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Le rapprochement spectaculaire entre Russie et Turquie doit-il alarmer les Occidentaux?

Le coup d'État manqué et le retour au réalisme de la Turquie dans la crise syrienne ont facilité le réchauffement des relations avec la Russie. S'agirait-il même d'un changement d'axe?

09/03/2017 12:13 CET | Actualisé il y a 14 heures
Osman Orsal / Reuters
Le Président Vladimir Poutine s'exprime durant une conférence de presse conjointe avec son homologue Teyyep Erdogan à Istanbul, le 10 octobre 2016.

La Turquie partage avec son grand voisin, la Russie, nombre de particularités et traits communs, ancrés dans le passé ou dans leur positionnement sur la scène régionale contemporaine. Toutes deux sont les héritières d'un vaste empire, celui des sultans pour la première, celui des tsars pour la seconde. Toutes deux entretiennent des rapports ambivalents vis-à-vis de l'Occident et sont dirigées par des hommes forts, rompus à une pratique similaire du pouvoir, fondée sur le culte de la force, mais non sans pragmatisme en cas de besoin.

Leurs relations bilatérales, que ce fut à l'époque des empires ou à celle des États modernes, n'ont jamais été simples et ordinaires. Depuis la fin de la Guerre froide, elles oscillent entre méfiance et cordialité.

La crise syrienne, bouleversant l'ordre international et agissant comme un révélateur, a mis en évidence un spectaculaire rapprochement ces derniers mois et la convergence inattendue d'intérêts supérieurs malgré leurs prises de position diamétralement opposées. Cette nouvelle entente turco-russe, renforcée par la bonne entente personnelle entre Erdoğan et Poutine, fait craindre un détachement de la Turquie de son ancrage occidental. En effet, depuis les réformes ottomanes du 19e siècle, l'Ouest, son modèle, ses valeurs constituaient les principales références de l'Etat turc.

La crise syrienne a opéré un spectaculaire rapprochement, renforcée par la bonne entente personnelle entre Erdoğan et Poutine.

Le rapprochement turco-russe marque-t-il l'expression d'une crise passagère de défiance ou celle d'un changement de cap radical?

Des relations turco-russes marquées par la rivalité et le pragmatisme

L'histoire commune, qui lie Russie et Turquie, est davantage faite de rivalités et de conflits que de coopération et de bon voisinage. Les deux empires se sont livrés de nombreuses batailles, le plus souvent au profit de la Russie. Et quand l'Empire ottoman déclinant a commencé à se décomposer, les Russes en ont profité pour le bouter hors de la péninsule de Crimée et du Caucase. Les tsars ont même, un temps, menacé de s'emparer de Constantinople.

Les deux empires se sont livrés de nombreuses batailles, le plus souvent au profit de la Russie.

Mais la fin des empires et l'avènement de l'Union soviétique d'une part et de la République moderne de Turquie d'autre part ont initié une phase de bonnes relations bilatérales, fondées largement sur l'entente entre Lénine et Atatürk, unis contre l'impérialisme des puissances européennes dont ils se sentaient tous deux menacés.

Toutefois, la situation change après la Seconde guerre mondiale quand l'Union soviétique nourrit des ambitions irrédentistes envers la Turquie, au prétexte que les provinces autrefois russes de Kars et Ardahan lui reviennent, tout en essayant par ailleurs d'attirer la Turquie dans le bloc de l'Est. Cette nouvelle ère des relations entre la Turquie et l'URSS est tendue, car la Turquie reste rigoureusement ancrée à l'Ouest, devenant membre de l'OTAN en 1952 et participant à la protection et à la défense du monde "libre" contre l'expansionnisme soviétique. Les relations bilatérales faites de hauts et de bas restèrent jusqu'à la fin de la Guerre froide teintées d'antagonisme idéologique et de méfiance respective.

La Turquie devient membre de l'OTAN en 1952 et participe à la protection du monde "libre" contre l'expansionnisme soviétique.

