Résumés des communications — « Représentations modernes et contemporaines des Nords médiévaux » (20 janvier 2017)

Séminaire Représentations modernes et contemporaines des Nords médiévaux — Année 3 : Pratiques et politiques

Lille, vendredi 20 janvier 2017

Alban Gautier
Université du Littoral Côte d’Opale (Boulogne-sur-Mer)
Institut universitaire de France

Autour des Nords médiévaux : Pratiques et politiques contemporaines

 Ce propos a pour objet d’introduire la troisième et dernière année de ce séminaire consacré aux « Représentations modernes et contemporaines des Nords médiévaux ». Comme pour les deux années précédentes, notre séminaire se situe à la croisée de trois champs disciplinaires : les études médiévales ; le médiévalisme, c’est-à-dire l’étude de la réception du Moyen Âge après le Moyen Âge ; et les travaux sur le Nord, la nordicité, la septentrionalité et désormais le boréalisme.

Nous avions, dès le début du séminaire, décidé d’organiser notre réflexion non pas autour de ces trois champs, ce qui nous aurait assuré de manquer la cible, mais autour de trois modalités de rapport au passé suggérées par un article de Gil Bartholeyns distinguant « l’histoire », « la mémoire » et « le passé ». Sans reprendre parfaitement sa proposition, nous nous en sommes inspirés pour traiter successivement de la construction d’un discours « savant » sur le passé médiéval septentrional (année 1 : Historiographies), puis des développements culturels et artistiques mettant en œuvre des représentations de ces Nords médiévaux (année 2 : Mémoires et cultures). S’il est une chose que les deux premières années du séminaire nous ont enseignée, c’est que, quel que soit l’intérêt heuristique de cette distinction, elle est en pratique impossible à tenir : le discours historiographique est inséparable de la réception artistique et culturelle au sens large, et les deux sont toujours en interaction avec le troisième mode de rapport au passé, qui va nous retenir cette année.

Celui-ci — que nous avons résumé par l’expression « Pratiques et politiques » — est de toute évidence le plus étranger aux médiévistes, et celui pour lequel l’intérêt des universitaires est le plus récent. Ce rapport au passé peut être qualifié d’immédiat, voire de spontané : c’est un « usage » du Moyen Âge septentrional qui est a priori (mais cela méritera d’être discuté) beaucoup moins réfléchi, moins distancé que les discours savants ou les œuvres d’art. Les agents sociaux ont en effet la capacité (dont ils usent) de se saisir directement d’un certain nombre de schèmes et de tropes, éventuellement élaborés à l’origine par les savants (historiens, philologues, historiens de l’art, etc.) et par les artistes (romanciers, peintres, musiciens, cinéastes, etc.), et de les mettre au service de leurs propres pratiques sociales et/ou individuelles : le passé, redessiné par les savants et les artistes puisqu’aussi bien il reste inaccessible en tant que tel, devient un réservoir auquel on puise librement des références, des clichés, des situations, des personnages, etc.

Quelques-uns de ces usages peuvent dès maintenant être mis en avant :

1/ Les usages politiques sont les plus évidents. Le Moyen Âge septentrional a constitué, tout au long des deux derniers siècles, un réservoir inépuisable de références pour les extrêmes droites, mais aussi pour bien d’autres groupes. Le caractère fondamentalement « médiéval », plus précisément « altomédiéval », voire « barbare », du Nord se vérifie dans de nombreux contextes. Il y a bien souvent comme une équivalence entre Nord et Moyen Âge : le « vrai Nord » est médiéval, et le « vrai Moyen Âge » est nordique. Cette équivalence a de fortes conséquences sur le discours politique : on cherche dans le Nord et dans le Moyen Âge une pureté politique originelle (pureté de la race, pureté de la liberté politique, etc.).

