Jean
Maitron & Claude Pennetier (sous la dir.), Dictionnaire Biographique
Du Mouvement Ouvrier Français (Paris: Les Editions Ouvrières), Quatrième
Partie: 1914-1939, De la première à la seconde guerre mondiale, tome
xxxi, pp.33-5.
GUÉRIN Daniel.
Né le 19 mai 1904 à Paris.
Militant de tendance libertaire. Historien.
Né de parents bourgeois dreyfusards, Daniel
Guérin compte, parmi ses ascendants, le menuisier Maurice Duplay, hôte de
Robespierre puis babouviste, et le saint-simonien Gustave d'Eichthal. Il fut
initié aux idées socialistes par le cours
d'Élie Halévy à l'École libre des Sciences politiques (1922-1923).
Devenu anticolonialiste militant à la suite de séjours en Syrie-Liban et en
Indochine (1927-1930), il débuta dans le journalisme révolutionnaire par des
articles sur la colonisation en Indochine et au Maroc parus dans Monde d'Henri Barbusse (1930). La même année, il rejoignait les
syndicalistes révolutionnaires groupés autour de Pierre Monatte et collaborait
à leurs périodiques La Révolution prolétarienne et Le Cri du peuple.
Il participa à la campagne du Comité des «22» pour la réunification syndicale
et s'inscrivit en même temps au groupe de Belleville de la XXe section du Parti
socialiste S.F.I.O. qu'il quittera l'année suivante en raison de «l'électoralisme
anticommuniste» des conseillers municipaux Levillain et Fiancette. Mais il noua
des relations de camaraderie durables avec Jean Zyromski et Marceau Pivert,
secrétaire et secrétaire adjoint de la Fédération socialiste de la Seine.
Daniel Guérin entreprit deux périples en
Allemagne, en septembre-octobre 1932 et en avril-mai 1933, le premier à pied,
le second à bicyclette, avec nuitées dans les auberges de jeunesse, traversant,
en 1933, un pays submergé par le national-socialisme. Il en rapporta un
reportage qui, grâce à l'appui de Léon Blum, fut publié par le quotidien
socialiste Le Populaire, sous le titre: La Peste brune, point de
départ d'un livre théorique sur le fascisme en Italie et en Allemagne: Fascisme
et grand capital (1936).
Sur le plan de la lutte anticolonialiste, Daniel
Guérin milita activement dans le Comité d'amnistie aux Indochinois qu'animait
Francis Jourdain. Il fonda, en 1933, le centre laïque des Auberges de la
jeunesse avec Mme Grunebaum-Ballin et en assura quelque temps le secrétariat
général. Syndiqué aux correcteurs le 1er mars 1932, il en restera
membre sa vie durant.
Le 9 février 1934, Daniel Guérin participa à la
contre-manifestation communiste qui se déroula de la République à Belleville et
il contribua activement à la préparation de la grève générale du 12 février; il
fut par ailleurs présent à Saint-Denis au meeting du rayon communiste de Doriot
visant le même objectif. En octobre 1935, Daniel Guérin réadhéra au Parti
socialiste pour y rejoindre la tendance «Gauche Révolutionnaire» de Marceau
Pivert, nouvellement créée et il milita à la section S.F.I.O. des Lilas. Il
devint secrétaire adjoint puis secrétaire du Comité local de propagande et
d'action syndicale des Lilas. Il démissionna de ce poste le 24 novembre 1937 pour
protester contre la colonisation syndicale par les «staliniens». Membre du
Comité directeur de la Gauche Révolutionnaire, il la représenta au conseil
d'administration du journal Le Populaire et à la commission coloniale du
parti, où il s'affronta avec le ministre S.F.I.O. des Colonies, Marius Moutet
et avec le secrétaire de la commission, Maurice Paz. Dans deux «tribunes
libres» du Populaire, les 31 août et 7 septembre 1937, signées avec
Marceau Pivert, il dénonça le stalinisme en Espagne puis, le 22 octobre 1937,
au cours d'un meeting de protestation, le procès de Moscou contre la vieille
garde bolchevique.
