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La partie de Monopoly d’Amazon gonfle après son offre de rachat de Whole Foods pour 13,7 milliards de dollars

Par Evan Blake
19 juin 2017

Amazon, la plus grande société de vente en ligne au monde, a annoncé vendredi matin qu’elle avait entamé des négociations pour acquérir la société d’épicerie Whole Foods pour 13,7 milliards de dollars. La société a maintenant un pied dans le commerce d’épicerie américain de 800 milliards de dollars à mesure qu’elle développe ses tentacules de domination économique comme une pieuvre vers de nouveaux segments de l’économie mondiale.

La fortune personnelle du PDG d’Amazon, Jeff Bezos, a augmenté d’environ 1,88 milliard de dollars hier alors que le titre d’Amazon a grimpé de 23,54 $ par action. En une seule journée, Bezos a gagné autant que 72 890 employés des centres de distribution d’Amazon – plus de la moitié de la main-d’œuvre américaine – en une année entière.

Cette acquisition exprime l’énorme contrôle exercée par une poignée de puissantes sociétés financières sur l’économie mondiale. Quatre-vingt treize pour cent des actions de Whole Foods sont détenues par des « investisseurs institutionnels », dont un quart revient à seulement trois sociétés : Vanguard, BlackRock et State Street. Ces sociétés figurent également au premier, deuxième et sixième rang des actionnaires institutionnels d’Amazon, dont plus de 60 pour cent appartiennent à des sociétés financières. Quatre des cinq plus importantes institutions financières du monde ont fait un gain combiné de 2,26 milliards de dollars grâce à ce rachat rien que le premier jour.

C’est l’aristocratie financière, pas les travailleurs d’Amazon et Whole Foods, qui sont les seuls bénéficiaires de la fusion potentielle entre ces deux sociétés. Alors que les patrons de ces grandes entreprises fêtent l’affaire, Bloomberg News a calmement annoncé : « Amazon veut également moins d’employés dans chaque magasin [de Whole Foods], et ceux qui restent seront occupés à fournir l’expertise sur les produits, plutôt que d’exécuter les tâches banales. » En d’autres termes, des milliers d’emplois vont être éliminés. Les anciens et actuels employés d’Amazon peuvent dire à ceux qui restent que leurs conditions de travail se détérioreront rapidement.

Amazon a proposé d’acheter l’entreprise pour 42 $ par action. Au cours de la journée, les titres de Whole Foods ont augmenté de 28 % pour atteindre un maximum de 43,45 $. La hausse d’hier du prix des actions d’Amazon a ajouté 11 milliards de dollars aux caisses de l’entreprise, ce qui équivaut presque au coût de l’acquisition de Whole Foods. Whole Foods (ce qui veut dire « toutes les nourritures »), fondée en 1978, est surtout connu pour la vente de produits bios et « naturels » plus coûteux, en grande partie aux clients de la classe moyenne supérieure, ce qui lui a valu le surnom whole paycheck (tout le salaire) pour le coût de faire ses courses dans ce magasin.

Les négociations qui sous-tendent cette acquisition donnent une idée plus réaliste de la façon dont l’économie mondiale est gérée.

Au cours de la dernière année, Whole Foods a eu de plus en plus de mal à concurrencer les plus grands épiciers et, en avril, la société de fonds spéculatif Jana Partners a annoncé qu’elle était devenue le deuxième actionnaire le plus important de l’entreprise, ce qui a fait exploser ses titres en bourse. Le fonds spéculatif a immédiatement exercé une pression sur Whole Foods pour réduire les coûts et augmenter le cours des actions, incitant la société à remplacer cinq membres de son conseil d’administration et à embaucher un nouveau directeur financier le mois dernier.

Peu de temps après, le groupe financier Neuberger Berman, qui détient environ 2,7 % de l’entreprise et gère des actifs de 267 milliards de dollars dans le monde, a envoyé une lettre au conseil d’administration de Whole Foods, les exhortant à envisager des « fusions stratégiques possibles, des partenariats, des coentreprises, des alliances ».