A partir de 1991, les relations entre les deux pays sont caractérisées par une relative compétition d'influence et un pragmatisme géopolitique, qui furent bénéfiques pour les deux parties. En effet, dans les trois régions, où identités et intérêts turcs et russes se rencontrent et s'affrontent, naît une rivalité qui ne dit pas son nom. D'abord en Mer Noire, dont les deux empires de tous temps se sont disputé les eaux. Ensuite dans le Caucase, où chacun par l'intermédiaire de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan, a d'une certaine manière mené une guerre par procuration, prolongée par des considérations économiques. En effet, le tracé des oléoducs pour l'acheminement des hydrocarbures de la Caspienne a donné lieu à une âpre compétition entre la Turquie aux côtés des Occidentaux dans le projet du Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) et la Russie, finalement contournée et exclue de l'accord. Enfin, en Asie centrale, où la Russie est maître depuis le 19e siècle, les identités turco-islamiques des nouvelles Républiques ont réveillé en Turquie des rêves de leadership dans la région, provoquant la méfiance de Moscou qui parvient à maintenir ces pays dans le giron de son "étranger proche".

Mais ce sentiment de rivalité a fait long feu, car le pragmatisme sur nombre de questions régionales s'est rapidement imposé. Les économies russe et turque étant plus complémentaires que rivales, la coopération est dans leur intérêt commun. La Turquie a besoin des énergies russes, notamment de gaz, et la Russie a besoin des secteurs de l'agroalimentaire et de la construction turcs. Enfin, le secteur touristique, loin d'être négligeable dans l'économie turque, est un lien fort entre les deux pays puisque les Russes sont avec les Allemands fort nombreux à séjourner sur les côtes turques et ce malgré la crise sécuritaire actuelle en Turquie.

La rivalité a fait long feu. Les économies russe et turque étant complémentaires, la coopération est dans leur intérêt commun.

Sur le plan international, les deux pays partagent des points de convergence indéniables, surtout depuis l'arrivée au pouvoir de l'AKP en 2002. En effet, malgré son appartenance au bloc occidental via l'OTAN et sa candidature à l'UE, la Turquie, comme la Russie, a souvent défendu une vision du monde multipolaire. Enfin, Poutine et Erdoğan ont une conception similaire et quasi-bonapartiste du pouvoir et de son exercice, où le système repose sur une démocratie majoritaire, voire tutélaire, engoncée dans un autoritarisme rigide.

Les printemps arabes à partir de 2010, perçus différemment par l'un et l'autre, ont contribué à creuser progressivement le fossé entre la Turquie et la Russie. Pour la Turquie, les bouleversements arabes constituent un tournant pour ces pays où des formations politiques idéologiquement proches de l'AKP s'imposent sur la scène politique enfin débarrassée de régimes dictatoriaux. En revanche, pour la Russie, les printemps arabes ne sont rien d'autre que des "révolutions de couleurs" anti-russes, de celles que Moscou abhorre car elles rappellent la "révolution des roses" en Géorgie et la "révolution orange" en Ukraine en 2004, ou encore la "révolution des tulipes" au Kirghizstan en 2005. Ces printemps arabes inquiètent d'autant plus en Russie qu'ils favorisent des partis issus de l'islam politique, notamment les Frères Musulmans en Tunisie, Egypte et Tunisie, c'est-à-dire des courants d'opposition que la Russie combat dans son espace post-soviétique. Or, pour la Turquie, c'est le contraire. Alors qu'il avait quelque peu renoncé à l'islam politique chez lui, le pouvoir d'Erdoğan a été séduit par la nouvelle dynamique née dans le monde arabe, à la fois démocratique et islamique. Et pourtant, avec le recul, les crises consécutives aux printemps arabes auraient pu rapprocher la Russie et la Turquie. Ainsi, toutes deux se sont opposées à l'intervention occidentale en Libye pour précipiter la chute du colonel Kadhafi.

C'est à contre-cœur, du fait de ses obligations dans l'OTAN, que la Turquie a rejoint la coalition militaire en Lybie.

Les printemps arabes, perçus différemment par l'un et l'autre, ont contribué à creuser le fossé entre Turquie et Russie.

