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Les restes de l’industrie de l’uranium

Conflits autour de leur prise en charge
Conflicts Over The Care of Remainders from the Uranium Industry
Philippe Brunet

Résumés

L’industrie minière de l’uranium s’est déployée sur le territoire métropolitain entre 1948 et 2001, soit sur un demi-siècle. La région du Limousin a été la zone de production la plus importante, de l’extraction du minerai à sa concentration sur place en yellow cake. Il a résulté de cette industrie trois types de restes : les stériles, les résidus et les eaux d’exhaure. La masse très importante de ces restes, stériles et résidus, est liée à la richesse du minerai extrait et traité. Ils sont radioactifs avec une très faible activité. Mais, compte tenu de la décroissance de leur radioactivité, leur impact sur l’environnement peut être considéré comme infini à l’échelle du temps humain.
À partir d’une enquête réalisée intensivement entre 1996 et 2002, puis de manière plus ponctuelle jusqu’à aujourd’hui, l’article examine l’évolution de la gestion de ces restes. Il prend appui sur la notion de capacité de prise en charge et sur une méthode sociohistorique adaptée. Cette articulation permet à l’analyse sociologique de montrer la plasticité de la capacité de prise en charge de ces restes à travers le temps long et non discontinu de l’exploitation à la post-exploitation. L’analyse se déploie sur trois périodes, qui sont autant de configurations sociales distinctes depuis 1948 jusqu’à aujourd’hui : le temps béni de l’uranium, le temps disputé du nucléaire et le temps incertain de la radioactivité. Elle montre que la capacité de prise en charge de ces restes se transforme lentement, passant de la modalité attribution à la nature, à la modalité disposition à, affaire pleinement humaine. Cette transformation est l’expression de l’évolution des rapports sociaux qui agitent chacune des configurations sociales. Ces rapports se nouent en particulier autour de l’identification et de la gestion de ces restes comme déchets radioactifs, l’une et l’autre tendues entre les réglementations minière et nucléaire. Dans une certaine mesure, le maintien de cette conflictualité qui traverse ces rapports sociaux est garant d’un pouvoir mémoriel relatif à l’incertitude de la situation.

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Texte intégral

Pierre-Belle

Pierre-Belle

Mine non autorisée à l'époque, novembre 1994

© Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin

Introduction

Depuis la libéralisation des « choses environnantes » (Fressoz 2011, 2012), l’histoire des déchets industriels s’assimile à une lente prise en charge qui les fait passer de la banalité, voire de l’oubli, à des opérations d’identification, de confinement ou de transformation (Ogé et Simon 2004). État, entrepreneurs, communes, syndicats, associations, experts, riverains, chaque acteur, en fonction de son poids social, cherche à orienter le cours de cette prise en charge et à en spécifier le contenu. Cette dynamique est traversée par des tensions plus ou moins fortes du fait de l’existence de risques environnementaux et sanitaires (Chateauraynaud et Torny, 1999) et parce que toute connaissance issue de la rationalité scientifique et instrumentale ne se substitue jamais entièrement à celles qui émergent des expériences vécues (Wynne 1997, Brunet 2008). Il en découle que l’incertitude sur les risques, liée aux connaissances et aux méconnaissances du moment, conduit à des évaluations précaires quand il s’agit de les prévenir, a minima de les contenir (Beck 2001).

1Considérons dès lors ce champ de tensions comme une zone instable où s’expriment des intentions et des pouvoirs d’agir asymétriques. Ils alimentent des modes de production de connaissances, de catégories de classement et de procédures inscrits dans des configurations sociales (Brunet 2004), identifiées par ailleurs comme des « régimes de déchets » aux connexions multiples (Gille 2010). Dans cette perspective, on s’intéresse à la dynamique de la gestion des restes de l’industrie de l’uranium en France, à partir de ces intentions et de ces possibilités d’agir considérées comme des capacités de prise en charge, liant l’action à des connaissances et à des normes de conduite.

  • 1 Les très nombreux rapports consacrés aux déchets de cette industrie commis par l’Office parlementai (...)
  • 2 Loi no 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets (...)
  • 3 L’article 5 de la loi du 28 juin 2006 stipule que « les déchets radioactifs sont des substances rad (...)

2À ce titre, les déchets de l’industrie nucléaire représentent un cas pertinent pour analyser ce champ de tensions eu égard à leur extrême diversité et à leur importance politique 1. D’un côté, leur image semble bien ancrée. En France, elle renvoie à ceux produits par les centrales nucléaires et à un haut lieu médiatisé : la Hague, au Nord du Cotentin, épicentre de leur retraitement (Zonabend 1989). Cette polarisation n’est pas sans fondement : leur danger n’est pas nié même si son évaluation et les moyens d’y remédier sont l’objet d’affrontements entre experts (Brunet 2006). De fait, leur prise en charge est controversée. Répertoriés, classés, traités, entreposés, – l’une des disputes porte sur le choix d’un lieu pour les stocker, pour les surveiller et les maintenir en mémoire, ou pour les oublier (Barthe 2006). Mais, d’un autre côté, le genre « déchets radioactifs » accepte d’autres restes selon la loi de 2006 2 : des déchets hospitaliers aux gravats issus du démantèlement d’installations, nombreuses en sont les formes. À n’en pas douter, ce qui est radioactif et qui répond à la définition de déchet selon cette loi, semble devoir être saisi par les rets du genre et classé dans l’une des cinq catégories disponibles 3.

3Pourtant, il existe encore des déchets radioactifs mal classés, rangés ni dans l’une de ces catégories ni en dehors. Ce sont les restes de l’industrie de l’uranium. Une explication pourrait être avancée. Les « résidus », étant du ressort du code minier et des réglementations propres aux substances radioactives, la première nomenclature masquerait l’autre. Mais ce serait oublier que les « stériles » sont exclus du genre « déchets radioactifs ». Dès lors, expliquer pourquoi les restes de cette industrie sont au purgatoire du classement revient à comprendre les linéaments de leur gestion chaotique.

  • 4 Les données proviennent d’une thèse soutenue en 2002, complétées par un suivi du terrain jusqu’à au (...)

4Son exploration requiert une conceptualisation et une méthode appropriées. Pour justifier la démarche, la première section décrit le contexte de production de ces restes. La seconde montre l’intérêt d’examiner la dynamique de leur identité et de leur gestion à partir de la notion de capacité de prise en charge et par une méthode diachronique. De là, la troisième développe une analyse qui repose sur des données empiriques relatives à la division minière de la Crouzille en Haute-Vienne (Brunet 2004) 4. L’analyse montre que la capacité de prise en charge de ces restes, en tant qu’intention et pouvoir d’agir, se modifie passant d’un comportement d’attribution à la nature à celui de disposition à, marquée par la conflictualité.

