă©tĂ© adoptĂ©e Ă  une large majoritĂ© des Ă©lecteurs (59 %). Son application a Ă©tĂ© bloquĂ©e par la justice, mais dans la dĂ©cennie suivante, plus d’un million de Latinos se sont inscrits sur les listes Ă©lectorales, et les dĂ©mocrates ont eu la haute main sur l’Etat.

Ron Unz: "Trump will probably lose in november"

Ron Unz : « Trump va sans doute perdre  en novembre »

Pour les rĂ©publicains de Californie, l’irruption de Donald Trump tombe particulièrement mal. Le parti Ă©tait engagĂ© dans une laborieuse tentative pour regagner le terrain perdu auprès des Latinos, qui reprĂ©sentent 38 % de la population de l’Etat (autant que les habitants d’ascendance europĂ©enne).
Certains craignent que le repositionnement idĂ©ologique du parti  soit compromis. Et que l’exemple de Californie prĂ©figure le sort qui attend le parti au niveau national s’il se range du cĂ´tĂ© du message anti-immigrants de l’homme d’affaires.
– « Quand on bâtit sa campagne sur les attaques anti-immigrants, ils ne risquent pas de voter pour vous, souligne Ron Unz, 54 ans, qui Ă©tait l’un des leaders de l’opposition Ă  la proposition 187. C’est ça qui a dĂ©truit le parti rĂ©publicain de Californie. »

Ron Unz, un physicien devenu crĂ©ateur d’entreprise de logiciel financier dans la Silicon Valley, est candidat au SĂ©nat fĂ©dĂ©ral. Aux primaires, il pense soutenir Donald Trump parce que le milliardaire attaque l’establishment « qui a votĂ© pour la guerre en Irak ». Mais en novembre, il Ă©crira sur son bulletin un autre nom. Celui du libertarien « Rand Paul par exemple« . Et de toute façon, Trump « va probablement perdre« .

Le cauchemar Barry Goldwater

L’histoire se rĂ©pĂ©tera-t-elle ? En 1964, les primaires de Californie avaient scellĂ© l’investiture de Barry Goldwater lors d’une convention houleuse – Ă  San Francisco. Le 3 novembre suivant, le rĂ©publicain avait Ă©tĂ© laminĂ© Ă  l’Ă©lection prĂ©sidentielle. Son adversaire Lyndon Johnson l’avait emportĂ© avec 61 % des voix (et 44 Etats sur 50), dĂ©passant le record Ă©tabli par Franklin Roosevelt. Le raz-de-marĂ©e anticonservateur avait octroyĂ© aux dĂ©mocrates leur plus large majoritĂ© Ă  la chambre des reprĂ©sentants depuis 1936.
Un scĂ©nario qui donne des cauchemars Ă  l’establishment du GOP. Non seulement Trump pourrait perdre la Maison Blanche, mais il pourrait dĂ©clencher une vague d’hostilitĂ© (ou d’abstentionnisme), qui coĂ»terait au parti conservateur sa majoritĂ© au SĂ©nat, voire Ă  la chambre des reprĂ©sentants. « Ce que va devenir le parti rĂ©publicain, c’est la question que tout le monde se pose, soupire Cheryl Westberg. Personne ne sait comment on va sortir de tout ça à l’Ă©tĂ©. »
A ce stade, le sort du parti rĂ©publicain est le cadet des soucis du promoteur Doug Drummond. « Que le parti survive ou pas, ça m’est Ă©gal. Le sujet, ce n’est pas le parti. c’est le peuple. Il s’agit de transcender les courants actuels de la politique aux Etats-Unis. »

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A San Francisco, le « Black and Brown social club » contre les violences policières

Armando, 18 ans, devant le commissariat de police du quartier de Mission (photo CL)
Armando, 18 ans

 Scène de la vie ordinaire dans le San Francisco des petites gens. Devant le commissariat de police de Mission, le quartier oĂą les restaurants branchĂ©s se mĂŞlent aux taquerias latinos, cinq personnes font la grève de la faim pour protester contre les violences policières. Dont Ilych Sato, alias Equipto, rappeur local et co-fondateur du « Black and Brown social club ».

Leurs amis sont venus les soutenir comme tous les soirs depuis six jours. Apporter des bouteilles d’eau, des vitamines, du potassium. Le quartier les dĂ©fend. Le magasin d’en face (Good vibrations), qui vend des sex toys, accueille les militants qui ont besoin de charger leur batterie de tĂ©lĂ©phone.

Ce mardi 26 avril, il y a mĂŞme un peu plus de monde, devant le 630 Valencia Street: la police tient à 18h00 sa rĂ©union mensuelle de « consultation avec la communautĂ© ». Les militants ont l’intention de profiter de la tribune. Quelques camĂ©ras sont lĂ , et la police est obligĂ©e de laisser entrer les reprĂ©sentants de la « communautĂ© ». 42, pas un de plus.

Les policiers font profil bas. Ils n’ont pas essayĂ© de dĂ©gager les tentes et ils autorisent les grĂ©vistes de la faim Ă  utiliser les toilettes du commissariat. Certains prennent l’air le plus dĂ©gagĂ© possible. A croire qu’ils ne sont pas membres du SFPD, le dĂ©partement qui fait l’objet depuis fĂ©vrier d’une enquĂŞte de l’administration fĂ©dĂ©rale -comme les polices de Chicago et de Baltimore- pour usage excessif de la force et possible discrimination.

Policier pas très à l'aise tentant de rester zen

Policier tentant de rester zen

Le matin même, les media ont sorti une nouvelle affaire de textos racistes échangés par des agents du SFPD (San Francisco police department).
Des messages -une centaine au total- qui s’en prennent aux homosexuels, aux Noirs, Latinos, aux Indiens, et aussi Ă  Barack Obama. Messages jugĂ©s trop incendiaires pour ĂŞtre diffusĂ©s Ă  la tĂ©lĂ©vision, ont indiquĂ© les chaĂ®nes (« mais vous pouvez les consulter sur notre site« ..)

L’auteur des textos, un officier d’origine chinoise, Jason Lai, a Ă©té suspendu il y a un mois. C’est la deuxième sĂ©rie de messages racistes dĂ©couverts par inadvertance, à l’occasion d’investigations portant sur d’autres faits. Le maire dĂ©mocrate de San Francisco, Ed Lee, a mis en cause « quelques brebis galeuses » mais selon le public defender (mĂ©diateur de la ville) Jeff Adachi, les textos sont le signe d’une « culture qui tolère la discrimination ».

Les noms des victimes Ă  la craie devant le commissariat

A la craie

Les manifestants rĂ©clament la dĂ©mission du chef de la police de San Francisco Greg Suhr.  Sur le trottoir, ils ont inscrit Ă  la craie le nom des victimes des dernières violences. Mario Woods, tuĂ© en dĂ©cembre parce qu’il refusait de laisser tomber son couteau; Alex Nieto, abattu de 59 balles en 2014; Jose Luis Gongora, un sans-abri de 45 ans tuĂ© 16 secondes après ĂŞtre entrĂ© en contact avec les policiers le 7 avril… Avant l’arrivĂ©e de « Chief Suhr » Ă  la tĂŞte du SFPD, en avril 2011, la police de San Francisco Ă©tait la moins brutale des forces des 14 plus grandes villes du pays. Depuis qu’il est en fonctions, il y a plus d’un homicide par an en moyenne, accusent les activistes.

Les agents laissent entrer les protestataires au compte-goutte dans la salle de rĂ©union. A 18 heures, le commissaire ouvre la session mais les protestataires ne sont pas d’humeur Ă  discuter. A peine a-t-il ouvert la bouche que fusent les cris appelant au limogeage du chef de la police : « Fire Chief Suhr« !