Le 21 octobre 1937, il organisa une réunion
d'information de la Gauche Révolutionnaire sur la persistance de la répression
colonialiste. Prirent la parole des orateurs algérien, marocain, indochinois,
malgache et, pour la Tunisie, Habib Bourguiba.
Le 23 janvier 1938, la Gauche Révolutionnaire
obtint la direction de la Fédération socialiste de la Seine dont Marceau Pivert
assura le secrétariat. Daniel Guérin devint un des secrétaires adjoints, chargé
des groupes socialistes d'entreprises et, à ce titre, il intervint activement
dans la grève avec occupation des métallos de la région parisienne (24 mars-19
avril 1938). Les 18 et 24 mars, la Fédération alerta le parti contre les
projets d'union nationale de Léon Blum. La direction du parti riposta par la
dissolution de la Fédération, le 13 avril. Du 4 au 8 juin, le parti tint un
congrès national à Royan et prononça l'exclusion de la Gauche Révolutionnaire.
Au début de juillet, au cours d'une conférence nationale constitutive, celle-ci
se transforma en Parti socialiste ouvrier et paysan (P.S.O.P.) et Daniel Guérin
ne tarda pas à impulser une opposition de gauche avec l'appui des militants de
la IVe Internationale que Trotsky, de Mexico, avait invités à entrer
dans le P.S.O.P.
Daniel Guérin et ses amis restaient attachés au
défaitisme révolutionnaire et à l'internationalisme prolétarien. Au premier
congrès du P.S.O.P. à Saint-Ouen, du 27 au 29 mai 1939, aucune majorité nette
ne réussit à se dégager. Mais une vague d'«anti-trotskysme» déferla sur
plusieurs des tendances du parti. Daniel Guérin, ayant écrit à Trotsky le 2
février et celui-ci lui ayant répondu le 10 mars, s'exposa aux suspicions des
anti-trotskystes du P.S.O.P. en dépit des divergences qui continuaient à
exister entre l'exilé de Mexico et lui-même sur l'opportunité de créer par en
haut une «IVe Internationale».
Daniel Guérin avait participé, aux côtés de
Marceau Pivert à une conférence internationale du Front ouvrier international
(F.0.I.) contre la guerre, à Bruxelles, les 29 et 30 octobre 1938. Au lendemain
de la «paix» provisoire de Munich, le F.O.I. s'affirma à la fois contre la
guerre impérialiste et contre la paix impérialiste. Y étaient représentés
divers partis socialistes de gauche qui prenaient leurs distances vis-à-vis de
la «IVe Internationale» fondée le 3 septembre. De nouvelles sessions
du F.0.I. se tinrent à Paris le 11 février puis les 28-30 avril 1939. A cette
dernière, Guérin rapporta «sur la situation dans les colonies de l'Empire
français» et fut désigné pour ouvrir à Oslo (Norvège), en cas de guerre, un
secrétariat du F.0.I.
Parti de Paris le 25 août 1939, Daniel Guérin
arriva à Oslo le soir du 1er septembre et publia, à partir d'octobre,
un bulletin mensuel d'informations internationales dactylographié. L'activité
du secrétariat fut interrompue par l'irruption de la Wehrmacht à Oslo le 9
avril 1940. Guérin fut emprisonné et transporté en Allemagne comme interné
civil. Il ne parvint à rentrer en France qu'au début de 1942. Il participa
alors, avec les trotskystes, à une action clandestine ouvrière, combattant à la
fois l'occupant et le capitalisme français.
Au cours de l'été 1946, D. Guérin publia chez
Gallimard son ouvrage en deux volumes La Lutte de classe sous la Première
République, 1793-1797 où il réfuta les vues «idéalistes» sur Robespierre
d'Albert Mathiez, Georges Lefebvre et Albert Soboul. Le livre sera réédité en
1968 et un condensé en sera publié en 1973 sous le titre Bourgeois et bras
nus. Une introduction du gros ouvrage, demeurée inédite, paraîtra chez
Maspero en 1976 sous le titre La Révolution française et nous.