2/ Âge moyen, le Moyen Âge est singulièrement lié à l’enfance, ou même (plus précisément) à l’adolescence. D’où le lien étroit entre Moyen Âge et éducation, mais aussi entre Moyen Âge et récréation. Les industries culturelles et récréatives cherchent alors à fournir à leurs clients des produits qui jouent sur ce rapport à l’adolescence, et les Nords médiévaux (qu’ils soient historique ou revisités par la fantasy) se prêtent particulièrement à cet usage commercial, qui joue à l’occasion sur la corde de la nostalgie.

3/ Le tourisme se réfère lui aussi abondamment aux Nords médiévaux. Les voyageurs du XIXe siècle qui se promènent dans le Nord avaient l’impression de faire un voyage dans le temps, de revenir à des Moyen Âges divers qui semblent d’autant plus reculés qu’ils avançaient vers le nord. Aujourd’hui, les sites touristiques de Tintagel ou de Glastonbury, lieux supposés de la conception et de la tombe du roi Arthur, sont formatés de manière à ressembler non pas à des localités du Ve-VIe siècle (époque où aurait vécu Arthur) ou du XIIe-XIIIe siècle (époque où les grands romans arthuriens ont été écrits), mais afin de multiplier ce qu’on pourrait appeler des « signes de médiévalité ».

4/ Si les Nords médiévaux sont un réservoir d’authenticité et d’origine perdues, il n’est pas étonnant qu’à côté des usages politiques et récréatifs, on doive faire une place aux usages religieux et spirituels. Le Moyen Âge et les Nords ont (ensemble ou non) pu être perçus comme des espaces-temps d’expérience religieuse « pure », non déformée par l’institutionnalisation ou la modernité. Cette impression peut déboucher sur un rejet du christianisme (perçu comme étranger, importé, voire comme sémitique, avec toutes les dérives qu’on imagine) aussi bien que sur une volonté de revenir à un christianisme plus essentiel. Les usages « néo-païens » des Nords médiévaux côtoient ainsi la promotion d’un christianisme dit « celtique » — une construction postérieure à 1800, qui n’a en réalité que peu en commun avec ce que fut le christianisme au Moyen Âge en Irlande ou au pays de Galles. Le « christianisme celtique » aujourd’hui promu dans certains hauts lieux touristiques ou spirituels a plutôt hérité d’idées du XIXe siècle (par exemple celles d’Ernest Renan) sur le « caractère celtique », entre brumes du Nord et mysticisme.

Ainsi l’usage « pratique et politique » des Nords médiévaux est inséparable des discours savants et des productions artistiques : Renan était, rappelons-le, à la pointe de la science en son temps, et pourtant il débouche aujourd’hui sur des formes d’appropriation du Moyen Âge que la science historique récuse, voire méprise. Rappelons donc pour conclure que le « médiévalisme », la réception du Moyen Âge, est difficilement séparable du discours savant : les études médiévales d’aujourd’hui sont le médiévalisme de demain.

Bibliographie

  • Christian Amalvi, Le goût du Moyen Âge [1996], 2eéd., Paris, La Boutique de l’histoire, 2002.
  • Gil Bartholeyns, « Loin de l’Histoire », Le Débat, no177, mai 2013, p. 117-125.
  • David Berliner, « On exonostalgia », Anthropological Theory, vol. 14/4, 2014, p. 373-386.
  • Anne Besson, La Fantasy, Paris, Klincksieck, 2007.
  • William Blanc, Le roi Arthur, un mythe contemporain. De Chrétien de Troyes à Kaamelott en passant par les Monty Python, Paris, Libertalia, 2016.
  • Pierre Bourdieu, « Le Nord et le Midi : contribution à une analyse de l’effet Montesquieu », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 35/1, 1980, p. 21-25.
  • Sylvain Briens (dir.), Le Boréalisme, revue Études germaniques, vol. 71/2, 2016.
  • Grégory Cattaneo, « The Scandinavians in Poland : a re-evaluation of perceptions of the Vikings », Brathair, vol. 9/2, 2009, p.2-14.
  • Tommaso Di Carpegna Falconieri, Médiéval et militant. Penser le contemporain à travers le Moyen Âge [2011], trad. fr. Grévin, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015.
  • Justine Digance et Carole M. Cusack, « Glastonbury : a tourist town for all seasons », dans Graham M. S. Dann (dir.), The Tourist as Metaphor of the Social World, Wallingford-New York, CABI Publishing, 2002, p. 263-280.
  • Bruno Dumézil (dir.), Les Barbares, Paris, Presses universitaires de France, 2016.
  • Stéphane François, Au-delà des vents du Nord. L’extrême droite française, le pôle Nord et les Indo-Européens, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2014.
  • Marion Gibson, Imagining the Pagan Past. Gods and Goddesses in Literature and History since the Dark Ages, Londres-New York, Routledge, 2013.
  • David Matthews, A Critical History, Cambridge, D. S. Brewer, 2015.
  • Donald E. Meek, The Quest for Celtic Christianity, Édimbourg, The Handsel Press, 2000.
  • Søren M. Sindbæk, « All in the same boat. The Vikings as European and global heritage », dans D. Callebaut, J. Mařík et J. Maříková-Kubková (dir.), Heritage Reinvents Europe. Proceedings of the International Conference, Ename, Belgium, 17–19 March 2011, Jambes, Europae Archaeologiae Consilium, 2013, p. 81-87.
  • Hippolyte Taine, Histoire de la littérature anglaise, 12e éd., Paris, Hachette, 1905.