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Robert: « They are killing us »

Dans la foule, Robert, 50 ans, dont 23 en prison.
– « Je suis sorti il y a 8 ans, explique-t-il. J’ai changĂ© de vie. Pendant longtemps, j’ai fait comme si je ne voyais pas ce qui se passe. Mais je ne peux plus. Assez, c’est assez. Ils nous tuent. Si on ne rĂ©agit pas maintenant, on ne sera bientĂ´t plus lĂ « .

Le harcèlement policier s’ajoute aux expulsions dues Ă  la gentrification dans la capitale de la Tech. Les minoritĂ©s sont poussĂ©es hors de la ville. Les Latinos hors de Mission; les Noirs hors de Bayview.
– « On n’est plus que 3 % de la population« , souligne Robert.

Au premier rang des protestataires, se trouve Mesha Irizarry, 67 ans.
Je parle français, s’exclame-t-elle. Je suis Basque !
Mesha est une encyclopĂ©die de la diversitĂ© Ă  elle-seule. Mi-basque, mi-amĂ©ricaine; très blanche, un peu Noire; lesbienne, et mère d’un grand fils qui s’appelait Idriss.

Mesha Irizarry
Mesha Irizarry

Idriss avait 23 ans quand il a Ă©tĂ© tuĂ© par la police le 12 juin 2001 dans un cinĂ©ma. Il Ă©tait bipolaire, pense-t-elle maintenant, mais personne n’avait fait le diagnostic.
A-t-il Ă©tĂ© victime d’une crise ? Il a appelĂ© lui-mĂŞme Ă  l’aide. En rĂ©cupĂ©rant son tĂ©lĂ©phone, Mesha s’est aperçue qu’il avait composĂ© le 911 neuf minutes avant de mourir.
Son corps a été criblé de 48 balles.

Les policiers n’ont pas Ă©tĂ© poursuivis pour la mort du jeune homme. Huit mois après le drame, Mesha a tentĂ© de se suicider. Puis elle a crĂ©Ă© la fondation Idriss Stelley pour aider les parents de victimes de bavures. Elle a reçu plus de 6000 demandes en 13 ans.

Idriss était son fils unique. Il avait étudié au lycée français.
J’ai reçu les condolĂ©ances de Chirac, dit-elle. Et d’Arlette Laguiller !
Cela parait loin, mais pour Mesha Irizarry, ça ne le sera jamais.

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Pourquoi la fĂŞte de la marijuana tombe le 20 avril

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Le Big One: l »Ă©quivalent d’une vingtaine de joints (Photo C.L)

Grande fĂŞte de la marijuana Ă  San Francisco. Ce mercredi, ils sont quelque 15.000 sur « Hippie Hill », dans le parc national du Golden Gate, rassemblĂ©s pour le festival du cannabis. Un nuage s’Ă©lève de la colline. Des drones filment la scène ainsi que les hĂ©licoptères des chaines de tĂ©lĂ©.

Nous sommes le 20 avril, une date qui est devenue un rituel pour les consommateurs de marijuana dans le monde entier. Les AmĂ©ricains l’appellent « 4/20 ». Four-twenty. Sur les campus, c’est pratiquement un jour fĂ©riĂ©.

Il n’y a pas de compte Ă  rebours comme le 31 dĂ©cembre mais presque: Ă  4:20 pm (16H20), tout le monde allume son joint en mĂŞme temps Certains ont concoctĂ© des pĂ©tards Ă©normes. Un peu tassĂ© peut-ĂŞtre? On en entend tousser quelques uns…

La police l’a rappelĂ© haut et clair: le festival est hautement illĂ©gal (il n’est mĂŞme pas permis de fumer des cigarettes dans le parc). Mais comme l’a expliquĂ© un agent, « nous sommes incapables d’empĂŞcher quelque chose d’aussi large« . Les autoritĂ©s ont donc installĂ© des toilettes portables et des poubelles pour Ă©viter de retrouver des milliers de mĂ©gots dans la pelouse comme l’an dernier. Une mansuĂ©tude qui va coĂ»ter « plus de 80.000 dollars aux contribuables », ont protestĂ© les partisans de la loi, de l’ordre et de la fluiditĂ© de la circulation automobile.

Lee, 67 ans, avec la chemise faite sur mesure par Pam

Lee, 67 ans, avec la chemise faite sur mesure par Pam

Quatre Etats amĂ©ricains ont lĂ©galisĂ© l’usage du cannabis depuis 2012 mais la marijuana reste illĂ©gale au regard de la loi fĂ©dĂ©rale. En Californie, Etat progressiste s’il en est, elle reste pĂ©nalisĂ©e (sauf avec un certificat mĂ©dical mais les Ă©lecteurs se prononceront en novembre sur la lĂ©galisation).
   – « Ce que vous voyez, c’est le changement social en action », commente Lee X., 67 ans, un agent immobilier vĂŞtu d’une chemise dĂ©corĂ©e de feuilles de marijuana, faite sur mesure par son Ă©pouse Pam (une ancienne « flower child » de Portland, Oregon). D’après lui, c’est la gĂ©nĂ©ration du millĂ©naire qui force le changement. « Les millenials veulent laisser leur marque dans l’histoire », assure-t-il.

La police a aussi annoncĂ© une « TolĂ©rance zĂ©ro » pour la vente de boissons et de T-shirts. RatĂ©. On vend Ă  qui mieux mieux: hot dogs, Cheetos, et les cigarillos Swisher que les fumeurs dĂ©pècent pour les remplir d’herbe (« comme ça on Ă©vite de fumer du papier« , explique l’un d’eux).

Pommes au caramel. Prix :  4,20 dollars (what else?)

Pommes au caramel. Prix : 4,20 dollars (what else?)

Pourquoi cette date ? Qui a eu l’idĂ©e de faire le lien entre les chiffres 4, 20 et la marijuana ? Les « stoners » se perdent en conjectures. Ils ont longtemps affirmĂ© que 420 Ă©tait le code utilisĂ© par la police pour signaler par radio une activitĂ© illĂ©gale ayant Ă  voir avec l’usage de stupĂ©fiants. Jusqu’à ce qu’un journaliste ait l’idĂ©e de vĂ©rifier. En fait, c’est le code pour les homicides Ă  Las Vegas (et dans la sĂ©rie « Crime scene investigation »).
Quoi alors ? Certains relèvent la coincidence avec l’anniversaire d’Hitler, nĂ© le 20 avril 1889 (mais quel serait le message ?). D’autres celui de la fusillade du lycĂ©e de Columbine, dans le Colorado, le 20 avril 1999 (mais le « code » de la marijuana existait dĂ©jĂ  dans quelques cercles d’initiĂ©s).

Si on en croit la reconstitution la plus crédible, tout est parti de San Rafael, à 60 km au nord de San Francisco, au début des années 1970, lorsqu’un groupe de lycéens – les Waldos – a pris l’habitude de se retrouver pour fumer à la sortie des classes. Nom de code du rendez-vous: 4-20 (16 h 20)… Les rockers de Grateful Dead, qui répétaient à San Rafael, ont propagé l’expression. Dans les années 1990, le magazine High Times a acheté le nom de domaine www.420.com.

Le 4/20 a maintenant pris rang de fĂŞte internationale de la marijuana. On l’a cĂ©lĂ©brĂ© au Canada et en AmĂ©rique latine.  Les cĂ©lĂ©britĂ©s (Miley Cyrus) ont lancĂ© des « Happy 420 » sur leurs fils tweeter. Loin de la rĂ©bellion des dĂ©buts, le 20/4 consacre la banalisation du cannabis.