De décembre 1946 au début de 1949, Guérin
séjourna aux États-Unis où il entreprit une vaste enquête. Des matériaux
rapportés des U.S.A., il tira, en 1950-1951, chez Julliard, deux volumes sous
le titre Où va le peuple américain? Ces écrits seront, par la suite,
abrégés et complétés; chez Maspero, Le Mouvement ouvrier aux Etats-Unis,
1970 et 1971; chez Anthropos, La Concentration économique aux États-Unis,
1971 ; aux Editions de Minuit, Décolonisation du Noir américain, 1973 ;
puis, en 10/18, De L'Oncle Tom aux Panthères, 1973.
De retour en France, Daniel Guérin s'associa avec
Claude Bourdet, fondateur de l'hebdomadaire L'Observateur et participa
avec lui, au cours de l'été 1950, à la rédaction et à la publication d'un
manifeste en faveur de la reconnaissance de la Chine populaire par la France.
Il collabora avec les «Titistes» français, groupés autour de Clara Malraux, à
la revue Contemporains (1950-1951) puis un voyage de trois mois en
Afrique du Nord où il prit contact avec les militants nationalistes et
syndicalistes, l'amena à dénoncer la situation explosive existant dans les
trois pays du Maghreb (automne 1952).
De 1953 à 1955, Daniel Guérin fit partie du
comité France-Maghreb que présida François Mauriac et qui combattait la
répression au Maroc (exil du sultan à Madagascar). Il participa en 1955 à
divers comités de soutien à la Révolution algérienne et milita à la «Nouvelle
Gauche» animée entre autres par Claude Bourdet (1955-1957). A la suite d'une
fusion avec le «Mouvement de libération du peuple», la Nouvelle Gauche devint,
en 1957, «l'Union de la Gauche socialiste» puis le P.S.U. (Parti socialiste
unifié).
En 1959, Daniel Guérin réunit en un volume, les
écrits qui marquaient sa nouvelle orientation socialiste libertaire, en
gestation depuis 1956. En septembre 1960, il fut un des premiers signataires de
l'Appel dit des «121» pour le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie
et fut inculpé. Il participa à Alger, du 15 au 19 juin 1963, à la Conférence
européenne d'assistance non gouvernementale à l'Algérie. Retourné en Algérie de
fin octobre au début décembre 1963, il remit au président Ben Bella un rapport
qui exposait ses observations faites sur le terrain lors d'une tournée de
visite aux entreprises agricoles et industrielles autogérées puis il fit un
troisième voyage en Algérie pour assister au premier congrès de l'autogestion
industrielle (28-30 mars 1964). A la suite du coup d'État du 19 juin 1965 qui
renversa le président Ben Bella, il participa activement à la fondation et à
la marche du Comité pour la défense d'Ahmed Ben Bella et des autres
victimes de la répression en Algérie. Le comité publia des bulletins
d'information jusqu'en 1972.
Après l'enlèvement du leader de l'opposition
marocaine Medhi Ben Barka le 29 octobre 1965, Daniel Guérin prit l'initiative
de la fondation d'un Comité pour la vérité sur l'affaire Ben Barka que présida
François Mauriac puis Charles-André Julien. Il contribua à la rédaction et à la
publication de trois Cahiers du Témoignage chrétien sur l'affaire.
En janvier 1968, Daniel Guérin fut invité au
congrès culturel organisé par le gouvernement cubain à La Havane. Il y présenta
un rapport dans lequel il stigmatisait l'agression israélienne du 5 juin 1967
comme «une avancée des forces les plus réactionnaires dans le monde».
Daniel Guérin se mêla à la jeunesse en révolte de
mai-juin 1968 et anima des débats sur l'autogestion dans les amphithéâtres de
la Sorbonne et dans une grande imprimerie occupée par les travailleurs.
Un vétéran du communisme libertaire, Georges
Fontenis, ayant fondé un Mouvement communiste libertaire en 1969, Guérin y
adhéra et milita à la section de Paris, du M.C.L. En 1971, des pourparlers en
vue d'une éventuelle fusion, s'engagèrent entre M.C.L. et O.R.A. (Organisation
révolutionnaire anarchiste). Malgré les efforts unitaires de Guérin, ils
échouèrent. Et, à la mi-juillet 1971, à Marseille, M.C.L. augmenté de trois
groupes de province de l'O.R.A., se transforma en O.C.L. (Organisation
communiste libertaire) et Guérin collabora à son journal Guerre de Classes.