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Jean-Louis Parmentier
Université du Littoral Côte d’Opale (Boulogne-sur-Mer)
Collège Jacques-Brel (Fruges)

 Les sagas dans la construction d’une identité norvégienne
aux XIXe et XXe siècle : quel régime d’historicité ?

La fin de plus de quatre siècles d’union avec le royaume du Danemark et le mariage forcé avec la Suède en 1814 donnent à la Norvège le terreau dans lequel vont germer les idées nationalistes et la recherche d’une identité. L’influence des penseurs norvégiens, des philologues, des artistes, contribue à orienter l’opinion publique et les hommes politiques au nom d’un renouveau national qui doit se libérer de l’emprise culturelle de ses voisins scandinaves. Parmi les marqueurs identitaires mis en avant par les nationalistes — par exemple le retour du vieux norrois dans l’enseignement, l’hymne norvégien ou les poèmes et contes d’Henrik Wergeland — l’écriture de l’histoire médiévale de la Norvège fait office de puissant levier pour la cause nationale.

La réutilisation des sagas islandaises pour construire une histoire norvégienne n’a gère posé de difficultés aux intellectuels puisque Snorri Sturluson, auteur islandais pro-norvégien du XIIIe siècle, en avait donné un tableau éloquent dans sa Heimskringla. Ainsi les historiens norvégiens du XIXe siècle n’ont plus qu’à piocher dans sa production afin de construire un passé authentique, irréfutable car fondé sur les sources, dans lequel l’ensemble de la nation norvégienne peut puiser ses origines et se conformer dans un sentiment d’identité collective. L’intérêt des théoriciens de l’identité et les hommes politiques norvégiens est donc de proposer un passé qui soit un vecteur de valeurs communes partagées : tantôt paysan, tantôt aristocrate, tantôt roi, le Viking, tel qu’il est dépeint dans les sagas, devient un parfait avatar au service de la raison d’État.

Désireux de diffuser un roman national populaire, le gouvernement norvégien commande en 1896 à Gustav Storm une nouvelle traduction de la Heimskringla en norvégien, accompagnée de nombreuses illustrations d’Erik Werenskiold, peintre renommé, connu pour ses illustrations de contes. Les événements représentés dans cette éditions sont sélectionnés judicieusement afin d’indiquer au lecteur les moments les plus importants de l’histoire norvégienne, mais aussi pour stimuler la construction mentale d’une représentation des anciens Scandinaves.