Reina, 22 ans

Reina, 22 ans, a pris une journée de congé pour fêter ça

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L’effet Trump sur les enfants: « Est-ce que le mur est déjà là »?

Et les enfants ? Les hommes politiques ont-ils pensĂ© aux enfants ? Les adultes ont l’habitude aux Etats-Unis de la surenchère anti-immigration qui s’empare du camp rĂ©publicain à l’occasion des primaires. Il y a eu les « Minutemen » en 2005-2006, les vigiles autoproclamĂ©s qui surveillaient la frontière mexicaine. Puis le Tea Party, en 2008-2010. Les candidats s’opposaient Ă  toute « amnistie » pour les sans-papiers. Mais rares Ă©taient ceux qui allaient jusqu’à rĂ©clamer l’expulsion de tous les clandestins.
Et la rhétorique extrémiste retombait après les élections.

Cette annĂ©e, le phĂ©nomène est diffĂ©rent, du fait de la virulence de Donald Trump et de son omniprĂ©sence dans les medias. En quelques mois, ses propositions de construction d’un mur et de « dĂ©portation » des sans papiers, ont ramenĂ© la peur dans la communautĂ© latino et semĂ© l’inquiĂ©tude jusque dans les cours de rĂ©crĂ©ation.
Nombre d’Ă©coles sont dĂ©stabilisĂ©es, si on en croit un rapport publiĂ© le 13 avril par le SPLC, le Southern Poverty Law center, qui traque les groupes extrĂ©mistes et suprĂ©macistes blancs depuis 1971. « Nous avons vu Donald Trump se comporter comme un enfant de 12 ans. Maintenant nous voyons des enfants de 12 ans se comporter comme Donald Trump », se dĂ©sole Richard Cohen, le directeur du centre.

Le SPLC reconnait sans difficultĂ© que son enquĂŞte (« The Trump Effect: The Impact of the Presidential Campaign on Our Nation’s schools »), qui a Ă©té rĂ©alisĂ©e en ligne entre le 23 mars et le 2 avril par le projet Teaching Tolerance, n’a pas valeur scientifique. Mais il souligne que quelque 2000 enseignants ont apportĂ© leurs constatations sur l’impact du climat Ă©lectoral dans leurs classes. Et que plus de 5000 commentaires ont Ă©tĂ© recueillis.

Harcèlement des jeunes issus de minoritĂ©s, agressivitĂ© du discours, libĂ©rĂ© des contraintes habituelles: selon le rapport, les pratiques « anti-bullying » en milieu scolaire font les frais du climat de la campagne Ă©lectorale. « Nombre de mes Ă©lèves reprennent les discours de haine contre les rĂ©fugiĂ©s et les pauvres, affirme un prof. Et les prĂ©jugĂ©s contre la religion ont augmentĂ© ».  
Un instituteur de maternelle dans le Tennesse raconte qu’un enfant latino, qui s’est entendu annoncer par ses  camarades qu’il allait ĂŞtre expulsĂ© et empĂŞchĂ© de revenir par un mur, demande tous les jours oĂą en est le projet: « Est-ce que le mur est dĂ©jĂ  lĂ  ? »
Un Ă©colier musulman a demandĂ© s’il devrait porter une puce Ă©lectronique si Trump Ă©tait Ă©lu. Certains utilisent le nom du milliardaire comme cri de ralliement avant de s’en prendre Ă  d’autres. Des enfants musulmans se font traiter de « terroriste » ou de « poseur de bombe ».. « Je suis pour Trump, a expliquĂ© un enfant de CM2. Quand il sera prĂ©sident, il va tuer tous les musulmans ». 

Un autre: « Mes Ă©lèves latinos sont Ă©coeurĂ©s par le discours de Trump mais aussi par le nombre de gens qui ont l’air d’ĂŞtre d’accord avec lui. Ils sont persuadĂ©s que leurs camarades et mĂŞme leurs profs les dĂ©testent« . Dans les copies, les profs trouvent parfois le nom de Trump barrĂ© d’une croix.

Mais Donald Trump n’est pas sans attrait dans les milieux dĂ©favorisĂ©s. « Mes Ă©coliers viennent de familles pauvres, relate un prof. Comme Trump est connu pour sa fortune, ils ont demandĂ© Ă  discuter du bĂ©nĂ©fice qu’il y aurait Ă  avoir un prĂ©sident riche« . Autre remarque: « Mes Ă©lèves blancs de milieux pauvres se sentent maintenant en droit de faire des commentaires racistes ». Quand le prof les reprend, ils demandent « pourquoi », Ă©tant donnĂ© qu’ils ne font que reprendre ce qu’ils ont entendu Ă  la tĂ©lĂ©. Plusieurs enseignants indiquant d’ailleurs que, dans leur Ă©tablissement, les Ă©lèves les plus chahutĂ©s sont ceux qui affichent leur soutien Ă  l’homme d’affaires.

Selon Maureen Costello, la directrice du projet Teaching Tolerance, qui aide les enseignants Ă  gĂ©rer la diversitĂ© dans les classes, les profs se sentent confrontĂ©s Ă  un dilemme: parler des Ă©lections ou protĂ©ger leurs Ă©tudiants. Dans les classes Ă©lĂ©mentaires, une moitiĂ© d’entre eux prĂ©fère Ă©viter les sujets politiques. « Je suis incapable de maintenir la civilitĂ© de la discussion », avoue un enseignant. Dans les lycĂ©es, il s’en trouve de plus en plus qui dĂ©cident de ne pas rester neutres, souligne-t-elle, contrairement Ă  leur pratique habituelle.

Les conclusions du rapport sont d’autant plus prĂ©occupantes qu’elles sont porteuses de consĂ©quences Ă  long terme dans les Ă©coles multiethniques. Or le climat des primaires ne reflète pas l’Ă©tat de la sociĂ©tĂ©. Selon une Ă©tude du Pew Research Center, en date du 31 mars, 59 % des AmĂ©ricains estiment que les immigrants constituent une « force » pour le pays. Un changement spectaculaire depuis 1994, quand 63% d’entre eux estimaient qu’ils reprĂ©sentaient au contraire un « fardeau ».
Les trois-quarts des habitants sont favorables Ă  la rĂ©gularisation des sans papiers et 62 % sont opposĂ©s Ă  la construction du « mur » proposĂ© par Trump Ă  la frontière mexicaine. Le clivage rĂ©publicain-dĂ©mocrate n’a cessĂ© de s’amplifier depuis 2006, mais dans l’ensemble, la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine est plus tolĂ©rante sur l’immigration qu’il y a 20 ans. Encore faut-il en convaincre les enfants. « Est-ce que c’est comme ça que l’Allemagne a Ă©lu Adolf Hitler« ? a demandĂ© un Ă©lève.

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Bernie n’est pas Obama

Barack Obama avait pris l’habitude de jouer au basket les soirs de primaires, pour se délasser, en attendant les résultats. Bernie Sanders s’est essayé à quelques paniers avec ses deux fils et quelques uns de ses 7 petits-enfants, le soir de sa victoire dans le New Hampshire le 9 février. Une caméra a obligeamment filmé la scène. A 74 ans, vêtu de son costume-cravate, Bernie Sanders met une demi-douzaine de ballons dans le panier (ce qui ne l’empêche pas de continuer à maugréer). La vidéo a été vue près de 100.000 fois sur Youtube.