Mais il n’avait pas renoncé à son espoir d'une fusion entre les deux
organisations rivales. Quand il lui apparut que les militants de l'O.C.L.
s'opposaient à cette fusion, il quitta, en signe de protestation,
l'organisation et adhéra à l’O.R.A. (fin 1973). Il milita désormais au groupe
XIIIe arr. et collabora au journal Front Libertaire.
En 1972, Guérin participa à la fondation du
comité antimilitariste (C.A.M.) et prit part aux manifestations de rues contre
la Loi Debré (22 mars et 7 avril 1973) et prit la parole à des meetings contre
l’armée à la Mutualité fin 1972 et fin 1973.
En 1980, Daniel Guérin rejoignit l'U.T.C.L.
(Union des travailleurs communistes libertaires), où il retrouva les camarades
qui avaient fondé celle-ci en 1976, après leur exclusion de l'O.R.A. au congrès
d'Orléans. Les positions communistes libertaires de l'U.T.C.L. correspondaient
à l'option «marxiste libertaire» qu'il avait énoncée dans un livre portant ce
titre paru en 1969. De plus il appréciait l'accent mis par l’U.T.C.L. sur
l'implantation dans les entreprises.
C'est ainsi que les 4-5 avril 1981, Daniel Guérin
participa activement à un colloque de l'U.T.C.L. sur le thème «De Cronstadt à
Gdansk, 60 ans de résistance au capitalisme d'État (1921-1981)». Y prirent la
parole ou envoyèrent une communication nombre de spécialistes de ces problèmes
parmi lesquels Marcel Body, Anton Ciliga (deux vétérans), Cornélius
Castoriadis, Marc Ferro, Georges Fontenis, J.F. Godchau, Arthur Lehning, David
Rousset, Boris Souvarine, ainsi que des dissidents des pays de l'Est. Guérin y
traita deux sujets: «De l'Autogestion à la bureaucratie soviétique (1917-1921)»
et «Cronstadt (1921)».
Le 12 novembre 1981, Daniel Guérin fut invité par
Alain Decaux à participer, en tant que «témoin» à une émission télévisée sur le
thème: «Qui a tué Ben Barka?» Par la suite, il publia, en janvier 1982, chez
Plon, une version refondue de son livre de 1975, sous le titre Ben Barka et
ses assassins.
Le 22 janvier 1981, il fit partie, à l'Université
de Strasbourg, du jury d'une thèse de doctorat de 3e cycle d'Alexandrine
Ohlmann sur «Révolution et République des Conseils en Bavière en 1918-1919»,
ayant fourni à la candidate ses suggestions et critiques.
A la fin de 1981, le collectif de lutte
antimilitariste (C.LA.M.) s'effaça devant un nouvel organe réunissant des
objecteurs insoumis avec des défenseurs des luttes des appelés dans les
casernes. Daniel Guérin, depuis longtemps, avait oeuvré pour un rapprochement
entre les deux composantes de l'antimilitarisme. Ainsi fut lancé le journal R.A.S.?
dont parurent plusieurs numéros en 1981-1982.
ŒUVRE CHOISIE (en dehors des ouvrages cités dans la biographie): Ni Dieu, ni Maître, éditions de Delphes,
1965. ‑ L'Anarchisme, Gallimard, 1965. ‑ Rosa Luxembourg
et la spontanéité révolutionnaire, Flammarion, 1971. ‑ A la
recherche d'un communisme libertaire, 1981.
Adaplations théâtrales : Le Grain sous la neige, 1961 (d'après
Ignacio Silone) ; Vautrin, 1962 (d'après Balzac).
Sexologie: Kinsey et la sexualité suivi de Shakespeare et Gide en
correctionnelle, 1959. ‑ Eux et lui, 1962; Essai sur la
révolution sexuelle après Reich et Kinsey, 1989; Trois essais
autobiographiques: Un jeune homme excentrique, 1965 ; Le Feu du sang,
1977 ; Son Testament, 1974.
SOURCE : Notes de Daniel Guérin.
Jean Maitron