Sur le théâtre syrien, les implications sont plus complexes. Le divorce a été majeur entre les deux pays et la récente normalisation est sans doute de façade. En effet, même si au départ la Turquie a été très hésitante à rompre avec Bachar, qui lui était un allié et partenaire précieux dans la région, elle a été contrainte de changer de position face aux crimes de Bachar et à son refus catégorique de procéder à des réformes pour calmer l'opposition. En réclamant haut et faut le départ de Bachar, elle s'aligne sur les positions initiales des Occidentaux et de la plupart des pays de la Ligue Arabe. D'aucuns ont tôt fait d'imputer la rupture turco-syrienne à des considérations confessionnelles et sectaires, mais il semblerait plus juste d'imputer le changement de paradigme à des considérations humanitaires et des calculs politiques qui se sont révélés mal inspirés. En effet, la Turquie voisine est le premier témoin des atrocités commises par le régime de Bachar et le pays qui accueille le plus de réfugiés syriens dans le monde. Par ailleurs, arrêter la machine à tuer de Bachar sert à faire émerger un nouveau pouvoir politique à Damas qui soit favorable à la Turquie. Or, pour la Russie, les objectifs sont tout autres: la Syrie en elle-même ne compte pas mais est un outil pour régler ses comptes avec les Occidentaux, au camp desquels la Turquie appartient par extension.

Il semble plus juste juste d'imputer la rupture de la Turquie avec Bachar à des considérations humanitaires et des calculs politiques.

Ainsi, de 2012 jusqu'en novembre 2015, règne une intrigante mésentente cordiale entre la Turquie et la Russie. Liées par les impératifs économiques, les deux pays parviennent à compartimenter intelligemment leurs relations et leur différend sur le dossier syrien. Dès lors, si la Turquie soutient politiquement et militairement les forces anti-Bachar, la Russie réussit le grand écart entre son soutien diplomatique aux Nations Unies et son soutien militaire au régime vassal de Bachar. Concrètement, les deux se sont mis d'accord pour que leur mésentente en Syrie n'impacte pas les autres domaines où la coopération bilatérale leur est mutuellement bénéfique. Ainsi, leur coopération énergétique et économique n'a guère souffert, tout au moins jusqu'en 2015.

La rupture a tout de même fini par arriver, en septembre 2015, quand la Russie a franchi le pas d'envoyer des soldats, des armements et l'aviation pour aider Bachar contre les djihadistes mais surtout les "rebelles" soutenus par la Turquie. Ruinant des années d'investissement militaire et politique turc au profit des forces anti-Bachar en Syrie, et en violant plusieurs fois l'espace militaire turc le long de la frontière syrienne, la Russie a multiplié les provocations et poussé la Turquie à la faute. En abattant un chasseur russe au-dessus de son territoire, la Turquie a déclenché une crise, de laquelle elle ne pouvait sortir gagnante.

Aucun avion russe ni soviétique n'avait jamais été abattu par un pays de l'OTAN même du temps de la Guerre froide.

Dès la perte de son avion le 24 novembre 2015, la Russie a resserré l'étau sur la Turquie. Moscou a accru son aide à la Syrie, mais pas seulement, puisque même les forces kurdes, voire la guérilla du PKK opérant sur le sol turc, ont bénéficié des aides multiples de la Russie, décidée à punir l'acte extravagant de la Turquie. Aucun avion russe ni soviétique n'avait jamais été abattu par un pays de l'OTAN même du temps de la Guerre froide. Poutine a depuis gelé toute les relations politiques et diplomatiques avec la Turquie et imposé de lourdes sanctions économiques, tout en menant une guerre de propagande manichéenne présentant la Russie comme une force du bien agissant contre les forces ténébreuses de l'Etat Islamique et de la Turquie, protectrice des djihadistes et auxquels la famille d'Erdoğan aurait acheté du pétrole.

Les médias des deux côtés se sont fait les relais des discours chauvins et nationalistes, rajoutant à la tension et participant à la détérioration générale des relations turco-russes. Et pourtant, dès l'été 2016, et plus particulièrement après le coup d'État manqué contre Erdoğan du 15 juillet 2016, un spectaculaire rapprochement s'est opéré entre les deux pays. Comment s'explique-t-il? Quels en sont les tenants et les aboutissants?