Trois types de restes de l’industrie minière de l’uranium

Affirmer que l’industrie de l’uranium en France a eu son heure de gloire de 1948 à 2001 suppose qu’elle appartient désormais au passé 5. Or, l’État a confié à l’exploitant, Areva 6, le soin de gérer un « après-mine ». L’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) et les DREAL (directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement) ont pour rôle de surveiller cette gestion. La fin de l’exploitation ne signe donc pas la fin d’une histoire. Plus que toute autre, cette histoire minière est bipolaire, positive et négative (Duchêne 2008).

  • 7 L’exploitant considère que le sol est déjà naturellement radioactif. Dès lors, l’exploitation « enl (...)

5Positive, c’est le moment d’exploitation (Blanc 2008). Tout fait sens par référence à la valorisation du minerai, objet d’un calcul. D’abord, lors de son extraction. La ligne de partage entre le valorisable et le non valorisable a un nom, la teneur de coupure. Cette frontière, soumise au marché, est fluctuante. Déjà s’opère une séparation. Qualifié de « stérile », le non valorisable est délaissé. Pas vraiment négatif, c’est un neutre, jaugé en tant qu’équivalent-nature par l’exploitant : broyé et concassé, il reste « naturel » 7.

Compreignac, Santrop

Compreignac, Santrop

Mine en exploitation, août 1985

© Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin

6Les proximités sémantiques ne sont pas hasardeuses : « stérile » renvoie à un univers improductif. Ici, une part de la nature est considérée improductive pour l’industrie. Par la métaphore de l’échange, elle lui est donc « rendue », à moins d’un usage autre. À l’inverse, le valorisable poursuit sa soumission au process industriel.

SIMO Bessines

SIMO Bessines

Chaîne de préparation du yellow-cake, décembre 1993

© Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin

  • 8 La distance entre les lieux industriels de concentration de l’uranium et de son enrichissement orga (...)

7Physico-chimique, celui-ci transforme le minerai en yellow cake, forme première du futur combustible : une pâte ocre contenant 75 à 80 % d’uranium prête à être purifiée et enrichie, loin des carreaux miniers 8. Ce traitement réalise aussi une nouvelle séparation. En effet, la pureté du minerai se réfère uniquement à l’uranium, futur combustible. Tous les autres éléments radioactifs sont rejetés. En ce cas, cette nouvelle forme déchet, qui a été traitée, est considérée comme impure, non spécifiquement naturelle. Elle surgit, sous la forme de boues rougeâtres, comme un négatif.

SIMO Bessines

SIMO Bessines

Boues radioactives « sauvages » déversées au-dessus de l’usine SIMO, sous une future entreprise et ses locaux, mai 1993

© Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin

8Elle représente une masse énorme. Les teneurs de coupure, sauf rares exceptions, ont varié entre des valeurs de 1 à 5 pour mille. Dès lors, la masse de résidus est quasiment équivalente à celle du minerai extrait.

9En plus des stériles, « neutres », et des résidus, le négatif apparaît sous une autre forme : les eaux dites d’exhaure. L’après extraction largue par les interstices d’une géologie transformée par les travaux, et mal connue, des eaux chargées de radioactivité.

Fraisse

Fraisse

Ancienne mine, juin 1991

© Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin

10Là encore les controverses sont vives pour départager naturel et artificiel, et mesurer les risques. Mais, à coup sûr, le système minier, délesté de sa positivité, rejette des eaux radioactives.

Bessines

Bessines

Sortie des eaux et boues radioactives de l'usine dans le bassin de Lavaugrasse, mai 1993

© Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin

11Au total, se dégagent de cette période industrielle trois types de restes, qui survivent à l’exploitation. Leur catégorisation les identifie au langage minier par lequel ils ont été nommés : stériles, résidus et eaux d’exhaure. En ce sens, ils prolongent une histoire qui ne s’est pas arrêtée en 2001. Elle a simplement changé de polarité. Dans une certaine mesure, ce langage et sa nomenclature, par la part de naturalité qu’ils contiennent, tentent de masquer leur nucléarité (Hecht 2012, 2013). En s’appuyant sur cette catégorisation définie par les institutions établies et basée sur le code minier teinté par les réglementations propres aux déchets radioactifs, peut-on circonscrire un paysage précis de ces restes ?

12Actuellement, l’IRSN gère l’observatoire officiel de ces restes : Mimausa 9. La dernière version date de septembre 2007. Elle indique quelques limites à l’entreprise :

« Ainsi, les activités d’exploration, d’exploitation et de traitement de minerais d’uranium ainsi que le stockage de résidus de traitement ont concerné en France près de 210 sites répartis sur 25 départements. Compte tenu du nombre de sites, de leur dispersion géographique et de la diversité des situations rencontrées, il est en pratique difficile de dresser un panorama complet des activités minières d’uranium en France dans l’objectif d’en apprécier l’incidence environnementale. » (p. 3)

  • 10 Circulaire DGPR/SRT/MSMR/SN/2009.132 du 22 juillet 2009, relative à la gestion des anciennes mines (...)

13Six années après la fermeture de la dernière mine, l’État admet ne pas pouvoir dresser une cartographie sûre de cette industrie quant à son impact environnemental. On sait qu’il concerne un quart du territoire administratif français, en des points plus ou moins précis. En 2009, une circulaire ministérielle affirme à nouveau ne pas avoir une connaissance complète de la situation 10. Le temps de l’incertain n’est donc pas une vue de l’esprit (Brunet 2004).

Un cadrage pour comprendre la gestion des restes de l’industrie de l’uranium

L’incertitude qui plane sur cette cartographie traduit, en un certain sens, une répétition de son histoire et, surtout, un retournement. En décembre 1945, Joliot-Curie, Haut-commissaire du CEA, inaugure le premier stage des futurs prospecteurs d’uranium. Il déclare :

« Fouillez partout sans complexe. […] D’ailleurs si je le pouvais je lancerais sur la France 2 000 prospecteurs ! Ils balaieraient systématiquement notre sol au compteur Geiger du Pas-de-Calais aux Pyrénées ! Pas un indice d’uranium ne m’échapperait… ! » (Paucard 1994 : 8)

14Soixante-dix années plus tard, experts mandatés ou militants associatifs, armés eux aussi de compteurs Geiger, continuent d’arpenter ce territoire. Mais celui-ci a changé et ses indices radioactifs aussi. Ce territoire est devenu un espace des restes dispersés d’une industrie en ses trois types. Ces nouvelles activités d’exploration et de recensement disent quelque chose d’un manque et révèlent un paradoxe.

  • 11 Trois rapports, entre 1991 et 1993 rendent visibles ces déchets. En juillet 1991, le rapport « Desg (...)
  • 12 Les résidus répertoriés issus de la concentration de l’uranium représentent 52 millions de tonnes s (...)

