L’ampoule sous tension
Notes de la rédaction
Retrouvez l’article complet en ligne sur revues.org, Techniques&Culture 65-66 « Réparer le monde. Excès, reste et innovation » : http://tc.revues.org/7842
Texte intégral
Image d’ouverture
Laurent Seroussi. Masayo, série Ray of Ligth, 2016. (Galerie Antonin Borgeaud) © Frédéric Joulian
Comment l’impératif contemporain de durabilité affecte-t-il la trajectoire d’un objet technique, l’ampoule électrique ? L’article repose sur la distinction entre développement durable institutionnel et soutenabilité, théorisée notamment par le philosophe de la modernité Michel Puech, pour identifier deux types d’innovations et deux rapports à la technique radicalement différents.
1Le développement durable, ce principe omniprésent qui recouvre des réalités techniques et politiques extrêmement diverses, s’est traduit dans le cas de l’ampoule électrique par trois grands types de préoccupations : la consommation électrique et les économies d’énergie, la gestion des déchets, et la récupération des matières premières, préoccupation qui a donné naissance au principe de mine urbaine. L’article montre, pour ces trois préoccupations, comment les acteurs institutionnels qui se sont emparés des enjeux du développement durable l’ont fait dans une logique d’optimisation sans remettre en cause les contextes sociotechniques et ont ainsi obtenu des résultats mitigés.
2À titre d’illustration, le principe de « mine urbaine » décrit le fait d’optimiser le recyclage d’objets de consommation courante riches en métaux, dans l’espoir attenant de pouvoir diminuer la pression sur l’extraction primaire de ressources minérales, dans une double logique de rentabilité économique et d’indépendance par rapport aux approvisionnements. Des objectifs réglementaires de valorisation existent, mais qui présentent des lacunes importantes, ce qui explique que les mines urbaines constituent aujourd’hui beaucoup plus un mot d’ordre institutionnel qu’une réalité industrielle.
3À l’inverse du développement durable institutionnel, quand les individus s’emparent des problématiques de soutenabilité et s’approprient les objets techniques dont ils se servent, trois nouveaux enjeux apparaissent dans le cas de l’ampoule : celui de la durée de vie de l’objet – présent parfois dans les discours, mais trop contraire à la logique productiviste dominante pour avoir été relayé efficacement par les politiques publiques ; celui de l’appropriation culturelle permettant de rendre visible l’artéfact ; enfin l’enjeu de la résilience, passant nécessairement par une dépendance moindre aux infrastructures. Ce sont sur ces trois enjeux que l’article se concentre ensuite.
4Premièrement, plusieurs projets ont vu le jour avec l’objectif de créer et commercialiser une ampoule presque éternelle, comme IWOP en Espagne, se positionnant clairement contre l’obsolescence programmée, et Nanolight au Canada.
5La durabilité, omniprésente dans les discours, peut cependant être critiquée pour sa dimension à la fois normative et unidimensionnelle, quand elle s’impose comme seul critère de désirabilité.
6Deuxièmement, la notion de « recyclage créatif » permet de redonner une visibilité aux objets devenus déchets. L’intégration des restes dans une démarche artistique a longtemps été marginale, même si le mouvement des nouveaux réalistes lui a fait gagner en légitimité. Aujourd’hui, le mouvement Drap Art a mis l’ampoule au cœur de plusieurs de ses réalisations artistiques dans une optique de recyclage créatif.
7Par une utilisation parfois décalée des objets du quotidien, il s’agit de rendre sa visibilité à un dispositif technique dont l’invisibilité a été trop longtemps à la fois un gage d’aboutissement technique, de perfection, et un permis de « disposer de », de jeter sans voir, comme Saint-Exupéry le suggérait déjà :
« La machine elle-même, plus elle se perfectionne, plus elle s’efface derrière son rôle […] Au terme de son évolution, la machine se dissimule. La perfection de l’invention confine ainsi à l’absence d’invention. » (Saint-Exupéry 1959 : 170)
8En un sens, le Drap Art et les mouvements de recyclage créatif peuvent donc être vus comme une forme de résistance culturelle à un paradigme de consommation des objets qui « commande » de ne pas voir l’objet au-delà de sa fonction. Bref, mettre l’ampoule en lumière.
9Troisièmement, dans un contexte de fracture électrique (1,2 milliards d’individus avaient un accès nul ou restreint à l’électricité en 2013), des projets qui visent à autonomiser l’artéfact par rapport à l’infrastructure, comme la BO Bulb d’Amper Afrik ou le prototype Watly, émergent.
10Il s’agit donc d’un dispositif qui intègre en lui la possibilité de défaillance de l’infrastructure et qui en ce sens offre une vision désabusée autant que pragmatique du rapport à la technique.
11Toutefois, Watly comme l’ampoule BO Bulb, avec sa technologie LED, ne peuvent se passer complètement d’un système de production, stockage et transport d’énergie et de marchandises. Ces nouveaux artéfacts symbolisent donc à la fois l’innovation qui naît d’un contexte sociotechnique particulier avec ses besoins propres, et en l’occurrence l’aboutissement d’un mouvement culturel plus large, que l’on peut désigner sous l’anglicisme de bottom-up, où l’individu, las d’attendre la résolution des problèmes auxquels il est confronté par des technocrates lointains, prend en main son environnement technique.
12Pour conclure, les enjeux environnementaux ont façonné l’ampoule de deux façons radicalement différentes : d’une part en restant dans le cadre des réponses institutionnelles du développement durable, mettant en œuvre les outils du marché et de la réglementation, dans une approche descendante ; d’autre part des initiatives individuelles se sont emparées de la matérialité de l’ampoule pour dénoncer une culture de la déchéance et de l’invisibilité des artéfacts, et promouvoir un nouveau paradigme, plus résilient que proprement durable.
13Les différentes innovations recensées dans cet article représentent donc bien des choix normatifs, entre une approche institutionnelle de développement durable d’une part, et un idéal de soutenabilité passant par le paradigme d’une résilience décentralisée d’autre part.
Table des illustrations
Titre | Image d’ouverture |
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Crédits | Laurent Seroussi. Masayo, série Ray of Ligth, 2016. (Galerie Antonin Borgeaud) © Frédéric Joulian |
URL | http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/7840/img-1.png |
Fichier | image/png, 59k |
Titre | 1. Image promotionnelle de la Nanolight |
Légende | Cette image insiste à la fois sur l’aspect innovant de la conception (origami mis en valeur) et sur la finalité écologique. |
Crédits | © Nanoleaf |
URL | http://journals.openedition.org/tc/docannexe/image/7840/img-2.png |
Fichier | image/png, 154k |
Pour citer cet article
Référence papier
Fanny Verrax, « L’ampoule sous tension », Techniques & Culture, 65-66 | 2016, 150-153.
Référence électronique
Fanny Verrax, « L’ampoule sous tension », Techniques & Culture [En ligne], 65-66 | 2016, mis en ligne le 31 octobre 2016, consulté le 28 mai 2024. URL : http://journals.openedition.org/tc/7840 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tc.7840
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