En collaboration avec Gustav Storm, Erik Werenskiold illustre donc un roman national. Pourtant ses gravures demeurent très sobres. Son souhait est d’apporter une iconographie proche d’une possibilité historique, en lien avec les évolutions de la recherche scientifique de l’époque, et en écartant toute influence romantique. L’intérêt de l’illustrateur est plutôt d’induire une valeur ajoutée de patriotisme en misant sur la posture épique des protagonistes et des scènes de batailles ; faisant de cette édition de la Heimskringla un puissant manuel éducatif destiné à former de « bons Norvégiens » qui doivent adhérer à des valeurs de courage, d’héroïsme, de fierté en s’inspirant de leurs ancêtres. Le message envoyé aux autres nations scandinaves est explicite : contrairement à leurs voisins danois et suédois, les Vikings norvégiens sont forcément les plus braves, les plus entreprenants.

Bibliographie

Traductions de la Heimskringla

  • Snorre Sturlasøn, Kongesagaer, trad. par Gustav Storm, Kristiania, 1899.
  • Snorre Sturlason, Heimskringla or the Lives of the Norse Kings, trad. par Erling Monsen et Albert Hugh Smith, Cambridge, 1932.
  • Snorri Sturluson, Histoire des rois de Norvège, trad. par F.- X. Dillmann, Paris, 2000.

Autres sources textuelles

  • John Lund, Norges Historie, Kristiania, 1899, traduit en français par Gaston Moch, Histoire de Norvège, Paris, 1899.

Sources iconographiques

  • Peter Nicolai Arbo, La chasse sauvage d’Odin, huile sur toile, 1872.
  • Nils Berglien, Le roi Harald aux Beaux Cheveux à la bataille d’Hafrsfjord, huile sur toile, 1890.
  • Hans Gude, Navires vikings dans le Sognefjord, huile sur toile, 1889.
  • Christian Krohg, Leif Eriksson découvre l’Amérique, huile sur toile, 1893.

Monographies

  • Jean-François Battail, Les destinées de la Norvège moderne (1814-2005), Paris, 2005.
  • Patrick Geary, Quand les nations refont l’histoire : l’invention des origines médiévales de l’Europe, 2011.
  • Jean-Marie Maillefer et Eric Schnakenbourg, La Scandinavie à l’époque moderne (XVe-XIXe siècles), Paris, 2010.
  • Anne-Marie Thiesse, La création des identités nationales. Europe, XVIIIe-XXsiècle, Paris, 2001.

Articles

  • Marc Maure « Le Paysan et le Viking au musée : nationalisme et patrimoine en Norvège au XIXe siècle », dans Daniel Fabre, L’Europe entre cultures et nations (Actes du Colloque de Tours, 1993), Paris, 1996.

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Stéphane Francois
IPAG de Valenciennes

Le mythe viking et les extrêmes droites française et belge contemporaines

L’extrême droite européenne, voire euro-américaine, s’est passionnée pour le monde viking au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait à la fois de trouver un palliatif à la thématique aryenne, trop connotée national-socialiste, tout en gardant l’idée d’une origine polaire de la civilisation blanche, et un moyen d’élaborer une nouvelle spiritualité européenne, c’est-à-dire néo-païenne, éloignée des religions abrahamiques. Ce néo-paganisme est devenu l’une des spiritualités importantes de l’extrême droite à partir de la seconde moitié des années 1980. L’extrême droite s’est donc intéressée aux vikings pour la spiritualité, notamment pour l’usage des runes, l’idée étant la suivante : la proximité du cercle polaire rend les vikings plus « purs », plus européens, spirituellement et physiquement. Une majorité des néo-païens d’extrême droite pratiquent une foi d’inspiration nordico-germanique. Le néo-paganisme nordique reconstruit à partir de la religion des Vikings, connu sous les noms d’odinisme ou d’Asatru, est l’un des néo-paganismes qui attirent le plus les militants d’extrême droite.

Nous proposons, dans cette intervention, de faire un « état des lieux du paganisme viking d’extrême droite en France et en Belgique, en prenant quelques exemples récents, provenant de la nébuleuse néo-droitière tant française que belge (I).

Puis, nous montrerons comment se pratique cette forme de paganisme dans ces milieux. Nous expliquerons également à partir de quoi ces pratiques ont été reconstruites (travaux d’historiens, d’archéologues, ethnologues, de folkloristes notamment). Ces pratiques sont importantes pour élaborer à la fois une ontologie et créer une cohésion de groupe (II).