15Les restes, en particulier les résidus, en volume et durée d’activité, bien qu’ils représentent les déchets les plus importants du cycle de l’industrie nucléaire, semblent avoir été les plus négligés par les institutions établies. Ils ont été tardivement, et plus ou moins clairement, assimilés à des déchets radioactifs, les déplaçant d’une banalisation oublieuse à une préoccupation plus soucieuse. De premiers chiffrages ont été avancés 11. Stockés, essentiellement dans les mines à ciel ouvert, les résidus de concentration du minerai représentent une masse de plusieurs millions de tonnes 12. Indéplaçables et intraitables, au mieux, il faut les contenir. Mais, pour une part inconnue, certains ont été dispersés, oubliés, voire cachés. Quant à la masse des stériles, elle est estimée à environ 166 millions de tonnes. Pourtant, cette mise en visibilité experte n’a guère produit d’effet.

  • 13 La circulaire du 22 juillet 2009, cosignée par le ministre et le président de l’ASN (MEEDDM no 2009 (...)

16Bien des années après les premiers rapports officiels, l’émission de télévision sur France 3 en février 2009, Pièces à conviction, intitulée « Le scandale de la France contaminée » évoque une situation identique, ou presque. L’enquête journalistique semble à nouveau découvrir ces résidus et leurs dangers : ici, un atelier dans le Forez dont la chape sur sol contient des résidus ; là, plus de 200 000 tonnes de résidus enfouis près d’un stade à Geugnon en Saône et Loire. L’enquête les rend publics, avec une audience nationale. Le ministre en charge de la situation avoue sa surprise et affirme qu’il va agir 13. Pourtant, sujet à controverse, le problème est connu par ceux qui s’en préoccupent depuis longtemps déjà, D’ailleurs, il a été « équipé » par agrégation de différents travaux et rapports (Gilbert 2003). Mais il a fallu du temps, que certaines crises expliquent : ainsi en est-il de la mise en place du programme Mimausa à partir de 2003 comme de celle du GEP Limousin (groupe d’expertise pluraliste) à partir de 2007, faisant autorité pour l’ensemble des sites français. Le processus de prise en charge des restes semble obéir à l’irruption de moments de vacarme, entretenus par divers groupements environnementalistes, antinucléaires, experts associatifs, qui émergent de périodes muettes (Chateauraynaud et Torny, op. cit.). Comment saisir ce processus ?

Pertinence de la notion de capacité de prise en charge

Elias (1997) remarquait que,

« des mouvements comme celui de la protection de l’environnement pourraient bien annoncer une compréhension croissante du fait que les hommes ne vivent pas isolés mais sont insérés dans le devenir de la nature et que, en fonction de leur nature spécifique, la responsabilité leur échoit de prendre en charge, dans leur intérêt même, cette relation ».

17Dans cette perspective, la notion de capacité de prise en charge permet d’éclairer ce moment où, comme en atteste la situation de ces restes, tout semble à chaque fois devoir être recommencé. Tout d’abord, peut-être faut-il admettre que ce dont il est question pose des problèmes de limites : limite à la mobilisation institutionnelle comme citoyenne ; limite à en circonscrire la réalité ; limites à reconnaître la valeur d’expertises et l’expérience vécue du danger ; limite, dès lors, à identifier les risques aussi bien au plan du calcul qu’au plan des normes déjà existantes ; limite enfin, à agir pour transformer cette réalité. Ensuite, les sciences sociales butent sur certains obstacles qui semblent pouvoir être surmontés. Ainsi le modèle explicatif longtemps dominant a défendu le principe d’une vision objectiviste des risques. La gestion des situations problématiques se confond avec le contrôle du comportement peu fiable du profane (Gilbert 2003). Ce modèle implique donc des mesures de perceptions du public (Slovic 1987, IPSN 1993) ou de degrés d’acceptation de ces situations (Mays et Poumarède 1996). A contrario, des formes de rationalité et de jugement différentes ont été mises en évidence et leur analyse a permis de comprendre les phénomènes d’engagement et de désengagement des acteurs (Wynne 1997, Brunet 2008, Akrich, Barthe et Rémy 2010, Chateauraynaud 2011). Bien que ces progrès de connaissance soient précieux, l’outillage adapté à l’analyse de ce type de phénomènes reste encore insuffisant. La littérature se centre essentiellement sur une capacité collective à faire face en limite haute : catastrophes, risques naturels importants, dysfonctionnement généralisé d’un écosystème. Ce qui conduit à s’intéresser à des situations de crise concernant des ensembles de populations (D’Ercole & al., 1994). À l’évidence, les problématiques des restes de l’industrie de l’uranium dessinent une autre pente : faibles doses, risques limités, méconnaissances mais situations potentiellement connues, controverses sur les expertises, etc.

18De ce point de vue, la notion de capacité de prise en charge satisfait toute relation aux risques, supputés ou réels, légitimes ou illégitimes. Deux modalités s’en dégagent qui incluent intention et pouvoir d’agir dans des registres différents : (1) l’attribution à, qui implique une prise en charge indirecte, déléguée ; (2) la disposition à, en tant qu’« être disposé à », qui indique le souci à l’égard d’une situation survenue ou potentiellement à venir, impliquant directement le porteur de cette capacité. La première modalité opère une partition entre intention et pouvoir, contrairement à la seconde.

Pour une méthode diachronique

Les restes de l’industrie de l’uranium ont fait l’objet d’analyses sociologiques (Brunet 2004, Bretésché et Ponnet 2013, Hecht 2013, Bretesché 2014). Pour la France, certains travaux mettent l’accent sur la différence qui apparaît entre le regard porté sur la période industrielle et celui sur la période post-industrielle. Ainsi, les mises en récit de l’histoire industrielle donnent lieu à des interprétations divergentes de la part des acteurs lors de la période post-industrielle (Bretésché et Ponnet 2013). Aussi, l’analyse se trouve-t-elle restreinte lorsqu’elle s’appuie sur des données provenant pour l’essentiel de la période post-industrielle. Toute description sociologique incluant le passé ne peut faire l’économie d’une recherche historique : les archives personnelles ou institutionnelles récupérées au cours d’entretiens sont de précieuses sources. Sinon, le risque est de saisir, en positif comme en négatif, une mémoire qui se réactualise au gré des événements (Hamman 2002). Une approche sociohistorique, qui ancre la compréhension des problèmes dans l’évolution des rapports sociaux et des modes de connaissance qui les accompagnent, est nécessaire. On le pressent : suivre la constitution du problème des restes de l’industrie de l’uranium où se combinent visibilité et invisibilité, connaissances et méconnaissances, valeurs et normes juridiques dans des contextes changeants, suppose d’éviter l’écueil d’une analyse rétrospective qui évaluerait le passé à l’aune d’un point de référence actuel considéré comme abouti.

19La notion de capacité de prise en charge permet l’exploration de la mise en déchets des restes de l’industrie de l’uranium en cherchant à saisir son actualisation dans son devenir historique. D’abord, elle offre un point de résolution à l’égard de la compréhension d’une question naturelle (Moscovici 1977) qui mobilise une combinaison de facteurs circulant entre culture et nature. Ensuite, cette notion permet de suivre la trace diachronique du problème en le jaugeant à l’aune de rapports sociaux évolutifs. On peut maintenant examiner comment, au fil du temps, la question de ces restes a été traitée dans les discours comme dans les pratiques.