Depuis le début des primaires, Bernie Sanders essaye de réveiller un rêve de yes we can. Son slogan «A future to believe in » (« un future auquel croire ») étrangement celui de Barack Obama en 2008 : « Change we can believe in » (« un changement auquel nous pouvons croire »). Les mêmes lettres blanches sur fond bleu ciel.

Un air de "Change you can believe in" Photo Scott Olson / AFP

Un air de « Change you can believe in »
Photo Scott Olson / AFP

   Le parallèle est tentant. Comme Barack Obama, Bernie Sanders a suscité un engouement extraordinaire, notamment chez les jeunes. Avec son allure de Don Quichotte en croisade contre les moulins de Wall Street, il a inspiré des fresques murales (deux, dans le seul Downtown de Denver, œuvre d’un artiste amérindien Gregg Deal). Un rap (Bern it up, du DJ Steve Porter), sur le modèle lancé par Will.i.am en 2008 à propos d’Obama, avec des extraits de discours du candidat. « Enough is enough » (assez), « Mobilisons nous pour la classe moyenne ».

Les teenagers l’ont adopté, dans leur jargon. « Bernie is BAE », lit-on sur une affiche: “Before anyone else”. Le meilleur autrement dit. Dans les meetings, on aperçoit des tatouages à son effigie. Un crâne dégarni, une tignasse quelque part sur l’arrière et une paire de lunettes : voilà Bernie. Shepard Fairey, l’auteur de l’affiche de Barack Obama qui a fait le tour du monde en 2008, « Hope », a lui aussi réalisé un « Bernie président» vendu 30 dollars sur la boutique du candidat. Il n’y a pas représenté son visage mais l’avenir radieux qui attend la classe moyenne. « Je suis fatigué des portraits. Je veux faire des images à propos de gens qui ont de la substance », explique-t-il dans une video mise en ligne le 18 février par la campagne Sanders.

T-shirt créé par Shepard Fairey pour Bernie

T-shirt créé par Shepard Fairey pour Bernie

Obama était le style. Bernie Sanders revendique la substance. Sur le fond, expliquait-il en 2014, « la principale divergence politique et stratégique que j’ai avec Obama, c’est qu’à mon avis, il est trop tard pour faire quoi que ce soit à Washington. Il faut convaincre les Américains, directement ; les mobiliser à la base ». D’où l’appel à une « révolution politique» là où Obama proposait, d’une manière assez vague, de « changer la manière dont Washington fonctionne ».

Pour Raffy Mercuri, 24 ans, étudiant à Boulder, la campagne 2008, « c’était plus à propos d’Obama lui-même » : une fascination pour celui qui assurait pouvoir devenir le premier Noir à la Maison Blanche. « Aujourd’hui, c’est politique. On voit une nouvelle vague monter dans le parti démocrate ». Bethany Hentkowski faisait elle aussi partie des « étudiants pour Obama » en 2008 (elle avait 19 ans). « Ce n’était pas aussi pur, dit-elle. Bernie Sanders est un candidat d’une intégrité totale ». Traduisez: il ne dévie jamais.

Bethany et le slogan de Sanders "Feel the bern"   (Photo C.L)

Bethany et le slogan de Sanders « Feel the bern »
(Photo C.L)

En politique, “les Américains aiment les vierges”, nous disait il y a quelques années le professeur de philosophie politique Dick Howard. C’est particulièrement vrai des démocrates, qui s’enflamment régulièrement pour des figures « insurrectionnelles », non issues de l’establishment. Jerry Brown, en 1976, Howard Dean (déjà un sénateur du Vermont !), en 2004, contre John Kerry. En 2008, ce fut Barack Obama. A part lui, aucun n’a réussi à s’imposer. Au bout du compte, les démocrates s’accommodent souvent d’« un mariage de raison », ajoutait le politologue.

Raffi: "Not me, US" (photo C.L)

Raffi: « Not me, US »
(photo C.L)

Depuis le Nevada, les partisans de Bernie Sanders ont du s’y résoudre : Bernie n’est pas Obama. Il a gagné dans son Etat du Vermont, bien sur, et dans l’Oklahoma, le Minnesota, et le Colorado, où sa candidature a attiré plus de 30.000 nouveaux électeurs. Il a gagné dans le Maine et le Nebraska. Il espère ravir les cols bleus du Michigan à Hillary, ce 8 mars..
Mais il a Ă©tĂ© largement distancĂ© dans les Etats du sud. Il  n’arrive pas Ă  transcender les affiliations communautaires chez les Ă©lecteurs de plus de 35 ans, noirs ou latinos.
Et il a perdu dans le Massachussetts, oĂą il est vrai, la sĂ©natrice radicale Elizabeth Warren n’avait pas voulu prendre parti (ce qui lui est vivement reprochĂ© aujourd’hui).

Bernie a engrangé plusieurs centaines de délégués. Mais il reste à la traîne par rapport à Hillary Clinton, ne serait-ce que parce qu’elle bénéficie du soutien des « super-délégués », les élus et membres de l’appareil désignés par le parti. Selon les experts, il lui faudrait 58% de tous les délégués qui restent à attribuer pour espérer rattraper Mme Clinton.
Le sĂ©nateur a l’ intention de se maintenir dans la course, jusqu’aux primaires de Californie le 7 juin, voire jusqu’Ă  la convention. Son seul espoir est que les super-dĂ©lĂ©guĂ©s changent d’avis, en voyant l’enthousiasme qu’il Ă©veille. Robert Reich, l’ancien secrĂ©taire au travail de Bill Clinton, a lancĂ© une pĂ©tition demandant aux super-dĂ©lĂ©guĂ©s de se conformer Ă  la majoritĂ© populaire dans leur Etat.

Quoi qu’il arrive, le sĂ©nateur a engrangĂ© un trĂ©sor de guerre imposant (plus de 42 millions de dollars pour le seul mois de fĂ©vrier, avec une moyenne de 27 dollars par personne). Cinq millions de petits donateurs: mieux qu’Obama. Et de quoi influencer durablement le parti dĂ©mocrate.

Bernie Sanders est l’homme d’un message unique, anti-Wall Street. Il n’a pas la fluidité ou le charisme de Barack Obama. Mais grâce à lui, les Américains auront entendu et ré-entendu, dans sa voix de plus en plus éraillée, ce que personne ne leur disait:  L’assurance santé « est un droit, pas un privilège ».
– « Il a tirĂ© le parti vers la gauche », console le stratège David Axelrod.
Une preuve de plus que Bernie n’est pas Obama.

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Yamilex, « dreamer » du Nevada: de l’exil au selfie avec Hillary

Yamilex Rustrian, 20 ans.

Yamilex Rustrian, 20 ans. Photo C.L

Il y a des jours oĂą on a un coup de cĹ“ur sur les chemins de la campagne Ă©lectorale. Celui-ci pour Yamilex Rustrian, 20 ans, rencontrĂ©e dans le Nevada Ă  l’occasion d’un rassemblement de soutien Ă  Hillary Clinton. En l’Ă©coutant, on ne peut s’empĂŞcher de penser aux enfants syriens qui tentent de rejoindre l’Europe. Et qui vivront toujours, comme elle, avec le souvenir -et le traumatisme- des Ă©preuves rencontrĂ©es sur le chemin de l’exil.

Yamilex avait sept ans quand elle a quittĂ© son village du Guatemala avec sa petite sĹ“ur Yosselin, d’un an sa cadette. Leur mère Ă©tait partie la première vers les Etats-Unis. En attendant de pouvoir la rejoindre, les fillettes vivaient avec leur père, chauffeur de bus Ă  Aguablanca. Quand il a Ă©tĂ© tué par un gang, le grand-père les a envoyĂ©es rejoindre leur mère Ă  Los Angeles. Il ne leur a rien expliquĂ© de ce qui les attendait. « On n’avait pas le choix, dit-elle aujourd’hui. C’était vivre dans la violence ou tenter le voyage ».