Un rapprochement spectaculaire à relativiser

Au lendemain de la rupture de novembre 2015, Moscou avait posé trois conditions pour une normalisation des relations: que la Turquie présente des excuses officielles à la Russie, que les responsabilités soient reconnues et que les responsables soient punis, et enfin, que la Turquie paye des compensations pour les dégâts matériels et pertes humaines. Ironiquement, la Turquie avait exigé d'Israël le même genre de conditions après l'arraisonnement d'un navire humanitaire turc par la marine israélienne en 2010. En l'occurrence, la Turquie fut plus rapide qu'Israël à satisfaire ces conditions pour permettre la rapide normalisation des relations. Et en effet, comme nous l'avons vu précédemment, les deux parties n'ont pas intérêt à une rupture inscrite dans la durée, ni du point de vue économique, ni du point de vue politique pour le prestige et l'honneur national. Aussi, Erdoğan a-t-il adressé à son homologue russe à la fin du mois de juin 2016 une lettre de regret, sous forme d'excuses, mettant fin à une crise qui n'aura duré que 7 mois. Mais ce sont surtout le coup d'État manqué et le retour au réalisme de la Turquie dans la crise syrienne qui ont facilité cette normalisation.

Survenant deux semaines seulement après que la Turquie a présenté ses excuses, la tentative de renversement du gouvernement AKP a fourni à la Russie une excellente occasion de renouer ses liens avec Ankara. La plupart des pays et alliés occidentaux, embarrassés par l'autoritarisme grandissant d'Erdoğan ces dernières années, ont condamné tardivement et timidement le coup d'État, laissant à penser que la chute du régime AKP ne leur serait pas déplaisante. Or, nullement gêné ni embarrassé par la situation des droits de l'homme, qui n'est pas meilleure en Turquie qu'elle ne l'est en Russie, d'ailleurs, le président Poutine a affirmé immédiatement et avec la plus grande clarté son soutien au peuple turc qui a su éviter qu'une dictature militaire se mette en place au nom de la lutte contre un régime devenu autoritaire, mais en même temps sa solidarité à Erdoğan, cautionnant par-là même sa réponse excessive contre les auteurs du putsch avorté. De plus, le fait que le coup d'État ait été fomenté en partie ou totalement par l'imam Fethullah Gülen vivant en exil aux États-Unis et ennemi juré d'Erdoğan a accéléré le rapprochement turco-russe. Poutine a ainsi renchéri sur les rumeurs de collusion entre l'Amérique et les forces gülenistes et a profité de la lenteur, voire de l'indifférence ou de l'abandon de la Turquie par ses alliés occidentaux pour consolider ses liens avec Ankara et poser des nouveaux pions au Moyen Orient. Par ce revirement inattendu, il a réussi en peu de temps à rétablir ses liens avec la Turquie tout en éloignant celle-ci de ses alliés traditionnels, OTAN et Occident.

Mais c'est surtout la crise syrienne qui pèse lourd dans les relations bilatérales turco-russes. C'est un facteur à double tranchant, creusant autant les différends qu'elle ne participe à la poursuite des relations. Alors que la Turquie et la Russie soutiennent sur le terrain des forces rivales, dans les faits le réalisme s'est imposé en Turquie. La Turquie seule ne peut provoquer le départ de Bachar al Assad, d'autant plus que les Occidentaux se sont détournés de cet objectif pour poursuivre une autre priorité, qui est l'éradication des djihadistes. Or, pour ce faire l'Occident soutient les forces kurdes, qui combattent l'Etat Islamique en Syrie mais combattent aussi l'armée turque en Turquie. En d'autres termes, l'alliance occidentalo-kurde a pour effet, indésirable mais les Occidentaux ne font rien pour le stopper, de mettre en péril la sécurité de la Turquie et son intégrité territoriale. L'obsession anti-Daech fait oublier que c'est à cause du régime de Damas et de la répression dans le sang de la révolte populaire syrienne que le Daech est né et a prospéré.

Constatant que plus personne à part elle ne souhaite vraiment le départ de Bachar, la Turquie, acculée, affaiblie, a dû se résigner à pactiser avec la Russie, qui aura eu le mérite de la constance politique dans son soutien à la Syrie. Ainsi, il semblerait que la Turquie accepte de cesser toute aide aux forces anti-Bachar à Alep pour que cette ville revienne complètement dans le giron de Bachar et observe le silence sur le sort de Bachar, ne réclamant plus son départ, mais ne disant pas non plus approuver son maintien. En échange, la Russie s'engagerait à réduire ses soutiens aux Kurdes en Syrie, de façon à ce qu'ils ne constituent pas une menace à la sécurité de la Turquie.

