Législatives en Grande-Bretagne : une nouvelle étape de la lutte des classes
Par Chris Marsden et Julie Hyland
12 juin 2017
Les élections législatives britanniques anticipées ont asséné un coup politique majeur au gouvernement conservateur de la Première ministre Theresa May. Le résultat fut le produit d’une effusion de sentiment anti-tory chez des millions de travailleurs et de jeunes et de colère contre les conséquences dévastatrices de l’austérité sans fin, la baisse implacable des salaires, la réduction des prestations sociales et la destruction des services sociaux essentiels.
Cela a généré l’essor du soutien pour le Parti travailliste sous la direction de Jeremy Corbyn, qui a vu la part de vote travailliste augmenter de 10 % pour se retrouver à seulement deux pour cent de moins que les 42 % des Tories. Parmi les jeunes générations, les deux tiers des personnes âgées de 18 à 24 ans et plus de la moitié des personnes âgées de 25 à 34 ans ont voté travailliste.
Pour les médias, ce résultat fut un énorme choc. Pour autant que leurs prédictions universelles d’une victoire écrasante des Tories n’aient pas été qu’une propagande politique éhontée, le résultat a démontré à quel point les « politologues experts » aisés, aux salaires à six chiffres, sont loin des préoccupations et des expériences de la grande masse de la population.
Les élections ont été une autre indication majeure de la radicalisation politique des travailleurs en cours de par le monde. Les avancées de Corbyn montrent que si Bernie Sanders avait été le candidat démocrate à la présidentielle, c’est lui, et non Donald Trump, serait actuellement à la Maison-Blanche.
Il y a bien sûr une certaine satisfaction et même une euphorie chez les travailleurs et les jeunes par rapport à l’humiliation de May. C’est compréhensible, mais ce qui est nécessaire au lendemain du 8 juin, c’est une analyse sobre et une perspective politique claire. Après tout, les conservateurs sont toujours au pouvoir et, malgré leur crise politique, ils œuvrent à créer les changements politiques nécessaires pour imposer leur programme d’austérité et leurs plans pour une escalade de la guerre en Irak et en Syrie.
Le plus grand danger politique est d’identifier la radicalisation des masses avec ceux qui, comme Corbyn et le Parti travailliste, en bénéficient politiquement au début sans le mériter.
Une leçon peut être tirée de l’avertissement fait en 1967 par la Socialist Labour League, à l’époque la section britannique du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI), à la section française d’alors, l’Organisation communiste internationaliste (OCI). L’OCI prenait une orientation centriste prononcée, dans les conditions du début d’un changement politique majeur dans la classe ouvrière qui devait bientôt prendre des dimensions révolutionnaires.
La SLL a mis en garde l’OCI :
« Il y a toujours un danger à un tel stade de développement qu’un parti révolutionnaire réagisse à la situation de la classe ouvrière non de manière révolutionnaire, mais en s’adaptant au niveau de lutte auquel les travailleurs sont limités par leur propre expérience sous les vieilles directions, c’est-à-dire à la confusion initiale inévitable. De telles révisions de la lutte pour le parti indépendant et le Programme de transition sont généralement habillées sous le déguisement d’un rapprochement plus étroit à la classe ouvrière, de l’unité avec tous ceux qui luttent, sans faire d’ultimatums, en abandonnant le dogmatisme, etc. »
L’OCI a ignoré ces avertissements, a rompu avec le CIQI et par la suite a joué un rôle essentiel dans la construction du Parti socialiste (PS) comme principal parti de gouvernement « de gauche » de la classe capitaliste française.
À ceux qui sont maintenant enclins à accepter la représentation de Corbyn comme le dirigeant naturel de la classe ouvrière par le Socialist Party britannique, le Socialist Workers Party et d’autres groupes de la pseudo-gauche, nous disons : Rappelez-vous Alexis Tsipras et Syriza.
Les groupes de la pseudo-gauche affirment que la victoire de Corbyn a transformé le Parti travailliste. C’est un mensonge.
Tout au long des presque deux ans depuis qu’il a pris la direction du parti, Corbyn a bloqué toute lutte pour expulser l’aile droite. Au lieu de cela, il a participé aux élections sur un manifeste qui intègre toutes les exigences essentielles des blairistes, allant du soutien à l’OTAN et aux armes nucléaires Trident à un engagement envers la « responsabilité fiscale » et maintient du pays dans le Marché unique européen.