Pour Amazon, un motif majeur derrière cette acquisition est la vaste expansion de l’implantation physique de l’entreprise, car elle prendra possession du réseau de plus 460 magasins de Whole Foods répartis aux États-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne.

Amazon a piloté une série d’initiatives de réductions de coûts dans certaines épiceries, dont une supérette de « Amazon Go » à Seattle qui fonctionne sans caissier, utilisant à la place une gamme de capteurs et de caméras pour surveiller les clients et les facturer automatiquement pour les articles qu’ils emportent du magasin.

Avant le rachat de vendredi, Amazon avait été un acteur mineur dans la vente au détail d’épicerie. En 2007, la société a lancé son service de livraison de nourriture « Amazon Fresh » à Seattle, qui depuis s’est étendu à plus d’une dizaine de villes dans le monde. En mars, la société a annoncé « Amazon Fresh Pickup », qui permet aux utilisateurs d’acheter en ligne, de fixer un rendez-vous pour retirer les courses et les faire charger dans leur voiture au magasin.

L’acquisition dépend encore de l’approbation des actionnaires de Whole Foods et des autorités fédérales de régulation, les négociations devant être terminées au second semestre de 2017. En attendant, de nombreuses analystes prédisent que d’autres géants du commerce de détail, y compris Walmart, Target, Costco et d’autres, peuvent essayer de renchérir sur l’offre d’Amazon, ou au moins de faire monter le prix qu’Amazon doit payer pour conclure l’affaire.

Walmart est l’opposant le plus susceptible de se jeter dans la mêlée, craignant qu’un accord Amazon-Whole Foods ne puisse marquer un empiétement sur son contrôle sur le marché du commerce de détail en magasin. Les deux entreprises se sont engagées dans une campagne féroce pour le contrôle de l’industrie mondiale du commerce de détail. Pour défier Amazon, Walmart s’est engagée dans une acquisition à tours de bras de sociétés de commerce en ligne au cours de la dernière année, culminant dans le rachat également annoncé vendredi de la société de vente de vêtements en ligne Bonobos pour un montant de 310 millions de dollars.

L’offre d’Amazon pour racheter Whole Foods aura des implications profondes pour les travailleurs d’Amazon, Whole Foods et de toute la classe ouvrière. Dans leurs efforts pour vendre moins cher les uns les autres et élargir leur contrôle dans toutes les industries, la stratégie centrale des sociétés sera de réduire les coûts de la main-d’œuvre, c’est-à-dire les salaires et les avantages pour leurs salariés. Ces pressions à la baisse entraîneront d’autres entreprises à réduire les salaires et les avantages pour satisfaire les actionnaires dans une compétition sans pitié pour réaliser des profits.

L’affaire Amazon-Whole Foods est l’expression de la concentration croissante de la richesse et du pouvoir économique dans une petite poignée d’aristocrates financiers comme Jeff Bezos et les PDG des principales sociétés de Wall Street comme Vanguard, BlackRock et State Street. Selon une étude universitaire de 2017, ces trois entreprises sont le plus grand actionnaire combiné de 40 pour cent de toutes les sociétés cotées en bourse aux États-Unis, ce qui représente une capitalisation boursière de 17 000 milliards de dollars, à peu près égale au PIB annuel total des États-Unis.

À mesure que les monopoles comme Amazon se renforcent dans toutes les industries, un réseau d’investisseurs et de PDG exigent des profits plus élevés et une exploitation plus intense de la classe ouvrière. Ce ne sont pas uniquement la cruauté ou la cupidité des patrons à titre individuel qui sous-tendent les conditions de plus en plus déplorables et difficiles auxquelles les travailleurs d’Amazon sont confrontés dans les centres de distribution du monde entier – cette cruauté et cette cupidité ont une base matérielle – elles découlent de la monopolisation et de la financiarisation de l’économie capitaliste.

La tâche de la classe ouvrière est de prendre le contrôle de ces géants internationaux, de les placer sous contrôle démocratique, de s’emparer de leurs biens et de les réorganiser pour répondre aux besoins de l’humanité.

(Article paru en anglais le 17 juin 2017)