« Zavez une cigarette ? »
Mon homme entre en râlant contre les deux flics parce que ses menottes sont trop serrées, il n'a pas un regard pour ce qui se passe devant lui ni qui s'y trouve, il n'est concerné que par son problème du moment. "Allez Monsieur, calmez-vous ; tournez-vous, on les enlève", lui dit l'un des policiers de l'escorte, rompu à l'exercice.
Désentravé, David s'approche enfin, en titubant, du bord du box et de son micro, ouvert en permanence dans cette salle ; il est à un mètre de moi, nous nous sommes rencontrés la veille et deux fois aujourd'hui, la dernière il y a quelques minutes, pourtant en me voyant il s'exclame, bien fort dans le micro : "Oh, c'est vous mon avocat ? Zavez une cigarette ?"
Le temps des deux secondes que prend le Président pour décider de ce qu'il va lui dire pour le ramener sur Terre, je soupire, regarde la salle : il est quatorze heures dix, salle bondée, audience de comparutions immédiates, trois magistrats du siège et un du Parquet, huissier, greffière, avocats, journalistes, public en masse de gens concernés par les affaires du jour ; je suis debout dans le box de la Défense, séparé par un muret de mon client, ce David qui n'a en réalité, malgré nos entretiens précédents et les trois jours écoulés, pas la moindre idée d'où il se trouve, ni pourquoi au juste. Il risque théoriquement...
Il ne le sait pas - et le saurait-il qu'il ne comprendrait pas ce que ça veut dire. Il risque théoriquement vingt ans d'emprisonnement. Et, nettement moins théoriquement, une peine ferme qui ne se comptera pas en mois. Lire la suite