Dans un troisième moment, nous verrons que le recours aux Vikings a permis la reformulation d’un discours raciste, de type suprémaciste aryen, via la supposée fonction civilisatrice des expéditions Vikings en Europe et en Méditerranée, mais également celles, imaginaires, en Amérique du Sud (selon ces thèses les Vikings seraient à l’origine des civilisations précolombiennes) (III).

Enfin, dans une dernière partie, nous montrerons que le mythe viking a été utilisé par des scènes musicales contre-culturelles (le National-Socialist Black Metal), ouvertement national-socialistes, pour promouvoir une vision du monde nordiciste, brutale et raciste (IV).

Bibliographie :

  • Régis Boyer, Le Mythe viking dans les lettres françaises, Paris, Porte-Glaive, 1990.
  • Stéphane François, Les Néo-paganismes et la Nouvelle Droite (1980-2006). Pour une autre approche, Milan, Archè, 2008.
  • Stéphane François, Au-delà des vents du Nord. L’extrême droite française, le Pôle nord et les Indo-Européens, Lyon, PUL, 2014.
  • Stéphane François, « Spiritualités de la Nouvelle Droite. “Tradition” et paganisme », in Patrick Troude-Chastenet (dir.), Les Marges politiques. Bordeaux : Presses Universitaires de Bordeaux, 2015, p. 73-89.
  • Matthias Gardell, Gods of Blood. The Pagan Revival and White Separatism. London/Durham, Duke University Press, 2003.
  • Benoît Marpeau, « Le rêve nordique de Jean Mabire », Annales de Normandie, 43ème année, n°3, 1993, p. 215-241.
  • Charles Morrow, « Resurgent Atavism? Resurgent Nazism, Or, Wotan Made Me Do It », in Devin Burghart (ed.), Soundtracks to the White Revolution: White Supremacist Assaults on Youth Music Subcultures, Chicago, Center for New Community, 1999.

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Julie Escurignan
Roehampton University

Medieval fantasy et fantaisies médiévales :
cosplay et créations de fans dans l’univers de Game of Thrones

Le Trône de Fer, ou A Song of Ice and Fire en anglais, est une série de romans de fantasy écrits par George R. R. Martin et publiés à partir de 1996. Ces livres ont été adaptés en série télévisée par la chaîne satellite HBO depuis 2011 sous le titre le Trône de Fer en français (Game of Thrones en anglais). Game of Thrones est une des séries de fantasy les plus populaires actuellement. Cela fait près de sept ans que ce « phénomène » rassemble plusieurs millions de téléspectateurs devant leur écran de télévision, sans compter ceux qui regardent depuis d’autres plateformes, notamment via le streaming ou le téléchargement illégal. C’est aussi un exemple particulièrement parlant de narratologie transmédiatique. En effet, son univers se déploie non seulement dans les livres et la série, mais aussi dans des jeux vidéo, jeux de table, produits dérivés et sites internet. C’est donc un univers riche et complet qui mérite d’être analysé.

Game of Thrones appartient à un type spécifique de fantasy qu’on appelle la medieval fantasy : un genre qui a la particularité de s’inspirer du Moyen Âge. Et c’est bien ce que l’on voit dans Game of Thrones : une société féodale, où la technologie, l’armement, l’économie, les styles vestimentaires et les modes de vie rappellent le Moyen Âge. Néanmoins, si la société est on ne peut plus féodale à Westeros, à Essos et au-delà du mur vivent la magie et les créatures étranges (des Marcheurs Blancs du Nord aux Dragons du Sud) qui peu à peu reviennent à Westeros. On observe en effet dans la série une approche progressive du merveilleux : c’est un monde médiéval réaliste dans lequel la magie réapparaît progressivement. Cette progression dans l’apparition d’un univers proprement de fantasy est une explication possible au large public de la série, qui a ainsi pu s’accoutumer à l’arrivée d’éléments surnaturels dans l’histoire (Anne Besson).