Treize ans ont passĂ© mais Yamilex n’a rien oubliĂ© de l’épreuve de deux mois jusqu’à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. La marche dans la forĂŞt quand il fallait se cacher des hĂ©licoptères, les chambres Ă  partager Ă  20 personnes. Les « dĂ©cisions à prendre», dit-elle, lourdes quand on a sept ans : boire l’eau polluĂ©e d’un abreuvoir Ă  vaches ? Elle a dĂ©cidĂ© pour : « On avait tellement soif ». Un jour, le groupe a abandonnĂ© une femme, qui Ă©tait enceinte. Elle Ă©tait sur le point d’accoucher mais les coyotes (les passeurs) n’ont pas voulu attendre. « Je repense souvent Ă  cet enfant, soupire Yamilex. Et Ă  ce qu’il serait devenu ».

A l’arrivée aux Etats-Unis, les passeurs ont décrété que les 8000 dollars payés d’avance ne suffisaient pas. Ils ont retenu les fillettes pendant dix jours. Le temps qu’il a fallu à Annabella, la maman, pour réunir les 3000 dollars supplémentaires. Dans les montagnes du Guatemala, la mère vendait des savons dans les villages. En Californie, elle était devenue femme de ménage. Le syndicat des employés de service SEUI l’a aidée. La maman a retrouvé ses filles une nuit sur un parking de Los Angeles.

Aujourd’hui, Yamilex Rustrian a 20 ans et une pêche d’enfer. En 2012, elle a pu bénéficier du décret de Barack Obama (DACA) suspendant les menaces d’expulsion qui pesaient sur près de 1 million de jeunes arrivés aux Etats-Unis avant l’âge de 16 ans. Cela ne lui a pas procuré de papiers mais elle a pu passer le permis de conduire et obtenir une bourse à l’université publique de la San Fernando Valley au nord de Los Angeles. Elle rêve d’obtenir la régularisation de sa maman, 45 ans, qui fait depuis plus de dix ans « un travail que les Blancs ne veulent pas faire » et elle « en assez des calomnies » de Donald Trump et consorts contre les immigrants.

Grâce au syndicat SEIU, qui l’a prise sous son aile, Yamilex a crĂ©Ă© une association « «children over politics » (les enfants au-dessus de la politique) pour porter la voix des enfants d’AmĂ©rique Centrale qui fuient une violence devenue hallucinante: plus d’homicides en 2014 au Honduras, 8 millions d’habitants, que dans les 28 pays de l’UE, selon une coalition d’ONG  (lire ici).
Faute de naturalisation complète, elle n’a pas le droit de vote. Mais elle compte bien se lancer dans la politique, et elle a de l’ambition. Quoi que, remarque-t-elle, « Je ne pourrai jamais poser ma candidature pour ĂŞtre prĂ©sidente » (il faut ĂŞtre nĂ© AmĂ©ricain)…

Le 13 février à Henderson, Nevada
Le 13 février à Henderson, Nevada (Photo: Cherie Mancini)

 

 

Treize ans après ĂŞtre arrivĂ©e clandestinement, Yamilex parle un anglais sans accent. Elle est inscrite Ă  l’universitĂ©, intĂ©grĂ©e dans la sociĂ©tĂ©. Elle tĂ©moigne sur le sort des rĂ©fugiĂ©s devant des assemblĂ©es entières. Elle a eu l’occasion de rencontrer Barack Obama et de faire un selfie avec Hillary Clinton. Sans cesser d’ĂŞtre « undocumented » (sans papiers).

Et elle n’est pas la seule: ils sont toute une gĂ©nĂ©ration de « dreamers » (du nom du Dream Act, la loi de rĂ©gularisation bloquĂ©e au Congrès en dĂ©cembre 2010).
Brenda Romero, la prĂ©sidente de l’union des Ă©tudiants au College of southern Nevada, le dit dès qu’elle se prĂ©sente: elle non plus n’a pas de papiers en règle.
Ou Cesar Vargas, le chargĂ© du vote latino chez Bernie Sanders. Il a du se pouvoir en justice mais après quatre ans d’attente, il vient de passer et rĂ©ussir l’examen du barreau de New York.
Au-delĂ  de la vindicte Ă©lectoraliste des rĂ©publicains, subsiste une autre AmĂ©rique, qui s’efforce de rester une terre d’accueil. Comme dit Yamilex: « Ces enfants qui traversent aujourd’hui, c’était moi ».

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Hillary, féministe à contretemps

"Mural" pour Hillary dans le local syndical Painter's Union Ă  Henderson (Nevada)

« Mural » pour Hillary dans le local syndical Painter’s Union Ă  Henderson (Nevada)

     En 2008, Hillary Clinton avait fait le choix de ne pas jouer la carte « femme ». Candidate Ă  l’investiture dĂ©mocrate, elle n’avait pas mis en avant la première historique que comporterait son Ă©lection Ă  la Maison Blanche. Il est vrai qu’elle se devait de montrer – justement en tant que femme – qu’elle Ă©tait en mesure d’occuper le poste de commandant en chef des armĂ©es. Qu’elle Ă©tait prĂŞte, forte, armĂ©e.

Barack Obama avait au contraire insistĂ© sur l’aspect historique de sa candidature. Il avait fait la promesse d’une « union plus parfaite » du peuple amĂ©ricain. L’Iowa avait embarquĂ© dans le rĂŞve. Contre toute attente, un candidat noir avait rĂ©ussi Ă  se faire Ă©lire par un Ă©lectorat majoritairement blanc. Une percĂ©e qui avait changĂ© la donne dans les primaires suivantes, en Caroline du Sud. Les Noirs s’Ă©taient mis Ă  y croire. Obama pourrait sĂ©duire l’Ă©lectorat blanc.

Clinton Ă©tait arrivĂ©e troisième lors du caucus de l’Iowa dĂ©but janvier. Cinq jours plus tard, dans le New Hampshire, elle avait laissĂ© Ă©chappĂ© un moment d’émotion, en Ă©voquant la rudesse du combat. De justesse, elle avait ravi la victoire Ă  Barack Obama, un retournement qui avait Ă©tĂ© attribuĂ© Ă  cette demi-larme qui l’avait « humanisĂ©e », ce moment oĂą elle avait baissĂ© la garde.

Ce n’est qu’en juin, après avoir concédé sa défaite, qu’elle avait évoqué le plafond de verre qu’elle n’avait pas réussi à percer, « ce plafond qui est le plus haut et le plus difficile à atteindre ». Mais « grâce à vous, il a maintenant 18 millions de fêlures », avait-elle lancé. Dix-huit millions, le nombre de voix qu’elle avait récoltées pendant les primaires.

En 2016, les programmes ne suffisent plus. Les politiques doivent ĂŞtre des pro du selfie

En 2016, les programmes ne suffisent plus. Les politiques doivent être des pro du selfie (Ici dans le Nevada)

Huit ans plus tard, Hillary Clinton a fait le choix inverse. Depuis le dĂ©but de la campagne,  elle revendique le manteau de l’Histoire. Elle le rĂ©pète : si elle est Ă©lue, elle sera la première femme prĂ©sidente des Etats-Unis. Elle n’hĂ©site plus Ă  se prĂ©senter comme une mère, et mĂŞme une grand-mère. Ses propositions sont axĂ©es sur l’égalitĂ© des salaires, le congĂ© maladie payĂ©, le congĂ© parental. L’une de ses porte-drapeaux est Lena Dunham, 29 ans, l’actrice et rĂ©alisatrice de la sĂ©rie Girls. A ceux, comme Bernie Sanders, qui lui reprochent de faire partie de l’establishment, elle va jusqu’Ă  opposer l’argument de sa diffĂ©rence : « Me prĂ©senter, moi, une femme essayant d’être la première femme prĂ©sidente, comme un exemple de l’establishment, m’amuse beaucoup», a-t-elle opposĂ© Ă  son rival lors d’un dĂ©bat.