Les trois temps de l’industrie de l’uranium : plasticité de la capacité de prise en charge

La division minière de la Crouzille a produit près d’un tiers de tout l’uranium métropolitain. Trois périodes se succèdent : le temps béni de l’uranium ; le temps disputé du nucléaire et le temps incertain de la radioactivité (Brunet 2004). La dernière n’est pas encore close, tant s’en faut. Ces périodes constituent autant de configurations productives dont il est possible de dégager des éléments significatifs. Leur structure sociologique et les rapports cognitifs et pratiques entretenus aux restes industriels, assimilables à des régimes de déchets (Gille 2012), sont caractérisés par une capacité de prise en charge évolutive. Au fil de l’analyse, on en constatera la plasticité.

Le temps béni de l’uranium : une capacité de prise en charge attribuée à la nature

Cette période s’étale sur une petite trentaine d’années depuis que les premiers filons de minerai ont été découverts dans les Monts d’Ambazac, à Saint Sylvestre, au Nord de la ville de Limoges.

Écho du Centre février 1949

Écho du Centre février 1949

Une d’un journal régional suite à la découverte des premiers indices d’uranium à Saint-Sylvestre

© Philippe Brunet

20L’exploitation s’est étendue dans différents lieux de la région de 1949 à 1976. À ce moment-là, une nouvelle période industrielle plus intense s’ouvre : la Cogema est créée, filiale du CEA, chargée de gérer les matières et les déchets en amont et aval du cycle nucléaire, dont l’industrie uranifère.

  • 14 Dès cette période, l’uranium devient un symbole positif approprié : ici, un bar de l’uranium ; là d (...)
  • 15 Les salaires ouvriers à la mine sont nettement plus élevés que ceux des autres industries présentes (...)

21Les effets de cette première configuration industrielle ont été structurants. La division minière de la Crouzille s’installe sur un territoire où de nombreuses communes sont touchées par l’exode rural. La mine représente alors une opportunité de travail. La division minière achète des terres et recrute localement des ouvriers mineurs. Le clivage persiste entre ce monde rural nouvellement acquis à l’uranium 14 et le monde urbain proche qui, quasiment, l’ignore. Pourtant, Limoges, située à 25 kilomètres, possède dans ce territoire ses réserves d’eau. La figure de l’ingénieur mineur domine cette configuration. Il ordonne le travail, les régulations et les échanges avec les particuliers comme avec les communes dans le cadre imposé par le code minier. Le but est d’extraire et de traiter l’uranium, et d’en vivre bien 15. La spécificité radioactive du minerai est contenue dans l’univers du travail du mineur. Il doit s’en protéger mais vivre avec. La prise de risque est pour lui. Son travail soustrait la radioactivité à la roche et ensuite au minerai. Ce faisant, il contribue au rayonnement de la France (Hecht 2004 [1998]) Ce rapport au risque, géré par le CEA, se diffuse sur tout le territoire.

  • 16 Une des pratiques consiste à utiliser les résidus en les mélangeant avec d’autres matériaux (sable, (...)

22Dans ce contexte, qu’en est-il du devenir des restes industriels ? Au cours de cette période, tout reste est identifié comme « stérile » en un double sens, quelle qu’en soit la forme : roches excavées en deçà de la teneur de coupure ou résidus. C’est-à-dire comme une matière non valorisable de laquelle l’idée de radioactivité comme valeur et aussi comme danger, a disparu. Ces restes ont plusieurs destinations, qui s’expriment par une certaine capacité de prise en charge. Elle s’exerce, pour une part, en disposition à. En ce cas, ces restes, matière neutre, sont orientés vers des chantiers d’aménagement ou de construction. Le CEA utilise les roches concassées pour empierrer des routes ou les vendre à bas prix. Parfois les résidus contribuent aux matériaux de construction 16. Ceci étant, pour la plus grande part des restes, la capacité de prise en charge s’exerce comme attribution à lorsque le CEA en transfère le pouvoir à la nature. C’est le cas du délaissement des chantiers miniers par remblayage. La symbolique de ce transfert est celle de « rendre à la nature » ce qui lui a été prélevé.

23Les autres restes sont les eaux d’exhaure. Dès 1957, le maire de Limoges s’inquiète des dangers que l’activité minière peut faire peser sur la qualité de l’eau des réserves de la ville. Il commande des analyses à l’université de Poitiers. Les résultats ne semblent pas inquiétants. Quant au CEA, s’il consent lui aussi à « enquêter », il considère ne polluer, par radioactivité, en rien, un milieu, déjà naturellement radioactif :

« À la mairie de Limoges, on s’était un peu alarmé. On savait que les eaux d’exhaure allaient se déverser dans l’étang de La Crouzille. Bon, on dit : on va faire une enquête. Alors on avait fait analyser l’eau de l’étang de La Crouzille, des particuliers et de l’eau d’exhaure. L’eau d’exhaure bien sûr était fortement radioactive. L’eau de l’étang de La Crouzille pas du tout […] L’eau des puits était radioactive. Or les gens vivaient là-haut depuis… J’en ai connu qui avaient 85 ans et 90 ans et qui n’étaient pas malades. Alors ça s’est terminé comme ça ». (Entretien, ancien responsable administratif de la division minière)

24Finalement, la capacité de prise en charge des restes sur cette période est dissociée. Pour la plus grande part, elle est attribuée à la nature qui, sans autre intervention humaine que celle de l’intention de s’en dessaisir, a le pouvoir de les absorber. Ce qui n’est pas utile est restitué à une nature oublieuse. Ce qui est utile, c’est l’uranium comme bien commun. Sa connaissance et sa gestion sont aux mains du CEA. Radioactif, il ne produit des risques qu’au travail. Son industrie participe au progrès, y compris localement. C’est notamment le cas de l’aménagement du territoire lorsque les travaux miniers coupent les sources d’eau et, qu’en compensation, l’adduction d’eau est installée dans les villages aux frais du CEA.

Le temps disputé du nucléaire : dessaisir la nature de sa capacité de prise en charge

Le programme électronucléaire de 1975 a pour effet de doubler la demande en uranium sur plusieurs années. La division minière de la Crouzille, désormais Cogema, vise une production annuelle de 1 000 tonnes d’uranium. Ceci suppose d’ouvrir de nouvelles mines, de faire croître les effectifs de l’entreprise en recrutant bien au-delà du territoire. Les choix techniques induits par l’augmentation de la productivité favorisent l’ouverture de nombreuses petites mines à ciel ouvert, là où les concentrations en minerai sont intéressantes. C’est pourquoi, on assiste à un véritable « mitage » extractif et à son extension sur la région. Ce cadre de production implique une attention nouvelle de la part des élus, notamment régionaux, et des associations de défense de l’environnement qui viennent élargir la configuration. Si les unes dénoncent cette industrie qui perturbe les cadres de vie, les autres exigent des retombées économiques. Dès lors, sous l’effet de cette double critique, la nucléarité de l’industrie de l’uranium devient plus évidente : elle est désormais liée à l’industrie nucléaire du pays.