Le débat sur cette rupture turque d'avec sa famille occidentale pour un ancrage à l'Est n'est pas nouveau.

Cette réconciliation forcée sur fond de coup d'État et de crise syrienne a permis de rétablir la coopération économique et des bonnes relations que d'aucuns considèrent comme un changement d'axe pour la Turquie. Le débat sur cette rupture d'avec sa famille occidentale pour un ancrage à l'Est n'est pourtant pas nouveau. Il était déjà en question au début des années 2000 (1) et resurgit de façon récurrente à chaque crise impliquant l'Occident, le Moyen-Orient et la Russie. Or, une fois de plus, il semble prématuré et excessif de parler de rupture nette et définitive, car malgré son rapprochement avec la Russie et la fragilité de ses liens avec l'Occident depuis quelques années, il demeure des liens structurels forts entre la Turquie et ses partenaires occidentaux et auxquels la Turquie peut difficilement renoncer.

Il s'agit, en premier lieu, des liens et interconnections économiques. Le marché russe est une destination privilégiée pour les produits turcs, mais tout de même 44 % des exportations turques vont vers l'Union Européenne. En matière d'investissements économiques, les capitaux occidentaux sont encore fondamentaux et cruciaux pour la Turquie, bien plus que ceux de la Russie. Il en va de même pour les investissements en matière d'innovations technologiques, où la Turquie a davantage besoin de l'Occident que la Russie (2).

En matière de sécurité et de défense, la Russie ne peut être un partenaire pour la Turquie, qui dépend encore totalement des équipements militaires et du parapluie nucléaire de l'OTAN. Membre de l'OTAN dont elle constitue la deuxième armée, la Turquie bénéficie de nombre de services que la Russie ne lui fournirait jamais. Secouée par le coup d'État manqué et les purges qui ont suivi, l'armée turque ne peut envisager de partenariat militaire inédit avec la Russie pour former ses officiers, comme le peut avec ses partenaires occidentaux.

Enfin, malgré l'anti-occidentalisme actuel qui traverse l'opinion publique, la société turque demeure bien plus pro-européenne et pro-occidentale dans ses valeurs et ses repères que pro-russe. Même si des liens forts sont noués entre la Turquie et la Russie, peu de passerelles existent vraiment. Peu de Turcs parlent le russe et les élites tant à Istanbul qu'Ankara sont encore très largement tournées vers l'Occident.

Y a-t-il changement d'axe pour la Turquie?

Plus qu'un rapprochement entre la Turquie et la Russie, les relations turco-russes connaissent une normalisation qui les replace au niveau auquel elles étaient en novembre 2015, avant la crise de l'avion abattu. En d'autres termes, le retour au pragmatisme dicte aussi bien la politique étrangère de Poutine que celle d'Erdoğan. La Turquie reste solidement ancrée à l'Ouest, malgré la mésentente actuelle sur nombre de questions aussi douloureuses et inquiétantes soient-elles pour Ankara. Sa dépendance tant économique que militaire lui interdit de rompre complètement avec nombre d'institutions occidentales partenaires.

Le rapprochement avec la Russie ne signifie pas un changement de paradigme ou de modèle dans la politique étrangère turque, mais marque l'urgence pour Ankara de réduire les effets désastreux de la crise syrienne sur la Turquie, une nécessité que les alliés traditionnels d'Ankara ne perçoivent pas toujours. Plus la crise syrienne dure, plus la Turquie risque de connaître le même sort. Or, la Russie a une politique pour la Syrie, ce qui n'est pas le cas des Occidentaux. Jusque-là la Turquie s'inscrivait contre cette politique, ce qui ne lui a apporté que plus d'ennuis. Or, un rapprochement avec la Russie est censé limiter les dégâts en Syrie mais là encore ce ne n'est pas certain car même si la Turquie amende considérablement sa politique syrienne, il n'est pas certain qu'elle puisse se mettre en parfaite adéquation avec la politique russe en Syrie.

(1) Svante Cornelle, Omer Taspinar, Soner Cagaptay, "Turkish Foreign Policy under the AKP: The Rift with Washington", The Washington Institute for Near East Policy, Number 3, January 2011

(2) "The implications of a Turkish-Russian rapprochement", Brookings Institution, August, 2016

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