Mais, cette fois, son positionnement de candidate « femme » survient peut-être à contretemps. La campagne 2016 est beaucoup plus agressive que celle de 2008. Les invectives volent bas. Entraînés par Donald Trump, les républicains font assaut de testostérone et les modérés sont traités de « mauviettes ». Bernie Sanders n’a évidemment rien de commun avec ces vulgarités. Mais pour avoir survécu avec l’étiquette « socialiste » depuis trente ans à Washington, il a le cuir épais. Et une voix de stentor. Dans la première phase de la campagne, « mamie » Hillary a laissé faire. Maintenant, elle peine à reprendre le dessus et à imposer son autorité.

Mauvaise lecture de l’époque

Contretemps et, peut-être, mauvaise lecture de l’époque. Le féminisme n’est plus ce qu’il était. A deux jours du scrutin du New Hampshire, Hillary Clinton a fait sonner la garde féminine : les élues de l’Etat, les sénatrices amies, l’ex-secrétaire d’Etat Madeleine Albright, Lilly Ledbetter, l’employée dont la plainte pour discrimination a ouvert la voie à la loi de 2009 sur l’égalité des salaires… En 2008, les femmes lui avaient permis de remporter l’Etat face à Barack Obama en 2008 (46 % des voix sur son nom, contre 34 % pour son rival). Elle espérait rejouer l’avantage.

Mais une sĂ©rie de dĂ©rapages dans le camp Clinton sont venus montrer l’incomprĂ©hension qui sĂ©pare les gĂ©nĂ©rations. Intervenant dans le talk show de Bill Maher, le 5 fĂ©vrier, Gloria Steinem, l’icĂ´ne fĂ©ministe, a minimisĂ© le soutien des jeunes Ă©lectrices pour Bernie Sanders, l’attribuant Ă  un suivisme de midinettes en mal de rencontres. « Quand vous ĂŞtes jeunes, vous vous demandez : oĂą sont les garçons ? Les garçons sont avec Bernie », a-t-elle expliquĂ©. Mme Steinem, 81 ans, croyait plaisanter. Mais la bronca a Ă©tĂ© intense : 48 000 commentaires, pour la plupart indignĂ©s, sous les excuses que la dĂ©fenseuse des droits des femmes a prĂ©sentĂ©es sur Facebook. Madeleine Albright a essuyĂ© les mĂŞmes critiques pour avoir dit, en prĂ©sence – et sous les rires – de Mme Clinton, qu’il y a « une place spĂ©ciale en enfer pour les femmes qui ne s’entraident pas ». Comme si les femmes devaient voter pour une femme, indĂ©pendamment de ses idĂ©es. Dans le New York Times, l’ancienne secrĂ©taire d’Etat a du s’excuser de son « moment non diplomatique ».
– « C’Ă©tait une phrase que j’utilisais il y a 25 ans quand j’Ă©tais ambassadrice aux Nations Unies, a-t-elle plaidĂ©. Cette fois, Ă  ma surprise, elle est devenue virale ».

    Hillary Clinton a « tuĂ© le fĂ©minisme« , reproche Maureen Dowd, la chroniqueuse du New York Times (qui n’a jamais pardonnĂ© Ă  l’ancienne First Lady de passer sur les infidĂ©litĂ©s de son mari Bill).  Peut-ĂŞtre. Mais le dĂ©calage est avant tout politique. Positionnement de commandant en chef en 2008, alors que l’électorat, après George Bush, cherchait plutĂ´t l’apaisement; positionnement de « femme » alors que l’époque est au retour des machos. Mme Clinton paie ses choix tactiques, trop tactiques, une nouvelle fois.

Après huit ans de présidence Obama, sa candidature n’a plus la portée révolutionnaire qu’elle pouvait avoir en 2008. Selon les sondages de sortie des urnes, Bernie Sanders a remporté le vote féminin du New Hampshire par 53 % contre 46 %. Plus de quatre femmes sur cinq âgées de 18 à 29 ans ont choisi le sénateur du Vermont. Une gifle pour les féministes « historiques ».

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Comment le terrorisme a modifié la notion de « héros américain »

En 1971, le professeur Philip Zimbardo se fit connaître par une expérience sur une vingtaine d’étudiants de Stanford, qui est restée dans les annales de la psychologie. Les participants avaient été enfermés dans une prison fictive, au sous-sol de la faculté, et divisés en deux groupes : gardiens et détenus. L’expérience, qui devait durer deux semaines, fut interrompue au bout de six jours. Les « gardiens » étaient devenus d’une cruauté telle que la santé mentale des étudiants-prisonniers était menacée.

Depuis les attentats du 11 septembre 2001 -et les exactions des soldats américains de la prison irakienne d’Abou Ghraib- Philip Zimbardo a changé de perspective. Il s’intéresse, non pas au mal dont chacun est capable, mais au bien. Aujourd’hui, l’auteur de « L’effet Lucifer » parcourt le monde avec un projet rédempteur: fabriquer des héros.

Comment ? En instillant en chacun de nous l’idée qu’on ne nait pas héros : on le devient. Avec son collègue Zeno Franco, du Medical College du Wisconsin, Philip Zimbardo a fondé une association, Heroic imagination project (HIP), qui entend recréer un imaginaire du dépassement. Les psychologues enseignent comment identifier et surmonter les réflexes d’impuissance ou de passivité dans les situations de crise. Ils interviennent dans les écoles (25.000 enfants ont déjà été formés), bientôt dans les entreprises. « Si on peut s’imaginer en héros, explique Zeno Franco, on est mieux préparé à le devenir».

Le psychologue étudie l’héroïsme depuis 10 ans. Lui aussi a été marqué par les attaques de 2001. De 2003 à 2006, il a été chercheur au département du Homeland security, le ministère de la sécurité intérieure créé par George W. Bush. « On pense généralement que le héros est un individu à part, note-t-il. Mais tout le monde à un moment donné a eu à défendre quelque chose qu’il estime juste, à se mettre en avant pour défendre la collectivité. En cultivant ce sentiment, nous avons le potentiel de transformer la société ».

A une Ă©poque de « menace diffuse », poursuit-il, la sociĂ©tĂ© ne peut plus laisser la dĂ©fense de ses intĂ©rĂŞts Ă  ses hĂ©ros commis d’office -les militaires. «Chacun d’entre nous doit comprendre qu’il y aura des tragĂ©dies, mais que les idĂ©aux partagĂ©s par le groupe dĂ©passent le cout des sacrifices individuels ». Une perspective glaçante, qui repose sur l’idĂ©e que la « guerre » sera longue et que la sociĂ©tĂ© doit cultiver des hĂ©ros aujourd’hui, si elle veut compter des rĂ©sistants demain.

HĂ©ros post 9/11

Le terrorisme a transformé la notion de héros aux Etats-Unis. « Après le 11 septembre, nous avons érigé une nouvelle catégorie de gens en héros: les secouristes et les premiers intervenants », explique Susan Drucker, professeur d’étude des medias à l’université Hofstra de l’Etat de New York. Les actes de bravoure des pompiers, policiers, agents de sécurité, ont été décrits, répétés, reconstitués, et longtemps après réexposés, à la lumière des nouveaux éléments révélés par la commission nationale d’enquête sur les attentats.