Les 22 mensonges

Les 22 mensonges

Page de couverture du livre de Christian Pénicaud, militant local, Les 22 mensonges des maîtres atomiseurs ou les dangers des mines d'uranium pour la santé et l'environnement, Cabris, Alternative et culture, 1979

© Philippe Brunet

25À ce titre, les élus demandent une plus juste rétribution économique alors que les associations dénoncent la destruction des paysages et des sources, les diverses nuisances et, surtout, réactivent le problème d’une pollution possible des réserves d’eau de la ville de Limoges. Un basculement se produit au cours de cette période. Outre la question des restes, les conflits portent sur ce qui est valorisable comme bien commun : l’uranium s’oppose alors à l’eau et aux paysages. Dans cette configuration industrielle élargie, la figure de l’ingénieur n’arrive plus à s’imposer par elle-même. D’autres figures la contestent, qui donnent corps à une conflictualité sur les restes et génèrent de nouvelles formes de capacité de prise en charge.

26Déjà, l’attribution à la nature d’une capacité de prise en charge, telle que le CEA puis la Cogema l’envisageaient jusque-là, se fragilise. Les associations la contestent, argumentent et militent pour sa transformation en disposition à, qui concerne deux types de restes : les eaux d’exhaure rejetées dans les retenues de Limoges et les résidus de l’usine de concentration du Bouchet, déplacés de l’Essonne jusqu’à Bessines pour y être stockés.

27Dans le premier cas, l’affaire engage des enjeux sanitaires.

Carte Clan

Carte Clan

Tract du Clan de 1979 sur la radioactivité des eaux de Limoges

© Philippe Brunet 

  • 17 Collectif limousin pour une alternative au nucléaire
  • 18 Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants. Ce service, qui a disparu suite à (...)

28Sous la pression médiatique et politique d’un réseau d’associations, le Clan 17, elle aboutit à une réunion à l’initiative du Préfet en octobre 1979 sur le problème. Sont discutées l’évaluation de la situation et la solution : la protection des retenues par ceinturage. L’évaluation par l’expert d’autorité institué, ici le SCPRI par la voix de son directeur adjoint 18 (1), et la réponse du directeur de la division minière au Préfet (2) concernant cette solution donnent une idée de la résistance à convertir la capacité de prise en charge institutionnelle comme disposition à :

« (1) Je voudrais ajouter un petit point quand même sur le plan des mesures faites localement. Ces mesures, bien sûr, peuvent être faites par un laboratoire compétent, mais il ne faut pas oublier qu’elles sont longues et coûteuses. Or, je voudrais dépasser un peu mon rôle d’hygiéniste des radiations pour me poser en hygiéniste tout court. À l’heure actuelle, le risque radioactif dans bien des domaines, et en particulier ici, est mineur, vraiment mineur, comparé à beaucoup d’autres risques. Alors vouloir mettre des moyens, de l’argent, de la matière grise sur ce problème alors qu’il est déjà traité est à déconseiller. […] En tant qu’hygiéniste, je vous demande tous d’y réfléchir. Est-ce que vous ne détournez pas des moyens d’un usage plus rationnel ? »

  • 19 « Radioactivité des eaux alimentant la ville de Limoges ». Préfecture de la Haute-Vienne - Compte-r (...)

« (2) Oui M. le Préfet nous sommes d’accord sur le principe, sous la double réserve que ce soit effectivement l’autorité préfectorale qui en fasse la demande et, d’autre part, qu’il soit bien clair que ce n’est pas un problème de pollution à régler, que c’est un problème d’atteinte psychologique. Comment dirais-je, de psychologie des foules à redresser. » 19

29Autrement dit, appuyé par une expertise de l’État, l’exploitant défend la validité d’une conception de la capacité de prise en charge comme attribution à la nature. Cependant, sous la pression, l’État l’oblige à limiter cette capacité. Quant à la seconde affaire, elle engage des enjeux environnementaux sur les résidus. Des militants associatifs apprennent que les résidus de l’usine du Bouchet sont transférés depuis 1974 dans une mine à ciel ouvert située à Bessines. Le directeur de la division minière refuse de satisfaire le maire qui propose une réunion publique sur le sujet. Sollicité par le député de la circonscription, le Préfet adopte une attitude similaire dans sa réponse écrite, publiée dans la presse locale :

« …Sur le problème particulier des décharges effectuées sur le chantier de la COGEMA au “Brugeaud” près de Bessines, je puis vous indiquer qu’il est constitué avec les résidus de traitement de l’usine de concentration de minerais de Bessines et de matériaux de même nature en provenance de l’usine de traitement des minerais du Bouchet dans la région parisienne. Les matériaux provenant du Bouchet ne peuvent en aucune façon apporter une radioactivité supplémentaire, étant donné qu’il s’agit de stériles analogues aux matériaux d’origine locale. Il ne m’a pas paru possible d’effectuer une réunion d’information sur ce problème particulier de la carrière du “Brugeaud”, étant donné qu’une procédure judiciaire est en cours… » (Le Populaire du Centre, 15 février 1979).

30En ce cas, à la différence de sa position sur les eaux d’exhaure conditionnée par des enjeux différents, l’État considère que, s’agissant des résidus identifiés comme « stériles », il n’est nul besoin de retirer à la nature sa capacité de prise en charge. Commençant à faire l’objet d’une attention sous la pression associative, les résidus sont néanmoins considérés comme inoffensifs : ils n’apportent pas de « radioactivité supplémentaire ». Mais ce point de vue qui reste dominant est désormais contesté au vu des débordements (Letté 2012). Dès lors, attribuer à la nature la capacité à prendre en charge ces restes pose problème. Au cours de cette période, passant de l’invisibilité à la visibilité, leur identité de « stériles » se fragilise. Mais le point de vue dominé par lequel elle évolue, limite la capacité de prise en charge à se transformer en disposition à.

Le temps incertain de la radioactivité : vers une disposition à prendre en charge

La production de la division minière s’arrête avec la fermeture du dernier puits en 1995. La configuration industrielle s’efface. Une autre, environnementale, prend sa place : ce qui désormais pose question, ce sont les restes et leurs effets, supputés ou réels. Cette configuration est portée essentiellement par les élus régionaux et le mouvement associatif qui revisitent ces restes, chacun à leur façon. La Cogema et l’État, ensemble ou de manière séparée, tente d’en maîtriser, sinon l’agenda, du moins ses conséquences. Les mineurs, ouvriers, techniciens et ingénieurs, dispersés par la fermeture progressive de leur entreprise, et dont le travail passé devient la proie d’une stigmatisation croissante, se font silencieux. Ainsi, au moment où, confrontés à la reconversion de ce territoire rural, les élus régionaux font le pari d’un Limousin « vert » et propre, le thème de la « poubelle radioactive », activé par les associations, s’installe sur la place publique. Au patrimoine positif porté par l’uranium et son industrie de manière hégémonique pendant quelques décennies, se substitue un patrimoine négatif composé des restes qu’il faut identifier et contenir pour s’en protéger.