Les productions médiévalisantes, à la création desquelles la série contribue, participent de son image de série inspirée du Moyen Âge. Parmi ces productions, on ne peut manquer d’évoquer les créations de fans. Les fans de Game of Thrones sont des gens extrêmement versés dans cet univers. Ils s’adonnent à de nombreuses activités liées à leur objet d’admiration : échanges sur les blogs, forums et réseaux sociaux, création de fiction, d’œuvres d’art, de produits dérivés et de costumes, participation à des conventions, visite de lieux de tournage, etc.

L’activité consistant pour les fans à créer puis à porter des costumes afin de personnifier leur personnage fictionnel préféré est appelé le cosplay. Dans la plupart des cas, les cosplayers (celles et ceux qui pratiquent le cosplay) fabriquent leurs propres costumes, mais ils peuvent aussi les faire faire sur mesure par d’autres cosplayers plus expérimentés ou les acheter dans des boutiques de costumes. Les costumes de cosplay sont des reproductions plus ou moins fidèles des habits portés par les personnages à l’écran. Dans le cas de Game of Thrones, les cosplayers ne cachent pas qu’ils s’inspirent librement d’éléments vestimentaires médiévaux pour la réalisation de leurs costumes.

Les cosplayers se retrouvent essentiellement lors de conventions, ces rassemblements de fans dédiés à la « pop culture ». Ces événements permettent aux cosplayers de se retrouver entre fans d’un même univers fictionnel. Il n’est donc pas rare de voir des groupes de Daenerys, Khal Drogo ou Lannisters prendre des photos ensemble. Ces moments permettent aussi aux cosplayers de pousser plus loin l’expérience du cosplay en rejouant des scènes de la série, voire en en inventant de nouvelles.

Ces jeux de rôle, et l’importance de la personnification des personnages incarnés, font que les cosplayers de Game of Thrones tendent à agir comme le ferait leur personnage. Ils « jouent » le roi, la reine ou le chevalier, ajoutant une dimension supplémentaire au fait de porter un costume médiévalisant. Ils sont, de fait, créateurs d’une expérience pour les gens qui les entourent : ils font passer l’atmosphère médiévalisante de Game of Thrones de la 2D sur écran à la 3D hors écran. Grâce à cette personnification, à ce jeu d’acteur associé à leur performance de cosplayer, les fans de Game of Thrones participent pleinement à la diffusion et au succès toujours renouvelé du médiéval, qu’il soit historique ou légendaire.

Ainsi, ces créations, s’ajoutant à la série et à l’œuvre livresque, jouent un rôle indéniable dans le succès du style médiévalisant auprès des publics et facilitent la circulation de ces objets culturels dans la société.

Bibliographie

  • Anne Besson (2016). Mooc Fantasy V2. Université d’Artois et Fun-Mooc.fr : https://www.fun- mooc.fr/courses/univartois/35001S02/session02/36688c6b6c604c778db2d18ec0863db2/
  • Julie Escurignan, « ‘Growing Strong’: Expanding the Game of Thrones Universe through Fan-Made Merchandizing », dans K. Mudan Finn (éd.), Fan Phenomena: Game of Thrones, Bristol, Intellect, 2017, p. 36-47.
  • Matt Hills, Fan Cultures, Londres, Routledge, 2002.
  • Henry Jenkins, Textual Poachers : Television Fans and Participatory Culture, New York, Routledge, (1992.
  • Nicolle Lamerichs, « Stranger Than Fiction : Fan Identity in Cosplay », Transformative Works and Cultures, n° 7, 2011 (doi:10.3983/twc.2011.0246).
  • Carolyne Larrington, Winter is Coming : The Medieval World of Game of Thrones, Londres, I. B.Tauris, 2015.
  • George R. R. Martin, A Song of Ice and Fire. New York, Bantam Books, 1996.
  • Postal, « Cosplay of Thrones : Recreating the Costumes of Westeros », dans K. Mudan Finn (éd.), Fan Phenomena: Game of Thrones, Bristol, Intellect, 2017, p. 28-35.

 

 


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