Des mois après les attaques, on a appris le rôle qu’avait joué Betty Ann Ong, 45 ans, l’une des hôtesses de l’air du vol American Airlines 11. Le Boeing 737 avait décollé de Boston à destination de Los Angeles avec 81 passagers dont Mohammed Atta, assis en classe affaires. Pendant 23 minutes, Betty Ong a informé le personnel au sol de la situation dans l’avion. Grâce à elle, le monde extérieur a été informé du détournement et les pirates de l’air ont été identifiés. D’une voix neutre, elle a décrit le coup de poignard qui a tué le chef de cabine, la lame de rasoir qui a tranché la gorge d’un passager, les assaillants enfermés dans le cockpit. « Priez pour nous », a-t-elle conclu. San Francisco a donné son nom au centre aéré de Chinatown où ses parents avaient l’habitude de l’emmener.

« Le héros est l’un d’entre nous. Et le meilleur de nous », décrit Thomas Doherty, professeur d’études américaines et spécialiste de cinéma, à l’université Brandeis. Dans les films hollywoodiens, relève-t-il, il y a toujours un lâche ou un méchant pour mettre en valeur le héros. Les récits du 11 septembre n’en ont retenu aucun. « Personne n’a écrasé de vieille dame en essayant de s’enfuir. Tout le monde s’est bien comporté », souligne-t-il.

John Zadroga a été l’un de ces New yorkais au comportement irréprochable. Enquêteur de la NYPD, la police de New York, il a participé pendant 450 heures aux opérations de secours au milieu des poussières toxiques. Il est mort en 2006 à l’âge de 34 ans. Le nom de Zadroga a été donné à un stade de football du New Jersey d’où l’on pouvait apercevoir les Twin Towers. Et, en 2010, à une loi de compensation des frais médicaux des « first responders » ayant opéré dans les décombres du World Trade center.

Cinq ans plus tard, les caisses du fonds d’indemnisation étaient presque vides mais le congrès traînait les pieds pour renouveler le Zadroga Act. Début décembre, il a fallu que le comédien Jon Stewart aille au Capitole avec une délégation de policiers de New York pour faire honte aux élus, comme il l’avait fait en 2010 pour forcer le passage de la loi. Parmi les cinq secouristes du groupe initial, un seul était encore suffisamment vaillant pour s’être déplacé. L’Amérique est parfois cruelle avec ses héros.

« Vous avez NapolĂ©on. Nous avons Washington »

Le culte des hĂ©ros est consubstantiel de l’AmĂ©rique. Elle ne se conçoit pas sans ces « individus extraordinaires qui s’adressent Ă  nos aspirations les plus Ă©levĂ©es », comme dit Tom Doherty. C’est dans sa nature, sa vision d’elle-mĂŞme. Le pays n’a pas de Place des Grands Hommes mais elle s’en fabrique en continu, avec des nuances selon les Ă©poques : le hĂ©ros est tantĂ´t guerrier (comme Eisenhower), apĂ´tre de la non violence (Martin Luther King). Il entretient le mythe Ă  coup de superproductions. Et, au besoin, de super-hĂ©ros (comme Superman, Batman et Captain America, crĂ©Ă©s pendant les annĂ©es de crise de l’entre-deux guerres). Car « il n’y a pas de hĂ©ros sans communication », rappelle Susan Drucker, co-auteur du livre American Heroes in a media age. Quand certains hĂ©ros finissent oubliĂ©s, d’autres accèdent Ă  une gloire mĂ©diatique dĂ©multipliĂ©e. C’est le cas de Chesley Sullenberger, le pilote de l’US Airways qui a sauvĂ© 155 personnes en rĂ©ussissant Ă  poser son avion sur l’Hudson en 2009. Depuis, il a publiĂ© deux best-sellers et il a Ă©tĂ© recrutĂ© comme consultant par une chaine de tĂ©lĂ©.

Le culte du héros s’inscrit aux Etats-Unis dans la tradition de primauté de l’individu. Au pays des pionniers, des découvreurs de l’Ouest et des cow-boys, le mythe fondateur est celui du « rugged individual », l’homme aguerri, habitué à s’en sortir seul sur la frontier (quelques Indiens ont aussi leurs galons de héros, comme Tecumseh, le chef de tribu Shawnee tué par les forces américaines en 1813). Pour Dixon Wecter, auteur Hero in America (1941), cette exaltation du héros s’explique par la géographie. Au contraire des Européens, dont le patriotisme s’inscrit dans un cadre immuable et bien délimité, les Américains se sont constitués dans un endroit en expansion, où ils sont en perpétuel mouvement. Pour s’enraciner, estime Wecter, ils ont besoin de symboles forts : le drapeau, la déclaration d’indépendance, les héros.

Les Américains peuvent d’en donner à cœur joie. Ils ne craignent pas les dérapages, comme en Europe où subsiste la crainte de l’homme fort. Ils n’ont eu ni Pétain, ni Hitler ni Staline. Leurs héros révolutionnaires ont su éviter les dérives, Washington le premier, qui, au lieu de se faire nommer pro-consul du Nouveau Monde, a remis le pouvoir aux électeurs après deux mandats : premier dirigeant occidental à avoir jamais fait preuve d’un tel effacement. George Washington, le « héros de l’indépendance », est au premier rang des grands hommes dans les enquêtes d’opinion. Il n’avait pourtant rien d’un génie militaire et ses exploits sur le champ de bataille n’ont pas frappé les esprits. L’Amérique lui sait gré de sa leçon de démocratie. « Vous avez Napoléon. Nous avons Washington », résume Tom Doherty, le professeur de Brandeis.

Les Américains adorent l’idée –très démocratique- que leurs héros sont des gens ordinaires, des self-made men, partis de rien, nés dans une cabane de rondins comme Lincoln, un héros autant qu’un saint, et transfigurés. Des « citoyens héros » comme au 18ème siècle. Ou « héros de la science » comme l’infatigable Thomas Edison. Le soldat le plus célébré de la Première guerre mondiale s’appelait Alvin York, un tireur d’élite exceptionnel qui voulait être objecteur de conscience mais a fini par capturer 132 Allemands à lui tout seul. Gary Cooper lui a prêté son visage dans le film de Howard Hawks, Sergent York (1941). Pour la IIème guerre mondiale, ce rôle a été occupé par Audie Murphy, un lieutenant originaire du Texas qui a reçu toutes les décorations existantes dans l’armée. Il est devenu acteur, avant de mourir tragiquement, dans un accident d’avion en 1971, et sans avoir jamais guéri d’un stress post-traumatique qui l’obligeait à dormir avec un pistolet sous l’oreiller.

En rentrant les héros n’avaient qu’une phrase à la bouche: « J’ai fait ma petite part ». (« I did my bit »). Même Louis Zamperini, qui s’est éteint en 2014 à l’âge de 97 ans, ne disait rien d’autre. Il a fallu le livre Unbroken, de Laura Hillenbrand, best seller en 2010, et le film du même titre d’Angelina Jolie (Invincible, janvier 2015), pour que l’Amérique redécouvre les exploits de cet ancien coureur des Jeux Olympiques de 1936, abattu avec son avion dans le Pacifique et torturé par les Japonais. Mais c’est aussi sa rédemption qui a fait son aura. Sa quête à la recherche de son tortionnaire, Mutsuhiro Watanabe, pour lui pardonner. La noblesse de cœur, autant que la modestie, est l’élégance des héros.