31L’un des moments critiques de la situation, où se trouve questionnée la validité de la modalité d’attribution à la nature de la capacité de prise en charge des restes, est celui où Areva est renvoyée devant le tribunal correctionnel de Limoges en 2004. L’exploitant doit répondre d’une plainte déposée par l’association Sources et Rivières du Limousin. Elle concerne deux délits : pollution et dépôts et abandon de déchets. Le jugement prononce la relaxe, confirmée par la Cour d’appel. La justice semble donc valider cette modalité en prenant cependant acte du fait de « l’imprécision de la loi concernant la notion de radioactivité susceptible de déclencher l’application de sanctions pénales » 20. Pourtant la pression est telle qu’elle oblige Areva et l’État à activer l’autre modalité de capacité de prise en charge. Mais, considérant le problème en limite basse de risque, la capacité de prise en charge de l’exploitant comme disposition à demeure limitée :

Bessines Le Brugeaud

Bessines Le Brugeaud

Techniques de recouvrement des boues radioactives : bâches plastifiées, quadrillage métallique, stériles miniers concassés, mai 1994

© Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin

« Il y a des chercheurs de l’IRSN qui ont essayé de faire un boulot sur la norme. Je leur ai expliqué comment avait été construite la norme qui est toujours en vigueur aujourd’hui sur les rejets de mine d’uranium. J’étais effaré. Eux aussi, d’ailleurs. C’est une norme d’exploitation minière. C’est-à-dire qu’à partir d’une certaine concentration d’uranium, sur un dépôt ou sur des sédiments, l’exploitant minier est obligé de faire un plan de gestion de ses déchets. Et c’est ça qui a fixé la norme de rejet des mines dans l’eau. C’est-à-dire qu’il n’y a aucune considération sanitaire ou environnementale là-dedans. C’est à partir d’une certaine concentration d’uranium dans un milieu qu’il faut faire un plan de gestion. Plan de gestion ne veut pas dire éliminer. Ça veut dire mettre une clôture, ça veut dire mettre tout dans le même tas, ça veut dire plein de choses un plan de gestion. Cette norme a été élaborée en 1990. Elle est toujours en vigueur en 2012 ». (Entretien, fonctionnaire, administration centrale, Ministère de l’Environnement).

32Les associations dénoncent une collusion entre Areva et l’État. Ce jugement n’est pas absent de l’esprit de certains fonctionnaires. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans ce cadre chaotique, sont proposées des solutions participatives :

« Les associations, à elles seules, ne font pas grand-chose en fait. Et donc là, on est début 2007, on est à la fin du procès COGEMA à Limoges. Je suis cela de près. Je peux d’ailleurs raconter une anecdote. Je remonte un peu en arrière, en 2004, juste avant l’ouverture du procès en correctionnel. Réunion des services du ministère de l’écologie et du ministère de l’industrie. J’y vais avec mon chef de service. C’est au ministère de l’industrie. Et la personne qui préside la réunion dit en gros : comment faire pour sauver la COGEMA ? Il était impensable que COGEMA se retrouve au tribunal correctionnel. Et donc c’est de là que naît l’idée de faire un groupe d’expertise pluraliste. On mettra tout le monde autour de la table. Quitte à dégonfler les sujets, etc. C’est comme ça que c’est lancé. C’est le procès de COGEMA qui déclenche ça dans les milieux ministériels. En disant : qu’est-ce qu’on peut faire pour désamorcer les conflits en Limousin ? » (Entretien, fonctionnaire, administration centrale, Ministère de l’Environnement)

33Au cours de cette troisième période, qui perdure, ces restes subissent une transformation identitaire les faisant passer d’un statut de stériles à celui de déchets radioactifs, plus ou moins bien reconnus. Les résidus ne peuvent plus figurer au rang de « stériles ». Désormais leurs caractéristiques les assimilent aux déchets radioactifs. Sur une vingtaine d’années, se cristallise un nouveau regard sur ces restes, même si les comportements gestionnaires, tant en termes de classement que de surveillance montrent une grande résistance des institutions établies, à la direction que prend ce processus. À travers ce mouvement, la capacité de prise en charge par la nature est mise en doute. L’attribution à ne peut plus être une modalité admise de la capacité de prise en charge. Elle devient une affaire de disposition à en tant que ces restes, progressivement identifiés et contrôlés, sont réassociés au devenir social et non plus oubliés par l’effet de leur naturalisation.

34Ce basculement à la fois symbolique et pratique ne va pour autant pas de soi car, ayant été plus ou moins absorbés par la nature au cours des périodes antérieures, les restes sont devenus d’autres choses que des restes. Ils sont aussi potentiellement une part de la nature recomposée. Leur identité comme restes suppose qu’ils soient reconnus et contenus, ou alors cherchés à ces fins. Cette disposition à reconnaître et à contenir voire à rechercher, équivaut, non plus à une attribution à, mais à un souci de prise en charge directe. Elle s’accompagne de résistances et de conflits qui cristallisent dans des processus contradictoires d’expertise, encadrés ou non par des procédures concertées mais contestées. Elles aboutissent à de nouvelles connaissances, parfois stabilisées, parfois non. Ce basculement opère à la faveur d’événements conçus comme des formes de problématisation qui émergent de la rencontre de questionnements issus de rationalités différentes. Le plus souvent ces questionnements sont initiés par les associations regroupées dans la Clade (Coordination limousine anti-déchets).

CLADE 1997

CLADE 1997

Tract 4 pages de 1997 sur la problématique des déchets laissés par la COGEMA

© Philippe Brunet

35La CRII-RAD, l’expert associatif instituant, se charge d’en assurer la validité scientifique (Brunet 2006). Les militants associatifs, qui ont le souci de prise en charge des restes, s’en donnent la capacité afin d’arpenter les territoires miniers à la recherche d’indices.

36Mais cette disposition à de la part des militants exprime aussi une difficulté : celle de contraindre Areva et l’État à adopter cette modalité. Déjà en 1991, suite au rapport Desgraupes qui aboutit au premier inventaire national des décharges radioactives de faible activité et à l’une de ses recommandations qui suggérait de classer les stockages de résidus miniers en installation nucléaire de base (INB), le Préfet continuait à affirmer dans la presse locale, suivant la ligne de son prédécesseur quinze ans plus tôt :

« il convient de souligner que cette radioactivité est naturelle et ne présente aucun danger pour la population »,

37admettant ainsi de les percevoir sous une nouvelle réalité radioactive comme l’affirmait le rapport mais réfutant tout risque sanitaire à leur égard, compte tenu de leur naturalité.