Par conséquent, il dirige maintenant un parti travailliste parlementaire élargi tiré du même groupe fétide de comploteurs et de saboteurs qui ont cherché à se débarrasser de lui – et qui feront sans aucun doute partie de son cabinet fantôme.
Même au cours de la campagne électorale, Corbyn virait de plus en plus à droite. Sa réponse aux atrocités terroristes à Manchester et à Londres a été d’abandonner sa critique antérieure reliant la menace terroriste aux guerres pour un changement de régime menées par le Royaume-Uni en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie et, en revanche, de reprocher à May d’avoir réduit le nombre de policiers. Il a également promis des fonds supplémentaires pour l’armée et les services secrets.
Le processus d’adaptation politique de Corbyn ne fera que s’accélérer après ces élections anticipées.
Les spéculations abondent quant à savoir si l’arrangement de travail avec le Parti unioniste démocratique (DUP, d’Ulster) proposé par May va se retourner contre elle, si elle pourra même survivre politiquement et avec quelle rapidité de nouvelles élections devront être organisées. Avec la stratégie du « Brexit dur » de May en déroute, même le Financial Times a fait un appel direct à Corbyn, en déclarant que « c’est certainement le moment d’appuyer sur le bouton Pause du “Brexit dur”, et d’en appeler au soutien de tous les partis à la relation la plus étroite possible avec l’UE ».
S’il s’avère impossible d’atteindre ces objectifs par le biais du Parti conservateur, de nouvelles élections législatives pourraient être organisées assez rapidement. Il y aura déjà des discussions au sein des cercles dirigeants sur la question de savoir si Corbyn pourrait fournir le mécanisme nécessaire pour mettre en œuvre un tel changement de politique majeur grâce au soutien populaire dont il jouit.
Le Parti travailliste bénéficie de plus d’un siècle d’expérience dans l’utilisation de la rhétorique de son aile « gauche » pour discipliner la classe ouvrière et d’assurer sa soumission au parti et à ses alliés dans la bureaucratie syndicale.
Aujourd’hui, certains blairistes perçoivent une nouvelle opportunité politique de faire de même avec Corbyn. Avant le résultat de jeudi, le co-architecte du New Labour, Peter Mandelson, a déclaré qu’il œuvrait tous les jours pour le limogeage de Corbyn. Maintenant, il déclare que Corbyn a mérité le droit de diriger le parti, mais qu’il devra devenir « œcuménique » et abandonner des politiques qui empêchent la formation de la coalition plus large prônée par le Financial Times.
Corbyn, l’apôtre de l’unité du parti, n’y opposera pas beaucoup de résistance et sera soutenu par les groupes de la pseudo-gauche. Au cours des élections, ils ont tous soutenu Corbyn et ont demandé un vote pour tous les candidats travaillistes, insistant sur l’inclusion de l’aile droite. À la suite des élections, ils conservent cette position, avec Left Unity (Unité de la gauche) qui exhorte « tous ceux du Parti travailliste – y compris le Parti travailliste parlementaire – qui n’ont pas déjà soutenu la direction et les politiques de Corbyn à reconnaître la réalité et de s’y joindre. »
Il n’y a pas de ligne qui ne sera pas franchie.
Si Corbyn commence le processus de formation d’une coalition ou d’un accord de « confiance et approvisionnement » avec les démocrates libéraux, le Parti national écossais et d’autres, cela sera également justifié comme une « alliance progressiste » nécessaire pour amener le Parti travailliste au pouvoir. Cela s’est déjà vu en Grèce, où la « gauche » a approuvé la coalition de Syriza avec les Grecs indépendants de droite et anti-immigrés jusqu’à la trahison par Syriza de la lutte anti-austérité.
La classe ouvrière vire à gauche, vers la révolution. Cependant, sa conscience reste réformiste. La tâche du PES n’est pas de s’adapter au niveau actuel de conscience, mais de le faire progresser jusqu’aux tâches révolutionnaires rendues nécessaires par la crise croissante du capitalisme britannique et mondiale.
Cela signifie s’opposer à tous les efforts pour subordonner le développement de la lutte des classes au sort parlementaire du Parti travailliste.
Ce qu’il faut, c’est le développement d’une lutte indépendante de la classe ouvrière contre les inégalités sociales et la guerre par la construction d’une nouvelle direction politique marxiste.
(Article paru en anglais le 10 juin 2017)