Les victimes du terrorisme érigées en figures héroïques

Le terrorisme a engendré de nouveaux héros. « Après le 11 septembre, la société a été tétanisée. Maintenant, les gens comprennent qu’il faut répondre », affirme Zeno Franco. De nouveaux mots d’ordre apparaissent après chaque attaque: « Boston Strong », après l’attentat contre le marathon de Boston, le 15 avril 2013. « SB Strong » après la fusillade à San Bernardino (Californie) le 2 décembre. On se rassure, on est les plus « forts ».

Et on célèbre maintenant les victimes. « Après le 11 septembre, on s’est mis à donner aux victimes des figures héroïques », commente Susan Drucker. Un phénomène d’identification ? « On est à égalité avec une victime, alors qu’on lève les yeux pour regarder le héros », observe Thomas Doherty. Les réseaux sociaux amplifient les gestes héroïques, ces actes de bravoure qui nous « élèvent », note Franco. Comme celui de Todd Beamer, 32 ans, le 11 septembre 2001. Il savait que le combat était désespéré mais il n’entendait pas laisser les pirates de l’air précipiter le vol 93 d’United Airlines sur la Maison Blanche (ou le Congrès, la cible n’a jamais été définitivement identifiée). Il a rallié quelques passagers : « Let’s roll » : l’expression est restée. On y va.

Trois mots qui ont fait un héros. Comme le « on y va » des « héros du Thalys » (« let’s go »), les trois jeunes Américains Spencer Stone, Alek Skarlatos et Anthony Sandler, le 21 août du côté de Oignies. Depuis, Spencer Stone, 23 ans, a de nouveau mis sa vie en jeu. Le 8 octobre, à la sortie d’une boite de nuit, il a été pris dans une bagarre, à Sacramento (Californie). Bilan: coups de poignards au poumon, au cœur et au foie.

Le 5 novembre, son agresseur James Tran, a été arrêté. Contrairement à ce qui avait été indiqué dans un premier temps (et avidement repris par les media), Spencer Stone n’essayait pas de jouer les justiciers, en défendant une femme brutalisée. Selon la police, l’altercation a commencé lorsque Tran a essayé de filmer les filles qui faisaient partie du groupe du jeune militaire. L’assaillant ignorait tout de l’épisode du Thalys.

Sur le site participatif GoFundMe, Everett, le frère de Spencer, a cru bien faire en sollicitant les donations, après l’agression. Une photo terrible montre le jeune militaire sur son lit d’hôpital, le torse refermé par une trentaine d’agrafes. L’appel aux dons a suscité la controverse, d’autant que le jeune homme et sa famille sont pris en charge par le service de santé des armées. Spencer Stone n’est pas un cas unique. Le « retour » du héros à la vie ordinaire est impossible. Passée la parade d’honneurs, il faut retrouver sa place. « En mettant les héros sur un piédestal, on les met à part de la société », note Zeno Franco.

Il arrive que les hĂ©ros se suicident. Ce fut le cas de l’un des premiers hĂ©ros amĂ©ricains, le capitaine Meriwether Lewis, qui, avec son camarade William Clark fut le premier Ă  traverser le continent Ă  pied entre 1804 et 1806 et Ă  Ă©tendre l’empire amĂ©ricain jusqu’au Pacifique. Lewis ne s’est jamais rĂ©adaptĂ©. Trois ans après sont retour, il s’est suicidĂ©.
Longtemps, son suicide a Ă©tĂ© passĂ© sous silence. Non amĂ©ricain. Impossible. Il a fallu 200 ans pour que le pays regarde la rĂ©alitĂ© en face. Ce n’est qu’en octobre 2009 que le capitaine a eu des funĂ©railles officielles dans le Tennessee. Les AmĂ©ricains aiment les « happy endings »Â a fortiori pour leur hĂ©ros.
 

 

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A Los Angeles, la pluie est au musée

 LA RAIN Room A Los Angeles, la pluie est arrivĂ©e, mais au musĂ©e. ConfrontĂ©s Ă  une sĂ©cheresse qui dure depuis quatre ans, les habitants ont trouvĂ© l’humiditĂ© dans un endroit inattendu : Ă  l’exposition « Rain Room » du MusĂ©e d’art du comtĂ© de Los Angeles (Lacma), l’auguste bâtiment inondĂ© de soleil du Wilshire Boulevard. Dans cette « chambre de pluie », l’art se mĂŞle Ă  la technologie : l’averse se produit entre quatre murs, mais les visiteurs en ressortent aussi secs qu’après une promenade dans le dĂ©sert (bien que certains se dĂ©brouillent quand mĂŞme pour se faire arroser, c’est trop tentant…)

Les responsables du Lacma le répètent : l’exposition n’a rien à voir avec les conditions climatiques locales. Elle a été montrée à Londres et à New York avant d’arriver comme prévu en Californie. Elle semble en tout cas avoir une résonance particulière dans une ville privée de précipitations et rationnée en eau. Depuis l’ouverture, le 1er novembre, plus de 32 000 entrées ont été vendues. L’exposition – qui se visite par petits groupes et sur réservation – est complète jusqu’en février.

LA RAIN 2

Produite par le collectif londonien de designers Random International, « Rain Room » mêle nature et effets spéciaux. Les visiteurs sont introduits dans une chambre noire qui évoque une rue européenne, un soir d’hiver. La lumière est blafarde et la pluie tombe dru sur le trottoir. Au fur et à mesure qu’ils avancent, les « passants » voient la pluie s’interrompre devant eux. Grâce à un système informatisé de caméras qui captent les mouvements en 3D, les corps sont protégés des gouttes, comme par un parapluie invisible.

Le ravissement se lit sur les visages. Après avoir accéléré le pas (un réflexe atavique, il pleut !), ce qui est le moyen le plus sûr de se faire tremper (les capteurs sont déstabilisés pas les mouvements rapides) les visiteurs s’habituent et leurs gestes se font lents et amples. Ils circulent comme des ombres, expérimentent, imaginent. Peut-on arrêter les gouttes d’un seul doigt ? Créer et photographier ses propres arcs-en-ciel ?
Des sensations oubliées reviennent. « La pluie, c’est quelque chose de sensuel !», s’exclame Babette Wilk, une consultante en déménagement. « C’est devenu tellement rare ! », ajoute Janette Brown, une autre des « privilégiées » du jour. « Ça nettoie, ça purifie !», reprend la première. Les enfants les plus jeunes ont l’air un peu inquiets. Ceux qui sont nés après la dernière pluie n’ont jamais vu pareil déluge.

Revenus au « sec », les visiteurs posent évidemment la question de la consommation de l’eau, un impératif devenu essentiel en Californie (Beverly Hills, qui n’a pas réussi à sevrer ses pelouses ni à tenir l’objectif de 25 % d’économies, vient d’écoper d’une amende de 61 000 dollars). Bien évidemment, l’eau utilisée par l’exposition est recyclée. Selon Random International, la « Rain Room » n’en consomme « que » 2 000 litres au total, soit cinq jours de la consommation moyenne d’une famille.

En sortant, le soleil éblouit de nouveau. Les palmiers ont la tête dans le bleu. El Niño – la perturbation venue du Pacifique que la Californie attend autant qu’elle ne la redoute – n’est toujours pas passé. Il a neigé mi-novembre sur les sommets, mais la côte a été à peine arrosée. « On va dans un musée pour ses objets précieux, a justifié Michael Govan, le directeur du musée, au New York Times. Et l’un des éléments précieux en Californie, c’est la pluie.

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