  • 21 Ce GEP a été construit sur le modèle du Groupe Radioécologique Nord Cotentin (Miserey et Pellegrini (...)

38Il serait fastidieux d’égrener cette liste d’événements du bilan radiologique des sites sous forme d’affaires et d’expertises contradictoires en 1992-1994 jusqu’à l’institutionnalisation par le ministère de l’environnement du GEP Limousin actuel 21 en passant par l’affaire du lac de Saint-Pardoux en 1998, la mise en place du programme Mimausa de l’IRSN en 2003 et le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs en 2013. Le déploiement exhaustif de cette liste montrerait un processus de qualification et une mise en procédure de la surveillance des restes exprimant une capacité de prise en charge différente des deux configurations précédentes, même si ses limites sont patentes.

39Autrement dit, toute la production de cette configuration environnementale est tendue vers une orientation qui catalyse les conflits : vouloir et pouvoir prendre en charge ces restes, parfois non repérés. Pourtant, force est de constater qu’au fil des événements qui scandent ce processus, ce sont de nouvelles règles et contraintes qui sédimentent et qui permettent de mieux identifier ce que l’on nomme, et contribuent à en contenir et contrôler la matérialité.

Conclusion

Il y a vingt ans, lorsqu’elle a décidé de fermer ses sites miniers, la Cogema ne pensait certainement pas être tenue par un rôle, qu’en tant qu’Areva, elle se trouve contrainte de jouer dans un scénario qu’elle ne peut plus écrire seule. Pendant longtemps, elle a pu affirmer dans ses plaquettes de communication que,

« sur le district minier de la Division, la nature a repris tous ses droits sur plusieurs sites déjà reconstitués ».

40Les mots ont leur sens.

  • 22 Areva, après avoir fait en sorte qu’aucune structure mémorielle indépendante de sa volonté ne puiss (...)

41Ainsi en est-il du verbe reconstituer : il signifie rétablir dans son état d’origine. De fait, il était congruent avec l’acte juridique d’abandon cher aux mineurs, qui laisse en charge la gestion de restes dispersés à autrui. Désormais, le langage utilisé s’appuie sur le verbe réaménager, qui signifie donner une nouvelle organisation. Ainsi, cette substitution sémantique traduit un changement. Ce faisant, elle implique une redéfinition de la capacité de prise en charge des restes jusque-là attribuée à la nature car ce cadre ne tient plus. Cette capacité est passée d’une attribution à la nature à une disposition à. Cette plasticité traduit une préoccupation à l’égard de ces restes qui s’installe durablement, traversée par des conceptions et des pratiques très clivées. Cette disposition à n’est donc certainement pas stabilisée. Pour cela il y manque un accord sur l’identité des restes comme sur leur prise en charge. Tous les conflits observés expriment ce manque. Nul doute que le temps incertain de la radioactivité, comme période de préoccupations, dépasse, en temps, celles qui l’ont générée. Mais il ne suffit pas d’atteindre un accord, si tant est que cela soit possible. Encore faut-il, compte tenu du temps extrêmement long de vie radioactive de ces restes, que cet accord soit entretenu. Ceci conduit à penser que, dans leur qualité comme dans leur contention, ces restes, identifiés par assimilation aux déchets radioactifs, doivent être accompagnés d’une mémoire qui ne soit ni amputée de l’histoire pleine et entière de l’industrie qui les a produits 22 ni réduite à leur stricte matérialité comme le suggère le programme Mimausa de l’IRSN. Si cette mémoire-là est, certes, encore à inventer, la conflictualité qui perdure autour de ces restes doit être considérée, non pas comme un obstacle mais au contraire comme une garantie pour qu’elle advienne et qu’elle soit entretenue.

Vigilance associative

Vigilance associative

Mine en Bretagne (http://abp.bzh/​photos/​20/​20054_1.jpg) 2013

© agence bretagne presse

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Notes

1 Les très nombreux rapports consacrés aux déchets de cette industrie commis par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) depuis sa création en 1981 en attestent.

2 Loi no 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.

3 L’article 5 de la loi du 28 juin 2006 stipule que « les déchets radioactifs sont des substances radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n’est prévue ou envisagée ». Selon le site web du CEA (cf. http://www.cea.fr/jeunes/themes/l-energie-nucleaire/l-essentiel-sur-les-dechets-radioactifs), cinq catégories sont répertoriées selon deux critères : leur niveau de radioactivité et leur durée de vie. On retrouve (a) les déchets de très faible activité (TFA) ; (b) les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC) ; (c) les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL) ; (d) les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL) ; et (e) les déchets de haute activité à vie longue (HA-VL).

4 Les données proviennent d’une thèse soutenue en 2002, complétées par un suivi du terrain jusqu’à aujourd’hui. Au total, plus de cent vingt entretiens, des documents personnels et institutionnels, passés et actuels, et des articles de presse, notamment une recension complète sur le sujet à partir d’un quotidien régional depuis 1948.

5 Cf http://www.asn.fr/publications/2013/PNGMDR-2013-2015/files/assets/basic-html/page1.html, le site web de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) p. 57 : « En France, les mines d’uranium ont été exploitées entre 1948 et 2001 […] » ou bien encore, http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Environnement/expertises-locales/sites-miniers-uranium/Pages/1-exploitation_uranium_en_France.aspx#.VPsajo5kRr8, le site web de l’Institut de radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) : « En France, l’industrie de l’uranium s’est développée au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Elle a vécu son apogée au cours des années 80 pour décliner ensuite. La dernière mine d’uranium française a ainsi fermé ses portes en mai 2001. […] »

6 Areva a succédé en 2001 à la Cogema qui elle-même est le fruit d’une filialisation du CEA en 1976.

7 L’exploitant considère que le sol est déjà naturellement radioactif. Dès lors, l’exploitation « enlève » de la radioactivité et n’en « rajoute » pas avec les restes.

8 La distance entre les lieux industriels de concentration de l’uranium et de son enrichissement organise une frontière symbolique et pratique. Ainsi, le décret no 2006-1454 du 24 novembre 2006, suite à la loi du 28 juin, a créé une rubrique 1735 ainsi libellée : « Substances radioactives (dépôt, entreposage ou stockage de) sous forme de résidus solides de minerai d’uranium, de thorium ou de radium, ainsi que leurs produits de traitement ne contenant pas d’uranium enrichi en isotope 235 et dont la quantité totale est supérieure à 1 tonne […] ». Autrement dit, n’ayant pas été soumis à l’artificialisation nucléaire, les résidus miniers ne ressortent pas au même régime administratif que les déchets radioactifs issus des installations nucléaires de base (INB).

9 Mémoire et impact des mines d’uranium. Cf : http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Environnement/expertises-locales/sites-miniers-uranium/Documents/irsn_mines-uranium_inventaire_mimausa.pdf.

