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Carnets de soutenances

Produire et réguler les espaces publics contemporains

Les politiques de gestion de l’indésirabilite à Paris
Muriel Froment-Meurice

Texte intégral

1Depuis les années 1970, les espaces publics des métropoles contemporaines sont devenus d’importants enjeux pour les pouvoirs publics municipaux soucieux de leur attractivité comme pour certains habitants attachés à leur cadre de vie. Les discours qui accompagnent cette valorisation insistent sur la qualité urbaine, mais la production d’espaces sûrs et conviviaux induit également des processus d’exclusion ou d’altérisation. La multiplicité des figures de la menace est alimentée par la diffusion de discours sécuritaires qui érigent certains groupes en symboles de la dégradation des espaces. Ce réinvestissement de l’espace public à la fois sur le plan sémantique et matériel se traduit donc par différentes mesures visant à mieux contrôler ses usages et son image.

2Ma thèse interroge la construction de l’indésirabilité au prisme de la production et de la régulation des espaces publics à Paris. Elle s’appuie sur trois études de cas : le mobilier urbain, le système d’accréditation des musiciens dans le métro et les patrouilles de correspondants de nuit. L’enquête de type qualitatif croise différentes sources : observation directe et participante, entretiens avec des acteurs institutionnels (Direction de la Voirie et des Déplacements de la Ville de Paris, Direction de la Prévention et de la Protection, Régie Autonome des Transports Parisien) et des musiciens, et un corpus hétérogène de sources écrites. J’articule différentes échelles d’analyse : celle du lieu (la station République, la rue du Buisson Saint Louis dans le 10ème, le square Léon dans le 18ème), d’un arrondissement en pleine mutation (le 19ème) et de la municipalité devenue acteur clé des politiques d’espaces publics.

3Dans un premier temps, la genèse de chacun de ces dispositifs est restituée, ainsi que leurs évolutions sur le moyen terme, et leurs spécificités. Cette approche souligne la manière dont les dispositifs sont interprétés et mis en pratique, ce qui contribue à les redéfinir. Au départ ponctuelles et très limitées à Paris par rapport à d’autres métropoles, les interventions sur le mobilier urbain se sont systématisées. Ces évolutions répondent autant à la circulation des modèles esthétiques à l’échelle internationale qu’au poids croissant des plaintes de résidents. Les patrouilles de correspondants de nuit conçues pour faire de la médiation dans les espaces publics des quartiers populaires dans la longue tradition de « la prévention sociale à la française » sont désormais des outils pour accompagner la gentrification. Progressivement, le système d’accréditation des musiciens du métro s’est autonomisé par rapport à la question des indésirables, alors que c'est dans le sillon de cette problématique qu’il avait émergé. C'est désormais un axe d’une stratégie commerciale plus globale.

4Dans un deuxième temps les dispositifs sont analysés de manière transversale pour mettre à jour des récurrences dans les figures d’indésirables, dans les registres de justification déployés, et dans les modalités de gestion de ces individus ou groupes. Les cas typiques d’indésirabilité identifiés soulignent qu’il ne s’agit pas tant de policer des usages indésirables que des usagers indésirables. Ceux-ci sont hiérarchisés : entre usagers dominants et indésirables ; avec au milieu des « oublié-es » - la personne sans smartphone qui voit disparaître les cabines téléphoniques, et des « minorités légitimées », comme les enfants, les femmes ou les personnes à mobilité réduite, souvent mises en avant pour justifier les mesures répressives à l’encontre des indésirables.

5J’ai mis en lumière des formes de redéfinition de l’indésirabilité, certaines liées à la redéfinition des fonctions des espaces publics : c’est le cas des musiciens du métro. D’autres au contraire réactualisent des figures classiques de la déviance (« vagabonds », « prostituées »). La gestion de l’indésirabilité induit de multiples opérations de tri : entre des biffins méritants et des sauvettes envahissants, des mendiants sans talent et des artistes en quête de reconnaissance, nos SDF qu’il faut assister et ces étrangers qu’il faut chasser. Ces processus de stigmatisation peuvent aboutir à la construction d’altérité radicale certains étiquetages identitaires primant systématiquement sur d’autres.

6Les registres de justification déployés permettent d’analyser la rationalité des acteurs impliqués et les liens entre discours et pratiques car ils n’ont pas seulement une fonction sémantique : ce sont des leviers pour l’action. Ce sont des camps (et non des bidonvilles) qu’on évacue (et non qu’on détruit), ce sont des filles victimes de la traite (et non des personnes qui se prostituent) qu’on rapatrie (et non qu’on expulse). Ces choix lexicaux ont des implications politiques qui soulignent combien décrire c’est aussi prescrire.

7Loin de s’appliquer de manière uniforme, les modalités de gestion des indésirables varient selon les types d’espaces envisagés : les lieux centraux, le front des projets urbains sont particulièrement ciblés. C’est sur cette dimension spatiale que j’ai cherché à me concentrer. La diversification des objectifs d’action (assistance, répression, cantonnement, circulation) et leurs imbrications s’expliquent par des tendances à la segmentation et à l’hybridation de différents corps professionnels avec des complémentarités, des tensions ou des conflits entre les échelons locaux et nationaux, le public et le privé, le secteur associatif et les pouvoirs publics.

8Des convergences d’intérêts structurent des groupes d’acteurs hétérogènes et des coalitions plus ou moins stabilisées. Ces jeux d’acteurs soulignent combien on est passé de questions sociales et morales de contrôle des déviants et d’encadrement des classes populaires aux problèmes de gestion de la visibilité d’individus ou groupes indésirables. De fait le traitement des indésirables ne semble pas relever de règles précises mais plutôt d’une gestion élastique en fonction des acteurs et des espaces envisagés. En même temps, l’inscription de ces problématiques à l’échelon local contribue à leur dépolitisation. C’est pourquoi il m’a semblé nécessaire de mettre en lumière la multiplicité de ces mises en ordre micro-locales pour identifier des processus plus structurels et des rapports de pouvoir asymétriques en lien avec la diffusion de certaines idéologies politico-économiques.

Discipline

Géographie

Directeurs
Jérôme Monnet
Jean-François Staszak

Universités
Université Paris-Est
Université de Genève

Membres du jury de thèse : soutenue le 13 septembre 2016
Frédéric de Coninck, Professeur Université Paris-Est, Ecole des Ponts, examinateur
Myriam Houssay-Holzschuch, Professeure Université Grenoble Alpes, rapporteure
Laurent Matthey, Professeur assistant Université de Genève, président de jury
Jérôme Monnet, Professeur Université Paris-Est, co-directeur
Jean-François Staszak, Professeur ordinaire Université de Genève, co-directeur
Djemila Zeneidi, Chargée de recherche CNRS, rapporteure

Situation professionnelle à l’issue de la thèse
Chercheure associée Lab’Urba

Courriel de l’auteure
murielfromentmeurice@gmail.com

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Pour citer cet article

Référence électronique

Muriel Froment-Meurice, « Produire et réguler les espaces publics contemporains », Carnets de géographes [En ligne], 9 | 2016, mis en ligne le 30 novembre 2016, consulté le 10 mars 2017. URL : http://cdg.revues.org/592

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