10 Circulaire DGPR/SRT/MSMR/SN/2009.132 du 22 juillet 2009, relative à la gestion des anciennes mines d’uranium : « La connaissances des anciennes mines d’uranium constitue une étape essentielle dans leur gestion. Aussi faut-il constater que la connaissance des anciens sites miniers est aujourd’hui perfectible ».

11 Trois rapports, entre 1991 et 1993 rendent visibles ces déchets. En juillet 1991, le rapport « Desgraupes », du nom du vice-président du Conseil supérieur de sûreté et d’information nucléaire (CSSIN), aux ministres de l’environnement, de l’industrie et de la santé concernant les dépôts de matières radioactives ; en avril 1992, le rapport « Le Déaut » établi à la demande de l’OPECST (Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques) intitulé « sur la gestion des déchets très faiblement radioactifs » Tome II ; en mai 1993, le rapport « Barthélémy » au Ministre de l’Environnement relatif aux déchets faiblement radioactifs (stockage de résidus de traitement de minerai d’uranium), sont les actes premiers qui symbolisent ce déplacement. À leur suite d’autres rapports ont pris place dans la recherche de catégorisation de ces déchets.

12 Les résidus répertoriés issus de la concentration de l’uranium représentent 52 millions de tonnes stockées sur dix-sept sites. Ils sont le résultat d’une production de 70 000 tonnes d’uranium concentré.

13 La circulaire du 22 juillet 2009, cosignée par le ministre et le président de l’ASN (MEEDDM no 2009/22 du 10 décembre 2009 : 93) atteste de l’effet produit par la médiatisation de la situation.

14 Dès cette période, l’uranium devient un symbole positif approprié : ici, un bar de l’uranium ; là des animaux d’élevage baptisés de ce nom ; enfin, une élection de Miss Uranium organisée par les communes concernées.

15 Les salaires ouvriers à la mine sont nettement plus élevés que ceux des autres industries présentes à Limoges.

16 Une des pratiques consiste à utiliser les résidus en les mélangeant avec d’autres matériaux (sable, ciment) pour construire. Elle participe des échanges non marchands de la mine avec le territoire et s’instaure à partir de 1958, lorsque l’usine de Bessines opère le traitement industriel. Jusque là, le minerai est acheminé au Bouchet en Essonne. Aucune trace administrative de ce type d’échange n’existe. Seule la mesure de la radioactivité révèle des points « chauds » qui attestent de cette économie hors marché de proximité.

17 Collectif limousin pour une alternative au nucléaire

18 Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants. Ce service, qui a disparu suite à sa gestion controversée des retombées de Tchernobyl en France, était chargé des mesures concernant la radioactivité en lien avec la santé. Les données n’étaient pas publiques. C’est par l’intermédiaire du réseau associatif, que les résultats de ces mesures de radioactivité des eaux de Limoges réalisées par le SCPRI ont été diffusées.

19 « Radioactivité des eaux alimentant la ville de Limoges ». Préfecture de la Haute-Vienne - Compte-rendu de la réunion du 8 octobre 1979 : 49-50 – archives personnelles.

20 Cf le dossier associatif complet : http://www.sources-rivieres.org/IMG/pdf/historiquedossiercogemaSRL-2.pdf

21 Ce GEP a été construit sur le modèle du Groupe Radioécologique Nord Cotentin (Miserey et Pellegrini 2006) pour répondre à la pression occasionnée par le procès Areva, comme on l’a vu précédemment.

22 Areva, après avoir fait en sorte qu’aucune structure mémorielle indépendante de sa volonté ne puisse voir le jour, a créé en 2013 un musée de la mine sur son site de Bessines, préemptant, pour son propre compte, une histoire de l’industrie minière de l’uranium beaucoup plus complexe que celle présentée. L’enjeu de la mémoire se confond donc ici avec l’enjeu de la capacité de prise en charge des restes.

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Table des illustrations

Titre Pierre-Belle
Légende Mine non autorisée à l'époque, novembre 1994
Crédits © Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/8107/img-1.png
Fichier image/png, 381k
Titre Compreignac, Santrop
Légende Mine en exploitation, août 1985
Crédits © Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/8107/img-2.png
Fichier image/png, 437k
Titre SIMO Bessines
Légende Chaîne de préparation du yellow-cake, décembre 1993
Crédits © Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/8107/img-3.png
Fichier image/png, 381k
Titre SIMO Bessines
Légende Boues radioactives « sauvages » déversées au-dessus de l’usine SIMO, sous une future entreprise et ses locaux, mai 1993
Crédits © Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/8107/img-4.png
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Titre Fraisse
Légende Ancienne mine, juin 1991
Crédits © Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/8107/img-5.png
Fichier image/png, 379k
Titre Bessines
Légende Sortie des eaux et boues radioactives de l'usine dans le bassin de Lavaugrasse, mai 1993
Crédits © Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/8107/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 688k
Titre Écho du Centre février 1949
Légende Une d’un journal régional suite à la découverte des premiers indices d’uranium à Saint-Sylvestre
Crédits © Philippe Brunet
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/8107/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 164k
Titre Les 22 mensonges
Légende Page de couverture du livre de Christian Pénicaud, militant local, Les 22 mensonges des maîtres atomiseurs ou les dangers des mines d'uranium pour la santé et l'environnement, Cabris, Alternative et culture, 1979
Crédits © Philippe Brunet
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/8107/img-8.png
Fichier image/png, 718k
Titre Carte Clan
Légende Tract du Clan de 1979 sur la radioactivité des eaux de Limoges
Crédits © Philippe Brunet 
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/8107/img-9.png
Fichier image/png, 841k
Titre Bessines Le Brugeaud
Légende Techniques de recouvrement des boues radioactives : bâches plastifiées, quadrillage métallique, stériles miniers concassés, mai 1994
Crédits © Thierry Lamireau, fond Sources et Rivières du Limousin
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/8107/img-10.jpg
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Titre CLADE 1997
Légende Tract 4 pages de 1997 sur la problématique des déchets laissés par la COGEMA
Crédits © Philippe Brunet
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/8107/img-11.png
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Titre Vigilance associative
Légende Mine en Bretagne (http://abp.bzh/​photos/​20/​20054_1.jpg) 2013
Crédits © agence bretagne presse
URL http://tc.revues.org/docannexe/image/8107/img-12.jpg
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Pour citer cet article

Référence électronique

Philippe Brunet, « Les restes de l’industrie de l’uranium », Techniques & Culture [En ligne], Suppléments au n°65-66, mis en ligne le 06 janvier 2017, consulté le 09 janvier 2017. URL : http://tc.revues.org/8107

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Auteur

Philippe Brunet

LISIS, CNRS, ESIEE Paris, INRA, UPEM, Université Paris-Est, 77454 Marne-La-Vallée, France
philippe.brunet@u-pem.fr

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